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›› Editorial

La Chine, les Etats-Unis et la question nord-coréenne

Wikileaks dérange avec jubilation quelques vieilles hypocrisies diplomatiques, et expose sans pudeur les mensonges des raisons d’état ou les secrets des confessions obtenues en aparté par les diplomates américains et fidèlement retransmises à Washington. Une des révélations du site concerne la relation entre la Chine et la Corée du Nord, dont la problématique insoluble fait aujourd’hui la une de tous les journaux d’Asie. Elle est attribuée à Lee Kwan Yu par un diplomate du département d’Etat.

Selon le site, l’ancien 1er ministre de Singapour, sage estimé et respecté s’il en est de la vaste mouvance des Chinois d’Outre Mer, et, à l’occasion, pris pour modèle par la direction chinoise qui tente de mettre en place en Chine un néo confucianisme paternaliste, avatar asiatique du despotisme éclairé, aurait dit : « La Chine préfèrerait de loin une Corée du Nord nucléaire à un effondrement du Régime ».

Si l’on songe que, pour Washington, l’approche est très exactement l’inverse, on comprend pourquoi le dialogue à 6, qui vise à dénucléariser la péninsule n’avance pas.

Au demeurant, une autre déclaration récente de Lee Kwan Yu, publique celle-là, trace les limites des influences chinoises dans la zone asiatique et dessine peut-être le fond de tableau de futurs tensions : « les Etats-Unis apportent dans la zone Asie - Pacifique un élément que les Chinois ne peuvent pas apporter : la paix et la stabilité ».

Pour l’heure c’est exactement ce qui se passe. La présence, au grand dam de Pékin, du porte-avions Georges Washington et de son armada dans les eaux de la Mer Jaune - qui flirtent presque partout avec les 370 km que la Chine revendique comme sa zone exclusive - a calmé les velléités agressives de Pyongyang. Après quatre jours de présence dans ces eaux sensibles, il vient de repartir vers la mer du Japon. Il reste à vérifier si son effet sera durable, et si, peut-être chapitrée par Pékin, la Corée du Nord s’abstiendra de nouvelles provocations.

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Au fond, la question nord-coréenne, qui s’apparente à un jeu de poker menteur, s’inscrit de plus en plus dans la rivalité stratégique entre Washington et Pékin pour le magistère en Asie. Cette rivalité s’est récemment signalée à propos de la liberté de navigation en Mer de Chine du Sud, quand le Vietnam et d’autres pays de la zone se sont résolument rapprochés des Etats-Unis.

Si on y ajoute les récentes querelles avec le Japon, autour des Iles Senkaku et la méfiance latente entre New-Delhi et Pékin (récemment New-Delhi a renforcé son dispositif défensif dans la zone de l’Arunachal Pradesh, revendiqué par Pékin - qui fut l’un des théâtres des affrontements militaires de 1962 -) on conviendra que la route de la République Populaire vers un magistère apaisé de la zone asiatique est pour le moins heurtée et compliquée par les réminiscences de l’histoire et les craintes soulevées par la montée en puissance du colosse chinois.

Un des éléments de décryptage possible des actuelles tensions qui voient la Chine se placer plus résolument du côté de Pyongyang que dans un passé récent, est la montée du Nationalisme à l’intérieur, que le Parti ne cesse d’agiter pour conforter sa légitimité. S’il est vrai qu’en Chine, l’opinion publique, qui s’exprime beaucoup sur le net (350 millions d’internautes), reste en général assez critique du Parti, à l’extérieur, la fierté retrouvée des Chinois, qui tourne parfois au chauvinisme, presse Pékin d’adopter un profil international beaucoup plus relevé que par le passé.

La conséquence, qui oblige le Parti à abandonner la « modestie stratégique » prônée par Deng Xiaoping en 1992, se traduit directement dans la question nord-coréenne. Au cours de l’année 2010, les dirigeants chinois - Premier Ministre, Ministre de la Défense - se sont succédés à Pyongyang pour réaffirmer la solidité de l’alliance qui a pris racine dans la guerre de Corée et la guerre froide.

Lors des récentes échauffourées meurtrières - torpillage de la corvette sud-coréenne Cheonan (46 morts, dont beaucoup étaient des recrues faisant leur service militaire) et pilonnage d’artillerie de l’Ile contestée de Yeonpyeong (4 morts 18 blessés), Pékin s’est gardée de condamner Pyongyang. Une attitude que Séoul a ouvertement réprouvée. Le 2 novembre, la Chine a aussi fait obstacle à une résolution du Conseil de Sécurité au motif que la proposition contenait les mots « condamnation » et « violation ».

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Récemment, Xi Jinping, le Vice-président Chinois et futur Secrétaire Général, a, dans un discours public, entretenu l’affabulation de la guerre froide selon laquelle l’envoi du million de volontaires chinois dans le conflit coréen en 1951 répondait à une agression du Sud contre le Nord.

Disant cela, il savait qu’il travestissait la vérité, mais il le faisait pour des raisons de politique intérieure, dans un contexte où le mensonge participe de l’image que le régime souhaite donner de la République Populaire à son peuple, attentif à la réputation internationale de la Chine, à la fois puissance indépendante, intransigeante et moralement irréprochable.

Mais le magistère chinois en Asie s’oppose à celui des Etats-Unis, appuyé par de puissants déploiements militaires. Ces derniers tirent précisément leur légitimité du souvenir de l’engagement américain dans le pacifique. Il avait permis d’éliminer le militarisme japonais, bête noire des Chinois, et contribué à faciliter la victoire de Mao sur la Grande Terre, tandis que Tchang Kai Chek, épuisé par ses luttes contre les armées japonaises et la guerre civile était contraint de se réfugier à Taïwan. Sous couvert de l’ONU, l’engagement militaire américain, avait aussi sauvé la Corée du Sud d’une annexion pure et simple par Pyongyang.

Le poids du rayonnement américain dans la zone constitue donc l’autre élément majeur qui, avec la montée en puissance de la Chine, influe directement sur la question coréenne. Il contribue en outre à mettre sous le boisseau deux des membres du dialogue à Six, le Japon et la Corée du Sud, totalement inféodés à Washington et dont la marge de manœuvre est voisine de zéro.

Au point que, lorsqu’en 1997, le charismatique Kim Dae Jong reprenait la main en lançant sa « Sunshine Policy », prenant à contre pied la Chine, les Etats-Unis et l’establishment sud-coréen, la machine bureaucratique de l’alliance Washington - Séoul, qui sentait son magistère menacé, est restée très en retrait.

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La réticences de l’establishment américain, en dépit de l’appui officiel de la Maison Blanche, les manquements et les insuffisances du successeur de Kim Dae Jung, attaqué de toutes parts et qui s’est suicidé en 2009, ont ramené au pouvoir la mouvance conservatrice, chère à Washington, en la personne du très peu charismatique Lee Myong Back et replacé Séoul dans l’orbite exclusive de la Maison Blanche.

Non pas que la « Sunshine Policy » ait directement contribué à résoudre le paradoxe de la Corée du Nord. L’état moribond, héritier du « pays ermite », reste en effet claquemuré dans sa paranoïa agressive et nuisible, que la Chine et d’autres comme les Etats-Unis et l’UE tiennent sous assistance, et à qui Washington refuse tout accord de non agression, à moins qu’il ne se soumette d’abord aux conditions d’un désarmement nucléaire complet et vérifiable. On ne connaît d’ailleurs pas très bien les raisons des dérapages réguliers du régime. Sont-ils le résultat de querelles internes, entre les militaires et la famille Kim ? Ou bien une manière de signaler à l’attention du monde de nouvelles pénuries pour obtenir, par le chantage, une aide directe ? Ou encore une manière de signaler à Séoul, que Pyongyang traite de « marionnette », que sa proximité avec Washington est une trahison et un obstacle au rapprochement ?

A la vérité l’opacité est telle que, même à Séoul, on se perd en conjectures, tandis que les risques d’engrenage catastrophique limitent forcément les réponses militaires. C’est pourquoi, la politique d’ouverture de Kim Dae Jung avait au moins l’avantage de conférer à la Corée du Sud une marge de manœuvre dans la gestion de la quadrature du cercle et de son avenir, dans un contexte général très complexe, où la force des enjeux ne plaide d’ailleurs pas pour la perspective d’une solution rapide.

Quant au fond de la question, qui renvoie à la prolifération nucléaire et à la sécurité générale de l’Asie du Nord-est, c’est incontestablement la Chine qui en détient les clefs. Et tout indique en effet qu’elle ne fera rien qui pourrait risquer de précipiter la chute du régime, dont elle craint les conséquences pour elle-même (réfugiés, déstabilisation de la péninsule, présence des forces américaines sur sa frontière Nord-est etc.).

Dans ces conditions il est utile de se demander quelle serait le rôle du dialogue à 6 dont Pékin, qui craint par-dessus tout un dérapage militaire, réclame la reprise urgente, tandis que Washington et ses deux compères de Tokyo et Séoul, échaudés par le parti pris chinois au profit de Pyongyang, font la fine bouche.

Selon Victor Cha, expert américain de la question, d’origine coréenne, le dialogue à 6 « ne mènera jamais à rien. Il n’est qu’un moyen de gérer la menace, circonscrire les risque de prolifération, en attendant que le Régime s’effondre ».
Il prend peut-être ses désirs pour des réalités, car tout comme la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne ont été initiées par l’effondrement de l’URSS, une évolution significative de la situation en Asie du Nord-est passerait par une grave secousse politique intérieure en Chine, que, pour l’heure, personne n’envisage sérieusement.

 

 

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