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›› Politique intérieure

Coïncidences et pétitions

En une semaine, le Régime chinois a été soumis à deux bourrasques de force inégale et aux conséquences encore imprécises. Toutes deux charriaient les signes avant-coureurs d’une crise politique, alors que des anciens dignitaires du Parti, entourés d’intellectuels, chercheurs, activistes des droits de l’homme, artistes et journalistes adressaient au pouvoir plusieurs pétitions réclamant la libéralisation du Régime.

Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix.

Alors qu’il y a quelques semaines Pékin publiait un rapport sur « les progrès des droits de l’homme en Chine », insistant sur le développement du pays et les progrès des droits économiques et sociaux, le prix Nobel de la paix a, le 8 octobre, été décerné à un homme incarcéré depuis une an pour cause de franc parler : Liu Xiaobo 55 ans, écrivain dissident, poète et militant pour la liberté d’expression et la fin du Parti unique.

Sa candidature avait été présentée par l’association PEN, dont il avait été le représentant en Chine de 2003 à 2007. Elle avait reçu, entre autres, le soutien de Desmond Tutu, de Vaclav Havel et du Dalai Lama.

Liu Xiaobo, qui avait déjà été emprisonné à plusieurs reprises en 1989, 1995 et 1996 pour trouble à l’ordre public, critiques anti-gouvernementales, promotion d’idées contre révolutionnaires et incitation à la subversion, a, en décembre 2009, été condamné à 11 ans de prison pour « incitation à la subversion de l’Etat ».

Mais Liu, à la fois discret et déterminé, animé d’une foi inébranlable, était surtout connu dans les milieux de la dissidence pour avoir, en juin 1989, alors qu’il était jeune professeur, négocié, la veille même de l’intervention de l’armée, le départ de centaines d’étudiants de la place Tiananmen.

Le jugement qui l’a incarcéré pour 11 années dans une prison du Nord de la Chine, venait une année après la publication de la « Charte 08 », dont Liu Xiaobo était l’un des co-auteurs, critiquant sévèrement le Parti et suggérant, entre autres, deux réformes inacceptables par le pouvoir : la fin du parti unique et l’instauration d’un Etat fédéral.

Le texte indiquait également que la corruption, les tumultes sociaux et la dégradation de l’environnement étaient dues à l’absence de réformes politiques. (La Charte 08 en français et les noms des 300 premiers signataires (pdf) sur le site Droits et démocratie du Parlement canadien).

L’attribution du prix Nobel à une figure de la dissidence chinoise de cette stature, dont l’action se réclame de celle de Vaclav Havel en 1977 et prône la fin du règne du Parti, constitue un élément de crispation supplémentaire dans les relations de la Chine avec les démocraties occidentales et leurs alliés, déjà mises à mal par de nombreux autres sujets (Tibet, Xinjiang, droit de propriété, valeur du Yuan, prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord, liberté de navigation en Mer de Chine).

Selon Shang Baojun, l’avocat de Liu, qui, lors du très bref procès de 2009 - trois heures -, n’avait pu présenter les témoins de la défense, le prix ne contribuera pas à la clémence pour son client. Déjà le Parti a réagi avec aigreur : « Liu Xiaobo est un criminel, condamné par un tribunal chinois pour avoir violé la loi chinoise (...) L’attribution du prix à Liu va à l’encontre des principes même du prix Nobel et constitue un blasphème ». Dans la foulée les émissions des TV étrangères, dont CNN, ainsi que tous les messages Internet mentionnant LIU Xiaobo ont été bloqués.

Pékin fait front face aux critiques

Pékin a, sans surprise, également menacé la Norvège de représailles et convoqué l’ambassadeur, tandis que plusieurs pays, dont l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne réclamaient la libération immédiate de Liu. Dans les milieux des activistes des droits de l’homme on espère que la pression exercée par le prix produira une évolution significative du système politique.

Dans l’immédiat, rien n’est moins sûr. S’il est vrai que l’actuelle direction est animée d’un tropisme social et envisage même des réformes politiques à la marge, elle entend aussi rester maître des évolutions politiques sensibles. C’est pourquoi elle s’applique à museler les dissidents qu’elle juge les plus menaçants pour son pouvoir.

Il reste que le désarroi du Régime, qui s’exprime par la colère et la censure est palpable. Lui qui s’applique à tenir le peuple soigneusement à l’écart des informations sur l’état de la dissidence politique, doit aujourd’hui gérer une publicité de portée mondiale dont il se serait bien passé.

L’épisode est d’autant plus embarrassant qu’en Chine même rares sont ceux qui, en dehors de radicaux du Parti, croient que LIU Xiaobo, intellectuel qui cache sa force de caractère derrière une humilité discrète, est un « criminel ».

Il est bien probable que, derrière l’opacité des murs de Zhongnanhai, les tenants de la ligne souple qui prônent avec insistance des réformes politiques significatives soient mortifiés de s’être laissés entraînés dans une situation qui place derrière les barreaux d’une obscure prison du Nord de la Chine, un prix Nobel de la paix.

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Pékin censure Wen Jiabao sur CNN.

Pour la 2e fois depuis son accession au pouvoir le Premier Ministre a, le 2 octobre dernier, accordé une interview à CNN. La prestation de Wen Jiabao a attiré l’attention des médias internationaux pour deux raisons. La première est la manière avec laquelle il a, encore une fois, insisté sur la nécessité des réformes politiques et loué les vertus de la liberté d’expression. (Lire l’article de QC du 3 septembre 2010 « Qui est Wen Jiabao ? »)

La deuxième raison de l’intérêt des observateurs est la censure qui a frappé l’émission, non diffusée en Chine, mais dont la propagation a échauffé le net : « le monde entier peut écouter notre Premier Ministre, sauf nous ». Beaucoup ironisaient sur « l’harmonisation de la parole du Premier ministre par le Parti », brocardant le slogan de Hu Jintao qui prône une « société harmonieuse ».

Un autre commentaire, lu plus de 10 000 fois en quelques heures, se montrait enthousiaste : « Les trois grands Chinois du siècle dernier furent Sun Yat-sen, Mao Zedong et Deng Xiaoping. Si Wen arrivait à promouvoir les réformes politiques, il serait le premier grand chinois du XXIe siècle.

Il y eut aussi la collection des sceptiques : « Ne soyons pas naïfs. Quels sont ceux qui perdraient le plus d’une réforme politique ? Croyez-vous qu’ils creuseraient leur propre tombe ? Ou qu’ils ne craignent pas d’avoir à rendre des comptes ? »

Au fil des mois l’idée maîtresse de l’insistante campagne de Wen Jiabao pour les réformes politiques s’est précisée. Aujourd’hui, il affirme que, sans évolution politique, les principales tares qui accablent la situation socio-économique du pays ne pourraient pas être corrigées. Disant cela, il rejoint l’analyse de nombreux chercheurs chinois estimant que l’obsession du Parti pour la stabilité sociale étouffe la vitalité de la société.

Devant cette incongruité d’un premier ministre ouvertement censuré par son Parti - qui pourrait bien signaler quelques cafouillages internes, sinon un désarroi ou même des rivalités plus ou moins fortes -, les commentaires redoublent, et les experts sont perplexes : « C’est une opération de communication du Parti destinée aux étrangers », disent les uns ; ou « une entreprise d’autopromotion avant la retraite », affirment les autres. Quelques uns croient y voir les prémisses de craquements sur la scène politique chinoise, en amont du 18e Congrès.

Il reste que rares sont ceux qui estiment que ce fonctionnaire appliqué au regard vaguement inquiet et à l’allure rigide possède le charisme, l’influence et l’audace d’un Mao ou d’un Deng, pour bouleverser l’ordonnancement politique de la Chine, gouvernée depuis 1949 par le dogme immuable du rôle dirigeant du Parti.

Chen Ziming qui a purgé une peine de 13 ans de prison après Tian An Men estime « qu’il est peu probable qu’un changement politique majeur se produise en Chine. Bien que les Chinois moyens et quelques voix au sein du Parti souhaitent des réformes, l’oligarchie ne se laissera pas dépouiller si facilement ».

Mais les conjonctions d’événements ont parfois une vertu multiplicatrice, favorisant les métamorphoses. Qui sait si le combat de Wen Jiabao ne bénéficiera pas du contrecoup psychologique et politique de ce prix Nobel de la paix qui embarrasse tellement le Régime et mobilise de nombreux chinois, intellectuels, chercheurs et fonctionnaires, autour de l’idée de la nécessité des réformes politiques.

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EN BREF. ÉPIDÉMIE DE PÉTITIONS

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Contre la censure

Quelques jours avant l’attribution du Prix Nobel à Liu Xiaobo, 23 anciens dignitaires du Parti soumettaient une pétition au Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire, demandant au Parti d’abolir la censure.

Le texte de la pétition se référait à l’article 35 de la constitution qui prévoit formellement la liberté d’expression. Il dénonçait explicitement la censure exercée récemment à deux reprises contre le Premier Ministre lui-même, qui, depuis plusieurs mois, rappelle avec insistance la nécessité des réformes politiques (discours du 21 août à Shenzhen non repris par Xinhua et interview accordée à CNN le 22 septembre, non diffusée en Chine).

La pétition, était signée par Li Rui, 93 ans, qui fut brièvement secrétaire de Mao Zedong dans les années 50, puis directeur adjoint du département de l’organisation du Parti et par Hu Jiwei, 93 ans, ancien rédacteur en chef du Quotidien du Peuple durant les années 80. Leurs signatures étaient entourées de celles de six anciens membres du département de la propagande.

La doléance se terminait par huit demandes précises liées à la liberté de l’information et d’internet, à l’organisation des médias, y compris à leur privatisation, à la publication sans entraves des livres, revues et périodiques déjà autorisés à Hong Kong, et à l’ouverture au public des archives du Parti. La 8e et dernière demande prenait l’allure d’un pied-de-nez à la censure : « Transformer les organes de propagande et de répression des journalistes en agences qui protègent la libre circulation de l’information et garantissent sa qualité ».

Pour la libération de Liu Xiaobo

Des chercheurs, écrivains, artistes, journalistes et activistes des droits de l’homme résidant en Chine ont signé une pétition adressée au Parti pour demander la libération de Liu Xiaobo. L’intégralité du texte, avec la liste des signataires, a été publiée, le 15 octobre dans le Washington Post.

Parmi les signataires, on distingue quelques chercheurs de l’Académie des Sciences Sociales, le plus puissant Think Tank du Régime, connu pour ses études mettant en cause les politiques publiques. Citons Madame Zi Zhongyun, qui milite pour l’ouverture des archives secrètes du Parti, Xu Yongyu, philosophe, militant pour la démocratie et Zhang Boshu, relevé de son poste en décembre 2009, pour avoir écrit, en avril 2008, un article critiquant violemment la politique de Pékin au Tibet (voir l’article de QC du 9 octobre 2008, Livre Blanc sur le Tibet).

L’influence des lettrés sur le pouvoir politique n’est pas nouvelle en Chine. Elle est même directement liée à l’histoire de l’empire et à l’institution dite des « remontrances - Jian - », qui avait aussi le pouvoir de censurer des décisions impériales. Particulièrement efficace au début des Tang, (VIIe siècle), elle fut dénaturée par les Ming et les Qing qui punirent sévèrement les censeurs.

Dans un article de la revue Études Chinoises de 1994, Léon Vandermeersch se demande si, dans l’esprit des premiers militants pour la démocratie de mai 1919, il n’y avait pas une confusion entre l’objectif de conquête des libertés démocratiques et celui d’un pouvoir d’une élite d’intellectuels, reposant sur l’ascendant moral traditionnellement exercé par les lettrés en Chine.

Il n’est pas exclu que, de nos jours, les intellectuels contestataires bénéficient de cette aura ancestrale. Mais le fait est qu’aujourd’hui, la contestation est publique et déborde largement le secret des cabinets. Plus encore, à la remontrance traditionnelle, se mêle la remise en cause du pouvoir du Parti, sommé d’abandonner le contrôle de la justice comme de l’armée et mis au défi de remettre en jeu son magistère.

Ces pressions, qui mêlent l’exigence de liberté d’expression à la quête d’une authentique démocratie, viennent de toutes parts, y compris du plus haut sommet de l’État, par le truchement du Premier Ministre Wen Jiabao n°3 du Comité Permanent du BP, dont les déclarations sont reprises par plusieurs journaux qui bravent la censure.

Elles viennent aussi du sérail de l’armée, à l’Université de la Défense Nationale, où le Général Liu Yazhou, Commissaire politique, appelait récemment à plus de démocratie. (Voir l’article de QC du 13 août 2010 « le Parti est-il prêt pour une plus grande ouverture politique ? »).

Mais le Parti qui répugne à agir sous la pression, veillera à ne pas affaiblir son pouvoir politique, n’hésitant pas à réprimer les dissidents qui le menacent trop directement. C’est ce qu’il fait, accompagnant la répression ciblée des contestataires par une campagne politique visant à discréditer Liu Xiaobo.

Il n’empêche que le mouvement qui se développe sous nos yeux constitue pour lui une sérieuse remise en cause, qu’il lui est impossible d’ignorer. Dans l’état actuel de la société chinoise, de plus en plus réactive, y répondre par la seule répression sera probablement insuffisant.

 

 

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