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›› Economie

La crise avec Rio Tinto. Une affaire d’Etat aux ramifications gênantes

L’affaire Rio Tinto, qui a suscité les réactions offusquées du monde des affaires à New York, Canberra, Londres et Paris est presque un cas d’école sur les incompréhensions entre la Chine et les grands pays développés en Occident. Au passage, elle révèle aussi le marasme dans lequel baigne l’industrie de l’acier en Chine, minée par la surproduction, souvent de qualité médiocre, et une corruption massive, érigée en système.

Interprétée à juste titre par les grands groupes étrangers comme une menace pour leurs affaires en Chine, le raidissement de Pékin, qui est à l’évidence une manifestation intempestive de ce nationalisme que le Parti Communiste cultive à l’excès et le pousse parfois à la faute, n’est peut-être pas tant l’expression d’une arrogante confiance en soi qu’un signal de faiblesse.

En 2008, placée sous la tension de ses gigantesques besoins en matières premières, la Chine qui importe plus de 400 millions de tonnes de minerai de fer par an (chiffres 2008), en dépit d’une production nationale passée de 250 millions de tonnes en 1994 à plus de 800 millions de tonnes actuellement, entend saisir l’opportunité de la baisse massive des prix du minerai pour se lancer dans une vaste politique de rachat d’actifs miniers, dont la cible est essentiellement l’Australie.

La chute des prix, divine surprise de la crise, survenue à l’automne 2008, avec des baisses de plus de 40%, après les fortes secousses à la hausse entre 2002 et 2007, accélère encore les démarches chinoises. En février 2009, appuyé par son fonds souverain, Pékin autorise le groupe public Chinalco à signer un accord formel de rachat de 18% des actions de Rio Tinto, dont les dettes s’élèvent à plus de 38 milliards de dollars.

La crise éclate le 5 juin 2009, lorsque Rio Tinto fait volte face, abandonne Chinalco, moins de quatre mois après la première signature, et se rapproche de son concurrent BHP Billiton.

En Chine, la nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre. L’échec remettait en effet en cause la stratégie de Pékin pour tenter de contrôler les prix du minerai, heurtant directement les intérêts de la nomenklatura dans un secteur toujours considéré comme sensible.

Surtout l’opinion publique et le Parti interprétaient les réticences des actionnaires de Rio Tinto et le rejet comme un ostracisme anti chinois. Une émission de la télévision australienne avait même lié Chinalco aux événements de Tian An Men, tandis que la classe politique s’inquiétait publiquement de voir les ressources minières nationales passer sous contrôle chinois.

A Pékin, où la sensibilité patriotique est exacerbée par la propagande nationaliste, on ne croit toujours pas aux raisons techniques des Australiens qui expliquent leur brutale volte face par une amélioration du marché.

C’est ainsi qu’une affaire, qui n’était qu’industrielle, devint une affaire d’Etat, polluée en Australie par le poison du « péril jaune » et en Chine par le sentiment nationaliste, blessé par la soudaine et trop publique volte face australienne. Les 195 millions de dollars de compensation payés par Rio Tinto n’y feront rien. Dès lors, on entre de plain-pied dans l’irrationnel.

Pékin, outragé, renoue avec sa tendance ancestrale à châtier les tributaires rétifs. Pour les Chinois, la manœuvre n’est pas une déclaration de guerre, mais une manière de reprendre la main dans une situation qui lui a échappé.

L’arrestation début juillet du représentant de Rio Tinto à Shanghai, accusé d’avoir corrompu les grands groupes sidérurgiques chinois, qui sont aussi ses clients, pour obtenir « des secrets d’État », fait immédiatement monter la tension d’un cran.

Le fait que le malheureux soit d’origine chinoise n’arrange rien, dans une culture qui privilégie les racines ethniques et tend à considérer tous les Chinois émigrés, quelle que soit leur nationalité, comme des ressortissants de Pékin.

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L’offuscation des milieux d’affaires occidentaux est à la mesure de ce dérapage qui tourne le dos aux habitudes feutrées du monde du grand business.

Elle a également secoué la classe politique en Australie. Le premier Ministre Rud, ancien diplomate, sinophile et excellent sinophone qui s’était forgé une image de spécialiste et d’ami de la Chine, capable de promouvoir les intérêts australiens, est forcé par son opinion publique d’abandonner sa stratégie habituelle de discrétion et de négociations « derrière le rideau », et contraint d’adresser une mise en garde publique aux dirigeants chinois.

Ce qui, comme toujours, accentue les crispations de Pékin.

L’incompréhension s’installe des deux côtés. La Chine, ulcérée d’avoir été publiquement si mal traitée, retrouvant des réflexes surannés qui datent de l’Empire, prend en otage les personnels de Rio Tinto au risque de ternir son image, alors que ses appétits exorbitants pour les matières premières constituent une importante vulnérabilité qui la contraindront, in fine, à composer.

L’Australie et Rio Tinto, la main sur le cœur, récusent les accusations de corruption et d’espionnage et, oubliant les dérapages anti-chinois de l’opinion publique et du monde politique, jamais à court de démagogie, condamnent les méthodes de Pékin. Eux aussi devront mettre de l’eau dans leur vin, puisque la Chine reste, de très loin, leur principal client.

La victime de ces échauffourées pourrait bien être le représentant de Rio Tinto en Chine, Monsieur Hu Stern, qui agissait ni mieux, ni plus mal que la plupart des agents des grands groupes étrangers, rétribuant des correspondants chinois occultes pour conforter ses positions dans une négociation, ou obtenir des informations cruciales sur la nature des stocks et les vulnérabilités de ses clients.

Peut-être s’est-il également mis en difficulté, comme le laisse entendre la rumeur, en cherchant à contourner le très puissant syndicat du fer et de l’acier, qui, jusqu’à présent, faisait la pluie et le beau temps dans le secteur de l’acier en Chine.

Ce dernier, véritable État dans l’État, est, à bien des égards, responsable du chaos dans lequel est plongée l’industrie sidérurgique en Chine. Qu’on en juge : les grands groupes sidérurgiques chinois utilisent leur licence d’importation - privilège qui n’est accordé qu’à une centaine de sociétés sur plusieurs milliers d’entreprises sidérurgistes - pour importer des quantités de minerai de fer qui dépassent très largement la demande. L’excès de minerai est ensuite revendu au prix fort à la myriade de petites sociétés qui ne sont pas autorisées à importer directement de l’étranger.

Ces pratiques, encouragées par les grands groupes chinois, tous étroitement connectés au monde politique, instaurent un véritable marché noir du minerai de fer, encourageant la création de sociétés parallèles, uniquement occupées à tirer profit de la vente des surplus. Elles font le lit d’un système dangereusement corrompu.

Durant la période de forte hausse du prix du minerai de fer, ces pratiques ont généré de considérables profits plus ou moins transparents, dont une partie est allé directement dans les poches de la nomenklatura du régime. En 2008, les aciéries ou les sociétés de commerce qui avaient accès au marché étranger achetaient 100 dollars la tonne de minerai et la revendaient 200 dollars aux petits sidérurgistes, privés du droit d’importer.

C’est à cette situation très anarchique, dans laquelle il est lui-même impliqué, et où les prix de l’acier sont manipulés par des acteurs au comportement mafieux, que le gouvernement chinois tente aujourd’hui de faire face.

Rien ne dit que le géant minéralier Rio Tinto, dont la Chine est le plus gros client, ne soit pas, au moins en partie, impliqué dans ces pratiques auxquelles personne ne trouvait rien à redire il y a encore peu. On ne le saura probablement jamais. En revanche, il est presque certain que les effervescences politiques décrites plus haut ne se seraient pas produites si Chinalco avait réussi à prendre pied dans le capital de Rio Tinto.

La rebuffade aura en tous cas une nouvelle fois mis à jour les fragilités de la Chine dévoreuse d’énergie et de matières premières, en quête effrénée de ressources. Elle a aussi contribué à jeter une lumière crue sur le marasme de la sidérurgie. Ce dernier commence d’ailleurs à porter ombrage à la Chine, ajoutant encore à ses vulnérabilités.

Dans le secteur des tubes d’acier utilisés dans la recherche pétrolière par exemple, Pékin est sous le coup de plusieurs plaintes pour dumping au Canada et aux États-Unis, dont le marché est encombré par 18 mois de stocks du fait la surproduction chinoise, dont les prix sont cassés grâce aux manipulations du marché du fer et de l’acier en Chine.

 

 

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