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›› Politique intérieure

Lutte contre la corruption ou élimination des factions rivales ?

La corruption est depuis longtemps un des plus graves défis auxquels le Parti est confronté. Il y a déjà quelques années le professeur Hu Angang de l’Université Qinghua estimait qu’elle constituait un coulage considérable, représentant 13 à 16% du PNB de la Chine, en même temps qu’une « pollution sociale » dont les effets, qui se faisaient sentir jusque dans la dégradation de l’environnement, véhiculaient le risque d’instabilité sociale et politique et affaiblissaient notablement la crédibilité du régime.

Selon une autre étude du Professeur Li Chengyan, Directeur de l’Institut de recherche sur la corruption de l’Université de Pékin, en 10 ans plus de 10 000 cadres corrompus auraient quitté la Chine, emportant avec eux plus de 100 milliards de dollars.

En même temps, les statistiques concernant les sanctions légales à l’égard des cadres de haut niveau et des membres du gouvernement font ressortir que, dans les hautes sphères du Parti et du pouvoir, les risques pour un officiel corrompu d’encourir les foudres de la justice sont seulement de 10%, soit deux fois moins que pour les responsables des provinces.

Dans un contexte, où le pouvoir prend conscience que la corruption assez généralisée des fonctionnaires et des responsables des plus grandes entreprises de l’Etat recèle des risques mortifères pour le Parti, le Président Hu Jintao s’est engagé dans un bras de fer anti-corruption avec l’élite du PCC et les patrons des grands groupes d’Etat.

Dans cette entreprise il fait preuve d’une détermination et d’une constance telles qu’il n’est pas exagéré de dire que la chasse aux corrompus est devenue sa priorité n°1 en politique intérieure. Elle éclipse même le message central du 17e Congrès, qui prônait le « développement scientifique », le rééquilibrage socio-économique du pays, en même temps que la réparation des dommages à l’environnement induits par 30 années de modernisation accélérée, parfois sauvage.

Il ne se passe pas un mois sans que le Secrétaire Général du PCC, un membre du Comité Permanent du Bureau Politique ou de la Commission de Discipline du Parti stigmatise la corruption, annonce de nouvelles mesures, le tout sous une avalanche de nouvelles relatant la mise en cause et les jugements de cadres aux échelons les plus élevés du système, dont certains et non des moindres sont condamnés à mort et exécutés.

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La main lourde du pouvoir

Pour autant, alors que les soupçons de corruption commencent à peser sur une société dirigée par le fils du Président lui-même, les experts étrangers et Chinois doutent de l’efficacité de ces campagnes, tandis que d’autres affirment que les coups de sabre de plus en plus brutaux qui frappent les corrompus sont aussi une stratégie d’élimination des factions rivales.

Dès son arrivée au pouvoir en 2002, l’équipe HU Jintao - Wen Jia Bao s’est en effet signalée par un discours plus agressif, mettant fréquemment en cause la haute direction du régime, n’hésitant pas à porter des coups directs aux officiels corrompus à des niveaux bien plus élevés que par le passé.

En janvier 2004, lors de la 3e session plénière de la Commission Centrale de discipline du Parti, le PCC avait poussé les feux d’une campagne anti corruption, lancée un an à peine après l’intronisation de Hu Jintao à l’automne 2002 : « le Parti punira sévèrement les officiels coupables de corruption quel que soit leur rang ». Selon le quotidien de Hong Kong Wen Wei Po cette campagne aurait provoqué la fuite à l’étranger (ou la disparition) de plusieurs milliers de membres du Parti, tandis que, pour la seule année 2003, 1200 autres se sont suicidés.

Au cours des années 2005, 2006, le ton devenait plus pressant : « nous considérons la lutte contre la corruption comme une priorité liée aux intérêts fondamentaux du peuple chinois, à la justice, à l’égalité et à l’harmonie de la société ». Dans la foulée, les têtes tombaient : Chen Liangyu, Secrétaire du Parti de Shanghai, membre du Bureau Politique, plus haut dignitaire chinois jamais inquiété, Liu Zhihua, ancien vice-maire de Pékin, Qiu Xiaohua responsable du bureau des statistiques étaient démis de leurs fonctions, exclus du Parti et traduits en justice. Le 10 juillet 2007, Zheng Xiaoyu, le responsable des contrôles sanitaires pour les produits alimentaires et les médicaments était exécuté.

En septembre 2007, la Chine mettait en place un Bureau National pour la prévention de la corruption. Un mois plus tard, le 17e Congrès réaffirmait avec force la volonté de nettoyer le Parti de ses cadres corrompus et commençait à cibler les responsables des grands conglomérats d’Etat et la haute administration des provinces compromise dans les trafics de terres, l’industrie minière illégale et les projets de construction, un des secteurs les plus corrompus par les pots de vin distribués aux cadres locaux : « la survie du Parti dépend de sa résolution à prévenir et à sanctionner la corruption », prévenait Hu Jintao, de plus en plus déterminé.

Fin 2008, Huang Songyou, Président de la Cour Suprême, était démis de ses fonctions pour avoir accepté des pots de vin. En décembre 2008, le Bureau Politique approuvait un plan de 4 ans de lutte anti-corruption et en Janvier 2009 de nouvelles mises en garde de la Commission Centrale de Discipline ciblaient le commerce illégal de terres arables, les exploitations minières pirates, le détournement des fonds d’aide d’urgence aux sinistrés, la manipulation des prix de l’énergie, les délits d’initiés en bourse et le trafic d’influence.

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Dans la foulée, les coups portés aux cadres de haut niveau s’alourdissaient à une échelle jamais vue depuis la fin des années 80.

En mars 2009, un député de la province du Jilin, Mi Fengjun était exclu de l’ANP pour avoir accepté des pots de vin. Début juin, le maire de Shenzhen, Xu Zongheng était relevé de ses fonctions pour trafic d’influence. En juillet, Chen Tonghai, ancien Directeur de Sinopec, société d’Etat et 2e géant pétrolier chinois était condamné à mort (avec un sursis de deux ans) pour avoir accepté 28 millions de dollars de pots de vin.

Le 7 août Li Peiying, ancien Directeur de la puissante holding qui gère une trentaine d’aéroports en Chine, dont celui de Pékin, et compte près de 40 000 employés, était exécuté, après que son appel ait été rejeté. Il était convaincu d’avoir détourné 12 millions de dollars et accepté près de 4 millions de dollars de pots de vin.

Cette exécution faisait suite à celle de deux hommes d’affaires ayant détourné 127 millions de dollars. En même temps on apprenait que le responsable de la très puissante industrie nucléaire chinoise, Kang Rixin, membre du Comité Central, était mis en examen pour avoir accepté des pots de vin liés aux appels d’offres pour la construction de centrales nucléaires. Selon les meilleures sources une centaine de cadres de haut niveau seraient aujourd’hui sur la liste noire.

On le voit, le pouvoir frappe de plus en plus fort et de plus en plus haut. Et pourtant les spécialistes chinois et étrangers les plus pertinents, qui mesurent l’inextricable enchevêtrement des intérêts d’affaires, des clans politiques et des réseaux mafieux, doutent de l’efficacité de ces campagnes. L’un d’eux affirme même que la corruption augmentera en même temps que les répressions.

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Le mur du silence et les rumeurs de règlements de compte

Le professeur Hu Angang, cité en début de cet article, avait d’ailleurs depuis longtemps souligné que pour mettre fin à ces dérives, il faudrait d’abord démanteler les collusions entre le Parti, la justice, la police et les mafias. Une perspective compliquée qui n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Le fait est que les hommes politiques de premier plan et leur famille, dont la corruption est pourtant de notoriété publique, à la tête de prébendes et de fiefs industriels ou commerciaux très lucratifs, n’ont jamais été inquiétés. Selon nombre d’études effectuées par des chercheurs chinois, la grande majorité des responsables de haut niveau dans les secteurs de la finance, du commerce extérieur, de l’immobilier, du secteur de la construction et de la high-tech est liée aux dirigeants politiques de premier plan. La proportion est tout aussi forte chez les milliardaires.

Mais il y a plus. Alors même que le Président Hu Jintao amplifie ses campagnes dans un mouvement qui semble constituer un axe majeur de son deuxième mandat, ciblant des cadres de plus en plus haut placés, le nom de son propre fils apparaît aujourd’hui, mêlé à une affaire de corruption. Dirigée jusqu’en 2008 par Hu Haifeng (38 ans), fils aîné du Président, la société Nuctech, qui fabrique et commercialise des équipements de sécurité utilisés par les aéroports et les ports pour le contrôle par rayons X des chargements lourds, est soupçonnée par le gouvernement namibien d’avoir détourné tout ou partie du versement initial de 8 millions de livres, payé pour l’achat de scanners de sécurité.

Tandis qu’en Chine les informations concernant l’affaire sont bloquées sur Internet, que Nuctech et le Ministère des Affaires étrangères éludent les questions de la presse, la société est également sous le coup d’une accusation de manipulation des prix et de dumping déposée à l’Union Européenne par son concurrent anglais Smith Detection Group Ltd.

Enfin, vue par un observateur occidental, toute l’affaire pourrait bien relever du népotisme et du trafic d’influence présidentiel. Dans ce schéma, Hu Jintao aurait, lors de son voyage en Namibie en février 2007, utilisé des fonds publics pour faciliter le financement d’équipements, dont le commerce, très lucratif, enrichit une société contrôlée par son fils.

S’il est vrai qu’en Chine, l’opacité qui protège le système fait que les mèches des explosions politiques sont plus longues et bien moins visibles qu’en Occident, il n’en reste pas moins que dans l’ambiance actuelle, marquée par la répression brutale d’une partie de l’élite, l’affaire pourrait constituer une sérieuse menace pour Hu Jintao.

Celle-ci serait encore plus redoutable si, comme l’affirment certains observateurs à Hong Kong et à Pékin, les campagnes anti-corruption avaient également pour objectif de réduire ou d’éliminer l’influence des clans rivaux, notamment celui de Shanghai.

Ces interrogations avaient déjà été soulevées lors de la disgrâce à Shanghai en 2007 de Chen Liangyu, proche de Jiang Zemin.

Elles refont surface aujourd’hui avec la destitution du maire de Shenzhen également proche des Shanghaïens et la série de mises en examen de plusieurs cadres haut-placés du PCC à Canton, intervenues depuis la nomination, en 2007, du gouverneur Wang Yang, allié de Hu Jintao. La rumeur court même à Pékin que Li Peiying, exécuté le 7 août, aurait été en conflit direct avec Wen Jiabao.

Le professeur Hu Angang lui-même avait dans un de ses rapports déjà anciens, identifié ce risque pour la cohésion du Parti en écrivant : « la lutte contre la corruption au sein de la haute direction du régime ne devrait pas être le prétexte à des règlements de compte entre factions politiques rivales ».

 

 

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