Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Lectures et opinions

Chine – Afrique, une autre vision

Deborah Brautigam, professeur à l’American University de Washington, travaille depuis plus de 30 ans sur les relations entre la Chine et l’Afrique, souvent en liaison avec le Département d’Etat américain. Sa vision prend le contrepied des idées reçues d’une Chine prédatrice et uniquement intéressée par le court terme et les ressources minières. C’est en tous cas la thèse qu’elle défend dans son livre « The Dragon gift, the real story of China in Africa », Oxford University Press, 2009.

Le 30 décembre 2011 elle écrivait un intéressant article sur ce thème, publié dans le blog du Guardian consacré au développement des régions déshéritées de la planète . Elle est elle-même l’auteur d’un blog sur les relations Chine – Afrique où elle apporte une vue moins univoque de l’action de la Chine dans le continent noir.

L’Ethiopie un exemple de coopération équilibrée.

Sans nier les critiques parfois adressées aux entreprises chinoises, comme celles de Human Right Watch sur la prospection du cuivre en Zambie, elle relativise les accusations systématiques et les replace dans une double perspective régionale et historique. Reconnaissant aussi que l’attitude de la Chine n’était pas univoque sur le continent, elle pointe du doigt d’importantes différences de stratégie entre, par exemple, l’action des compagnies chinoises en Angola et celle dans la corne de l’Afrique.

L’article du 30 décembre focalisait sur l’Ethiopie, où il apparaît, de l’avis de nombreux témoins, que la stratégie de la Chine s’inscrit dans le long terme. L’un d’eux explique par exemple qu’à la différence du Soudan où les hôtels accueillant les experts chinois étaient fermés aux étrangers, en Ethiopie la symbiose avec la population locale semblait se faire naturellement.

C’est après la visite du Premier Ministre Meles Zenawi à Pékin en août dernier, que le groupe privé Huajian, fabricant annuellement 16 millions de paires de chaussures, et dont les coûts de production dans le delta de la rivière des perles augmente, a décidé d’investir en Ethiopie. Trois mois plus tard, Huajian envoyait 50 Ethiopiens titulaires de diplômes techniques en stage de formation en Chine, tandis que les machines chinoises faisaient le chemin inverse pour être installées dans un site industriel loué par la compagnie.

Il ya dix ans, les compagnies chinoises construisant l’infrastructure routière se plaignaient de la faible qualité de la main d’œuvre. En 2009, Pékin a créé et payé le Collège Polytechnique Sino-éthiopien avec un cursus de deux ans comprenant l’apprentissage du Chinois et une formation basique d’ingénieur.

Oubliant peut-être un peu vite la longue suite de coopérations et de formations mises en place par l’Europe et les Etats-Unis, Deborah Brautigam voit dans cette attitude une différence flagrante par rapport aux méthodes occidentales et un exemple pour le reste de l’Afrique.

++++

Une relation ancienne et exemplaire.

Il est vrai que la Chine n’est pas une nouvelle venue en Afrique de l’Est. En 1972, pas encore tout à fait sortie de la Révolution culturelle, elle finançait déjà la route entre Wereta et Weldiya (200 km), 500 km à l’Ouest de Djibouti ; entre 1998 et 2004, elle participait à hauteur de 15% à la construction du périphérique routier d’Addis-Abeba. La croissance des années 80 allait augmenter les investissements chinois, mais pas toujours dans le sens des stéréotypes. Les pétroliers de CNPC explorèrent la zone, concède Deborah Brautigam, mais ils le firent par contrat, au nom de donneurs d’ordre éthiopiens et n’en retirèrent aucun bénéfice.

S’il est un pays où la stratégie chinoise fait contraste avec celle développée en Angola, où les prêts accordés pour la construction d’infrastructure sont remboursés par des concessions d’exploitation de gisements pétroliers, c’est bien l’Ethiopie.

Le fonds de développement sino-africain créé en 2006 aide les investissements privés chinois, non pas comme ailleurs en appui de leur pénétration du marché, mais uniquement en fonction de leurs performances ; le groupe de télécom ZTE, concurrent de Huawei et associé aux banques chinoises a accordé 1,5 Mds de $ de crédit aux opérateurs et équipementiers pour développer la téléphonie mobile et la connexion 3G dans tout le pays, tandis que l’autoroute Addis-Abeba – Djibouti est financée par un prêt de 600 millions de $ à rembourser par les revenus du péage sur 20 ans.

Enfin, tout en finançant les clients des sociétés chinoises, l’Eximbank a aussi ouvert des lignes de crédit pour la construction de cimenteries et du réseau de distribution d’électricité, et - fait rare en cette période de concurrence commerciale exacerbée - préfinancé les exportations vers la Chine des semences agricoles éthiopiennes.

Ces prêts qui illustrent le slogan du Parti d’une politique de développement « gagnant – gagnant », sont désignés par les Chinois comme des crédits exemplaires pour une coopération bénéficiant à toutes les parties : la compagnie chinoise décroche le contrat ; l’Ethiopie développe l’agriculture et son commerce, tandis que les paysans obtiennent un marché d’export : « 互惠贷款 – hu hui dai kuan ».

++++

Des perceptions décalées, une mauvaise foi persistante.

Alors que l’Occident ne perçoit l’Ethiopie que par le truchement des images catastrophiques d’enfants faméliques à qui il faut apporter une aide d’urgence – schéma presque univoque des relations du pays avec l’Ouest -, Pékin y voit un marché potentiel de 90 millions de consommateurs et le terrain privilégié de sa stratégie de développement conjoint, que ses émissaires s’appliquent à rendre économiquement attractive.

Certes la présence chinoise ne va pas sans problèmes : les banques ont tendance à privilégier les investissements d’infrastructure, comme les barrages dont les effets sur l’environnement sont sous estimés ou mal mesurés ; des conflits du travail éclatent ici et là et les clients se plaignent de la qualité des produits ZTE. Mais, commente Deborah Brautigam, la Chine n’est pas une exception ; une bonne partie des coopérations, d’où qu’elles viennent, rencontrent des difficultés similaires.

Parfois même les idées reçues induisent des perceptions fausses, à la limite de l’insulte. Comme celles du Conseiller Afrique d’Angela Merkel qui expliquait récemment que les vastes achats de terre de la Chine en Ethiopie étaient en partie responsables de la famine. Alors que, dans le même temps l’Institut d’Oakland, basé en Californie, également cité dans un article du Monde du 6 janvier 2012, expliquait dans un rapport, appuyé par une étude de quatre mois sur le terrain, que « la Chine était étonnamment absente des opérations foncières en Ethiopie ».

Lire aussi nos articles sur les relations Chine – Afrique :
Le rêve céleste des Africains,
L’aventure africaine de la Chine.

Note sur les contradictions de la Chine au Soudan.

Le Soudan est l’un des lieux où se télescopent la quête de ressources de la Chine et ses ambitions largement formelles de neutralité stratégique, confrontées à l’instabilité des zones qui recèlent les réserves mondiales d’hydrocarbures.

Quand au milieu des années 90, la consommation de pétrole a dépassé la production domestique, le régime d’Omar al-Bashir, au pouvoir depuis 1989, est devenu un des objectifs privilégiés de Pékin, au point que Khartoum devint rapidement la cible principale des investissements de la compagnie nationale CNPC, dans un contexte où le Soudan fournit 20% des importations chinoises de pétrole, qui, elles-mêmes, représentent 70% des exportations soudanaises.

CNPC, dont la filiale Petrochina est cotée à la bourse de New-York, voyait dans ces investissements le moyen de se dégager des zones, comme le Nigeria ou l’Angola – CNPC ne conduit aucune opération d’extraction en Angola -, où la concurrence des grandes « majors » occidentales ne lui laissait qu’une faible marge de manœuvre.

Mais le souci de Pékin de se ménager un accès privilégié et presque exclusif au pétrole soudanais avait conduit le Bureau Politique à soutenir sans équivoque le régime de Khartoum contre les rebelles de Juba (ventes d’armes, solidarité aux NU). Aujourd’hui, alors que la tension se développe sur la frontière entre le Nord et le Sud, Pékin continue à clamer sa neutralité à laquelle Juba, devenue la capitale du Sud indépendant n’a jamais cru.

Observant que les puits de pétrole sont au sud, mais que les infrastructures d’exportation – pipelines et raffineries - sont en grande majorité eu nord, Cui Shoujun, Directeur du Centre de recherche sur l’énergie à l’Université du Peuple, confirme que Pékin est bien confronté à un sérieux dilemme.

Pour l’heure, à Zhongnanhai et au siège de CNPC, où l’ancien chef rebelle du sud Pagan Amum a récemment été invité, on compte bien que le poids des investissements directs chinois – on parle de 10 Mds de $ de crédits à faible taux d’intérêt - alloués au gouvernement de Juba allègeront les rancœurs du passé. Il restera à Pékin à gérer ses relations avec Khartoum.

 

 

Depuis le conflit à Gaza, Pékin confirme son nationalisme antioccidental

[13 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Subjuguer Taiwan : les cinq options de coercition du parti communiste

[23 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Le Parti met en examen Terry Gou, candidat à la présidentielle taiwanaise

[26 octobre 2023] • La rédaction • Louis Montalte

L’impasse énergétique de Tsai Ing-wen

[11 septembre 2023] • Angelica Oung

Un expert japonais de la Chine explore les arrière-pensées stratégiques de Xi Jinping

[20 juillet 2023] • Jean-Paul Yacine