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›› Lectures et opinions

Le manifeste et le caché. La Corée du Nord dans tous ses états

Il y a dans la situation de la péninsule coréenne, de part et d’autre de la ligne de démarcation, un côté rituel pavlovien, sorte de conditionnement réflexe, enfermé dans un réseau inextricable de mensonges, de non dits et de postures arc-boutées. Celles-ci, dont il faut s’empresser de dire qu’elles ne sont pas toutes sans fondement, nourrissent les tensions et sont directement ou indirectement à l’origine de la plupart des incidents graves depuis l’armistice de 1953.

Mais sous la surface des attitudes bravaches et des provocations, se jouent d’autres partitions qui sont peut-être celles de l’espoir. Parfois le contraste entre les deux musiques s’étale au grand jour. Ces discordances suggèrent qu’au-delà des apparences, il existe une réalité cachée, peut-être à contre courant du visible, prête à s’exprimer, pour peu que l’environnement, toujours en mouvement, se modifie en sa faveur.

Le 25 février dernier, la Corée du Nord a proclamé, dans un discours stéréotypé depuis des lustres, qu’elle avait la capacité de frapper les Etats-Unis par des tirs balistiques. Quelques voix américaines ont accordé du crédit à ces rodomontades, dont rien ne prouve la crédibilité, les expériences nord-coréennes de tir à longue distance ayant toujours été un échec.

Mais le message était une réponse rituelle aux exercices annuels des forces combinées de Washington et Séoul, aujourd’hui cependant réduits à la portion congrue d’un entraînement des états-majors.

Changements à l’horizon.

Pourtant, la déclaration à l’emporte pièce de Pyongyang faisait suite à une reprise des contacts à Pékin avec Glyn Davies, envoyé de la Maison Blanche, après une première rencontre à Bali les 28 et 29 juillet 2011, deux années après la rupture entre Washington et le régime nord-coréen. (Lire aussi notre article)

Enfin, coup de théâtre, qui tranche brutalement avec les récentes fulminations, le 29 février, la Corée du Nord annonçait qu’elle accepterait de suspendre ses essais nucléaires et les opérations d’enrichissement d’uranium, autorisant, par le même communiqué, le retour des inspecteurs de l’AIEA, qu’elle avait expulsés en 2009.

Prudents et mesurant la fragilité des volte-face de Pyongyang, Washington s’est contenté de souligner qu’il s’agissait d’un « premier pas modeste dans la bonne direction », tout en promettant la reprise de l’aide alimentaire directe.

En Corée du Sud, le même « clair obscur » est à l’œuvre sur l’attitude à adopter face à la Corée du Nord. Depuis quelque temps en effet, la classe politique sud-coréenne doute de la justesse des politiques mises en œuvre. Et les attaques sont prononcées, y compris depuis le propre camp du président conservateur Lee Myong back.

Ce dernier, qui, à son arrivée en 2007, avait mis fin à l’aide économique et au dialogue initiés en 1997 par Kim Dae Jung, est aujourd’hui la cible des critiques, non seulement des successeurs de Kim Dae Jung « la stratégie de Lee Myong Back qui se contente d’attendre que le Nord change est un échec », mais également de son propre camp.

Intéressant télescopage de l’histoire, la mieux placée dans la course à la candidature conservatrice pour les prochaines élections présidentielles en décembre 2012, n’est autre que Madame Park Geun-hye, fille de l’ancien dictateur Park Chung-hee, assassiné en 1979.

Ce dernier, connu à la fois pour avoir accéléré le développement économique de la Corée et pour sa manière brutale de gouverner, avait aussi harcelé l’opposant démocrate Kim Dae Jung, dont la fille de Park se réclame aujourd’hui pour promouvoir une politique nord-coréenne, radicalement opposée à celle de Lee Myong-back : « les accords signés par les deux Corée visent à une reconnaissance réciproque et à la signature d’un traité de paix ».

Dans ce contexte, qui semble indiquer un dégel au Pays du Matin Calme, les « deux lettres de Pyongyang » mises en ligne ci–après portent un regard décalé sur une situation, on l’a vu, marquée par l’ébranlement sous-jacent du pesant et interminable héritage de la guerre froide.

Elles ont été écrites à l’automne dernier par deux émissaires français envoyés en mission d’exploration par la communauté des hommes d’affaires de Pékin. Kim Jong Il n’était pas encore mort. Mais leur regard avait déjà perçu les fragiles prémisses d’un changement dans une ambiance encore marquée par la rigidité et la méfiance.

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Lettre de Pyongyang par Rémi Gedoie.

Tous les récits de séjours à Pyongyang que l’on a pu lire jusqu’ici, ne sont pas tout à fait faux mais ne sont plus tout à fait vrais.

On s’attend à trouver un guide hypocrite et des nord-coréens terrorisés et fuyants, mais on rencontre des gens normaux dont le masque inexpressif se transforme aisément en sourire quand on plaisante avec eux. La PAF est gentille et les douaniers sont gentils… voilà pour les toutes premières impressions.

Pyongyang, la capitale des saules, n’est pas ce qu’on pourrait appeler jolie. Le style est stalino-populo-socialiste et les façades des barres d’immeubles manquent de peinture mais la ville paraît joyeuse sous le soleil d’automne. Des cohortes d’ouvriers nettoient la rivière à la pelle et à la main. Les autres balaient les trottoirs... C’est fou comme les régimes socialistes peuvent balayer devant leurs portes. Plutôt qu’une faucille et un marteau c’est deux balais croisés qui auraient dû être leur emblème.

La ville est à la gloire du Grand leader. Les affiches sont à la gloire du Grand Leader. Les monuments sont à la gloire du Grand Leader. Les statues sont à la gloire du Grand Leader... Et les airs que nous a joués l’orchestre national philharmonique de Corée étaient des airs composés par le Grand Leader à sa propre gloire.

Une visite au mausolée du Grand Leader suffit à vous retirer toute envie de plaisanter au sujet de ce phare de l’humanité ; on entre dans ce palais comme on rentre en religion, tout au long d’une longue procession à la fois terrifiante, démesurée, délirante, indescriptible et ineffable. Tout un poème ! Mais les coréens peuvent poèter aussi haut qu’ils ont leur culte… Car on peut bien parler de culte avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Le Père, c’est Kim Il Song ; toujours vivant dans le cœur de ses fidèles. Il est omniprésent, avec un don d’ubiquité bien réel. Il te regarde du revers du veston de ton interlocuteur. Il est déjà accroché au mur quand tu rentres dans une pièce et il trône à chaque carrefour quand tu veux traverser une rue. Il est très fort ; il a battu les japonais ; composé des grandes œuvres musicales, construit des barrages et conseillé de grands chirurgiens. Son regard tendre et attentif te suit dans tous tes déplacements et il écoute avec compassion toutes tes paroles.

Le Fils est plus mal loti ; sa légitimité n’existe que dans l’ombre de son père et toutes les places pour mettre sa statue sont déjà prises. Le Petit-fils aura fort à faire pour se faire une place au soleil.

Le Saint d’esprit, c’est la pensée du Juché, le verbe incarné. Kim Jong Il l’a transformé en Songun en 1998 en donnant la priorité à l’armée. L’armée a accepté avec modestie tous ces privilèges mais il n’est pas certain que le Fils en tire une gloire pour la postérité. Pour le moment, on ne monte pas au monument de la pensée du Juché ; Le grand flambeau rouge qui domine le grand phallus blanc qui s’élance en érection vers le ciel, tombe en miettes.

La sainte trinité part quelque peu en couilles...

Pyongyang, la capitale des saules, est finalement assez ouverte ; fini le temps où les visiteurs ne prenaient que les grands boulevards. Les guides, aujourd’hui n’ont plus peur de nous faire traverser les bas quartiers pour nous mener à bon port, dans les restaurants acceptant les étrangers, contre paiement en devises. Qui sont ces coréens qui partagent avec nous la salle du restaurant ? Nous n’en saurons rien.

D’ailleurs, n’hésitons pas à l’avouer, la plupart de nos questions (il est vrai aussi insidieuses que captieuses) sont restées sans réponses au cours d’une visite que d’aucuns esprits chagrins qualifieront de superficielle. Nos mentors nous ont bien souligné à plusieurs reprises que les temps étaient durs, mais nous n’apprendrons quasiment rien des famines, des campagnes qui souffrent, des pénuries d’énergie, des problèmes économiques et des ascenseurs qui répugnent à monter au sommet de leur immeuble.

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Mais peut-on, pour autant, parler, comme le font la plupart de nos journalistes de décor d’opéra ? Qu’en savent-ils d’ailleurs eux qui en voient encore moins que nous qui n’en voyons pas des masses... Un décor, par définition, c’est factice et sans épaisseur ; cela cache le monde réel pour créer un monde d’illusions. Mais si ce petit monde que nous avons effleuré, n’était pas si petit que cela ? Les dernières données communiquées par Orascom font état de 535 133 abonnés au réseau de téléphones portables Koryolink qui couvre 6 villes dont Pyongyang et 8 routes et voies ferrées.

Loin de moi l’idée de remettre en cause l’existence d’une famine, de pénuries de toutes sortes, de régime totalitaire etc. Mais puisque toutes ces choses ont déjà, mille fois, été dites et redites, pourquoi ne pas, aussi cyniquement que le font nos mentors nord-coréens, oublier tous ces millions de gens qui souffrent et qui meurent, pour nous intéresser un instant à ceux que nous avons croisés.

Par exemple à ce militaire accroupi sur une énorme pile de sacs de riz entassé dans un camion que nous avons doublé. Ha ! Songun ! [1] Quand tu nous tiens ! L’armée est privilégiée. Il faut défendre le pays. On peut supposer qu’elle est en grande partie nourrie. Les fonctionnaires n’ont pas l’air famélique. Il faut que le gouvernement soit fort… S’ils ne passent qu’après les militaires alors il semble qu’il y ait encore de beaux restes…

Ajoutons les épouses, les époux, les enfants et les grands parents et les autres privilégiés de tout acabit. Et on arrive à des chiffres qui ne sont plus seulement ceux d’un décor mais bel et bien ceux d’une économie, injuste certes, délabrée et défaillante, sûrement mais bien réelle. Un peu comme en Chine dans les années 60 quant au régime politique, mais avec des relents d’années 80 quand à l’éveil à un marché socialiste à caractère nord-coréen.

Certains signes sont prémonitoires. Comment ce demi-million de téléphones portables est-il sorti en moins de trois ans du néant ? 5800 abonnés fin 2008, 125 000 en 2010 et 535 000 aujourd’hui. Ne serait-ce pas là un indice qui pourrait nous mettre une puce (ou une carte SIM) à l’oreille. Et ces voitures que l’on comptait à peine à l’unité, dont le nombre a été multiplié dans le même temps par quelques centaines ?

Ces magasins achalandés où toutes sortes de produits importés, horriblement chers, sont pris d’assaut par une petite foule de nantis qui paient en devises sorties de petits portefeuilles plutôt bien remplis ?

Rien de tout ça ne tient dans un décor. Et le vernis craque…

Depuis quand ces gentes demoiselles policières ont elles troqué leur uniforme en sac de patates pour des tenues affriolantes à faire tourner la tête d’un apparatchik endurci ? Ces crèmes cosmétiques et ces petits carrés de soie sont-ils bien en adéquation avec un régime que l’on décrit volontiers comme inhumain ?

Et qui choisit ces petites agentes de la circulation sur des critères aussi évidemment sexistes ? Le ver serait-il dans le fruit ? Si les gens que nous avons rencontrés sont bien au cœur du régime alors le cœur du régime est en train de changer.

Le projet longtemps en faillite de Campenon Bernard, l’hôtel Yanggakdo n’est plus le squelette de béton décharné dont le spectre survolait la ville. C’est un hôtel bourré de chinois (également bourrés pour certains…), avec un casino, une allée de bowling (on ne l’a pas vue mais le prospectus de l’hôtel affirme qu’elle existe) et un salon de massage…

L’hôtel Ryugyong, aussi haut que notre Tour Eiffel, l’autre éléphant blanc de la folie des grandeurs du régime, ce projet colossal qui devait nanifier les efforts sud-coréens lors des jeux olympiques de 1988, colossal navire sidéral de forme pyramidale qui domine Pyongyang de ses 105 étages, est également, sous l’impulsion d’Orascom, en train de décoller.

Tous ces projets qui semblaient faire long feu, se mettent maintenant à détonner !

Ça branle dans le manche ! Ça bouge ! Restons prudent ! Nous crient les autorités françaises. D’accord : mais quand arrêterons-nous de nous gratter le nombril et de nous dandiner d’un pied sur l’autre, en nous demandant s’il serait temps de nous poser la question de savoir si nous devons peut-être y aller ! Le grand voisin chinois a déjà débarqué. Les russes et les anciens pays du bloc de l’Est entretiennent leurs vielles relations.

Il y a là-bas un train qui s’apprête à partir. On monte ou on reste sur le quai ?

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Lettre de Pyongyang par Bernard Delalande. LE MONDE DU SILENCE POUR COUCHE TOT.

Pas un bruit, presque pas de mouvements, pas de vélos, pas ou très peu de véhicules, pas de pollution mise a part une centrale électrique poussive, qui recrache des fumées grises, pas de voix fortes, pas de crachats dans la ville, PYONGYANG, se révèle un eldorado pour écologistes.

L’aéroport pourrait très bien accueillir un marché aux légumes, il en a l’aspect, et les passagers de notre vol doivent en être de grosses pour ce pays. Notre délégation, renforcée un peu plus tard de deux membres éminents, se composait au total de 10 personnes.

Des baroudeurs, des mercenaires, des aventuriers, des gens de terrain, connaissant l’Asie « d’avant », et vivant l’Asie du moment. En un mot, Les meilleurs.

Les 25 kilomètres nous séparant de notre hôtel, se font dans un bus chinois, avec 3 accompagnateurs multilingues, sympathiques.

Le paysage défile, des rizières, des maisons grises et blanches, des piétons, des chèvres. Nous comprendrons en arrivant à l’hôtel, que le cheptel déclinant depuis 25 ans dans le pays, nous allons être les premiers tondus, comme certainement tous les « touristes » de passage. Tout va nous coûter. Et pour garantir la bonne fin de notre voyage, nos passeports sont gardés pour contrôles. Jusqu’à notre départ. Ce n’est pas de la méfiance, mais juste un brin d’intimidation.

Les rues sont larges, bien entretenues, vertes, avec des ginkgos d’automne jaunissants, des érables, des saules pleureurs, et des peupliers. Des passages souterrains aussi, et à tous les carrefours, des « fliquettes » en bleu, chaussures noires, chaussettes blanches, bâton de circulation a la main, et un sourire pour nous, occupées à régler une circulation à peine plus dense que celle d’un croisement en plein désert.

La première nuit, sonorisée par des marteaux piqueurs et une armée d’hommes aux burins et aux marteaux, fut fraiche. Elle fut précédée de notre premier dîner local, dans un restaurant à la façade neutre, mais avec une ambiance intérieure fort sympathique. Excellente nourriture, grillades locales, kimshi, surnom dont un des membres de la délégation fut aussitôt affublé, mélange de bières locales avec des breuvages importés. Le tout ressemblait assez à l’ambiance des années 80 en Chine.

Le lendemain matin nous avons eu droit au petit déjeuner, avec des serveurs un peu psychorigides, des œufs au plat, du pain grillé, et du café à un euro, le tout accompagné d’un buffet offrant un assortiment de plats locaux, où le kimchi tenait une place de choix.

Sans portables ou téléphones mobiles, sans liaisons avec l’extérieur, mais avec la compagnie de bons livres, le séjour dans ce pays peut être régénérant. Nous avons tout de même fêté notre victoire en demi-finale de la coupe du monde de rugby, grâce à la BBC, diffusée dans nos chambres.

Nos accompagnateurs étaient installés dans notre hôtel, à nos frais, ce qui est pratique, pour le contact, mais constitue un handicap certain à la liberté de se déplacer.

Malheureusement pour eux, la France, et le Français en particulier, sont rebelles. Après un ordre d’aller tout droit, nous tournions systématiquement à droite ou à gauche. Décidant, parfois sans préavis, de bouleverser les plans du voyage.

Nos amis, ont fini par accepter ces petites indocilités, ou à tout le moins à les adapter à leur programme de visite. Au prix cependant de nombreux échanges téléphoniques avec des interlocuteurs officiels, restés dans l’ombre.

Le mobile phone semble être la découverte majeure de nos amis. Installé par une société égyptienne, pour seulement 400 000 personnes à ce jour, il couvre la ville et la campagne, au moins sur les axes principaux contrôlés. Pour l’heure il n’est pas encore possible de commander directement une pizza au restaurant italien local, mais ce jour viendra peut-être !

Visite aux collines du nord-ouest à 150 km de la ville. Elles ressemblent à s’y méprendre aux collines de l’ouest de Beijing, avec la même végétation, mais beaucoup moins de monde. Tout est payant, propre, calme, peu d’oiseaux, mais des écureuils.

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Sur la route, le long de rivières peu affectées par la pollution, des orpailleurs. La Corée du nord semble être très riche de ce métal. Des campagnes entretenues, des récoltes de riz en cours, des contrôles policiers à tous les embranchements pour les routes transversales, peu de voitures, quelques vélos, qui, dans la ville même, sont interdits.

De la ville ancienne de Pyongyang, il ne reste rien sauf la « porte de la cloche ». Détruite par les guerres ou par l’urbanisme doctrinaire local, tout porte l’empreinte du JUCHE, cette idéologie fermée et obtuse de l’autosuffisance renfrognée. Le Grand Leader, le père de tous les enfants coréens est omniprésent.

Avec ses collines, ses larges avenues, ses fleuves, le cadre est plutôt agréable. Un défaut d’ambiance, une certaine apathie empruntée, et, surtout, le regard de la population, qui n’a pas un air très joyeux jettent cependant un voile sur ce paysage.

Les hommes sont ternes, regards fixes, allure rigide ; les femmes sont un peu plus souriantes, les enfants très discrets. Nous sentons les tensions sociales, et la dureté de la vie. La marche est le sport obligatoire de la ville. Deux lignes de métro, des tramways pleins mais sans « désirs », des bus. Pas de poubelles, car il n’y a rien à jeter. Pas de bancs pour s’asseoir non plus, car il doit être interdit de ne pas marcher.

Il n’y a pas de vélos, mais pas non plus de brouettes. Les Chinois ont du déposer un brevet pour leur interdire d’utiliser la roue. Il va falloir se renseigner auprès de l’INPI [2] pour savoir ! Tout se fait au brancard, ou à la main. La construction de bâtiments relève de méthodes ancestrales locales, non apprises à l’école de Bouygues.

L’initiation continue. Nous allons ce jour nous recueillir devant le Grand Leader. Douche obligatoire, cheveux propres, cravate, du respect, du sérieux, ce qui ne sera pas facile à tenir pour notre délégation, du fait de la dissipation de quelques uns.

Il nous a fallu transformer nos larmes de rires, en pleurs adaptés à la solennité ampoulée du lieu. Ce n’est pas Lourdes, ni Pampelune, mais froid, austère, grandiose.

Même le Pentagone ne doit pas avoir ce genre d’appareils de contrôle. Nous sommes disséqués par des scanners, analysés par des chromatographes, espionnés par des cameras, fouillés comme des voyous dans le métro.

Après des kilomètres de tapis roulants ou d’escalators, nous voici dans la première salle. Une énorme statue blanche du grand leader, derrière une image digne de « soleil vert », un film mythique des années 70.

Ensuite, passage dans un karcher à air très pulsé, pour retirer tous les derniers miasmes de notre corps, et entrée dans LE LIEU. Ayant, la veille, écrasé le Pays de Galles au rugby, la délégation n’arrive pas à déterminer si la poupée face à nous est de cire ou de son, la France du Rugby est là, victorieuse, mais tout de même impressionnée.

L’épreuve est terminée, le miracle n’a pas eu lieu, mais nos accompagnateurs sont contents, le rite est préservé.

Retour bucolique par la ville, visite de musées, de palais, de lieux historiques, foulés à une époque par le grand leader, et rencontre dans le hall de l’hôtel avec notre représentant diplomatique dans ce pays du silence. Fort sympathique, sans budget, ce qui a alourdi la note de nos différents repas, nous découvrons ce personnage, qui devra faire preuve d’une grande richesse intérieure, ou entrecouper son séjour par de nombreux voyages a Beijing, pour tenir le choc.

Nous passerons une soirée très agréable, devant l’orchestre symphonique de Corée du nord, brillant et entraînant. Carmen, interprétée de manière énergique a fait réagir tous les membres de notre délégation. Un bon moment pour les privilégiés que nous sommes.

Nous approchons du but de notre mission, à savoir la 7e foire internationale de Pyongyang. En fait elle avait l’allure d’une foire locale digne de la province du Guizhou en 1985. La tâche sera rude pour la rendre plus « internationale ».

Plusieurs rendez-vous professionnels tout de même, mais pas de documents précis sur les lois, ou l’organisation économique du pays. Peut-être que, pour le moment, il n’existe ni économie ni organisation.

La rencontre avec le président de la chambre de commerce locale nous a semblé pragmatique et franche. Il n’a pas manqué de nous dire que les dernières 25 années avaient été catastrophiques pour la Corée du nord, mais que, depuis 5 ans le régime recherchait les voies de l’ouverture. Un appel à l’aide, dans tous les domaines, y compris dans celui des semences agricoles.

Pour le reste nous n’avons évidemment rien vu. On ne nous a rien demandé non plus, à condition que nos sorties de l’hôtel soient cantonnées au pâté de maisons qui l’entourait. Après la grande rue principale, plus d’éclairage urbain. Les sorties et les entrées de la ville sont contrôlées deux fois. Tout contact avec des ONG locales ou internationales nous a été refusé. Quant au programme nucléaire, ou aux équipements d’enrichissement d’uranium, ils étaient aussi éloignés de nous que la nébuleuse d’Andromède.

Note(s) :

[1Songun : Nom de la politique nationale adoptée après la mort de Kim Il Sung, qui place l’armée en tête de toutes les priorités.

[2Institut National de Propriété Industrielle

 

 

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