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›› Politique intérieure

La réaction protéiforme de la Chine aux révoltes du Monde Arabe

Les émeutes qui, en Tunisie et en Egypte, ont renversé des dictateurs en place depuis trop longtemps ont, en Chine, coïncidé avec la sècheresse dans la grande plaine centrale et dans le Shandong, tandis que la population était, dans son ensemble, occupée aux fêtes et aux migrations du Chunjie de l’année du Lapin. Autant dire tout de suite que les secousses qui ébranlent le Maghreb et le Monde Arabe n’ont pas suscité en Chine la même effervescence que dans le Monde Occidental.

La raison en est aussi que le Parti surveille et contrôle, par de puissants systèmes de censure, les informations des médias se rapportant à tous les mouvements de protestations populaires contre les régimes autocratiques de la planète. Il s’est également équipé de très efficaces logiciels de blocage des échanges sur les réseaux sociaux, répliques chinoises de Facebook ou Twitter.

Mais la nouvelle société civile qui émerge sur Internet (plus de 420 millions d’abonnés en juin 2010, en augmentation de 20 millions par an), est dynamique, inventive et iconoclaste. Quand la censure bloque des entrées comme « Moubarak, Egypte, Ben Ali, Tunisie, Yémen, Jordanie », les usagers anonymes qui changent aussi souvent d’adresse pour échapper à la traque du département de la propagande, utilisent d’autres phonèmes, réussissant, pour un temps, à contourner la muraille informatique. Le résultat est assez étonnant.

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Une réaction chinoise à double face.

Il y eut d’une part les réactions officielles. Impossibles à occulter par les temps qui courent, les révoltes en Tunisie et en Egypte ont été présentées avec une sorte de détachement distancié, focalisant sur les désordres plutôt que sur les enthousiasmes.

Dans les reportages surnageaient surtout les leitmotivs de la stabilité sociale et des progrès socio-économiques accomplis par la Chine, immuables fils conducteurs de la réflexion du Parti sur l’évolution politique. A l’occasion, le Régime a également mis en garde les Etats-Unis et l’Occident contre la tentation du machiavélisme et les possibles dérapages de l’islamisme radical.

Mais à côté du discours calibré, il y eut aussi l’effervescence du net, infiltrée dans les mailles de la censure. Elle offrait de très intéressants points de vue, y compris de journalistes ou de chercheurs qui ne pouvaient pas s’exprimer librement par les canaux officiels.

On y parlait des conséquences politiques possibles en Chine et de l’évolution démocratique du pays, mais aussi des freins que constituent l’immensité de l’espace et le poids du nombre, évoquant les progrès sociaux accomplis par le régime, ou encore de la notion universelle des droits de l’homme, acceptée par les uns et rejetée par d’autres, et enfin le rôle de l’Occident, son machiavélisme et ses illusions.

L’ensemble tranchait nettement avec l’image lisse et contrôlée proposée par les médias officiels qui s’efforçaient de tenir à distance tous les parallèles politiques avec la Chine, notamment avec les très sensibles réminiscences des émeutes de Tian An Men en 1989.

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Les réactions officielles prudemment critiques.

Le 12 février, le porte parole du gouvernement chinois faisait, sur le départ du Rais, un commentaire sobre et laconique : « La Chine espère que les derniers événements permettront de restaurer rapidement la stabilité du pays et l’ordre social ». Le même jour, le China Daily mettait en garde : « Tout changement politique n’aura pas de sens si, au bout du compte, le pays sombre dans le chaos ».

Dès les premiers jours de janvier, le département de la propagande soucieux de contrôler les analyses parallèles spéculant sur les risques d’une absence de réformes politiques, mettait en place la censure des micro-blogs et des répliques chinoises de Twitter et Facebook. Simultanément, il informait les médias qu’ils devaient se contenter de rapporter les informations diffusées par Xinhua, l’agence de presse officielle du régime.

Il en est résulté une série d’articles de la presse tous calibrés dans le même sens, qui renvoyaient, non sans raison, aux ambiguïtés, aux illusions et aux risques du processus en cours, pour les pays eux-mêmes, pour la région et - s’agissant des troubles en Egypte - pour les relations entre Israël et ses voisins.

Fin janvier, un article du Quotidien du Peuple, intitulé « Washington piégé au Moyen Orient », analysait les hésitations américaines en Egypte et les contradictions de la Maison Blanche, partagée entre la fidélité à un allié de longue date et l’adaptation au « cours de l’histoire ».

La conclusion était une mise en garde, à la fois sévère et ironique : « Les Etats-Unis jouent avec le feu. Ayant contribué à mettre sous le boisseau les réformes politiques dans la région, ils participent aujourd’hui à créer les conditions de l’émergence de forces extrémistes radicales. Mais si l’Oncle Sam était dépassé par son propre machiavélisme, le pétard qu’il a lui-même allumé pourrait bien lui exploser à la figure ».

De manière plus classique, le China Daily du 12 février éludait les causes politiques des troubles et insistait en revanche sur l’instabilité dans la région et les conséquences sociales et politiques de la crise économique, après avoir cependant rappelé qu’elle était une affaire intérieure et qu’il fallait s’en tenir à l’écart : « la hausse des prix, le chômage et le désordre monétaire sont à la racine des troubles, dont les premières victimes sont les pays en développement à faibles revenus ».

Enfin, le 14 février, le Quotidien du Peuple reprenait le dossier égyptien par une analyse mettant en doute l’efficacité de la démocratie. Dans un article intitulé : « l’Egypte a gagné une bataille, mais elle n’a pas gagné la guerre », on lisait notamment : « La classe moyenne égyptienne est faible, la bureaucratie, la corruption dominent le système politique, les écarts de revenus sont considérables. La démocratie à elle seule ne viendra pas à bout de ces problèmes. Il y faudra d’abord un long et difficile processus de développement de toute la société égyptienne ».

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Des forums de discussion dynamiques et très ouverts.

La synthèse proposée dans ce paragraphe a été réalisée à partir des compilations extraites du site sur la Chine de la fondation Carter, en liaison avec l’Université du Peuple de Pékin.

Les réactions très critiques du système chinois furent nombreuses. Beaucoup sont restées anonymes. Mais certaines, comme celle du militant Ai Wei Wei, artiste contestataire étroitement surveillé par le Parti, se sont ouvertement affichées : « il a suffi de 18 jours pour mettre à bas un régime militaire au pouvoir depuis 30 ans ; il est probable qu’il faudra plusieurs mois pour renverser le gouvernement chinois au pouvoir depuis 60 ans ».

Si on limite la synthèse aux politologues, journalistes et chercheurs connus, on peut diviser les réactions en deux groupes : celles qui extrapolant à la Chine les événements de Tunisie ou d’Egypte, prônent des réformes rapides, et celles qui, reconnaissant les réalisations du Parti, estiment que la voie démocratique ne conviendrait pas.

Pour Zhang Wen, journaliste et ardent défenseur de la démocratie, les blocages actuels du pouvoir chinois ne proviennent pas, comme le disent les dirigeants, de l’impréparation du peuple qui serait inapte à la démocratie, mais du Parti lui-même, qui refuse de prendre le risque d’avoir à céder le pouvoir.

A cet égard, rappelant que les élections directes existent au niveau des villages, il développe un intéressant argument qui contredit celui de « l’impréparation des masses » souvent avancée en haut lieu : « Comment se fait-il, explique Zhang Wen, que le peuple, soit disant arriéré des villages, soit le seul en Chine à mettre en œuvre la démocratie, alors que les citadins évolués n’y ont pas droit ».

Il conclut : « Après les villages, le temps des élections directes est venu pour tous les niveaux administratifs de la Chine. Le Parti a le choix : soit il accepte la montée d’un parti d’opposition comme le Guomindang, soit il s’achemine vers une situation à la tunisienne, avec un Président, forcé d’abandonner le pouvoir ».

Dans la même ligne, Mao Yushi, économiste, affirme l’universalité des droits de l’homme et met en garde le gouvernement contre l’inertie politique : « le mépris que le gouvernement témoigne aux droits de l’homme n’est pas tenable ».

He Wenping, chercheur à l’Académie des Sciences Sociales, fait une allusion transparente à la situation chinoise en citant Samuel Huntington. Dans son livre « Ordre politique dans les sociétés changeantes », ce dernier explique que les désordres sociaux se développent quand les réformes politiques sont trop lentes pour faire face aux exigences des nouveaux groupes sociaux.

En Tunisie, ajoute un autre bloggeur, la constitution a été manipulée pour perpétuer le règne de Ben Ali, tandis que le développement économique n’a pas bénéficié à la majorité du peuple. Et, revenant à la réalité chinoise, « il est clair que la stabilité politique ne peut pas être maintenue indéfiniment par la force ».

Quelques uns sont plus critiques des mouvements démocratiques. Liu Xuewei, chercheur en sciences politiques basé en France, stigmatise la précipitation du monde arabe et préfère la vision plus pragmatique des dirigeants chinois. Selon lui, la marche vers la démocratisation viendra en Chine quand la société y sera prête. Vouloir la précipiter comporte un risque. « Mieux vaut le compromis que la révolution et le chaos dans les rues ».

D’autres soulignent que la Chine a déjà emprunté la voie de la démocratie. « Récemment le Parti a amélioré le niveau de vie et encouragé la participation de la société aux affaires ». Ils rappellent aussi que dans un pays immense à la population pléthorique, les changements sont plus difficiles à mettre en œuvre.

Quelques uns enfin dénoncent l’hypocrisie de l’Occident pour qui « l’Egypte et la Tunisie ne sont que des pions sur un échiquier ». « La fable de régimes démocratiques a été entretenue, mais l’objectif était de faire pièce à la montée de l’Islamisme (...). Aujourd’hui quelles sont les intentions cachées ? La démocratisation vise t-elle le bonheur des peuples, ou est-elle une nouvelle stratégie occidentale ? ».

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Commentaires.


Intérêts chinois, distance et pragmatisme.

Le regard que le Parti porte sur les événements en Tunisie et en Egypte, ainsi que sur les risques de contagion au Monde Arabe, est conditionné par la conscience qu’il a de ses intérêts. Il s’agit d’abord de ménager quoi qu’il arrive les liens avec une région charnière du monde, essentielle pour ses approvisionnements en énergie, et, s’agissant de l’Islam, avec une religion directement liée à la stabilité du Xinjiang.

Son critère d’appréciation affiché reste invariablement la stabilité sociale et politique, base essentielle du développement. A cette condition, Pékin développe des relations avec tous les pays, quels que soient leur régime, en affichant le principe cardinal de « non ingérence ». Face aux événements du Maghreb et du Moyen Orient, la position officielle de Pékin, qui penchait clairement pour le maintien des régimes en place, a progressivement évolué vers une prudente neutralité, permettant de s’ajuster à toutes les éventualités.

L’autre souci du Régime est lié au risque de contagion en Chine des émeutes, favorisée par l’efficacité des nouveaux moyens de communication. Les images diffusées en boucle de la place Tahrir encombrée de manifestants et entourée de chars, n’ont pas manqué de frapper les esprits à Zhongnanhaï, où la nomenklatura du Régime a en mémoire les événements de la Place Tian An Men, il y a 22 ans.

Or s’il est vrai que les temps et les situations sont différents, on ne peut nier que certains des facteurs de la révolte de 1989 (corruption, népotisme, injustices sociales, hausse des prix) sont toujours présents en Chine. Ils recoupent en partie les racines des désordres en Egypte et en Tunisie.

Pinxin Mei, politologue vivant aux Etats-Unis, auteur de « The trapped transition. The limits of developmental autocracy » (voir notre article), explique à cet égard que, s’il est vrai que l’économie chinoise est en bien meilleure état, il existe néanmoins quelques similitudes entre la Chine, l’Egypte et la Tunisie. Pour lui, les trois pouvoirs tous autocratiques ont des bases sociopolitiques étroites et fragiles, tandis que leur obsession de stabilité et leur crainte de perdre le contrôle du pays retardent l’ouverture politique.

Enfin, la plupart des intervenants sont d’accord sur l’importance des nouvelles technologies de l’information dans le déclenchement des révoltes. Compte tenu de l’ubiquité, de la rapidité et de l’efficacité de ces vecteurs, il faut s’attendre, partout dans le monde, à des conséquences sur l’attitude des régimes autoritaires à l’égard des mouvements de protestations populaires.

En Chine la vigilance politique du Régime, qui s’accompagne d’un durcissement déjà amorcé depuis plusieurs années, ira de pair avec l’augmentation des investissements dans les systèmes de santé et de protection sociale, déjà identifiés comme une des priorités du 12e plan, et avec les efforts pour améliorer ses relations avec la société, initiés lors du 16e Congrès (2002).

L’avenir dira si cette stratégie, qui fait l’impasse sur les aspirations politiques d’une partie des intellectuels et d’une frange de la population difficile à cerner, suffira à garantir la légitimité du Parti, ou si la longue vision de l’avenir de Deng Xiaoping, qui n’envisageait une réforme politique qu’au bout de cent ans, sera rattrapée par l’accélération des bouleversements dans lesquels la Chine est entrée.

Pour l’heure, la prudence chinoise est de nature à lui garantir la pérennité de ses liens avec la région, quelle que soit l’évolution des situations. Si elles glissaient vers plus de désordres, comme c’est probable, la position du Parti, qui met en garde contre le chaos, sera confortée, y compris à l’intérieur.

Quant à nouer des relations avec les nouveaux dirigeants, dans l’hypothèse improbable de l’émergence de régimes démocratiques apaisés, le Parti Communiste Chinois ne serait pas en plus mauvaise position que les pays occidentaux, dont la position a d’abord semblé flotter.

Quelles que soient les évolutions du monde, à l’intérieur, le Régime fait le pari qu’il dispose d’une marge de manœuvre suffisante, notamment grâce à l’appui d’une partie de la classe moyenne et des nouveaux riches - qu’il s’applique systématiquement à coopter -, pour procéder, à son rythme, et dans les limites qu’il aura lui-même définies, aux ouvertures politiques nécessaires à son maintien au pouvoir.

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En bref :

Faible rémunération des jeunes diplômés. Dans une intervention sur la jeunesse chinoise, le 12 février dernier, Cai Fang, chercheur à l’Académie des Sciences Sociales, a révélé que les salaires des jeunes diplômés chinois étaient à peine supérieurs de 300 Yuan (34 euros) à ceux des migrants.

Selon lui, le revenu mensuel des jeunes diplômés a, depuis 2003, stagné à environ 1500 Yuan (169 euros), alors que pendant la même période, celui des migrants est passé de 700 à 1200 Yuan. Sa conclusion était une mise en garde : « Il est difficile de dire combien de temps cette situation pourra durer ».

S’il est vrai que les premiers salaires des diplômés sont très bas, il est aussi juste de dire qu’ils augmentent régulièrement et de manière substantielle avec l’ancienneté. Mais beaucoup d’étudiants, qui ne sont pas admis dans l’une des 50 premières universités du pays, calculent à court terme le coût des études et les avantages immédiats qu’ils en retirent.

Depuis 10 ans, le nombre de diplômés de l’université a augmenté de 30%. Et chaque année, 2 millions sur les 6 millions de diplômés annuels ne trouvent pas de travail.

Rajeunissement des responsables dans les secteurs clés de l’industrie, de l’énergie et de la finance. Se conformant aux décisions du 16e Congrès (2002) de promouvoir de jeunes experts aux postes clés, le Parti vient de procéder à plusieurs remplacements de responsables. Ces derniers arrivent aux postes élevés du pouvoir central, après au moins une expérience dans l’administration provinciale ou dans des postes à responsabilités dans un des secteurs sensibles de l’économie.

Sun Zhigang, 57 ans, Vice-gouverneur de l’Anhui, spécialiste de la réforme du système de santé, a été nommé Vice-directeur de la Commission Centrale Pour la Réforme et le Développement (NDRC).

Zhou Mubin, 54 ans, Vice-maire de Chongqing, expert financier, ancien de la Banque Industrielle et Commerciale a été nommé Vice-directeur de la Commission de Régulation bancaire. Il pourrait succéder à l’actuel directeur Liu Minkang, âgé de 64 ans.

Lui Tienan, 56 ans, Vice-directeur de la NDRC, ingénieur et économiste de formation, a été nommé directeur de l’Agence Chinoise pour l’Energie, en remplacement de Zhang Guobao, 66 ans, parti à la retraite.

Miao Wei , 56 ans, Président de Dong Feng automobiles, ingénieur, a été nommé ministre de l’industrie et des technologies de l’information, en remplacement de Li Yizhong, 65 ans.

Passage à tabac d’un avocat militant. (AFP) Chen Guangcheng, 39 ans, avocat autodidacte aveugle, connu au Shandong pour avoir dénoncé les violences entourant les avortements forcés dans les campagnes, a été passé à tabac par la police pour avoir réussi à faire passer à Hong Kong une vidéo dénonçant les conditions de son assignation illégale à résidence (sa maison est étroitement surveillée par une vingtaine de gardes et de nombreuses caméras vidéo).

Sècheresse. L’absence de pluie menace les récoltes de céréales dans les provinces du centre et le Shandong. Le gouvernement vient de débloquer 100 millions de RMB (11 millions d’euros) pour le creusement d’un millier de puits au Shandong, 2e province céréalière de Chine, où 300 000 personnes n’ont plus d’eau potable. Le 8 février, l’agence Xinhua soulignait que le Shandong était soumis à la plus sévère sècheresse depuis 2 siècles. Peu après la FAO reprenant les alarmes de Xinhua, expliquait que la récolte de céréales était compromise dans 5 provinces représentant les 2/3 de la production céréalière chinoise.

 

 

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