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Les rêves et les irrésistibles succès du rail chinois

Le 9 mars dernier, le ministre des transports ferroviaires chinois avait, dans un style un peu grandiloquent, évoqué la possibilité d’une liaison TGV qui mettrait Shanghai à seulement 2 jours de voyage de Londres. La presse occidentale, à qui l’information était destinée, a repris la nouvelle, sans y croire, en y rajoutant un soupçon d’ironie.

Pour beaucoup en effet, les transports ferroviaires très longue distance à travers des régions parfois semi-désertiques, au climat rude et à la sécurité aléatoire, même par trains à grande vitesse, sont au mieux une lubie nostalgique, au pire une aventure économiquement et politiquement irréaliste.

Puis, la paralysie du trafic aérien due à l’éruption du volcan islandais a cloué au sol presque tous les avions européens et fermé la plupart des aéroports. En Asie les voyageurs en partance pour le Vieux Continent sont restés bloqués, sans solution de rechange, souvent pendant plusieurs jours. Soudain l’idée chinoise d’une liaison terrestre entre l’Europe de l’Ouest et l’Asie orientale, par l’ancienne route de la soie, est apparue beaucoup moins farfelue.

Le nuage de cendres qui obscurcissait le ciel a mis en évidence la fragilité du transport aérien. Les inconvénients du choix unique laissèrent sans solution alternative des milliers de passagers, agglutinés dans les aéroports ultramodernes, devenus inutiles. Bien sûr il y a loin du rêve chinois à sa réalisation. Les obstacles financiers, politiques, sécuritaires et techniques d’un projet transcontinental aussi vaste, reliant les deux extrêmes du continent eurasiatique sont innombrables.

Mais il y a fort à parier que la paralysie du ciel européen qui abandonna hommes d’affaires et touristes à leur triste sort donnera à réfléchir à quelques investisseurs et responsables politiques. Ici et là on redécouvre soudain que l’Europe, l’Asie et d’ailleurs l’Afrique peuvent être reliées par la terre.

Si on ajoute que l’ampleur des projets, même visionnaires ou utopiques, contribue à la publicité du transport par voie ferrée, que la Chine modernise chez elle à marche forcée, grâce aux transferts japonais, allemands et français, on ne s’étonnera plus du succès mondial des technologies ferroviaires chinoises. Selon le China Daily, en 2010, 50% des investissements mondiaux dans le secteur du rail seront réalisés en Chine et, dans les trois années à venir, Pékin investira 300 milliards de dollars dans ses infrastructures ferroviaires. En 2012, le réseau TGV chinois représentera 50% du réseau mondial.

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A l’extérieur, la Chine, qui ne cesse de multiplier les liaisons (routes, oléoducs, voies ferrées) vers ses approches immédiates (Asie du Sud-est, Asie Centrale,) ne se contente pas de rêver. Elle a déjà joint le geste à la parole, tandis que le nouveau savoir-faire chinois commence à intéresser non seulement les pays d’Asie du Sud-est, l’Afrique ou l’Amérique latine, mais également l’Australie et les Etats-Unis. Pour appuyer cette conquête du marché mondial du rail en plein expansion, les responsables à Pékin bénéficient du soutien d’un premier pactole de 16 milliards de dollars, débloqués par la Banque d’Agriculture de Chine.

Après avoir construit le chemin de fer le plus haut du monde par la province du Qinghai jusqu’à Lhassa, Pékin envisage de pousser la liaison jusqu’au Bengladesh, au Bhutan et au Népal. Une autre liaison - TGV celle-là - est envisagée vers Singapour. En Indonésie, la société des chemins de fer chinois vient de décrocher un contrat d’un montant de 4,8 milliards de dollars pour la construction et l’exploitation d’une voie ferrée destinée au transport du charbon.

Des lignes TGV de conception chinoise sont déjà en construction en Turquie, au Venezuela (l’un des plus gros projets d’une valeur de 7,5 milliards de $), au Sierra Leone, au Nigeria, et en Arabie Saoudite, en coopération avec Siemens. Et, signe de la difficulté de la compétition contre la Chine, rapportée par le Financial Times, sur le projet d’Arabie Saoudite, Siemens avait d’abord proposé une offre concurrente, qu’elle a abandonnée pour se joindre à l’offre chinoise.

Récemment la société des chemins de fer chinois a signé un accord avec l’Etat de Californie et Général Electric pour participer au financement et à la construction d’une ligne TGV à 345 km/h entre San Francisco et Los Angeles. La présence de la Chine sur ce projet est un symbole de sa nouvelle maîtrise technologique et de son assurance. Elle y sera en concurrence avec le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud, la France, l’Espagne et l’Italie, et devra surmonter les réticences antichinoises aux Etats-Unis et les obstacles liés aux législations sociales américaines.

En revanche, le magazine Caixin souligne que la Chine est presque certaine de décrocher le contrat pour les 500 km de la ligne grande vitesse entre Sao Polo et Rio de Janeiro, au Brésil, à construire entre 2010 et 2012. Comme toujours, le point fort des Chinois, qui s’apprêtent à faire une offre, est leur puissance de financement et leur capacité à proposer des synergies qui intègrent plusieurs secteurs liés au projet.

Par exemple à l’automne 2009, la compagnie des chemins de fer chinoise a signé un accord avec le minéralier australien FerrAus, pour participer non seulement à la construction d’une voie ferrée est - ouest (500 km), destinée au transport du minerai de fer vers la côte, mais également à l’aménagement d’installations portuaires pour l’exportation du minerai. Au total, Pékin affirme que 42 projets chinois sont actuellement en construction à l’étranger.

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Dans un article du 16 mars, le Financial Times citait plusieurs experts, spécialistes du rail qui résument bien l’avis des compagnies occidentales concurrentes de la Chine sur ce secteur : « Les ambitions globales du rail chinois sont récentes et sont apparues presque sans préavis », explique Iain Carmichael, consultant chez Lloyd’s Register Rail. « Il y a seulement trois ans, leurs lacunes étaient nombreuses, notamment dans la signalisation et la technologie TGV. »

Dominique Pouliquen, représentant d’Alstom pour l’Asie Pacifique renchérit : « les compagnies chinoises modifient le paysage du marché mondial du rail, d’abord à cause de la taille de leur marché intérieur, ensuite parce qu’ils sont capables - et c’est nouveau - de proposer des offres sur le marché international ».

« Le prix est leur premier avantage comparatif. Ils sont organisés et bénéficient de l’appui des banques publiques chinoises. Leurs propositions sont globales. Elles combinent les solutions techniques et les facilités de financement qui simplifient le choix des clients. Les offres sont coordonnées par l’Etat, ce qui évite les concurrences internes. Enfin, les pouvoirs publics contrôlent l’entrée du marché chinois en imposant aux sociétés étrangères de travailler en coopération avec les sociétés locales ».

Les manœuvres conquérantes du rail chinois font cependant grincer des dents. Evan Auyang, responsable de Transport International à Hong Kong, souligne en effet : « Les constructeurs européens se plaignent d’avoir transféré leur technologie à la Chine, conformément à ce que Pékin avait exigé. Aujourd’hui les chinois utilisent leur technologie pour les concurrencer sur le marché international, y compris sur le marché européen ».

Dominique Pouliquen dit la même chose : « Les règles chinoises dans ce secteur sont très contraignantes puisqu’elles stipulent que 70 à 90% des équipements doivent être de fabrication chinoise. Quant aux technologies étrangères, chacun sait bien que la stratégie chinoise est : « introduire (en Chine), digérer, absorber et innover » (...). Environ 90% des technologies actuellement utilisées par les Chinois proviennent de leurs partenariats ou des équipements développés par des sociétés étrangères ».

Face à ces amertumes à peine voilées, Pékin reste imperturbable. En marge de la dernière réunion de l’assemblée nationale populaire, le vice-ministre du rail Wang Zhiguo expliquait qu’en Chine l’industrie du rail avait atteint des standards internationaux, dans tous les domaines du secteur, depuis la construction de trains à grande vitesse, dont les sociétés chinoises maîtrisaient entièrement la technologie, jusqu’à l’exploitation du réseau (contrôle et signalisation). La Chine avait par ailleurs pris soin de protéger ses droits intellectuels et avait, à cet effet, déposé 946 brevets.

Sources : Caixin, China Daily, Xinhua, Financial Times.

 

 

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