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›› Société

Société civile et internet

Le pouvoir chinois tente à la fois de contrôler le net et s’efforce de l’utiliser à son profit. En même temps, de simples citoyens deviennent célèbres en l’espace de quelques jours, grâce à Internet. Il arrive que leur notoriété se construise autour de conflits avec des représentants de la force publique peu soucieux d’éthique ou avec la nébuleuse bureaucratique corrompue, alliée aux hommes d’affaires peu scrupuleux.

Dans ce pays où la méfiance et les ressentiments contre l’administration sont une seconde nature, ces épisodes, parfois dramatiques, font entrer le net en effervescence. Ils renvoient aux innombrables histoires populaires, où des bandits au grand cœur viennent au secours des opprimés. Plusieurs incidents illustrent cette tendance qui démontre la redoutable capacité de mobilisation d’Internet.

Internet au secours de la justice

En mai 2009, un internaute obtint la relaxe d’une femme du nom de Deng Yujiao, accusée du meurtre d’un cadre du parti dans un hôtel de Xiongfeng dans la province du Hubei, alors qu’en réalité elle se défendait contre une tentative de viol. Après d’incessantes protestations des internautes et plusieurs pétitions mises en ligne, le procureur accepta de libérer la dame. Un autre fonctionnaire, impliqué dans la tentative de viol fut démis de ses fonctions, également sous la pression des internautes.

En octobre dernier, Sun Zhongjie, chauffeur dans une société de Shanghaï, a, grâce à sa détermination exprimée de façon radicale sur Internet, obtenu gain de cause, dans une affaire où des policiers peu scrupuleux avaient monté une mise en scène pour lui extorquer de l’argent. Alors qu’il avait pris un auto-stoppeur de connivence avec des agents véreux, il fut arrêté, accusé de conduire un taxi sans licence et puni d’une amende de 10 000 Yuan.

Convaincu d’avoir été piégé, il se coupa le petit doigt de la main gauche puis posta l’affaire sur Internet avec l’aide d’un journaliste. L’incident fit grand bruit dans tout le pays et occupa, pendant un temps, la une des grands médias nationaux. Après une considérable pression de dizaines de milliers d’internautes intervenant dans les discussions en ligne, la mairie du district de Pudong convoqua la presse pour présenter ses excuses, après avoir concédé que les preuves de la culpabilité de Sun n’étaient pas établies.

En novembre 2009, les internautes entrèrent en ébullition à la nouvelle de l’immolation par le feu de Tang Fuzhen, une citoyenne de Chengdu désespérée après que tous les recours pour éviter l’expropriation et la destruction de sa maison aient échoué. L’incident provoqua une vive émotion relayée par le net dans toute la Chine. Peu après, une requête de 5 professeurs de droit de l’université de Pékin incita le gouvernement à amender la loi sur les évictions.

Et contre les abus de la machine politique

Mais il arrive que les fonctionnaires eux-mêmes utilisent le web pour dénoncer les abus de leurs collègues. En février 2009, Wu Hao, vice-directeur de la propagande du Yunnan, qui anime lui-même un blog lu par des dizaines de milliers d’internautes, posta une requête sur le site officiel du gouvernement de la province pour demander à ses fans de l’aider à élucider le cas du décès suspect d’un prisonnier mort d’une blessure à la tête.

Alors que la police locale prétendait qu’il s’agissait d’un accident, une enquête ouverte sous la pression des forums de discussions, établit la responsabilité des gardiens restés inertes devant une rixe de prisonniers qui couta la vie au malheureux. Après quoi le bureau de la sécurité publique du Yunnan présenta des excuses publiques à la famille de la victime.

On n’a pas fini d’analyser les implications sociopolitiques du phénomène Internet en Chine qui compte plus de 360 millions d’usagers. A la fois vecteur d’une nouvelle liberté d’expression dans un pays où les contrôles restent encore très efficaces, et outil très performant de propagande utilisé par le pouvoir pour orienter l’opinion publique, ou même peser sur les relations extérieures de la Chine.

Internet vecteur de propagande du régime...

En 2005, au plus fort d’une crise diplomatique entre Tokyo et Pékin, une campagne avait été organisée par des mouvements nationalistes chinois pour s’opposer à l’attribution au Japon d’un siège permanent au Conseil de Sécurité. 48 millions de signatures avaient été recueillies en ligne et envoyées au siège des NU à New-York.

En 2008, un mouvement de boycott des magasins Carrefour avait mis en ligne les adresses des supermarchés pour inciter les internautes à manifester contre la marque française. La même année, le web chinois s’était enflammé autour d’une campagne anti-CNN qui recueillit un considérable succès en ligne. Dans un registre moins controversé, il arrive fréquemment que les autorités d’un ministère sondent l’opinion par le moyen du net avant de décider d’une réforme sociale.

...en même temps lieu de créativité et vecteur de contrôle.

Dans « The power of Internet in China », publié en juin 2009, Yang Guobin, professeur et chercheur au département de cultures asiatiques de l’Université de Columbia, explique que l’Internet a révolutionné l’expression populaire et permis aux internautes d’organiser des protestations d’une ampleur inédite depuis 1989. Le Web, dit-il, est un lieu de créativité, de contacts communautaires, d’échanges et de concertations, mais aussi de contestations, de conflits et de contrôle politique.

Il ajoute que les mouvements de protestations en ligne, dont l’analyse occupe une part importante de l’ouvrage, puisent leur énergie et leur vitalité dans le télescopage entre le bouillonnement de la communication transnationale et la longue tradition rebelle de la société chinoise, dont l’expression est brimée depuis de longues années. Selon lui, les efforts de l’État pour les freiner n’ont abouti qu’à susciter une réactivité encore plus inventive et plus dynamique.

Dans les quelques exemples cités plus haut, la mobilisation des internautes a permis de corriger les errements de cadres locaux et a même incité le pouvoir central à assouplir les modalités légales des expropriations. Le pouvoir, dont l’un des objectifs est précisément de mettre fin aux abus, laisse faire. Mais, inquiet des dérapages qui pourraient aussi menacer les plus hautes strates du régime, la machine resserre les contrôles, surveille les forums en ligne, tente de les influencer, bloque des recherches, surveille les cybercafés et ferme des sites.

Un nouveau type de relations sociales difficile à encadrer.

Dans les interstices laissés libres, les querelles sociales sont relayées par des internautes, dont certains se sont taillés une réputation dans la dénonciation des abus et la défense des opprimés. Journalistes, spécialistes du droit, activistes politiques, ils mettent en ligne les conflits, les tiennent à jour, et photos à l’appui, prennent fait et cause pour les victimes des abus en exprimant tout au long de l’affaire une jubilation protestataire contagieuse.

Tous ces phénomènes ne font que s’amplifier depuis 1994, date de l’introduction d’Internet en Chine. Ils tirent partie de la redoutable fluidité du net, de son ubiquité et de sa capacité de mobilisation instantanée, et accompagnent, et parfois suscitent, de profonds changements dans les relations entre les différentes classes d’âge et contribuent à réduire les effets des cloisonnements sociaux et géographiques.

Par-dessus tout, ils inventent un nouveau type de relations non institutionnelles, plus rapides, moins formelles, mais aussi plus volatiles et plus difficiles à encadrer juridiquement, entre la société chinoise et le pouvoir central.

 

 

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