Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Economie

La hausse du Yuan. Obstacles, hésitations et calculs

Lorsque le 21 juillet 2005 la Chine avait laissé flotter le Yuan à l’intérieur d’une marge de 0,3% et autour d’un taux de 8,28 Yuan pour un dollar, les analyses des experts avaient été assez semblables à celles qui suivirent le nouveau mouvement de la monnaie chinoise autorisé par la Banque de Chine, le 19 juin dernier.

Comme aujourd’hui, le décrochage était jugé de faible ampleur, et on estimait que la manœuvre, prudente et habile, permettait de dévier les principales critiques américaines qui associent la sous-évaluation de la monnaie chinoise au déficit chronique de la balance commerciale et au chômage.

Après un blocage de 2 ans commencé en 2008 après la crise du capitalisme financier, la monnaie chinoise est à nouveau autorisée à fluctuer d’une valeur approchante (0,3% à 0,5%), cette fois autour d’un taux voisin de 6,82 Yuan pour un dollar. La décision a été prise peu de temps avant la réunion du G20 au Canada, ce qui alimente les commentaires sur les « calculs politiques » de l’initiative chinoise.

La méthode est la même que celle adoptée en 2005. La Banque centrale publie chaque soir un taux de change officiel, dépendant du « panier de monnaies », et celui-ci sert de base de parité le lendemain. Le taux de change yuan-dollar est maintenu par les autorités chinoises dans une bande de plus ou moins 0,3% à 0,5% autour de ce taux officiel. Une manipulation comparable est appliquée aux autres devises. (cf. l’article de questionchine.net du 22 juillet 2005 « Réforme du Yuan, un petit pas pour la Chine, un grand pas pour l’avenir »)

Mais à la différence de 2005, la fluctuation n’est, cette fois, pas uniforme. Après une première journée nettement orientée à la hausse (0,4%), le jour suivant a enregistré une baisse qui a annulé les 2/3 de la hausse initiale. A partir du 23 juin, celle-ci s’est provisoirement stabilisée entre les deux valeurs, à environ 6,814 Yuan pour un dollar.

++++

La prudence et les fluctuations contraires traduisent d’abord la volonté des autorités chinoises de tenir à distance les spéculateurs. Pour faire bonne mesure, la Banque Centrale a, dès le 20 juin, en effet décidé d’alléger les pressions sur le Yuan en faisant acheter d’importantes quantités de dollars par les quatre grandes banques d’Etat.

Les va et viens de faible ampleur soulignent également les hésitations des experts chinois, dont les craintes avaient été résumées dans un article du Quotidien du Peuple, publié 10 jours avant le décrochage du 19 juin.

L’analyse, qui préconisait précisément une fluctuation à la hausse comme à la baisse, indique bien que la manœuvre chinoise était soigneusement calculée. L’analyse des risques d’une réévaluation trop rapide était précédée d’un préambule expliquant que la proximité du G 20 et la crise de l’Euro avaient compliqué les débats opposant les ennemis farouches de la réévaluation à ceux qui préconisaient de profiter de la faiblesse de la monnaie européenne pour instaurer la convertibilité complète de la monnaie.

Mais cette perspective qui exprimait plus l’agacement de la Chine d’avoir à dépendre d’une Banque Centrale étrangère qu’une véritable intention à court terme, était renvoyée aux calendes grecques, tandis que la teneur de l’article plaidait clairement pour la plus extrême prudence, voire l’immobilisme. Les principaux arguments étaient liés à la complexité et la volatilité de la situation intérieure chinoise.

La hausse du Yuan, qui abaisserait le coût des importations porterait un coup sévère aux secteurs déjà en surproduction comme l’acier ; elle bénéficierait plus aux couches aisées de la société et élargirait le fossé entre riches et pauvres ; elle augmenterait le flux de capitaux en Chine, menaçant l’équilibre financier du pays ; surtout la réévaluation favoriserait l’importation de produits agricoles, créant une situation désastreuse pour les 500 millions de paysans.

++++

Enfin, l’article rajoutait que la récente chute de l’Euro constituait déjà une dévaluation de fait du RMB. Si la situation s’aggravait en Europe, une réévaluation du RMB deviendrait dangereuse. C’est pourquoi, si on décidait un décrochage par rapport au dollar, le Yuan devrait pouvoir fluctuer à la hausse comme à la baisse, « ce qui donnerait à la Chine une plus grande marge de manœuvre », dans une période d’incertitude des finances mondiales.

Cette phrase exprime peut-être le deuxième volet de la stratégie de Pékin. Après avoir désamorcé les critiques en amont du G20, il se pourrait bien que les intentions chinoises soient maintenant de tirer parti de la forte appréciation de fait du RMB par rapport à la monnaie européenne et celle des autres pays émergents - Inde et Brésil - pour diviser le front des critiques antichinoises et isoler Washington.

La vérité est que la direction chinoise, qui a d’autres soucis, n’entend pas se laisser dicter sa politique monétaire par l’idée un peu trop simple que la réévaluation de sa monnaie résorberait le déficit budgétaire et le chômage américains.

Il est vrai qu’en théorie, un taux de change du Yuan à la hausse réduirait les bénéfices des exportations et tirerait le pouvoir d’achat des consommateurs chinois vers le haut. Mais la main d’œuvre des sociétés exportatrices devrait se recaser ailleurs, tandis que la faiblesse des filets sociaux chinois freinerait le décollage de la consommation intérieure. A ces obstacles il faut encore ajouter la fragilité du tissu des PME, auxquelles les banques prêtent peu et la surproduction de certains secteurs tels que l’acier, dont le marasme est source de chômage potentiel.

Autant d’entraves qui limitent la marge d’initiative du gouvernement, dans un contexte où une brutale hausse du Yuan, telle que la souhaitent certains à Washington, risquerait d’aboutir d’abord, non pas à un décollage de la consommation intérieure, mais à une explosion du chômage.

Une calamité que le régime, déjà aux prises avec la flambée sociale des usines à forte intensité de main d’œuvre dans le sud du pays, veut éviter à tout prix. Après deux années de blocage la Banque Centrale chinoise laisse à nouveau flotter sa monnaie.

Comme en 2005, elle le fait de manière prudente et mesurée, bien décidée à ne pas brusquer les choses, dans une situation économique mondiale incertaine, marquée par la crise de la monnaie européenne, dont elle redoute les conséquences.

Et tant que ne seront pas levées les hypothèques qui pèsent sur la structure de l’économie chinoise - faiblesse financière du secteur privé, poids des entreprises d’Etat qui monopolisent les crédits, secteurs en surproduction, raréfaction de la main d’œuvre bon marché, risques de chômage - toutes liées à la stabilité d’une société, dont de larges pans sont encore privés de fonds de retraite et d’assurance maladie, il est illusoire de croire que le Bureau Politique autorisera une hausse substantielle et rapide du Yuan et, à fortiori, sa convertibilité totale, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il en mesure encore très mal les effets pervers.

 

 

La reprise est difficile et le chemin du réajustement socio-économique laborieux

[23 février 2024] • François Danjou

Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances

[8 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Freinage. Causes structurelles ou effets de mauvais choix politiques. Doutes sur la stratégie de rupture avec la Chine

[19 octobre 2023] • François Danjou

Essoufflement de la reprise. Coagulation des vulnérabilités systémiques. Baisse durable de la confiance

[13 août 2023] • François Danjou

Inquiétudes

[24 juin 2023] • Jean-Paul Yacine