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›› Taiwan

Les aléas politiques du rapprochement commercial

Alors que Pékin continue ses opérations de charme commercial auprès des industriels taïwanais avides d’augmenter encore leurs parts de marché en Chine, le dégel entre les deux rives du Détroit donne aussi lieu à des échanges entre chercheurs et universitaires, dont la teneur renvoie aux questions les plus sensibles de la relation.

Cette fois la Chine, qui mesure les points faibles de l’Ile, de plus en plus fascinée par le marché chinois, n’y est pas allée de main morte. La délégation qui, le 9 novembre dernier, a débarqué à Taïwan ne comptait pas moins de 3000 membres, venus participer à la « semaine du Jiangsu à Taïwan », sous la conduite du Secrétaire du Parti de la province du Jiangsu, l’une des plus actives de Chine à l’international.

300 sociétés taïwanaises de sous-traitance ou de marques locales, se pressaient au rendez-vous, représentant de nombreux secteurs, des plus en vogue (Diodes Electroluminescentes, énergie solaire) aux plus traditionnels (machines outils, pétrochimie, électronique, agriculture, agro-alimentaire), dont l’ambition était de décrocher un contrat en Chine ou d’y augmenter leur présence. La tendance, déjà ancienne, répond à un besoin de relance, facilitée par la communauté de culture et de langue entre les hommes d’affaires des deux rives. Elle s’accélère, encouragée par la politique de Ma Ying Jeou à laquelle répondent les séductions chinoises.

L’opération a été ponctuée par un banquet officiel monstre réunissant le Président du KMT Wo Po-Hsiung et le chef de la délégation chinoise Liang Baohua, entourés de plusieurs grands patrons de l’industrie taïwanaise et de représentants officiels du gouvernement. Le tout animé par une troupe d’une centaine de danseurs et musiciens du Jiangsu.

Mais alors que les relations économiques se renforcent à un rythme soutenu, la politique n’est jamais bien loin. Elle véhicule les incertitudes d’un statu quo fragile et les craintes d’une stratégie chinoise de réunification rampante.

Une semaine après l’arrivée de l’imposante délégation du Jiangsu, le Taipei Times publiait une série d’interviews par téléphone de plusieurs spécialistes européens des relations dans le Détroit, qui mettaient en garde contre les risques d’une main mise politique chinoise sur l’Ile par le biais des relations commerciales. Ils incitaient Ma Ying Jeou à plus de prudence et insistaient sur la nécessité d’appuyer la politique de rapprochement par un large consensus politique.

Disant cela les experts européens rappelaient que l’opposition et certains députés du KMT reprochaient au Président Ma d’avancer sa politique de rapprochement à marche forcée, sans concertation avec l’opposition et le peuple. Ils mettaient également le doigt sur les tendances de Pékin à mêler la politique aux affaires, citant le boycott par les touristes chinois des régions méridionales de sensibilité indépendantiste et les pressions de Pékin pour interdire la diffusion dans l’Ile d’un documentaire sur Rebiya Kadeer.

Enfin, plusieurs chercheurs soulignaient la nécessité de rappeler que, dans l’esprit de Pékin, le rapprochement commercial sous tendait l’intention de réunification à ses seules conditions. Il était donc nécessaire de rééquilibrer le commerce extérieur de Taïwan pour le rendre moins dépendant du Continent.

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Ces craintes étaient confirmées par le séminaire sur les relations dans le Détroit, organisé à la mi novembre par l’Ile, auquel participait le Général de l’APL en retraite Li Jijun, Président honoraire de la Société d’Etude sur l’art de la guerre de Sun Zi. Pour ce dernier, les exigences du Président Ma Ying Jeou de démanteler les missiles chinois pointés sur l’Ile, en amont de négociations pour un traité de paix, n’avaient aucun sens.

« Puisque », dit-il, sans s’embarrasser de précautions diplomatiques : « les missiles sont mobiles et pourraient être réinstallés à tout moment ». Au demeurant ajoutait t-il, « Taïwan pointe aussi ses missiles sur la Chine et les Chinois ne se sentent pas menacés pour autant (...). En réalité, la menace missiles est factice et a été créée de toutes pièces par les Etats-Unis pour leur permettre de vendre des armes ».

La déclaration à l’emporte pièce a soulevé un tollé dans la mouvance indépendantiste (DPP et TSU). Pour le DDP, la remarque du Général Li, montrait qu’il ne comprenait pas l’aspiration des Taïwanais à choisir leur destin. « Prétendre que les missiles ne sont pas une menace, et soutenir des opinons aussi ridicules, ne contribue pas à la paix dans le Détroit », a-t-il ajouté.

Quant au Président de l’Union pour la Solidarité (TSU), également indépendantiste, il souligne que le général Li s’inscrit dans la stratégie classique de la Chine, visant à isoler Taïwan de la communauté internationale pour forcer l’Ile à signer un traité de paix à ses conditions. Il ajoute « A ce jour, Pékin a réussi à persuader les Etats-Unis de ralentir leurs ventes d’armes à Taïwan et à empêcher toute interférence extérieure dans le dialogue entre Pékin et Taipei, dans le but d’annexer l’Ile. Dans ces conditions, la stratégie de réunification par le biais de la dépendance économique commence à porter ses fruits ».

Les craintes qui hantent la classe politique taïwanaise, inquiète de l’accélération des rapprochements commerciaux liant de plus en plus l’Ile au Continent, peuvent être résumées par la remarque de Nicola Casarini, chercheur italien de l’Institut Marie Curie, rattaché à l’Université Européenne Robert Schuman de Florence et publiée le 16 novembre dernier dans le Taipei Times : « La prochaine élection présidentielle à Taïwan sera cruciale. Nous vivons un moment historique, où l’UE et les Etats-Unis, souhaitent à tout prix un compromis avec la Chine qui pourrait sacrifier Taïwan à la paix (...). Il faut craindre que le statu quo ne dure pas. Si nous continuons à penser que rien n’arrivera, le risque existe que Taïwan se laisse surprendre ».

 

 

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