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La puissance financière de la Chine : une carte maîtresse économique, politique et diplomatique

Alors que le mois dernier le Bureau Politique envisageait l’avenir de la reprise économique avec prudence, l’inquiétude des élites chinoise fait aujourd’hui place à plus de confiance, en dépit de mises en garde de l’Institut National des Statistiques. Toute la presse internationale commente les derniers chiffres de la croissance qui atteindra probablement 8% en 2009. Le signe le plus direct d’une détente est la déclaration du Directeur de la Banque de Chine laissant augurer à terme (peut-être vers le milieu de l’année 2010) une reprise en main du crédit bancaire.

Même s’il reste encore à stimuler le secteur privé et les PME, grands pourvoyeurs d’emplois, en partie laissés pour compte par le plan de relance, et en dépit du chiffre de la reprise à peine au-dessus du seuil critique de 7%, l’objectif du parti est atteint et le spectre d’une récession prolongée s’éloigne avec le redécollage de la production industrielle en hausse de plus de 13%, et l’augmentation de la part de marché chinoise aux Etats-Unis, dopée par le ralentissement des exportations sud-américaines, plombées par la crise.

Une évidence s’impose. La reprise a d’abord été stimulée par le plan de relance massif de l’Etat, les investissements publics et la libération du crédit à un niveau inédit en Chine et dans le monde. Une stratégie de lourdes incitations financières qui n’a pas manqué de soulever des critiques et des craintes, notamment de la part de ceux qui redoutent qu’à la faveur de la crise, la Chine resserre le contrôle étatique de l’économie, ouvre à nouveau les vannes des créances douteuses des banques, et se laisse déborder par la folie des investissements spéculatifs.

Pour autant, la puissance financière chinoise, qui fut, quoi qu’on en dise, un remède efficace pour relancer la machine économique intérieure, est un atout maître du régime. Levier d’action décisif à l’intérieur, elle est aussi un des facteurs structurants de la politique étrangère de Pékin, en partie définie par sa quête de ressources. En passe de devenir la deuxième économie mondiale, mais également le deuxième consommateur de pétrole avec plus de 8 millions de barils / jour, (contre 18 millions pour les Etats-Unis), de plus en plus dépendante de ses importations de ressources minières et énergétiques, la Chine utilise ses réserves financières, aujourd’hui estimées à 1500 milliards d’Euros, pour accélérer ses achats d’actifs dans tous les coins du globe. Sans compter que l’accumulation des stocks et des actifs de matières premières et de pétrole sont aussi un moyen pour la Chine de diversifier ses avoirs, trop dépendants des bons du trésor américains.

Depuis une quinzaine d’années, les quatre grands groupes pétroliers chinois écument la planète, avec l’objectif exclusif d’augmenter leurs actifs, ou au minimum de se ménager des fournisseurs privilégiés, le tout sans trop de considération pour les conséquences géopolitiques de leurs achats. C’est ainsi qu’en 2009, les importations en provenance du Soudan et d’Iran ont augmenté respectivement de 13,8% et de 14,7%, tandis que, depuis 2003, le montant total des accords gaz-pétrole avec Téhéran est estimé à 80 milliards d’Euros. Les pressions exercées par Washington sur ses alliés du Golfe pour les persuader d’augmenter leurs livraisons de brut à Pékin, dans l’espoir que le pouvoir chinois réduise sa dépendance vis-à-vis des Etats en rupture de ban, n’y ont pour l’instant rien changé.

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L’Amérique latine, que Washington surveille comme son arrière cour, n’est pas oubliée. Récemment, la Banque Chinoise de Développement a prêté 7 milliards d’Euros au Brésilien Petrobras pour financer une partie de son plan de recherche et d’exploitation, en échange de 200 000 barils / jour. La même opération a eu lieu au Venezuela à hauteur de 3 milliards d’Euros. Le bruit court que la China National Off Shore Oil Corporation (CNOOC), spécialisée dans l’exploration off-shore, aurait avancé ses pions pour participer à l’exploration des eaux territoriales américaines dans le golfe du Mexique en achetant des parts de StatoilHydro, une société norvégienne déjà engagée dans la zone en compagnie d’autres « majors » internationales dont Total, Petrobras, Shell et BP. Une situation très internationale qui rendra très difficile un blocage de Washington.

La quête chinoise se poursuit également en Asie Centrale, au Moyen Orient et en Afrique, où la Chine s’est récemment mise en mesure d’augmenter encore ses opérations avec l’achat (6 milliards d’Euros) en juin dernier, par Sinopec de la société suisse Addax Petroleum Corp, engagée à l’ouest des côtes africaines et en Irak.

Mais les dernières avancées en date ont eu lieu au Ghana, où la CNOOC négocie avec la société pétrolière nationale ghanéenne GNPC pour concurrencer l’offre de l’Américain Exxon Mobil (2,5 milliards d’Euros) en vue d’obtenir une part dans l’exploitation d’un gisement en eau profonde, dont le stock est évalué à près de 2 milliards de barils. Une opération de même ampleur est envisagée en coopération avec les gouvernements guinéen et angolais dans le golfe de Guinée. Les initiatives chinoises dans l’exploration en eau profonde, favorisées par la puissance des réserves de Pékin, alors même que les capitaux manquent à l’Ouest, empiètent sur les chasses gardées des grands groupes pétroliers occidentaux.

Sur le continent eurasiatique Pékin est tout aussi actif. Au Kazakhstan, le fonds souverain chinois a acheté 11% (625 millions d’Euros) d’une société d’hydrocarbures. Les investissements en Russie (construction du pipeline vers l’Extrême Orient russe, prêts à long terme à Rosneft et Transneft) ont atteint 15 milliards d’Euros contre la livraison de 300 000 barils / jour. Là aussi, le dernier investissement en date a été effectué, à la mi-octobre, par le fonds souverain chinois qui, pour 200 millions d’Euros, a racheté 45% des actions de la société d’hydrocarbures russe Nobel Oil Group. C’était le deuxième investissement massif en moins d’un mois du fonds souverain pour un total de 800 milliards d’Euros.

Plus généralement, la puissance financière de Pékin favorise les implantations chinoises partout dans le monde et sont un vecteur de l’influence stratégique de ce nouveau monstre économique. Du Pakistan à l’Angola en passant par le Kirghizstan, le Kazakhstan, la Russie et le Moyen Orient ; de l’Amérique centrale au Brésil, aux marges des Etats-Unis, et jusque dans leurs eaux territoriales, la Chine, qui ne s’embarrasse pas plus d’éthique que la plupart des autres « majors », privilégie ses affaires et utilise ses ressources financières pour assurer ses approvisionnements, consolider ses positions diplomatiques et promouvoir les contrats de ses sociétés. Si les projets au large du Ghana se réalisaient, ils infligeraient un cuisant échec à Exxon Mobil, qui depuis 10 ans recherche en vain de nouveaux gisements.

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Aux critiques qui l’accusent de manquer d’éthique, de prêter main forte à des régimes condamnés par les Occidentaux ou de mépriser les droits de l’homme, notamment en Afrique, où ses échanges commerciaux ont dépassé ceux de la France avec 70 milliards d’euros annuels contre 50 milliards, la Chine rappelle à ses détracteurs qu’elle n’est pas la première ni la seule à exploiter les ressources du continent noir ou d’autres zones sensibles de la planète. Elle a aussi beau jeu de rappeler que les réserves de pétrole dans les zones stables et développées, politiquement acceptables par la morale internationale, sont presque inexistantes.

Au demeurant, Pékin affirme agir de manière équitable, à l’avantage de toutes les parties, en apportant capitaux et expertise, en phase avec les besoins des pays pauvres, y compris dans l’agriculture et les infrastructures, chantiers que les Occidentaux ont depuis longtemps délaissés. Elle ajoute que ses investissements redonnent de la vigueur à des secteurs atones et apportent une plus grande stabilité aux régimes et populations fragilisés, en quête de sécurité.

Mais la route de la Chine vers le statut de superpuissance n’est pas aussi aisée qu’il y paraît à première vue. En Afrique notamment, elle commence à rencontrer des difficultés. Le mois dernier une offre de Petrochina (CNPC) pour le rachat d’une concession de Royal Dutch s’est heurtée à un refus libyen. Au même moment la compagnie nationale angolaise annonçait qu’elle bloquerait la vente à CNOOC de 20% des parts d’un champ pétrolier exploité par l’Américain Marathon Oil Corp. Fin septembre un groupe de militants nigérians du Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger, s’est opposé à une offre chinoise qui visait à s’assurer près de 50% des réserves d’un champ de pétrole pour une valeur de 20 milliards d’Euros, représentant 6 milliards de barils. Peu avant, une compagnie chinoise contrôlée par le fils du Président Hu Jintao, était impliquée dans une affaire de corruption et de trafic d’influence en Namibie, en marge d’un contrat d’équipements de sécurité pour les aéroports, financé par un prêt préférentiel de Pékin.

Ailleurs, comme le soulignent Serge Michel et Michel Beuret, auteurs de « la Chinafrique » (éditions Grasset mars 2008), on constate que l’action de la Chine en Afrique commence à ressembler à celle des anciens acteurs coloniaux, avec ses chantiers qui s’enlisent, ses cohortes de gardes de sécurité, ses scandales de corruption et, quoi qu’elle en dise, son mépris pour la population locale, souvent motivé par les accès de cupidité de ses compagnies.

A cela s’ajoute que, depuis quelques temps, les dirigeants africains, dont certains bénéficient de la manne pétrolière, deviennent plus méfiants et plus exigeants, tandis que d’autres, comme l’Afrique du Sud, s’inquiètent du creusement du déficit commercial, dans un contexte où apparaissent de nouveaux investisseurs (Brésil, Inde, Corée du Sud, Japon) là où, il y a seulement quelques années, la Chine était seule en lice.

Sur les autres théâtres, comme par exemple celui des voisins asiatiques (Asie du Nord, Inde) ou celui de l’ASEAN, l’intérêt que suscite la puissance financière chinoise est, depuis des lustres, mêlé de la crainte née des exorbitantes ambitions hégémoniques de Pékin en Mer de Chine du Sud, des ramifications de ses réseaux financiers et politiques, capables de s’infiltrer jusque dans les hautes sphères du pouvoir et d’en influencer les décisions, avec, en fond de tableau, la montée en puissance des capacités de sa marine et la multiplication inexorable de ses missiles sol-sol braqués sur Taïwan.

 

 

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