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›› Chine - monde

Le temps des crises

Confrontée directement aux crises libyenne et japonaise, la Chine traverse ces deux temps dramatiques de la situation internationale en faisant preuve de maîtrise et d’une remarquable réactivité.

Dans la convulsion qui met sur la sellette le régime de Kadhafi, elle a, profitant de ses bonnes relations dans la région, et grâce à une excellente coopération interservices, évacué ses nombreux ressortissants en un temps record. Au milieu de réactions internationales confuses, Pékin, resté fidèle à ses principes de non ingérence militaire, a également réussi à préserver ses intérêts dans la zone, tout en prenant habilement ses distances avec le dictateur de Tripoli.

Placée avec la Corée aux premières loges de la catastrophe japonaise, la Chine a rapidement saisi l’occasion du drame pour apaiser ses relations tendues avec Tokyo. La crise survenait en effet dans un contexte où les intérêts des deux pays n’avaient cessé de se heurter, notamment en Mer de Chine. Dans cette zone les revendications de Pékin et la présence accrue de la marine chinoise entraînent le raidissement antichinois de certains pays riverains, sur fond de resserrement des alliances patronnées par Washington.

A l’intérieur, l’accident de la centrale de Fukushima a incité les responsables à réévaluer la sûreté du vaste programme de construction de centrales nucléaires. Pékin a aussi décidé d’accélérer l’établissement d’un plan national de sécurité nucléaire, encore dans les limbes, alors même que 13 centrales sont déjà opérationnelles dans le pays.

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1. Chine-Libye

La Chine a réagi avec une efficacité remarquable pour évacuer ses ressortissants du chaudron libyen. Dans une situation internationale complexe, elle a réussi à la fois à ménager ses intérêts directs et à se donner une image de sagesse sereine, tout en se désolidarisant des répressions brutales exercées par Kadhafi.

Alors que le 23 février, China Radio International signalait que certains des 36 000 ressortissants chinois travaillant en Libye pour plus de 70 sociétés - en majorité des compagnies pétrolières et des sociétés de construction -, avaient été attaqués, notamment à Benghazi sur le site d’une compagnie de construction d’état, le gouvernement a affrété 15 vols charters civils, et déployé 4 avions de transport militaires, ainsi que la frégate lance-missiles Xuzhou, rappelée du Golfe d’Aden où elle participait à l’opération internationale de lutte contre la piraterie.

Entre le 28 février et le 2 mars, la grande majorité des Chinois quittaient la Libye pour des points de regroupement en Grèce, à Malte, au Soudan, en Tunisie et aux Emirats, attendant des vols vers la Chine. Cette efficacité donna lieu à des commentaires laudatifs de la presse chinoise et à des appels pour encore plus d’efficacité militaire et plus de responsabilité internationale dans la gestion des crises. Début mars, le Global Times expliquait que la puissance montante de la Chine allait lui conférer « des responsabilités supplémentaires », ce qui devrait l’inciter à « accélérer la construction de son porte avions ».

Mais le commentaire le plus étonnant, probablement inspiré par l’enthousiasme provoqué par une opération d’évacuation exemplaire, est venu d’un journaliste du magazine Caijing. Dans un article en ligne, intitulé « Appuyons l’intervention militaire américaine en Libye », ce dernier suggérait que la Chine abandonne sa politique de non ingérence et prenne clairement position contre « les tyrans qui massacrent leur peuple ».

Dans les eaux troubles d’une situation qui peine à se dénouer, le Parti a gardé la tête froide, avançant avec son habituelle maîtrise de l’ambiguïté, au milieu d’une remarquable cacophonie occidentale. Le 26 février, la Chine qui préside le Conseil de Sécurité et soucieuse de ne pas donner l’impression d’appuyer un régime tirant sur son peuple, votait une résolution imposant des sanctions à la Libye et diligentant une enquête sur les crimes contre l’humanité commis par Kadhafi.

Le 13 mars, alors même que la Ligue Arabe appelait le Conseil de Sécurité à imposer une zone d’interdiction de vol à l’aviation libyenne, l’Ambassadeur de Chine à Tripoli, reçu par Kadhafi en compagnie de ses collègues indien et russe, écoutait le « guide de la révolution » leur proposer de « remplacer les compagnies pétrolières occidentales » dont les personnels avaient été évacués.

Enfin, le 17 mars, la Chine n’utilisait pas son droit de veto, mais s’abstenait de voter une résolution du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force contre le Régime de Kadhafi et instaurant une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Elle était notamment suivie par la Russie, l’Allemagne, le Brésil et l’Inde.

Pékin, dont la dépendance aux importations d’hydrocarbures et à ses projets pétroliers en Libye reste forte - en 2010 la Libye était encore le 5e fournisseur de pétrole de la Chine avec 341 000 barils/jour, soit 10 fois plus qu’en 2009 -, a rapatrié ses personnels et mis à l’arrêt tous ses projets (constructions d’immeubles, voies ferrées, ponts, exploitations pétrolières). De cette position d’attente, le pouvoir chinois a aussi donné des gages aux Etats-Unis, à la Ligue Arabe et à l’ONU.

En même temps, prenant ses distances avec Kadhafi en votant les sanctions, il a tenté de consolider son image d’un gouvernement serein, à l’écoute du peuple et opposé à la répression brutale. Il est aussi resté fidèle à sa ligne rejetant l’interventionnisme militaire et prônant une solution négociée.

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2. Chine-Japon

S’il est un événement extérieur dont les conséquences agiront à la fois, au moins temporairement, sur les relations stratégiques en Asie du Nord-est et peut-être plus durablement sur la situation en Chine, c’est bien la catastrophe nucléaire au Japon, résultat du séisme et du tsunami du 11 mars dernier. Le premier effet du drame aura en effet été un apaisement des relations sino-japonaises, dont les tensions n’avaient pas cessé depuis l’automne dernier.

Ces derniers venaient de monter d’un cran à propos de la mise en exploitation par la Chine du gisement de gaz de Chunxiao (Mer de Chine Orientale), en dépit de l’accord signé entre les deux pays en juin 2008. L’arrière plan des crispations était aussi marqué par plusieurs incidents entre des bâtiments de guerre japonais et des aéronefs militaires chinois, ou même entre un chasseur F8 chinois et un F15 japonais au-dessus de l’archipel contesté des Senkaku (Diaoyutai).

C’est dans ce contexte difficile que le ministère de la défense japonais publiait les nouvelles directives de défense pour les 5 années à venir. L’essentiel de ces réajustements consistait à se mettre en mesure de mieux défendre les intérêts de Tokyo en Mer de Chine de l’Est face à la marine chinoise, en renforçant la flotte sous-marine et en transférant un escadron de F15 à Okinawa, accompagné d’une base radar construite sur les îles Yaeyama toutes proches. Ces repositionnements s’accompagnaient de contacts avec les armées sud-coréenne et australienne, que Pékin interprétait comme la constitution d’alliances antichinoises patronnées par Washington.

Mais dès le lendemain du séisme, les journaux chinois habituellement critiques du Japon publiaient des articles rappelant les secours envoyés par Tokyo lors du tremblement de terre très meurtrier du Sichuan en 2008 : « la volonté de s’entraider est naturelle entre les deux civilisations voisines de l’Orient ». Le 14 mars, le Président Hu Jintao présentait officiellement ses condoléances à l’Empereur, après que le Premier Ministre et le Ministre de la Défense aient par téléphone proposé un appui matériel et l’envoi d’une équipe de sauvetage.

Du coup, la visite à Tokyo du Ministre des Affaires étrangères Yang Jiechi, prévue les 19 et 20 mars pour un sommet à trois avec la Corée du Sud sur la question nord-coréenne et celle de Wen Jiabao en mai prochain pour la relance du dialogue à six, s’annonçaient sous de meilleurs auspices.

Mais en Chine même, la catastrophe nucléaire induit des questionnements sur le rythme de construction des centrales et leur sûreté. Dès le 14 mars, Liu Tienan, vice-directeur de la Commission Nationale pour la Réforme et le Développement (CNRD), également Directeur du Bureau National de l’Energie « invitait les responsables à tirer les leçons de l’accident nucléaire du Japon pour garantir la sûreté du programme nucléaire dans un esprit de responsabilité à l’égard du Parti et du Peuple ».

Le 16 mars, l’agence Xinhua démentait les rumeurs de contamination et faisait état du résultat négatif des contrôles radiologiques le long des côtes Est de la Chine depuis le Fujian jusqu’aux rivages du Liaoning et du Heilongjiang, tandis que les appels au calme étaient diffusés à la population locale, assortis de conseils pour se protéger des radiations. Il n’en fallait cependant pas plus pour que les pouvoirs publics soient aussitôt obligés de désamorcer une psychose qui poussait la population à faire des réserves de sel de mer recherché pour ses vertus iodées capables de retarder l’irradiation de l’organisme.

Le 17 mars, on apprenait que le Conseil des Affaires d’Etat avait ordonné la révision des projets nucléaires qui, dans le cadre du 12e Plan, prévoient la construction de 25 centrales d’ici 2015. Selon la déclaration, on allait renforcer les procédures d’approbation, réviser les plans à moyen et long termes et accélérer la mise au point d’un plan national de sécurité nucléaire.

D’ici là, les 13 centrales en service seraient systématiquement inspectées et les projets en cours mis en attente. Ceux qui ne se conformeraient pas aux critères de sûreté les plus récents seraient immédiatement arrêtés. Enfin, à l’avenir les réacteurs devraient être construits hors des zones sismiques, à plus de 5 km des centres urbains de 10 000 habitants et à plus de 10 km de ceux de 100 000 habitants.

A Pékin, des rumeurs laissent entendre que ces révisions entraîneront la remise en cause de contrats antérieurs passés avec certaines filières - dont la Russe et l’Américaine - jugées moins sûres. Mais d’autres sons de cloche laissent présager de sévères luttes d’influence.

En effet, si certains au Conseil des Affaires d’Etat dans la mouvance du Premier Ministre, ont déjà affirmé que le calendrier nucléaire chinois pourrait être ralenti, d’autres comme Xie Zhenhua vice-président de la CNRD et Zhang Lijun, vice-ministre de l’environnement sont en revanche de l’avis que la révision du programme nucléaire ne serait pas nécessaire.

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En bref

Libye. Zone d’exclusion aérienne

Dans une déclaration en marge du Conseil de sécurité Li Baodong, ambassadeur à l’ONU, a expliqué que la Chine s’était abstenue de voter la résolution 1973 parce qu’elle n’avait reçu aucune réponse à ses demandes de clarification concernant l’autorisation donnée par le Conseil de prendre « toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils menacés en Libye ».

Par là il laissait entendre que la résolution autorisait implicitement les frappes au sol, une mesure à laquelle la Chine était opposée. Il a ajouté que Pékin appuyait les efforts du Secrétaire Général, de la Ligue Arabe et de l’Union africaine pour apaiser la crise par des moyens pacifiques. Cette prise de position confirme sans surprise que Pékin est opposé à une intervention musclée des Occidentaux, privilégiant la solution négociée avec la Ligue Arabe et l’OUA.

Evacuation des ressortissants chinois de Libye

L’opération d’évacuation des ressortissants chinois signale une étroite coopération entre différentes administrations (Ministères du commerce, des AE de la sécurité publique, sections consulaires sur place, et aviation civile) et avec les compagnies chinoises engagées en Libye (Petrochina, COSCO, Société nationale de constructions ferroviaires, Société nationale de constructions).

Elle marque également le premier engagement de crise de l’APL en Méditerranée et la première opération d’extraction de ressortissants en territoire hostile, dans une situation qui prouve les excellentes relations de la Chine dans la zone. Les 4 Iliouchine 76 envoyés par Pékin ont fait 2 fois escale à Khartoum, où par ailleurs une société chinoise construit le nouvel aéroport.

La multiplication tous azimuts des intérêts chinois sera une incitation pour augmenter rapidement les capacités de la marine chinoise. Pékin devra également résister aux réactions émotionnelles qui, à l’intérieur, poussent la Chine à abandonner sa politique de non ingérence et à installer des points d’appui logistiques et militaires le long de ses lignes de communication.

Chine-Somalie - piraterie

Le 11 mars, Li Baodong, ambassadeur de Chine aux NU a déclaré que la communauté internationale devait accorder plus d’attention aux facteurs économiques et sociaux causes profondes de la piraterie dans la région. Il est vrai que la pêche industrielle dans la zone a privé la plupart des pêcheurs somaliens de leurs ressources.

Depuis le début de l’année, 74 attaques de bateaux ont eu lieu. 17 navires ont été pris en otage avec 250 membres d’équipage et les pirates détiennent toujours 33 navires de commerce et 680 membres d’équipage en Somalie. La Chine participe depuis 2008 avec 3 navires de combat à l’opération internationale de lutte contre la piraterie.

Chine-OCS

Le 17 mars, le ministre de la défense Liang Guanglie en visite à Astana pour une réunion des ministres de la défense de l’Organisation de Coopération de Shanghaï a indiqué que la Chine était favorable à l’augmentation de la coopération militaire au sein de l’organisation. En 1996 le « Groupe de Shanghai », devenu l’OCS en 2001, n’était qu’un modeste forum de négociations pour la résolution des différends frontaliers. Sous l’influence chinoise et russe, l’Organisation a peu à peu affirmé de plus vastes ambitions, d’abord économiques, puis stratégiques.

Aujourd’hui, les 6 états membres (Chine, Russie, Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan), qui accueillent également le Pakistan, l’Inde, l’Iran, et la Mongolie avec un statut d’observateurs, organisent des manœuvres militaires communes pour combattre les trois fléaux identifiés par la rhétorique sécuritaire chinoise que sont « le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme ».

De fait, la région, qui elle-même abrite des mouvements religieux radicaux, jouxte des zones troublées et instables du Caucase aux marches de la Russie et du Xinjiang chinois, théâtre d’affrontements ethniques récurrents entres Han et populations turcophones, en majorité musulmanes. En 2005, l’OCS, inquiète de l’épidémie de « regime change » aux marches de l’ancienne URSS, avait adopté une position commune, dénonçant les bases américaines de la région et exigé que Washington fixe un calendrier de retrait.

La manœuvre avait en partie réussi, puisqu’en 2005 Moscou et Pékin avaient persuadé le président Ouzbek Karimov d’exiger des Américains, avec qui il était en froid après la répression d’Andijan le 13 mai 2005, qu’ils ferment la base de Karchi Khanabad. En juin 2009, en revanche le président Kirghize, Kurmanbek Bakiyev, aujourd’hui en fuite, avait cédé aux sirènes financières américaines et résisté aux pressions de Moscou et Pékin qui espéraient également l’évacuation de la base de Manas au Kirghizstan.

 

 

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