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›› Politique intérieure

L’obsession de stabilité sociale, principal obstacle au développement d’une société civile dynamique et responsable

La crise économique évoque en Chine les menaces d’instabilité sociale. La préoccupation n’est pas nouvelle et reste une des priorités du gouvernement, toujours inquiet des risques de révolte dans les campagnes ou à la périphérie des grands centres urbains malmenées par le ralentissement de l’économie, la chute des exportations et le chômage.

L’exigence de stabilité figure d’ailleurs sans exception comme un mantra, dans tous les discours des dirigeants à tous les niveaux. Au point qu’elle apparaît souvent comme une fin en soi. C’est précisément ce que certains intellectuels chinois pointent du doigt, soulignant qu’à force de faire de l’absence de désordres une priorité absolue, le parti risque de créer une société sclérosée, incapable de se régénérer et menacée de « pourrissement ».

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Voici donc deux manières d’observer la société chinoise : l’une qui utilise le prisme des risques de désordres et des stratégies permettant de les prévenir, représente la vision du gouvernement.

L’autre, avancée par Sun Liping, docteur en sociologie de l’université Qinghua, ancien directeur de thèse de Xi Jinping, le vice-président, probable successeur de Hu Jintao, exhorte le pouvoir à moins de rigidité dans le traitement des désordres sociaux et propose sur son blog ses idées iconoclastes dénonçant les risques posés pat l’obsession de la stabilité sociale, lorsqu’elle est considérée comme une fin en soi.

Le grand manitou du contrôle efficace de la société chinoise pour prévenir les risques de désordres et les « incidents de masse » est Zhou Yongkang, membre du Comité permanent du Bureau Politique, ministre très respecté de la sécurité publique jusqu’en 2007 et ancien PDG de CNPC, la plus puissante société pétrolière de Chine.

La clé de voûte de sa stratégie, destinée à éviter les affrontements spectaculaires entre le peuple et la police, qui dégraderaient l’image de la Chine, se résume dans un de ces slogans souvent employés par les autorités pour expliquer une action et dont le style renvoie à la grande époque révolutionnaire et aux mouvements de masse : les « Si Ge Zao » - « les 4 célérités ou réactivités »- : « 1) être informé rapidement ; 2) rendre compte rapidement ; 3) contrôler rapidement et 4) résoudre rapidement ».

C’est là l’objectif du « groupe dirigeant pour le maintien de la stabilité », créé en 2006, placé sous la responsabilité de Zhou Yongkang et supervisé par le vice-président Xi Jinping lui-même.

Son bras armé est le « bureau de la stabilité » dirigé par le vice-ministre de la sécurité publique Liu Jing, dont l’une des missions cruciales est d’identifier le plus tôt possible les éléments pouvant menacer la stabilité sociale. A cet effet le pouvoir a recruté une armée d’agents de renseignement disséminés et démultipliés - chaque agent peut recruter jusqu’à 5 personnels de surveillance - dans toute la Chine. Il va de soi qu’un effort particulier est consenti pour les zones à risques.

Ce réseau tentaculaire qui tente de contrôler les activités à connotation politique de la société civile est efficace, mais il aboutit à créer une atmosphère de suspicion et de délation, si bien que la population vit avec la crainte constante d’être dénoncée.

Evidemment ces mesures ont encore été alourdies en amont des JO et à la suite des événements au Tibet. Depuis de début de la crise économique les actions de formation au profit des cadres de province ont été multipliées : en novembre 2008, deux mille secrétaires de parti du niveau de district ont été convoqués à Pékin pour assister à un cours spécial. En février 2009 c’était le tour de 3000 chefs des « bureaux de stabilité » des districts de se réunir à Pékin en trois sessions.

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Pendant ce temps, Sun Liping l’iconoclaste professeur de sociologie de l’une des plus prestigieuses universités de Chine, ancien mentor universitaire de Xi Jinping qui supervise le quadrillage de la société chinoise, publiait sur son blog quelques réflexions à contre courant qui firent la joie des internautes : « Notre analyse des risques est biaisée. Ma thèse est que ce qui menace le plus la société chinoise n’est pas l’instabilité, mais la sclérose et, à terme, la nécrose et la décomposition.

S’il est vrai que le contraire de désordres sociaux est la stabilité sociale, le contraire d’une société nécrosée est une société en bonne santé et dynamique. Mais suite à une erreur de diagnostic, nous ne traitons pas la nécrose, au motif que le remède menacerait la stabilité sociale. Tout comme si un médecin refusait de soigner un malade atteint du cancer sous prétexte que son cœur est faible ».

Sun continue en expliquant qu’il dénonce depuis dix ans l’exagération des risques de dérapages des conflits sociaux qui aboutit à placer l’objectif de stabilité au-dessus de tout, au point d’en faire un but en soi, qui définit les priorités gouvernementales et donne le ton de l’action des pouvoirs publics. Ceux-ci deviennent rigides, pusillanimes, soupçonneux de tout, au point que la moindre initiative politique est impossible et aussitôt tuée dans l’oeuf.

Expliquant que les désordres sociaux sont la règle dans une société avancée, il ajoute que « seule la Chine place la stabilité sociale au-dessus de tout le reste - poursuit Sun - ; elle est aussi la seule à s’être dotée de « comités de sauvegarde de la stabilité », si bien que les symptômes de décomposition de la société commencent à apparaître.

Le plus évident d’entre eux - avec la corruption qui est son effet collatéral - est que la société civile n’est en mesure d’exercer aucun contrôle sur le pouvoir. Ce dernier n’est limité par rien, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur, tandis qu’aucune initiative politique n’est plus possible en dehors des murs de Zhongnanhai. »

Puis, Sun Li Ping se livre à une charge féroce contre l’état de la société chinoise, qui témoigne du pessimisme de beaucoup d’intellectuels, dont Questionchine a, à maintes reprises, fait état : « L’absence de contrôle public crée une classe de fonctionnaires irresponsables, uniquement préoccupés de leurs intérêts et de leur avancement, corrompus au point que dans l’état actuel des choses aucun remède n’est plus possible.

Cette décomposition, ajoute Sun Liping, est à l’œuvre dans tous les aspects de la vie sociale qui a perdu ses repères moraux, tiraillée au gré des groupes de pression, dont le comportement sans scrupules affaiblit l’esprit d’honnêteté et de justice de tout le corps social. Dans ce contexte le système d’information de l’état souffre de graves dysfonctionnements au point que la déformation et la manipulation des données statistiques à tous les échelons sont devenues la règle ».

On ne saurait mieux dire et plus clairement. Le débat qui s’étale ainsi publiquement renvoie à la « respiration » politique de la société chinoise, aujourd’hui bridée d’en haut par la crainte de désordres. Le pouvoir a conscience des conséquences de ces rigidtés répressives sur les rapports entre la population et le pouvoir. De même il n’ignore pas l’affaiblissement de la confiance politique résultant de la dégradation éthique.

Ces effets pervers, souvent dénoncés par les plus hauts dirigeants eux-mêmes, font l’objet d’innombrables discours et slogans politiques qui appellent à un redressement moral. Mais in fine, s’il est vrai qu’il accepte les débats critiques parfois virulents, le parti n’est toujours pas prêt à autoriser la moindre remise en cause des choix arrêtés dans le secret opaque du comité permanent du bureau politique.

 

 

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