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›› Société

Les campagnes chinoises entre misère et spéculation immobilière

La Chine est d’abord une civilisation de l’écrit. La somme des documents, rapports statistiques, directives impériales, aujourd’hui celles du parti, l’infinie collection des remontrances à l’empereur, ou, depuis 1949, au bureau politique et au président de la République, constituent des documents historiques d’une extraordinaire richesse. Au point que les rapports rédigés par des Chinois voyageant à l’étranger ont souvent servi de référence hors de Chine, dans des régions qui n’avaient pas cette passion de la chose écrite. Pour ne citer qu’un exemple : aujourd’hui encore l’une des seules références qui permettent de mieux connaître l’état de la société cambodgienne au XIIIe Siècle, à l’époque de la splendeur finissante de l’empire khmer, est le rapport de Zhou Da Kuan, officiel chinois de la dynastie mongole, en visite en 1296 sur les rives du Mékong.

Ce goût des rapports n’a pas faibli. Le Bureau National des Statistiques (BNS) vient de publier une étude détaillée sur l’état des campagnes chinoises. On y lit notamment que durant les dix dernières années le nombre de paysans a diminué de près de 100 millions et que ceux travaillant aux activités agricoles ou d’élevage ne sont plus que 530 millions ; que le nombre de travailleurs migrants a augmenté de 60 millions, pour atteindre en 2006, le chiffre de 132 millions (10% de la population du pays). Autant d’hommes et de femmes, déplacés volontaires, aspirés par l’effervescence urbaine, et dont le revenu envoyé à leurs familles allège un peu la misère des campagnes.

Mais les rapports ne se limitent pas aux chiffres. Moins accessibles au grand public, les évaluations de situation, mises en garde et critiques des politiques publiques, n’ont souvent rien à envier aux articles de presse les plus alarmistes qui paraissent dans la presse libre occidentale. Parfois des extraits de cette littérature percent l’opacité des non-dits. Enfin, le « net », qui compte plus de 130 millions d’utilisateurs, relaye aujourd’hui cette passion de l’écrit, qui parfois génère d’ardentes controverses. Le gouvernement y participe aussi dans des sites, il est vrai calibrés, où - c’est une vieille habitude - le contenu en Chinois diffère souvent des textes en anglais, mais où, n’en déplaise aux incrédules, s’affirme de plus en plus la volonté de regarder les problèmes en face et d’en débattre.

Ainsi le site chinois : « Zhongguo Xuanju Yu Zhili », (Elections et gouvernance en Chine), né d’une coopération entre l’Université du Peuple et le Carter Center China Program, a récemment abordé la question des campagnes sous deux aspects différents : celui de la misère la plus noire et celui des tensions liées à la propriété de la terre.

A l’écart des zones de développement rapide de la côte Est, dessinant l’image de la Chine triomphante en marche qui fascine et inquiète le reste du monde, les campagnes chinoises vivent dans une échelle de temps qui semble couler moins vite qu’ailleurs. Ainsi le Ningxia, à plus de 1000 km à l’intérieur des terres, au sud-ouest de Pékin, baigné par le Fleuve Jaune fatigué, amaigri et pollué, est une des régions les plus pauvres de Chine. Dans ces zones arides et desséchées, les paysans habitent souvent dans des cavernes creusées dans les falaises ; leur seule source d’eau douce est la pluie qui se fait souvent attendre, et leurs revenus ne dépassent pas 20 euros par mois. Dans cette situation, où les populations continuent à vivre aux crochets des maigres aides publiques, l’unique solution est souvent la fuite ou le déplacement organisé par l’Etat vers des zones moins sinistrées par la sècheresse et la pauvreté de la terre.

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Ailleurs, où la terre et le climat sont moins ingrats, naissent de nouveaux élans, inspirés par l’ouverture de la Chine, sa marche vers une économie libérale et les espoirs nés des réflexions du pouvoir central sur le droit de propriété. A quoi s’ajoute la volonté des paysans de réagir aux abus des cadres locaux qui s’approprient la terre pour souffler, aux abords des grandes villes, une gigantesque bulle immobilière.

En janvier dernier, dans le Heilongjiang, des paysans, se réclamant de 40 000 de leurs collègues, ont mis en ligne une déclaration qui clamait leur détermination à « se battre jusqu’à la mort pour protéger la terre de l’avidité des cadres corrompus ». Pour eux le système de propriété collective, qui dilue les responsabilités, a transformé les paysans chinois en serfs. En 1978 déjà, un village de l’Anhui avait transgressé le dogme de la propriété collective et partagé les parcelles entre les familles d’un village. Deng Xiao Ping, le pragmatique, avait laissé faire. Et le village est resté célèbre pour avoir initié le système de location des terres, une semi-privatisation ayant permis le retour de la prospérité dans les campagnes, après trente années de folies collectivistes. La terre était cependant restée la propriété de l’Etat. Elle l’est toujours.

Cette fois, l’effervescence autour du droit de la terre, qui commençait à faire tâche d’huile, a été mise sous le boisseau, le site Internet a été fermé et les meneurs du Heilongjiang envoyés en camp de travail. Mais la boîte de Pandore a été ouverte. Selon Chen Yongmiao, un avocat de Pékin qui suit ces affaires de près, la contagion est à l’œuvre et d’autres contestations de ce type surgiront. Il n’est pas certain qu’à Pékin tout le monde soit d’accord pour étouffer la flambée par la répression. La question a en effet largement été reprise par les grands médias officiels contrôlés par le parti où des universitaires ont suggéré d’amender le principe de la propriété collective. Leurs arguments mettaient en avant que la privatisation, au moins partielle, des terres serait le meilleur moyen de mettre fin à la corruption. Mais à ce jour le parti a reculé, considérant que la propriété collective était un principe inaliénable du système politique chinois.

A dire vrai, les réticences ne sont pas seulement idéologiques. Toujours préoccupé par le fragile équilibre population - ressources, le pouvoir craint que la libéralisation du droit de la terre ne déclenche une frénésie immobilière qui braderait encore plus de terres agricoles. Cette tendance mettrait en danger l’approvisionnement des villes, et déclencherait la spirale infernale de l’inflation, dont le spectre rôde déjà depuis un an autour de la société chinoise. Peu après les incidents du Heilongjiang, une directive du Centre a rappelé aux citadins qu’ils n’étaient pas autorisés à acheter des terres agricoles.

Un principe qui n’est cependant respecté qu’en partie, puisque la presse chinoise elle-même indique que plus de 20% des transactions immobilières effectuées dans la grande périphérie de Pékin ont porté sur la vente de terres cultivables. Un retour en arrière, avec restitution des terres illégalement achetées grâce au laxisme autorisé par la corruption, n’est évidemment pas possible. Si, instruit par les abondantes archives décrivant les révoltes paysannes, le pouvoir craint les troubles dans les campagnes, souvent fomentées par des lettrés excédés ou en disgrâce, il est bien plus inquiet des rancoeurs possibles des citadins propriétaires, noyau dur de la nouvelle classe moyenne chinoise, en partie composée de fonctionnaires affiliés au parti.

 

 

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