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›› Politique intérieure

Maquillages et transparence

Récemment les médias chinois ont connu deux expériences qui se situent aux extrémités opposées du spectre de la vérité factuelle ou historique et de la transparence. Ils témoignent des hésitations du régime en matière de liberté d’expression, de censure et d’interprétation de l’histoire. Il n’est pas non plus impossible que cette dichotomie dans le traitement de l’information, d’un côté maquillée sans vergogne, de l’autre vertement assénée aux auditeurs chinois mal préparés, soit l’expression de querelles de clans politiques, en amont du 18e Congrès.

En mai dernier, Xia Lin, un haut responsable de l’agence officielle Xinhua expliquait tranquillement à une classe d’élèves journalistes comment, en 2003, le reportage sur le retour du premier astronaute chinois Yang Liwei avait été maquillé. Il s’agissait de simuler le direct, aux prix d’un bref décalage que personne n’aura remarqué, pour camoufler un incident de rentrée dans l’atmosphère qui avait fait subir au passager de la capsule Shenzhou (Vaisseau divin) une accélération telle que ses lèvres étaient éclatées et son visage couvert de sang.

Le titre de la conférence était : « Comprendre les règles du journalisme dans la couverture des nouvelles en direct ». Elle était destinée à expliquer aux apprentis journalistes la manière de concilier les impératifs du reportage précis et rapide à l’usage des dirigeants et la nécessité de manipuler l’information pour protéger « l’harmonie sociale ». La présentation était émaillée d’autres exemples pris dans l’actualité chinoise.

Au cours des émeutes au Xinjiang en juin 2009, l’agence avait volontairement occulté quelques scènes extrêmes d’assassinats et de viols de Han par les Ouighours pour éviter une contagion de la violence. De même, les images des victimes Ouighours de la riposte des Han n’avaient été transmises qu’aux autorités. Celles à l’usage du public avaient été censurées.

Partout dans le monde, la liste est longue des pratiques de maquillage dont le seul but est de camoufler l’étendue d’une catastrophe (cf. BP dans le Golfe du Mexique) ou d’occulter les bévues, souvent très graves, commises par les strates les plus élevées des pouvoirs publics. Le Prince de Talleyrand ne disait-il pas déjà que la parole avait été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée. La Chine ne fait évidemment pas exception à cette règle.

A côté des réels efforts de transparence, plus ou moins induits par l’ouverture et la conscience que les problèmes sont trop vastes et trop compliqués pour être traités à huis clos, le pouvoir, qui ne se résout pas à desserrer son contrôle sur l’information, reste attaché à ses très vieilles habitudes de maquillage des statistiques et de l’histoire, sur fond de propagande politique. Et son agence officielle de l’information forme des journalistes à cet effet. Mais ces derniers cohabitent aujourd’hui avec une nouvelle génération d’experts chercheurs et journalistes qui s’efforcent de s’en tenir aux faits.

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Aujourd’hui à l’ère d’Internet, les contrôles et les maquillages auxquels se livre le département de la propagande, dont dépend l’agence Xinhua, sont devenus une opération bien plus complexe. C’est pourquoi, le blocage complet d’une information sur un événement ayant eu des témoins hors de la sphère étatique est devenu une opération presque impossible.

Ainsi, les commentaires acerbes des internautes sur la leçon de manipulation dispensée par Xia Lin et dévoilée sur le net sont quand même restés en ligne quelques heures avant d’être effacés. L’histoire rapportée par plusieurs journaux, dont l’International Herald Tribune, ne dit cependant pas si c’est un des élèves de Monsieur Xia, qui était à l’origine de la fuite, choqué des procédés enseignés par Xinhua aux journalistes, et érigés en principes politiques.

Peu avant ce cours de truquage, se développait dans les faubourgs nord de Pékin, une autre affaire qui, elle, visait, au contraire, à soulever les voiles qui arrangent ou brouillent l’histoire. Très provocatrice, elle touchait au tabou de la personnalité réelle de Mao, largement occultée par l’histoire officielle. Yuan Tengfei, un jeune professeur d’histoire, devenu populaire grâce à ses cours et ses livres sur l’histoire de la dynastie Song, a en effet créé une belle effervescence sur internet par un cours de deux heures diffusé sur les antennes de la télévision d’Etat.

Le sujet du cours : « la vraie histoire de Mao », déversée dans des termes incroyablement crus : « Mao, vous pouvez allez le voir dans son mausolée à Tiananmen. Mais n’oubliez pas que c’est la version chinoise du temple Yasukuni, qui glorifie Mao, sous les ordres de qui de nombreuses personnes ont été massacrées » ; ou encore « la famine du Grand Bond en Avant a provoqué la mort de 30 millions de personnes, plus que la deuxième guerre mondiale en Europe ». Au passage, Yuan, décidément très provocateur, fustige également l’enseignement de l’histoire en Chine : « 95% de l’enseignement de l’histoire sont des mensonges ».

Le plus étrange est que le cours ait été dispensé sur la chaîne publique CCTV, principal outil de propagande du régime, que le Global Times, surgeon du Quotidien du Peuple, en ait rendu compte et que Yuan Tengfei n’ait, à ce jour, pas été sanctionné. Il est vrai que CCTV a effacé de son site le lien qui permettait de visionner la conférence. Mais des enregistrements circulent sur Internet, dont le jeune professeur, qui commence peut-être à s’inquiéter, affirme ne pas être responsable.

En Chine, la personnalité et l’histoire de Mao restent controversées. En 1978 l’héritage et la personnalité du Grand Timonier furent remis en cause par le Parti qui décida une fois pour toutes, et pour solde de tout compte, que le bilan du despote n’était positif qu’à 70%. Cette proportion qui semble confortable aux yeux d’un Occidental, habitué aux sondages serrés, révélait en fait une sévère remise en cause par la haute hiérarchie du Régime.

Celui-ci gardait en effet en mémoire que, de Zhou En Lai à Peng De Huai en passant par Liu Shao Qi, jusqu’à Deng Xiao Ping lui-même et tant d’autres, les plus hauts dirigeants furent tous brutalement malmenés par Mao, fasciné par le pouvoir solitaire et animé d’une impitoyable férocité envers ceux qui s’opposaient à ses rêves de grandeur et à ses délires collectivistes, principales causes des misères des campagnes chinoises entre 1959 et 1962. Depuis, le voile du tabou est tombé sur le sujet qui ne peut plus être évoqué qu’en privé et en petit comité.

C’est que, pour beaucoup de Chinois, de toutes origines, la statue du fondateur de la République Populaire est toujours debout. Elle porte encore la fierté du peuple et la nostalgie de nombreux patriotes qui lui savent gré d’avoir libéré la Chine de la servitude.

Les rêves maoïstes s’expriment d’ailleurs encore aujourd’hui par l’action du très populiste Bo Xilai, secrétaire du Parti de Chongqing, chef de file de la mouvance néo-maoïste, auteur d’une campagne très médiatisée de lutte contre la corruption et les mafias, adepte d’un style de gouvernement qui rappelle celui de la grande époque de Mao, ponctué de « campagnes politiques » et de périodes de répression (Yan Da).

Les thuriféraires de Mao se sont d’ailleurs exprimés sur le net pour critiquer la conférence de Yuan Tengfei, soupçonné d’être un fauteur de troubles qui fait son autopromotion par les voies de la provocation radicale : « il semble que le professeur cinglé qui compare Mao à Hitler ou Staline ait oublié son rôle social et ne cherche qu’à transformer les étudiants en rebelles ». Dans les milieux conservateurs on espère aussi que la sanction viendra tôt ou tard : « Yuan Tengfei doit avoir tiré les leçons de son expérience. La polémique rend célèbre, mais il y a une ligne qu’on ne peut pas franchir. Souvent on ne s’en aperçoit que trop tard ».

Cette mouvance néo maoïste, qui prône également le retour aux sources classiques de la Chine, pour corriger les effets pervers de la croissance trop rapide et le déficit de moralité qui plombe la société chinoise, s’oppose aux « modernes », dont l’un des chefs de file est Li Yuanchao, 60 ans, membre du Bureau Politique, Président de la Commission d’Organisation du Parti, grand ordonnateur des ressources humaines.

Russell Leigh Moses, professeur à l’Université du Peuple à Pékin, souligne dans le Wall Street Journal que, pour les proches de Li, l’important n’est pas que le Parti devienne plus fort, qu’il accentue son contrôle sur la société, ou qu’il soit une référence morale, mais qu’il s’applique à un style de gouvernement plus sophistiqué, mieux adapté à une nation moderne, avec des administrateurs efficaces et compétents.

En somme, ils rappellent, 34 ans après la mort de Mao, que l’ère du lyrisme révolutionnaire est terminée et que le Parti doit moderniser sa manière de gouverner le pays. Quelques analystes, à l’affût des querelles de clans en amont du 18e Congrès, laissent entendre que c’est cette mouvance, ennemie des enthousiasmes révolutionnaires de Bo Xi Lai, qui a laissé Yuan Tengfei développer ses diatribes contre Mao.

 

 

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