Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Economie

Les soucis de Wen Jiabao et des sidérurgistes chinois

Il y a à peine plus d’un an les spécialistes considéraient que l’économie chinoise était pratiquement arrêtée. Grâce à la relance massive (injections de capitaux et libération du crédit), décidée par le gouvernement et mise en œuvre dès le premier trimestre 2009, la reprise s’est affirmée au cours des mois suivants, permettant une croissance de plus de 10% dans les derniers mois de 2009. Le rétablissement se traduisait par la baisse du chômage - le nombre de jeunes au chômage reste cependant voisin de 150 millions -, des carnets de commande à nouveau bien remplis, le redémarrage de la consommation et le retour de l’inflation.

En janvier 2010, les banques relevaient les taux d’intérêt et, peu après, la banque centrale augmentait le taux de réserves obligatoires, confirmant le ralentissement du crédit.

Dans ce contexte, le pouvoir politique, qui à l’instar de Wen Jiabao reste prudent, exprime trois soucis : 1) se tenir prêt à reprendre la politique de relance en cas de rechute ; 2) éviter ou réduire la surproduction industrielle, corollaire du crédit facile et de l’alourdissement de la main de l’Etat dans l’économie ; 3) contrôler l’inflation, qui commence à poindre, dans un contexte où on considère qu’à plus de 5%, la hausse des prix pourrait avoir un impact sur la situation sociale. Les archives indiquent en effet qu’un des facteurs de l’aggravation de la crise en 1989 fut la mauvaise maîtrise de l’inflation qui rallia les ouvriers de Pékin aux étudiants.

Sur la reprise, Wen Jiabao a, depuis le début de l’année, par deux fois confirmé la vigilance de la direction du régime : « les problèmes majeurs de l’économie mondiale n’ont pas complètement disparu ; l’année 2010 sera compliquée pour l’économie chinoise ». En dépit de la pression des experts, pour la plupart anglo-saxons qui craignent un emballement, le pouvoir hésite à alourdir encore les mesures de freinage de l’économie. Le 12 mars, le Premier Ministre annonçait qu’en 2010, l’Etat consentirait encore 1000 milliards de dollars de prêts, une baisse de seulement 20% par rapport à 2009.

La surproduction industrielle des entreprises d’état, dans des secteurs encore mal structurés, est un des talons d’Achille de l’économie chinoise. Elle peut placer les acteurs industriels dans des positions difficiles face à la concurrence mondiale. Le cas le plus probant est celui de l’acier, où le cri du cœur est venu du président du syndicat des aciéristes Deng Qilin et de dix sidérurgistes qui ont écrit au Premier Ministre pour se plaindre que le prix du minerai de fer imposé par les grandes sociétés minéralières contrôlant le marché (Rio Tinto, BHP Billiton et Vale), était supérieur au prix de vente de l’acier.

++++

L’incohérence est en partie due à la surproduction des aciéries chinoises, qui, selon le Ministère de l’Industrie lui-même, excède la demande interne de 25 à 30% et tire les prix vers le bas (90 millions de tonnes d’acier de qualité moyenne en excédent, soit 60% de la production européenne et une fois et-demie celle des Etats-Unis) - pour une production totale de 568 millions de tonnes en 2009, qui représente 47% de la production mondiale -. Le marasme, aggravé par les effets incitatifs du plan de relance dans un secteur en situation chaotique, est également du à la survivance d’une myriade d’aciéries à la viabilité aléatoire, dont les grands aciéristes, seuls titulaires des licences d’importation, tirent avantage (cf. « La crise avec Rio Tinto »).

Enfin, à ces faiblesses structurelles, alimentées par les enchevêtrements de corruptions entre les groupes d’Etat et la nomenklatura, il faut encore ajouter les effets conjoncturels du bras de fer entre la Chine et les minéraliers. Ces derniers, forts de la remontée des prix du minerai de fer, n’ont pas cédé aux pressions chinoises qui refusaient la hausse de 50% proposée par Rio Tinto, Billiton et Vale, mais acceptée par le Japon et la Corée. Résultat, les sidérurgistes chinois ont été contraints de s’approvisionner sur le marché libre, au prix de 140 dollars la tonne, au lieu de 70 dollars.

La situation qui fragilise le secteur de l’acier (profusion de sidérurgistes, excédents d’acier de qualité moindre, baisse des prix de l’acier, hausse du prix du minerai de fer, bras de fer avec les minéraliers), devrait, dès 2010, contraindre le pouvoir à des restructurations autoritaires par le moyen de fusions acquisitions et la fermeture des sites non rentables. A plus ou moins long terme, pèse la crainte de faillites en séries des aciéristes les plus fragiles, provoquées par la hausse des prix du minerai.

En attendant, la Chine, qui importe près de 70% du minerai de fer qu’elle consomme, place tous ses espoirs dans un gigantesque projet de développement des mines de fer au Chili, par China Minmetals Corporation, associé au cantonais Shunde Rixin, qui a acheté 75% des parts des trois plus importantes mines de fer chiliennes pour 13 milliards de Yuan. « Si le projet se réalisait », dit le Président de Rixin, « la Chine pourrait briser le monopole des trois géants minéraliers qui fixent aujourd’hui le prix mondial du minerai de fer ».

Quant à l’inflation, que le pouvoir surveille de près, le magazine Caixin, dont la nouvelle directrice n’est autre que Hu Shili, démissionnaire de Caijing et connue pour son habileté à traquer la réalité derrière les euphémismes des discours officiels (cf. « Trois personnalités »), a tiré la sonnette d’alarme par un article du 11 mars : « Selon les statistiques officielles, le niveau de l’inflation a dépassé le taux d’intérêt accordé par les banques, ce qui signifie que le pouvoir d’achat des ménages baisse. La Banque Centrale estime que l’inflation reste mesurée, mais selon certains experts, il existe des signes indiquant un emballement de l’économie ».

Il est vrai que durant les derniers mois de 2009, l’import-export a connu une accélération brutale (+ 17,7% pour les exportations et + 55% pour les importations), tandis que la hausse des prix passait de + 1,5% à + 2,7% en février, avec, pour le même mois, une hausse des prix de l’alimentation supérieure à 6%. Le 4 février, Georges Soros, répondant à un journaliste du même Caixin, expliquait déjà que si les mesures de ralentissement mises en œuvre dès le mois de janvier n’étaient pas rapidement efficaces, le risque de surchauffe serait réel. Il ajoutait que, si la croissance restait aussi soutenue tout au long de 2010, les surplus industriels s’accumuleraient, dans un contexte où la demande pourrait se contracter.

Dans le même temps, le Premier Ministre doit résister aux pressions des Etats-Unis, de l’UE et de plusieurs experts des institutions financières internationales pour réévaluer le Yuan : « Nous condamnons l’habitude qui consiste à se pointer du doigt les uns les autres et à faire pression sur un pays pour le contraindre à réévaluer sa monnaie ».

Tout indique cependant que l’appréciation du Renminbi serait une des premières mesures que le gouvernement prendrait si l’inflation s’aggravait. En juin 2007, lorsque la hausse des prix avait franchi le cap des 5% (elle est aujourd’hui de 2,7%), le Yuan avait été réévalué dans les mois suivants. La difficulté, disent les spécialistes, est de procéder aux réajustements sans aggraver les spéculations, ni provoquer un afflux de capitaux qui aggraverait la surchauffe.

 

 

Restaurer la confiance des Occidentaux, l’insistante priorité du régime

[5 avril 2024] • François Danjou

La reprise est difficile et le chemin du réajustement socio-économique laborieux

[23 février 2024] • François Danjou

Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances

[8 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Freinage. Causes structurelles ou effets de mauvais choix politiques. Doutes sur la stratégie de rupture avec la Chine

[19 octobre 2023] • François Danjou

Essoufflement de la reprise. Coagulation des vulnérabilités systémiques. Baisse durable de la confiance

[13 août 2023] • François Danjou