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›› Taiwan

Discours du « Double Dix ». Espoirs et ambiguïtés du rapprochement avec la Chine

Le 10 octobre, le Président Ma Ying Jeou a marqué le « Double Dix », fête nationale taïwanaise, par un discours à trois volets, qui, après un bref rappel historique de l’échec des attaques chinoises contre les îles du Détroit, a mis l’accent sur les réformes internes, les relations internationales de l’Ile, et le rapprochement avec la Chine.

A l’intérieur, insistant à plusieurs reprises sur l’amélioration de la situation économique (chômage contrôlé à 5%, création d’emplois et reprise de la croissance, estimée à plus de 8 % pour 2010), il a, comme à l’habitude, rappelé l’exception du « double miracle taïwanais d’une société à la fois prospère et démocratique, modèle pour le Monde chinois ». Une allusion récurrente à la différence des systèmes politiques de part et d’autre du Détroit.

Evoquant les cafouillages des secours lors du cyclone Morakot, il a confirmé les efforts pour la prévention des catastrophes et pour une meilleure réaction aux sinistres des pouvoirs publics et de l’armée. De longs développements ont été consacrés aux questions sociales, promettant de réduire les écarts de développement et d’aider les plus défavorisés, y compris pour la scolarité de leurs enfants, dont la durée obligatoire serait portée à 12 ans. Une commission des droits de l’homme sera créée et placée sous l’égide de la présidence. Elle aura cependant le défaut de n’être pas indépendante du pouvoir politique.

Les autres chantiers intérieurs renvoyaient à la protection de l’environnement - allusion à de récentes affaires mettant en cause des organismes privés et publics - et à l’éradication de la corruption des juges. Une tâche à laquelle la nouvelle équipe, récemment nommée au Yuan judiciaire, au Ministère et au Parquet, allait devoir s’attaquer. La promesse était affirmée avec emphase par Ma qui rappelait que son « administration s’était engagée à ne pas céder à la corruption et à lutter contre la criminalité ».

Sur le sujet des relations internationales de l’Ile, dont la misère, conséquence des pressions politiques et financières de Pékin sur l’ensemble des pays de la planète, se traduit par le faible nombre de relations diplomatiques officielles de Taipei, Ma Ying Jeou a, sans surprise, prêché le pragmatisme. Depuis la détente avec la Chine, Taïwan était à nouveau représenté à l’OMS et à l’OMC, les liens avec le Japon s’étaient resserrés, tandis que la confiance était revenue entre Taipei et Washington, marquée par la reprise d’importants achats d’équipements militaires.

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Mais la partie du discours la plus attendue était celle consacrée au rapprochement avec la Chine et à la signature de l’Accord Cadre Economique, ratifié le 18 août par le Yuan législatif et entré en vigueur le 12 septembre. Cette avancée répondait à une nécessité vitale pour Taïwan, qui, dans un monde en évolution rapide, courait le risque d’être marginalisé en Asie, tandis que ses concurrents de l’ASEAN, bénéficiaient depuis janvier 2010, d’un accès privilégié au marché chinois.

Après avoir rappelé que les accords interdisaient l’importation de la main d’œuvre chinoise et de certains produits agricoles, Ma a répété les perspectives optimistes qui spéculent sur la création de 60 000 emplois et 180 milliards de $ taïwanais d’opportunités d’affaires pour l’Ile (5 milliards US $).

Il n’a pas éludé l’aspect politique sensible des relations avec la Chine. Tout élargissement de l’accord serait soumis à l’approbation du Yuan législatif, tandis que Taipei s’en tiendrait à sa politique des « trois rejets » de l’indépendance, de la réunification, et de l’usage de la force.

S’il s’est félicité des propositions chinoises, évoquées par le premier ministre Wen Jiabao à la fin septembre, de retirer une partie des missiles pointés sur l’Ile, et répété que le consensus de 1992 constituait la base de relations dépassionnées, il n’en a pas moins insisté sur la double nécessité de maintenir un système de défense efficace et sur la possibilité d’acheter aux Etats-Unis des équipements militaires défensifs que l’Ile ne pouvait produire elle-même.

Dans sa conclusion, Ma Ying Jeou a encore une fois rappelé que l’Ile était libre et démocratique. Puis, évoquant Sun Yat Sen et le centième anniversaire de la République de Chine, que Taipei allait célébrer l’année prochaine, il a terminé son discours par une profession de foi, à la fois lyrique et optimiste qui comparait l’histoire heurtée de la « Grande Terre », à celle apaisée de l’Ile : « L’histoire de République de Chine s’est ouverte sur fond de révoltes sociales, mais c’est dans la paix que notre Nation a forgé sa réussite. Le deuxième centenaire de notre histoire commencera par un âge d’or ».

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A Taïwan, on s’en doute, tout le monde n’est pas aussi optimiste. Alors qu’après des années d’attente la Chine vient d’autoriser 4 banques de l’Ile à opérer en Chine, l’ambiance est à la méfiance. Un sentiment qui trahit la complexité des relations dans le Détroit, où les affaires sont inextricablement mêlées à la politique.

Les entreprises industrielles et les services taïwanais recherchent les opportunités lucratives et l’expansion de leurs affaires dans le marché chinois, devenu pour eux un passage obligé et souvent l’un de leurs uniques espoirs de croissance. Pékin voit plus loin et entrevoit les fragiles prémisses de la réunification, jouant du constant mélange de séductions commerciales et des tentatives de plus en plus fréquentes pour replacer les échanges sur le terrain politique.

Les plus sceptiques attendent les premiers signes de craquement dans la relation quand, Pékin, mettant à profit l’irréversible engagement des Taïwanais en Chine, devenue la première cible de leurs capitaux et de leurs exportations, commencera à faire pression sur les investisseurs de l’Ile et sur leurs affaires pour accélérer les négociations de réunification. Le tout, dans une atmosphère, où l’irrésistible attrait économique de la « Grande Terre » est tempéré par de pesants et durables sentiments de défiance, que les récentes querelles avec le Japon ont ravivés.

Dans un sondage d’opinion publié le 13 septembre dernier, 66% des Taïwanais étaient favorables au statu quo et 16 % (en hausse de 4% par rapport à 2000), souhaitaient l’indépendance. Seulement 5 % préféraient la réunification (en baisse de 4% depuis 2000). 54 % avaient une opinion négative du gouvernement à Pékin et 87 % refuseraient de s’installer en Chine, tandis que 68% n’envisageaient pas d’y implanter leurs affaires ou d’y investir.

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En bref.

Ventes de F16 à Taïwan. Début octobre, Charles Raymond Burghard, Directeur l’Institut Américain à Taïwan, qui fait office d’ambassade officieuse, rassurait ses correspondants taïwanais, rappelant que Washington étudiait sérieusement la vente de F.16 à l’Ile, en dépit de considérables pressions de la Chine. Le 6 octobre, le porte parole de l’armée de l’air taïwanaise annonçait que le gouvernement avait mis en place les crédits pour la remise à niveau des F-16 A/B achetés au début des années 90. A Taïwan beaucoup craignent cependant que l’ombre portée de la Chine et les souhaits de la Maison Blanche de limiter les désaccords avec Pékin constituent un obstacle majeur au remplacement des F-16 vieillissants.

Le parti indépendantiste assouplit sa position. Le 17 septembre, Tsai Ying Wen, présidente du DPP annonçait que s’il revenait au pouvoir son parti poursuivrait la politique du KMT avec la Chine, ajoutant que toute modification des accords devrait être entérinée par le Yuan législatif. Elle a également précisé que le DDP n’organiserait pas de référendum populaire pour pousser à la révision des accords conclus avec Pékin et qu’en revanche, il accorderait la priorité à la stabilité des relations dans le Détroit : « Nous devons regagner la confiance du peuple ». Au risque de déplaire à sa base politique, dont l’objectif reste l’indépendance de l’Ile, Tsai a récemment affirmé à plusieurs reprises que son parti était prêt à développer des relations avec la Chine, sans conditions préalables. L’ajustement politique, qui marque une nette évolution de la stratégie du parti par rapport à celle de l’ère Chen Shui Bian, découle de la prise de conscience par l’état-major du DPP que le radicalisme anti chinois ne recueillerait jamais l’approbation de la majorité des électeurs de l’Ile.

Exercice conjoint de sauvetage en mer entre la Chine et Taïwan. Le 16 septembre dernier, 14 garde-côtes et patrouilleurs appartenant aux marines chinoise et taïwanaise et trois hélicoptères (2 Sikorski S 76-C d’origine américaine de la sécurité civile de Xiamen et 1 Dauphin d’origine française, appartenant aux gardes-côtes taïwanais), ont conduit un exercice conjoint de sauvetage en mer dans l’étroit bras de mer situé entre les côtes chinoises de Xiamen et l’Ile de Jinmen (7 km en moyenne), qui fut la cible répétée de l’artillerie chinoise dés les premières années de la République populaire.

Le scénario, très réaliste, mettait en scène une collision entre un ferry rapide et un cargo, avec incendie et blessés à repêcher en mer. L’exercice, qui se déroulait dans une zone où le trafic et les échanges informels entre la Chine et Taïwan sont denses, démontre l’apaisement de la situation dans le Détroit. Il ne signifie cependant pas que les méfiances politiques ont été éliminées. Taïwan a en effet répondu avec une extrême prudence aux différents appels du pied de la Chine pour entamer une négociation politique - proposition pour diminuer le nombre des missiles pointés sur l’Ile et pour lancer des échanges entre les deux armées -.

Le 13 octobre, aux appels du pied de Yang Yi, porte parole du Bureau des affaires taïwanaises à Pékin, de lancer des échanges entre les deux armées, le premier ministre Taïwanais Wu Den-Yih a répondu que « le temps n’était pas encore venu pour ce type de contacts » et que « les échanges devaient rester concentrés sur les affaires économiques ». Les hésitations taïwanaises sur des questions toujours politiquement très sensibles dans l’Ile traduisent clairement les ambiguïtés du rapprochement entre les deux rives.

 

 

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