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›› Société

De la bureaucratie d’État vers la société civile. L’itinéraire d’un fonctionnaire atypique

Dans les pays aux régimes autoritaires, les regroupements associatifs, les réseaux professionnels, les syndicats, les organisations non gouvernementales visant à organiser la vie sociale de manière autonome et en dehors de l’État, sont étroitement surveillés.

La Chine n’échappe pas à cette règle qui, à force de suspicion, crée une césure entre le pouvoir, attentif au moindre risque de contestation organisée, et la société civile, dont la réactivité reste encore faible, si l’on exclut le phénomène internet s’exprimant le plus souvent de manière volatile et anonyme. 

C’est pourquoi l’histoire de Wang Zhenyao, 56 ans, haut fonctionnaire du ministère des affaires civiles, racontée par le magazine Caxin, est exemplaire. Wang vient en effet de démissionner de son poste de hautes responsabilités pour devenir professeur à l’Université Normale de Pékin et se consacrer à la direction d’une organisation humanitaire créée par Jet Li, le célèbre acteur et réalisateur de films d’arts martiaux.

Ayant changé de chapeau, Wang Zhenyao a cependant gardé sa réputation d’homme ouvert, au franc parler, tourné vers ses semblables et préoccupé par l’état de la société chinoise, traversée par de profondes inégalités, où une part importante de la population est privée de protection sociale et de retraite : « les défis futurs de la Chine résident non pas dans la pauvreté, mais dans l’accumulation des richesses privées. Sans une société civile dynamique, la Chine sera confrontée à une grave crise sociale ».

La démarche est assez rare pour qu’on s’y attarde. Elle est peut-être le signe d’une évolution des relations entre le pouvoir et la société. Poussé par un sentiment d’urgence, un administrateur au grand cœur, abandonnant un poste de pouvoir et les avantages qui s’y rattachent, est passé de la bureaucratie froide préoccupée de comptabilité macro-économique à la philanthropie : « il n’est plus temps d’attendre que le gouvernement agisse. Il faut inciter la société civile à jouer un plus grand rôle ».

Au passage, il interroge le pouvoir sur la pertinence de ses choix : « Les priorités doivent-elles aller à la construction d’autoroutes et aux arcanes macro-économiques ou à l’attention portée aux enfants, aux malades, aux personnes âgées, au logement, à la santé ou à l’éducation ? ».

L’homme a un solide bagage académique. Licencié de sciences politiques de l’Université Normale de Pékin, il est également diplômé de Harvard et possède un doctorat d’administration publique obtenu à l’Université de Pékin. Au ministère des Affaires sociales il a consacré son énergie à la création de fonds d’entraide pour les plus défavorisés et à bousculer ses collègues pour accélérer la mise en place des secours.

Mais sa grande idée reste de promouvoir un système d’assurance sociale et de retraite à l’échelle du pays. Pour être sûr que les fonctionnaires lui ayant promis leur aide ne le trahiront pas, Wang garde précieusement leur déclaration enregistrée sur un film vidéo. Il reconnait cependant que l’idée n’est pas vraiment passée dans les mœurs, et que beaucoup d’agents de l’état persistent à penser que l’assistance systématique aux plus pauvres est une prime à l’oisiveté.

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Wang Zhenyao n’en reste pas moins enthousiaste et déterminé, bravant souvent les jugements de ses pairs qui le considèrent comme un idéaliste rêveur. A l’Université Normale une de ses premières interventions a consisté à proposer un système de donations spontanées des plus riches qui verseraient 10% de leurs revenus annuels à une caisse nationale d’entraide.

Le mouvement d’aide humanitaire, développé par une société civile de plus en plus réactive est au demeurant en plein essor depuis le séisme du Sichuan au printemps 2008. Les fonds d’aide publique et privée se sont multipliés et de nouvelles règles ont été établies pour les donations des Chinois d’Outre mer. En même temps, Wang expose inlassablement ses thèses dans les médias, brisant le silence des bureaucrates prudents, exhortant l’administration à accorder plus d’importance aux programmes sociaux et à laisser plus d’autonomie à la société civile.

L’action de ce fonctionnaire philanthrope à la fois patient et passionné, qui réclame à sa manière un réajustement des priorités du pouvoir et un assouplissement du carcan policier qui tient la société civile sous contrôle, est à mettre en parallèle avec une autre forme d’engagement plus directe, qui renvoie aux mises en garde de Wang sur les risques de crises sociales.

Le 5 juillet dernier, l’activiste Yu Jie a été retenu plusieurs heures dans les locaux de la sécurité publique à Pékin pour avoir exhorté le Premier Ministre Wen Jiabao à réduire les dépenses de sécurité interne, dont une partie pourrait-être consacrée à des programmes sociaux.

Selon lui le budget dédié aux contrôles policiers de la société avait augmenté de 47,5 % en une année pour atteindre 514 milliards de Yuan (60 milliards d’euros). « La stabilité produite par les contrôles policiers est illusoire et fragile » écrit Yu Jie dans une lettre ouverte adressée au Premier Ministre et mise en ligne dans le site Guancha.org (l’observateur). Provocateur, il rajoute : « si le carcan de la sécurité d’état n’est pas desserré rien ne pourra plus garantir l’avenir du Parti ».

Déjà au printemps 2009, le professeur Sun Liping, docteur en sociologie de l’Université de Qinghua, analysant le phénomène d’une société civile bridée dans ses élans, écrivait « notre analyse des risques est biaisée. Ma thèse est que ce qui menace le plus la société chinoise n’est pas l’instabilité, mais la sclérose et, à terme, la nécrose et la décomposition. » (voir l’article de questionchine.net du 11 avril 2009 : « l’obsession de stabilité sociale, principal obstacle au développement d’une société civile dynamique et responsable »).

C’est bien parce qu’il a perçu ces risques que Wang Zhenyao a décidé de quitter l’administration qu’il juge trop lente et souvent inefficace, pour tenter de canaliser les énergies et les rancœurs nées des déséquilibres sociaux. Le journal Caixin explique que l’épidémie d’attaques au couteau et les meurtres de jeunes écoliers dans les écoles primaires en avril dernier a accéléré sa démarche.

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En Bref :

• Selon l’Académie des Sciences Sociales, le XIIe plan (2011 - 2015), dont les bases seront esquissées lors de la session d’été de Beidaihe en août prochain, aura une forte empreinte sociale. Il comporterait, entre autres, la création d’une structure de construction et de gestion de logements sociaux à prix modérés, pour compenser la hausse de l’immobilier et un assouplissement de la politique de l’enfant unique et du système de passeport intérieur pour améliorer le statut et les conditions de vie des migrants.

• Le 10 juin, le Premier Ministre Wen Jiabao a félicité les ouvriers de Honda pour avoir fait preuve de discipline pendant les grèves. Ces éloges ont été prodigués par le n°3 du régime, en dépit du fait que les grévistes avaient élu leurs représentants en dehors du syndicat officiel, en infraction flagrante à la loi sur les syndicats.

• Dans les milieux responsables de la sécurité d’état, on s’inquiète beaucoup de la montée du mécontentement au sein des jeunes diplômés sans emploi qui, dépourvus de ressources, se logent par groupes dans les villages agricoles de la périphérie de la capitale. Après une vague de meurtres dans la banlieue sud au printemps, cette possibilité leur est désormais fermée par un dispositif de sécurité (caméras, barrages de vigiles) imaginé par la ville de Pékin qui interdit l’accès des zones troublées aux non résidents.

• Le 8 juillet Weng Qiang ancien n°1 de l’appareil judiciaire de Chongqing, après avoir été le vice-directeur de la police pendant 16 ans, a été exécuté par injection létale. Il avait été condamné en avril dernier pour corruption, association de malfaiteurs et viol. L’exécution de Wen Qiang fait partie d’une des innombrables campagnes anti-corruption lancées par le régime depuis plus d’une dizaine d’années. A Chongqing la charge a été menée par Bo Xilai sur un mode spectaculaire et populiste, que certains analystes relient aux rivalités de pouvoir en amont du 18e Congrès.

• En 2009 2 millions de Chinois ont rejoint le Parti qui compte aujourd’hui 78 millions de membres. Les nouveaux adhérents - qui ne représentent que 10% des candidats - doivent être recommandés à la fois par le Parti et par leur employeur ou leur « unité de travail » qui attestent de leur loyauté et de leur bonne conduite. Ils doivent également rédiger un mémoire pour exprimer leur soutien au Parti. En échange, les nouveaux adhérents bénéficient des avantages sociaux souvent réservés au seuls membres du Parti, ainsi que des réseaux liés au pouvoir. Ces derniers peuvent les aider dans leur vie professionnelle. Selon le site du Quotidien du Peuple, 20% des membres sont des femmes et 25% d’entre eux ont moins de 35 ans.

 

 

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