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›› Editorial

Chine – Europe : les limites de l’illusion céleste

Le sentiment d’urgence qui pousse l’UE à tendre sa sébile à la Chine se mesure au défilé des responsables politiques européens qui se pressent dans les parages de Zhongnanhai.

On y a vu Klaus Regling, le président du Fonds Européen de Stabilité débarqué à Pékin aussitôt terminée la réunion marathon de l’UE, le 27 octobre, presque en même temps qu’Alain Juppé qui profitait de son voyage en Inde pour laisser un message à Hu Jintao.

Auxquels s’ajoutaient les échanges téléphoniques entre Wen Jiabao et Hermann Van Rompuy, ou entre Wang Qishan et François Baroin. Sans compter les missions occultes des missi dominici de l’Elysée travaillant dans l’ombre à des arrangements secrets que Washington observe avec suspicion.

L’espoir improbable d’une coopération vertueuse.

Envisagé sous l’angle macro-économique et dans le cadre d’une mondialisation de bon aloi, il n’y a là rien que de plus normal. La zone Euro, en difficulté financière se tourne vers le pays le plus riche en réserves de change pour abonder son fonds de stabilité en gestation. Après tout, on ne voit pas pourquoi la Chine, qui investit massivement dans les bons du trésor américains, ne le ferait pas aussi dans la zone Euro.

D’autant que cette perspective est en phase avec les intentions de Pékin de se libérer à moyen terme de sa sur-dépendance vis-à-vis du dollar et qu’elle a déjà acheté entre 400 et 700 Mds d’Euros des dettes souveraines des Etats qui, contrairement aux Etats-Unis se gardent bien d’en faire état publiquement.

Plus encore, vu du côté européen, certains espèrent que l’engagement des finances chinoises dans l’Euro entraînerait une imbrication de solidarité propre à relativiser les querelles commerciales. Quelques experts pensent même qu’il inciterait Pékin à assouplir sa politique de change et à ouvrir complètement ses marchés dont certains restent toujours fermés aux étrangers. « Nous sommes tous dans le même bateau » expliquait Chen Deming le 31 octobre, en marge de la visite du Président Hu Jintao à Vienne, avant le G20.

Il reste que cette perspective optimiste ne dévoile qu’une partie d’un paysage, en réalité moins marqué par la solidarité que par les intérêts nationaux arc-boutés, les intentions cachées et, souvent, les méfiances ou, pire encore, les rancœurs. Le tout dans un environnement mondial enfermé dans le cul-de-sac mortifère d’une croissance cupide, matérialiste et injuste, en partie responsable des ébranlements du monde, dont le pire est probablement à venir.

Avec, pour ne citer que les grands acteurs de ce théâtre, une Chine traversée par les affres politiques de la succession en amont du 18e Congrès, aux prises avec de lourdes contradictions sociales et politiques, et obsédée par sa relation heurtée mais obligée avec les Etats-Unis. Ces derniers, surendettés et saisis parle doute, sont toujours tentés par le « containment » du péril jaune, face à une Union Européenne déboussolée, dépouillée de son influence stratégique, sans direction politique et confrontée à la plus grave crise existentielle de sa courte histoire.

Dans ce contexte, pour qui souhaite se faire une idée des réalités de cette situation, débarrassée des illusions trop optimistes ou des propagandes qui brouillent la vérité des relations internationales, il est urgent d’examiner les dessous des cartes financières, commerciales et stratégiques de ce qui se trame sous nos yeux.

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Méfiances, difficultés et résistances chinoises.

On observera d’abord que la Chine qui, en 2011, a augmenté de plus 30% son engagement dans la dette américaine, ne répond qu’avec prudence aux avances européennes. En dépit des discours de solidarité, toutes les réactions des responsables chinois sont en effet d’attente, plutôt que d’engagement.

Il est vrai que depuis le début de la crise les élites européennes ont montré plus d’hésitations que de détermination à sauver la Grèce. Ce qui explique la retenue, et peut-être la méfiance chinoise exprimée par le souci répété de Pékin d’obtenir des garanties et d’adosser son engagement au FMI. On est loin de la souplesse et de la rapidité des transferts autour des bons du trésor émis par la Réserve Fédérale.

Les manœuvres du Premier Ministre grec, soumettant l’accord du 27 octobre à un référendum populaire, avant d’esquisser une marche arrière, ne furent pas non plus de nature à rehausser la confiance de Pékin. Dans ce contexte d’hésitations et d’incertitudes accumulées, il n’est d’ailleurs pas exclu que le Parti garde prudemment ses distances, également échaudé par l’opinion publique interne indignée de cette « aide chinoise aux pays riches », alors que la situation sociale du pays est, elle-même, très inégalitaire.

D’autant que la Chine n’est pas, comme beaucoup le pensent, l’inépuisable tire-lire capable d’investir à tout va à travers la planète. En effet, si on examine l’état des investissements dans le monde à la fin de 2010, on constate que le stock mondial des engagements chinois est huit fois moindre que celui des Etats-Unis et même très en-dessous de celui de la France, du Royaume Uni ou de l’Allemagne. En Europe, il n’atteint pas 2%.

Enfin les hésitations chinoises s’expliquent aussi par la conscience de plus en plus vive des dirigeants que les défis internes à venir seront coûteux. D’importants secteurs liés au social (santé, retraites), à l’éducation, à l’innovation, à l’urbanisation massive et à la restructuration de l’industrie ne sont en effet pas financés. Il est probable que si toutes ces échéances venaient ensemble à maturité, même les fabuleuses réserves chinoises n’y suffiraient pas.

Certains voient aussi dans les événements en cours, marqués par la violence de la crise qui secoue l’UE et le début de panique des dirigeants européens négociant avec la Chine depuis une position pour le moins fragilisée, les prémisses d’un resserrement des liens entre l’Europe et la Chine. Ce rapprochement serait accompagné à terme par des concessions commerciales de Pékin qui accepterait, par solidarité et intérêt bien compris, de supprimer les barrières commerciales encore nombreuses sur le marché chinois.

Mais l’exemple américain démontre très exactement le contraire. L’engagement croissant de la Chine dans la dette américaine – certains spécialistes chinois envisagent qu’à terme elle pourrait atteindre 3000 milliards de $, soit plus du double de ce qu’il est aujourd’hui - a certes lié la Chine aux Etats-Unis dans un « équilibre financier de la terreur », selon l’expression du Secrétaire d’Etat au Trésor Geithner. Il reste que cette imbrication, parfois heurtée et inconfortable pour les deux partenaires, n’a pas pour autant poussé Pékin à ouvrir son marché dont des pans entiers restent encore fermés aux investissements étrangers.

Tout indique en revanche que ce sont les pressions commerciales conjuguées de l’UE et des Etats-Unis, et non pas la communauté d’intérêts qui incitent les dirigeants chinois à se conformer peu à peu aux règles de l’OMC et à apprécier leur monnaie, sans toutefois la laisser flotter librement. Ce qui n’empêche cependant pas Pékin de faire pression pour que l’Union Européenne lui reconnaisse le statut d’économie de marché en échange de son engagement financier.

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Le poids des contentieux et le défi de l’harmonisation planétaire.

C’est un fait que la Chine se préoccupe de secouer l’emprise du Dollar sur son système financier et qu’elle est également soucieuse d’éviter que l’Europe, son premier marché d’exportations, ne sombre dans une spirale récessive aussi catastrophique pour elle que pour nous. Il est aussi vrai qu’elle considère toujours l’UE comme un marché de riches consommateurs, un pôle d’influence dans le monde et un réservoir de technologies à fort potentiel plus que jamais nécessaires à sa modernisation.

Mais la réalité est que la Chine ne s’engage à l’étranger qu’en fonction de ses intérêts directs qui sont la plupart du temps ceux liés à sa situation intérieure (résolution de la difficile équation : ressources - développement - stabilité sociale - pérennité du Parti au pouvoir -). Elle ne fait jamais de cadeau, n’a jamais cédé à la tentation d’une alliance et calcule sa politique étrangère avec la plus extrême prudence.

C’est pourquoi il serait imprudent de croire que Pékin ne saisira pas l’opportunité du marasme européen pour tenter de reprendre la main sur quelques uns des nombreux contentieux non résolus qui brouillent la relation Chine - Europe.

La Chine, que l’UE sollicite avec autant d’empressement vient en effet d’essuyer une nouvelle rebuffade de la Commission européenne qui lui a refusé le statut d’économie de marché ; elle est toujours montrée du doigt pour ses atteintes aux droits de l’homme ; en 2008, le Président français la menaçait du boycott de ses jeux olympiques après les émeutes au Tibet ; elle est encore ostracisée par un embargo sur les ventes d’armes imposé il y a 22 ans qui la ravale au rang d’un pays failli ; enfin, soupçonnée de captations de technologies, elle vient d’être écartée par Bruxelles d’une coopération spatiale sur le projet Galileo.

Le tout dans le contexte compliqué et contradictoire d’une vigilance américaine prompte à considérer les éventuelles concessions européennes comme une atteinte à ses intérêts stratégiques ou une trahison. Tel est en effet le dernier volet, et non des moindres, d’un jeu à trois où le pilier européen vacille vers la Chine, sous l’œil méfiant de Washington. La relation dans ce triangle stratégique qui compte pour 60% du PNB mondial, est également marquée par l’absurdité d’une situation où les Occidentaux sollicitent l’apport financier du partenaire chinois que, par ailleurs, ils ne cessent de fustiger.

Cette incohérence, où l’on voit que l’urgence comptable née de longues années de relâchement de l’éthique budgétaire, pourrait prendre le pas sur certains des grands principes moraux dont se réclame l’UE, renvoie aussi aux difficultés d’harmonisation de la planète, que la Chine appelle de ses vœux, mais dont elle hésite, tout comme les États-Unis, à payer le prix.

Jusqu’à présent, Bruxelles a en effet été le pôle mondial le plus appliqué à cette démarche de solidarité planétaire, refusant de manipuler sa monnaie et d’instaurer des barrières non tarifaires, absorbant presque sans broncher les déficits commerciaux provoqués par les dumpings sociaux, écologiques et tarifaire pratiqués par la Chine et les autres émergents.

Il serait faux de dire que la Chine ne s’ajuste pas aux règles de l’OMC, où elle est entrée en fanfare en 2001, bénéficiant de quelques délais et passe droits pour s’adapter aux contraintes du commerce international mondialisé. Depuis 2005, elle a réévalué sa monnaie de plus de 25%, abaissé de nombreuses barrières douanières, et ouvert des secteurs entiers jusque là fermés aux étrangers. Mais, calculant avant tout ses intérêts, elle l’a fait sous les pressions incessantes de ces partenaires occidentaux et avec réticence.

Il faut se rendre à l’évidence, la Chine d’abord préoccupée par elle-même et les vastes défis internes qu’elle doit affronter, ne se conformera qu’à son rythme aux exigences des puissances occidentales qui la chapitrent. Plus encore elle saisira l’opportunité d’un affaiblissement de ses partenaires pour obtenir des passe droits commerciaux – comme la reconnaissance, contre toute évidence, de son statut d’économie de marché –, pour freiner les critiques contre ses atteintes aux droits de l’homme, ou pour corriger des situations qu’elle juge anachroniques et indignes de son nouveau rang dans le monde, tel que l’embargo dont elle est toujours victime, interdisant aux États-Unis et à l’Europe de lui vendre des armes.

 

 

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