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›› Editorial

Le Quotidien du Peuple, la liberté de pensée et les convictions de Wen Jiabao

Le 28 avril, le Quotidien du Peuple publiait un article d’autant plus insolite qu’il surgissait au milieu d’un raidissement politique du Parti exprimé lors du 5e Plenum à l’automne dernier et confirmé par Wu Bangguo n°2 du Régime, à l’occasion de la session annuelle de l’ANP en mars.

Alors que plusieurs dissidents emblématiques étaient emprisonnés ou harcelés, le texte abordait la question de la tolérance et celle, toujours sensible, de la liberté d’expression, allant même jusqu’à citer Voltaire : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

Simultanément, Wen Jiabao, dont la flamme démocratique allumée au printemps 2010 avait quelque peu vacillé, revenait à plusieurs occasions sur ses sujets favoris des réformes politiques et de l’indépendance de la justice, auxquels il rajoutait la « liberté de pensée », dont il faisait l’éloge lors d’une adresse aux cadres de l’Ambassade de Chine à Kuala Lumpur, également publiée par le Quotidien du Peuple.

Le discours de Kuala Lumpur faisait suite à une interview accordée le 23 avril à l’éditorialiste du Ming Pao de Hong Kong, Ng Hong mun, habituellement très critique du Parti Communiste et dans laquelle le Premier Ministre mettait en garde contre « l’influence résiduelle de la révolution culturelle et du féodalisme », obstacles à l’expression libre.

L’obstination de Wen Jiabao, qui dit lui-même être décidé, quoi qu’il arrive, à ne pas abandonner son combat pour les réformes articulées autour des valeurs universelles de justice sociale et de l’attention portée au peuple, tient à la conviction que, sans une ouverture offrant la possibilité d’un contrôle politique du pouvoir, la Chine risquerait de graves secousses sociales et la remise en cause des succès reconnus de son économie.

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Le fait que le Quotidien du Peuple ait publié un article en faveur de la liberté d’expression suggère que le Premier Ministre ne prêche pas dans le désert, et que d’autres sont sur la même ligne, même si les soutiens officiels apportés par le sérail sont toujours très rares.

Au demeurant, plusieurs développements récents indiquent bien que la rigidité politique et l’absence, sinon de contre pouvoir, du moins de contrôle indépendant, sont, en partie, à l’origine de quelques dérapages emblématiques et des difficultés que le système éprouve à réformer les structures de l’économie.

L’inflation qui s’incruste, la consommation des ménages qui stagne ou régresse en dépit des déclarations officielles, une rémunération de l’épargne négative, le retard chronique des salaires, les dettes non recouvrables des administrations locales, l’augmentation des saisies de terres illégales, les ratés des réformes sociales et du système éducatif, sont autant de symptômes inquiétants qui poussent Wen Jiabao à reprendre son discours iconoclaste.

A quoi s’ajoutent la corruption des cadres consubstantielle au système et quelques attitudes irresponsables de figures de premier plan dont le pouvoir lui-même s’est récemment ému. Le dérapage des projets du TGV mis à jour par la mise à pied du ministre des chemins de fer Liu Zhijun, en est un exemple inquiétant.

Voilà en effet un projet symbolique qui, au terme d’un développement accéléré de sept années, lève le voile sur une suite d’insuffisances, de corruptions et de négligences qui pourraient bien constituer une étape prémonitoire à d’autres soucis à venir.

Trois cents milliards de dollars utilisés à développer la marotte ferroviaire de quelques cadres également hantés par le rattrapage de puissance et d’image, des travaux bâclés, des ponts à la stabilité aléatoire, des rails qui se tordent, des tunnels qui s’effondrent, des vitesses au-delà du raisonnable, et surtout peu de clients. Le tout assorti de sociétés « off shore » destinées à détourner une partie des fonds alloués au secteur.

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Le constat est amer, mais, en même temps, il signale une prise de conscience du pouvoir qui reconnaît les débordements d’une équipe dont les agissements sans frein donnent une image détestable du Régime et créent des risques importants. Après ces alertes le Conseil des Affaires d’Etat a déjà décidé de ralentir le développement du TGV et de réduire la vitesse d’exploitation.

Les déboires traduisent un des plus graves talons d’Achille du système : un schéma de développement, dont le moteur est l’investissement public presque sans limites, à l’origine d’insondables gaspillages et dont les conséquences étaient jusqu’à présent en partie compensées par l’existence d’une main d’œuvre pléthorique et bon marché, tandis que la croissance et la fierté nationaliste liées aux exploits technologiques faisaient passer les coulages financiers au second plan.

Décidés dans le secret des strates supérieures, les projets sont développés par des équipes d’experts, mais leur mise en œuvre est noyée dans la complexité des administrations, dont la loyauté n’est pas toujours garantie. Sur le tas, la population de migrants aux salaires toujours insuffisants travaille au gros œuvre, dans un contexte où leur nombre en augmentation crée d’importants problèmes sociaux sous-jacents.

Les réquisitions de terres et les nombreuses sous-traitances techniques liées au développement sur le terrain donnent lieu à d’inextricables compromissions entre les responsables politiques, les hommes d’affaires, les industriels locaux et les investisseurs immobiliers.

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Depuis sept années, le rail chinois, dont la finition hasardeuse inquiète le pouvoir, a ainsi englouti l’équivalent de 10 % des réserves de change de la Chine et il est probable que d’autres secteurs, comme la sidérurgie, également en situation chaotique sont, pour des raisons similaires, tout aussi gaspilleurs et difficiles à réformer.

Tels sont les dysfonctionnements qui poussent le Premier Ministre à réclamer plus de liberté d’expression et à militer pour l’instauration d’un contrôle indépendant. Alors que ses prises de position ne recueillent aucun soutien officiel, les articles du Quotidien du Peuple indiquent au moins qu’une partie du système reconnait la nécessité d’une ouverture politique.

Faisant l’éloge de la tolérance, et laissant poindre une inquiétude sociopolitique, le journal, qui est aussi la voix officielle du Régime, indiquait que, « dans une société complexe, il convenait de respecter les voix dissidentes, car elles étaient au moins un exutoire à l’anxiété ».

Enfin, selon Hu Xingdou, économiste et sociologue à l’Institut de Technologie de Pékin, l’article exprimait aussi la vision de nombreux notables et chercheurs de tendance libérale qui estimaient que la Chine était arrivée à une étape cruciale de son développement.

Ces commentaires renvoient aux défis qui attendent la nouvelle équipe prête à prendre les rênes du pouvoir en 2012. Alors que le couple Hu Jintao - Wen Jiabao a réussi à maintenir une croissance forte au milieu d’une des plus sévères crises financières mondiales et à tirer un profit maximum de l’intégration de la Chine dans l’OMC en 2001, plaçant le pays au rang des grandes puissances, il peine à restructurer une économie aujourd’hui plombée par une faible productivité, de considérables gaspillages, une dette interne mal maîtrisée, et une consommation intérieure atone.

Xi Jinping et Li Keqiang devront augmenter les salaires, redresser la rentabilité de l’épargne, mettre fin aux projets dispendieux dévoreurs de ressources, principaux moteurs d’une croissance en partie factice, augmenter les dépenses du secteur social, dynamiser encore l’éducation et l’innovation, le tout sans favoriser l’inflation et en maintenant la croissance à un taux suffisant pour éviter les désordres sociaux.

Il est évident que pour y parvenir le Régime devra faire preuve de solidarité politique et d’ouverture, conditions indispensables à l’éradication des obstacles structurels qui freinent les réformes.

 

 

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