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›› Technologies - Energie

L’extraordinaire défi du nucléaire en Chine

Un après la catastrophe de Fukushima, la Chine, qui avait un temps donné l’impression d’hésiter, au moins sur le rythme de construction de nouveaux réacteurs, est sur le point de relancer de plus belle son programme nucléaire civil. C’est en tous cas ce qu’ont indiqué une série d’articles de la presse officielle en février et mars, suivis de plusieurs déclarations des responsables nucléaires, en fonction ou à la retraite, en marge des réunions de l’ANP et de la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois (CCPPC).

La situation traduit en filigrane un bras de fer entre une partie du gouvernement et des chercheurs, préoccupés de la sûreté, et les lobbies de l’industrie nucléaire, depuis quelques années déjà placée sur la trajectoire du principal pourvoyeur « d’énergie propre » en remplacement des énergies fossiles. Dans l’état actuel des rapports de force et des prébendes liées à l’oligarchie, le poids des intérêts sonnants et trébuchants constitue un argument irrésistible en faveur d’un rétablissement sans délais du rythme rapide de construction des nouveaux réacteurs.

Enfin, les perspectives de croissance accélérée du marché chinois ont déclenché une vive compétition entre les grands industriels nucléaires de la planète. Parmi eux, l’Américain Westinghouse, le Canadien Candu, les Russes d’Atomstroyexport, et les Français AREVA et EDF. Ces derniers semblent s’être engagés dans une surenchère non dénuée de risques pour affirmer leur suprématie dans la coopération nucléaire civile avec la Chine, où la France est activement présente depuis 1982, date du premier accord de coopération nucléaire franco-chinois.

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La sûreté au centre des discours. Le poids des lobbies.

La classe politique ayant pris conscience que l’engagement dans le nucléaire civil doit désormais être exemplaire dans la maîtrise des risques d’accident, en Chine tous les articles et prises de position renvoient ostensiblement aux efforts consentis depuis un an par le pouvoir pour rehausser la sûreté des centrales et harmoniser les règles et procédures de surveillance, d’estimation et de préventions des risques, ainsi que les protocoles de réaction aux catastrophes.

A quoi s’ajoutent les efforts de R&D et la coopération avec l’étranger pour acquérir de nouvelles technologies plus sûres et les « siniser ».

Remise à plat après Fukushima

Il y a un an, après la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011, le Premier Ministre avait ordonné la suspension du programme de construction de centrales nucléaires et imposé une évaluation de sécurité des 14 réacteurs en service.

Selon Wang Yuqing, ancien directeur de l’Agence de Sécurité Nucléaire (ASN) qui, le 8 mars dernier, parlait en marge de la CCPPC, les travaux sur les 10 centrales nucléaires approuvées, dont la construction avait été arrêtée en 2011, allaient reprendre bientôt. La décision ferait suite à l’approbation par le Conseil des Affaires d’état d’un plan national de sûreté nucléaire, en gestation depuis un an.

Simultanément on apprenait que la Commission Nationale pour l’Energie (CNE) avait lancé 13 projets de recherche pour améliorer les mécanismes de réaction d’urgence en cas de désastre nucléaire. Ces derniers, conduits sous l’égide de l’Université Qinghua, par la China National Nuclear Corporation (CNNC), la China Guangdong Nuclear Power Holding Corporation et l’Institut pour les Nouvelles Technologies et les Technologies Nucléaires, devraient être menés à terme en 2013.

Enfin, le 10 mars, lors d’un séminaire sur l’accident de Fukushima réunissant des experts Chinois, Taïwanais, Français et Américains, organisé à la City University de Hong Kong, Ren Junsheng, expert en sûreté nucléaire au ministère de l’environnement chinois, faisant le point des contrôles effectués par la Chine pour le choix des sites, la résistance aux secousses sismiques et aux inondations, ainsi que des capacités de réactions d’urgence aux catastrophes.

L’élan nucléaire n’a pas faibli

Mais sa conclusion trahissait le retour en force des préoccupations industrielles ainsi que les choix, pour l’heure irréversibles, de la Direction chinoise. Elle soulignait en effet que « le nucléaire, énergie propre, restait important pour la stratégie industrielle de la Chine ». Il ajoutait que « l’industrie nucléaire chinois serait en mesure d’atteindre une capacité installée de 40 millions de kilowatts en 2015 et de 70 millions en 2020 ».

La capacité actuelle de la Chine étant de 11 millions de kilowatts avec 14 réacteurs en service, l’objectif fixé par Ren Junsheng d’atteindre une capacité de 70 millions de kilowatts en 2020, supposerait la mise en service de 40 à 50 réacteurs en 8 ans. A l’horizon 2050, la capacité installée envisagée est de 400 millions de kilowatts ce qui exigerait la construction de 150 réacteurs (rappelons que la capacité de la France est de 63 millions de kilowatts, celle des Etats-Unis de 100 millions de kilowatts).

Dans les premières phases les objectifs définis par le « Plan à long terme pour le développement de l’énergie nucléaire », rendu public le 22 mars 2006, est de porter la part du nucléaire dans la production d’électricité (aujourd’hui moins de 2%) à 6% en 2020 et à 16% en 2030.

La filière chinoise explose. Un marché incontournable et risqué.

Les défis liés à une planification de cette ampleur, qui constitue par ailleurs une force d’attraction irrépressible pour toutes les industries nucléaires de la planète en concurrence sur le marché chinois (France, Canada, Russie, Etats-Unis), sont considérables.

Ils se posent dans un contexte général où l’accident de Fukushima a ébranlé les convictions des filières nucléaires dans le monde, dont l’image est de plus en plus porteuse de risques majeurs, tandis que la concurrence des intérêts corporatistes de la planète suscite de très dangereuses surenchères, où l’attrait de vastes profits risque de faire passer les considérations de sûreté à l’arrière plan.

En Chine, s’efforçant de consolider leurs lucratives positions de pouvoir, les lobbies nucléaires dont les chefs de file, liés au Parti Communiste Chinois, sont la CNNC et la China Guangdong Nuclear Power Corporation (CGNPC), recherchent activement l’indépendance des savoir-faire et des technologies par le truchement de captations au travers des coopérations avec les grands du nucléaire mondial, dont les Français AREVA et EDF.

Les mêmes intérêts corporatistes chinois, confondus avec les priorités nationales, visent aussi à augmenter leur part du marché mondial, en concurrence directe avec ceux des lobbies internationaux qui leur transfèrent la technologie dans l’espoir de conforter leur part de marché en Chine.

C’est dans ce contexte général, où s’affrontent les logiques industrielles et commerciales, forcément contraintes par les nouveaux défis de sûreté, que s’inscrivent les initiatives franco-chinoises pour développer une coopération visant à construire à moindre coût des réacteurs de 3e génération en Chine et à les exporter conjointement sur le marché mondial. Pour l’industrie nucléaire française cette coopération constitue aussi un gage du maintien à flot de la filière et de la préservation de sa maîtrise technologique.

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L’industrie nucléaire française captive de la Chine. Opportunités et risques.

La logique industrielle, technologique et commerciale de la coopération franco-chinoise est implacable. Alors que le marché des centrales nucléaires est fortement menacé en Europe et dans les pays occidentaux, où la pression des mouvements anti-nucléaires obligera à réduire le parc des centrales et qu’en France une seule centrale est en construction, dans un contexte politique où le maintien de la filière à ce niveau est incertain, la Chine, dont le marché est en expansion et dont les besoins en technologies modernes sont considérables, est un partenaire incontournable.

La coopération avec Pékin en matière de sûreté est par ailleurs d’une importance stratégique capitale, dans un contexte où un accident en Chine risquerait de sonner le glas définitif de la filière placée sous la pression politiquement irrésistible des anti-nucléaires.

C’est en tous cas l’avis de l’actuel administrateur du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), Bernard Bigot, rapporté par le Wall Street Journal et repris par le numéro de Courrier International du 19 au 25 janvier 2012 : « Si les investissements de la Chine en matière d’énergie nucléaire sont un échec, d’un point de vue industriel et en matière de sécurité, la France devra changer de stratégie ».

Les investissements français dans la filière nucléaire en Chine sont substantiels. Aux 250 Mds d’€, engagés depuis 40 ans, s’ajoutent aujourd’hui les efforts pour préparer l’avenir, avec l’inauguration, à l’automne 2011, dans la province de Canton, d’un Institut Franco Chinois de l’énergie nucléaire, financé à 50% par la France. Les ingénieurs chinois qui y sont formés seront titulaires d’un master en génie atomique et fourniront – espère Paris – le vivier des interlocuteurs privilégiés de la coopération nucléaire franco-chinoise du futur.

Simultanément, se développait sur le marché chinois, une concurrence dangereuse entre EDF et AREVA. Alors que le groupe nucléaire français construit aujourd’hui 2 réacteurs EPR à Taishan, livrables en 2013 et 2014, au prix de 8 milliards d’€, EDF a, de son côté, conclu un accord avec CGNPC pour construire un réacteur plus petit et moins cher, de surcroît exportable sur le marché international. AREVA fait, pour sa part, la promotion auprès des Chinois d’un petit réacteur de 3e génération à eau pressurisée d’une puissance de 1000 mW, baptisé ATMEA-1, construit en coopération avec le Japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI).

La conjonction, d’une part des efforts de coopération pour la formation des ingénieurs chinois dans les domaines de la sûreté et des technologies modernes, et d’autre part de la concurrence fratricide entre AREVA et EDF, face à un partenaire chinois avide de s’approprier les nouvelles technologies du nucléaire, non seulement pour son propre parc, mais aussi à des fins d’exportation sur le marché mondial, crée un risque important de captation par l’industrie nucléaire chinoise des technologies, qui sont au cœur des savoir faire français et de leurs avantages à l’export.

Telles sont les données enchevêtrées et complexes de la filière nucléaire française, à la fois fragilisée par les craintes de plus en plus médiatisées sur la sûreté des centrales, et irrésistiblement liée au développement massif du nucléaire en Chine, dont le développement rapide, favorisé par une longue coopération avec la France, ouvre d’importantes perspectives commerciales et industrielles.

En même temps, l’ampleur des progrès chinois risque de faciliter la création d’un concurrent redoutable, capable de maîtriser les technologies assimilées grâce à la collaboration obligée des industriels français.

Ces risques seraient encore exacerbés si les concurrences franco-françaises entre AREVA et EDF, qui poussent à la surenchère dans les transferts, n’étaient pas réglées. Le tout restant placé sous la menace d’un accident nucléaire que certains spécialistes chinois jugent probable, compte tenu du développement trop rapide du programme, du déficit en ressources humaines qualifiées et du retard technologique.

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Notes de contexte.

Réacteurs chinois.

A la fin 2011 la Chine avait 14 réacteurs en fonctionnement, répartis sur 4 sites, tous situés sur la côte Est. 28 étaient en construction et plus de 70 en projet.

Les principaux types de réacteurs en opération ou en construction sont :

1. Les CPR-1000 (dérivés des techniques françaises des années 90) dont 17 sont en construction dans le sud de la Chine et dont la majorité des composants sont fabriqués en Chine sous licence AREVA ;

2. L’AP 1000 est fabriqué par Westinghouse. Il est au cœur de la stratégie de 3e génération chinoise, assortie d’un accord de transfert de technologies. 2 réacteurs sont en construction dans le sud de la Chine et 8 autres en projet.

3. L’EPR d’AREVA est un autre réacteur de 3e génération, concurrent de l’AP 1000, dont 2 unités sont en construction à Taishan et 2 autres en projet.

4. Le CAP1400 est une version plus puissante de l’AP 1000 en développement par une coopération entre Westinghouse et la Société Nationale des technologies nucléaires civiles. Un accord serait à l’étude avec Westinghouse pour en autoriser l’export. La construction d’une unité en Chine devrait débuter en 2013.

5. L’ACPR -1000 est développé à partir du CPR 1000 que la CGNPC a entrepris de convertir en réacteur de 3e génération. Ce modèle est également prévu à l’export à partir de 2013.

6. Le VVER – 1000 est d’origine russe. 2 unités équipant le site de Tianwan, sont dotées d’équipements de sûreté par Siemens-AREVA. 2 autres unités sont prévues du le même site.

7. Le CANDU (CANada Deuterium Uranium) fabriqué par le Canada avec 2 unités en fonctionnement à Qinshan dans le Zhejiang.

A côté de ces modèles, la Chine développe également toute une série de dérivés, de moyenne ou faible puissance, destinés à l’export, comme les CNP 300, CNP 600, CNP 1000, sinisés à partir des technologies françaises, qui ciblent des marchés comme l’Afrique du Sud, le Pakistan, ou les pays de l’ancienne Europe de l’Est.

Sûreté nucléaire.

En Chine la catastrophe de Fukushima a provoqué des réactions de protestation contre le programme nucléaire, son ampleur et la vitesse de son développement.

En juin 2011, He Zuoxiu, un spécialiste de physique nucléaire de l’Académie des Sciences Sociales expliquait dans un article de la revue chinoise Sciences Times 科学时报 Kexue Shibao, que la Chine n’avait pas les ressources humaines ni les technologies pour faire face à une aussi forte accélération de son programme nucléaire, indiquant que l’ensemble de l’entreprise nucléaire civile ressemblait au « Grand Bond en avant ».

Wu Libo de l’Université de Fudan Shanghai était sur la même ligne, tandis que d’autres soulignaient que la sûreté des centrales serait menacée par des considérations de profit, qui s’opposent, par exemple, au relèvement des critères de résistance aux séismes entraînant des hausses de coût trop importantes et réduisant les profits.

Dans le même temps, un télégramme de l’ambassade des Etats-Unis révélé par Wikileaks soulignait que les réacteurs ACPR reposaient sur des technologies dépassées, dont les Chinois reconnaissaient eux-mêmes qu’elles étaient moins sûres. « En faisant l’impasse sur la technologie de l’AP 1000 équipé de mesures de sûreté passives d’arrêt automatiques des réacteurs en cas d’incident technique, la Chine augmente considérablement les risques cumulés de son parc de réacteurs ».

Enfin, nombre d’analyses soulignent qu’en Chine – comme d’ailleurs dans de nombreux autres pays - , la plupart des réacteurs sont situés près de grosses agglomérations dont les résidents seraient exposés à d’importants risques d’irradiation en cas d’accident nucléaire. Par exemple la centrale de Lingao au nord de Hong Kong est au centre d’un cercle de 75 km de rayon où résident 28 millions de personnes. Ces réalités ont alerté les populations chinoises après l’accident de Fukushima.

En juin 2011, la ville de Wangjiang (650 000 habitants), au sud de l’Anhui, dans la vallée du Fleuve Bleu, à 500 km à l’ouest de Shanghai, envoyait une lettre de protestation au gouvernement local qui la fit suivre à la Commission Nationale de l’énergie à Pékin. La lettre s’opposait au projet de centrale nucléaire de Pengze, située à 30 km en amont, sur la rive opposée du fleuve dans la province du Jiangxi. Début février, l’Assemblée provinciale de l’Anhui votait une motion rejetant le projet.

 

 

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