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›› Politique intérieure

L’après Bo Xilai. Protéger le Parti et préparer l’avenir. Un Français dans la tourmente

He Guoqiang, à droite, serre la main à Hun Sen, 1er ministre du Cambodge.
Lors de son séjour à Phnom-Penh, le n°8 du Comité Permanent du BP, qui, normalement voyage peu à l’étranger, a offert un prêt de 450 millions de $ au gouvernement khmer.

Le 18 juin dernier, au cours d’une réunion du Parti à Chongqing, Zhang Dejiang, qui a remplacé BO Xilai au poste de SG de la grande municipalité autonome de plus de 30 millions d’âmes de l’Ouest de la Chine, faisait une déclaration assez brutale à l’égard de son prédécesseur, reprise par le site du Quotidien du Peuple.

Il soulignait que « le développement de la ville et le travail de son comité politique étaient entachés de graves déficiences. Ces dernières – continuait Zhang – sont apparues au travers l’incident de Wang Lijun, de la mort de Neil Heywood et des sérieux manquements disciplinaires du camarade Bo Xilai qui ont gravement affecté l’image du Parti et de la Chine. »

Il faut s’imaginer ce que représente pour le Parti cette reconnaissance publique par un des plus sérieux candidats au Comité Permanent, dans un contexte où règne d’ordinaire la plus épaisse opacité. Jeter en pâture à l’opinion un aussi grave dysfonctionnement des plus hautes strates du régime constitue à la fois une sérieuse remise en question des habitudes de secret et, assurément, le point de départ d’une campagne d’assainissement d’envergure nationale. Simultanément, le Régime a donné quelques signes d’une évolution positive de ses relations avec la société civile.

Ce qui n’exclut pas que, parallèlement, et pour protéger la réputation du système - preuve supplémentaire de la nature protéiforme, changeante et pragmatique des stratégies chinoises - se perpétuent les vieilles pratiques clandestines et manipulatrices visant à toujours présenter le Parti sous son meilleur jour, si nécessaire au prix de sérieux accommodements avec la morale et la justice.

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Protéger le Parti. Désigner des boucs émissaires.

A l’heure où la machine politique du Parti a entrepris de sélectionner les futurs dirigeants du pays, tandis que surgissent d’importants questionnements internes sur le schéma de développement et l’ouverture politique du régime, sa transparence et sa rectitude morale, l’affaire Bo Xilai, qui traîne derrière elle de forts relents de cynisme, de népotisme et de corruption, véhiculés par l’histoire trouble à Dalian et à Chongqing d’un homme pour qui la fin justifiait les moyens, constitue désormais un repoussoir sulfureux.

Le sujet est d’autant plus sensible que - Zhang Dejiang l’a signalé lui-même - les réalisations de Bo Xilai à Chongqing, reconnues par Sun Liping professeur à Qinghua et proche de Xi Jinping (croissance de 16%, construction de 800 000 logements sociaux, amélioration de l’environnement et du système de santé, financement des projets sociaux par les entreprises publiques), lui confèrent, en dépit de ses dérapages disciplinaires et éthiques , une popularité pour le moins inopportune et embarrassante.

Dans ce contexte et en amont du Congrès, les priorités les plus pressantes du Parti sont de préserver à tout prix la cohésion du système politique ; elles sont aussi d’ajuster le processus de sélection des élites pour éviter de placer de nouveaux trublions machiavéliques et opportunistes sur la trajectoire du pouvoir suprême.

Si les déclarations de contrition de Zhang constituent une concession à la transparence, la Commission Centrale de Discipline, véritable justice parallèle totalement impénétrable, a commencé à déployer une stratégie d’évitement en stigmatisant d’abord l’épouse de Bo Xilai, dont l’ancien Secrétaire Général de Chongqing s’est lui-même désolidarisé, en soulignant qu’il était en instance de divorce. Ce qui tombe à point nommé, puisque, selon le journal japonais Asahi Shimbun, Gu Kailai aurait avoué le meurtre de Neil Heywood à l’automne 2011.

L’intérêt que Pékin manifeste pour l’affaire Bo s’est également exprimé par le piège tendu à Phnom-Penh à Patrick Devillers, architecte français proche du couple dans les années Dalian et, selon Reuter, probable amant de Gu Kailai avant 2007, arrêté sans avoir été informé de ses torts et dans des conditions légales incertaines, avec la complicité du régime cambodgien. Hypnotisé par les largesses du régime chinois, mais ne disposant d’aucun motif d’inculpation sérieux, le gouvernement de Phnom-Penh a en effet traqué le Français en faisant intervenir des agents de la sécurité pour le compte d’une société immobilière.

P.Devillers pourrait être accusé d’avoir participé à des transferts illégaux de capitaux au profit de Gu Kalai. Encore faudra t-il que le Parti Communiste Chinois en fournisse les preuves.

La force de la secousse ressentie par l’appareil et l’importance qu’il y attache sont encore attestées par la présence dans la capitale cambodgienne, le jour même de « l’enlèvement » du Français, de He Guoqiang (sur la photo, à droite), président de la Commission Centrale de Discipline du Parti, venu à Phnom-Penh, les bras chargés de cadeaux sous forme d’investissements et de prêts à faible taux, en échange de quoi Pékin exige l’extradition vers la Chine de Patrick Devillers.

Alors que la menace qui pèse sur le Français adresse une mise en garde aux étrangers tentés de prêter leur concours à l’évasion de capitaux, sur fond de règlements de comptes en amont du Congrès, il n’est pas inutile de rappeler que He Guoqiang est l’un des prédécesseurs de Bo Xilai à Chongqing. Ce dernier qui avait été agacé par la tourmente policière hautement médiatisée déclenchée contre la mafia dans un fief dont il avait lui-même eu la charge, figure parmi les plus féroces ennemis du « fils de prince » déchu.

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Sélectionner les élites.

Après le contrôle de l’information et le remodelage de l’histoire destinés à protéger le Régime, reste le travail à long terme du recrutement des élites et de leur formation, visant à se prémunir contre les écarts de conduite, ou pire encore les dangereuses chevauchées solitaires d’un opportuniste ambitieux. Les sélections en amont du Congrès témoignent de cette préoccupation. Un soin et une transparence publique inhabituels ont en effet marqué le choix des délégués du Congrès, qui désigneront les futurs dirigeants.

Dans une ambiance de propagande politique anti Bo Xilai, accompagnée par le démantèlement de ses réseaux d’allégeance dans la police et l’armée, le Parti a, dans un article du Quotidien de Chongqing, insisté sur les qualités de comportement, la discrétion et la « normalité » des candidats. La presse officielle a aussi incité les cadres à jouer « le jeu de la démocratie » et de la transparence pour s’assurer que les qualités des candidats correspondent bien aux exigences du poste auquel ils postulent.

La nouvelle tendance publique et ouverte du processus de sélection, complètement à rebours des vieilles habitudes de secret, semble tirer la leçon des erreurs passées. Elle est aussi une indication que, là où ils le peuvent, les adeptes de la mouvance réformatrice, sans prôner la démocratie à l’occidentale, ont au moins les mains libres pour tenter d’instaurer des procédures moins fermées et moins opaques que celles du passé, uniquement dominées par la lutte des clans et les rivalités de pouvoir.

Le régime se préoccupe aussi de la formation des futurs cadres à long terme, si possible à l’étranger et de préférence aux Etats-Unis, à la fois modèle envié de développement, partenaire économique inconfortable, souvent intrus indésirable et, au pire, possible, sinon probable, ennemi stratégique. A côté de la forte proportion des enfants de la nomenklatura fréquentant les universités américaines, on compte aussi une longue collection de dirigeants, qu’ils soient déjà arrivés dans les hautes sphères, ou seulement placés sur la trajectoire du pouvoir.

Il y a un peu plus de 10 ans, le Parti a en effet lancé un programme ambitieux de formation de ses cadres triés sur le volet, destiné à donner aux futurs dirigeants l’expertise nécessaire au maniement des situations internationales de plus en plus complexes qui sont autant de défis posés à la politique autocratique du pouvoir chinois. Rares sont les pays qui ont consenti de tels efforts.

4000 cadres du PCC ont en effet été envoyés à Harvard, Stanford, Oxford, Cambridge, Tokyo, à l’IEP Paris, à l’ENA, ou suivent des cours dans les écoles d’ingénieurs ou de commerce, quand ce n’est pas à l’antenne de Pékin de l’Ecole Centrale française qui forme 100 ingénieurs par an, après un cursus de 6 ans, en Français, Chinois et Anglais.

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Espoirs d’une évolution politique

Il est vrai que le contrôle des dégâts collatéraux de l’affaire Bo Xilai et les efforts de sélection des cadres laissent en suspens les grandes questions politiques que sont l’indépendance de la justice, le contrôle des politiques publiques par les assemblées, conditions de l’adaptation du schéma de développement, handicapé par une faible rentabilité du capital, et un outil industriel gaspilleur et redondant. Il est également vrai qu’aucun débat public n’évoque la question de la séparation Parti – Etat – Armée qui reste confinée à des débats académiques ou dans les enceintes closes du Régime.

En revanche, le Parti a émis des signes d’ouverture positifs concernant la société civile, les droits civiques et le traitement réservé aux adeptes de la secte Falun Gong.

Le 7 mai dernier, Li Liguo, ministre des affaires civiles annonçait une nouvelle politique d’enregistrement des ONG qui les dispense de se mettre sous la coupe du Parti. Selon les médias officiels chinois la province de Canton expérimenterait ces nouvelles dispositions. Le 9 mai, confirmant la nouvelle philosophie, Wang Yang, Secrétaire Général en charge de l’expérience faisait un discours par lequel il suggérait que le Parti relâche son emprise sur la société.

« Il nous faut abandonner l’idée que le bonheur du peuple est une faveur que lui accorde le Parti… Le peuple a le droit de rechercher le bonheur par lui-même, et le rôle du gouvernement se limite à lui accorder la liberté d’explorer ses propres voies ». Une semaine plus tard le Quotidien du Peuple publiait un article d’une page sur les réformes politiques, insistant sur les droits civiques et politiques et l’obligation pour le Parti de restreindre son pouvoir.

Mais il y a plus, selon un journal de Hong Kong, des discussions seraient en cours dans les plus hautes strates du parti pour examiner la question des responsabilités de Tian An Men et celle des compensations aux familles des tués et disparus. Si cette information était avérée, elle constituerait une étape majeure de l’évolution politique de la Chine, en même temps qu’une attaque directe contre Jiang Zemin et son clan.

Enfin, plusieurs indices laissent supposer que la répression des adeptes de la secte de Falun Gong recule, tandis que le Qigong, longtemps mal vu, car trop proche de la pratique du Falun Gong, semble retrouver une nouvelle audience dans les milieux de la médecine officielle chinoise.

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BREVES

Pétition pour libérer un adepte du Falun Gong

Pour la deuxième fois en 2 mois plusieurs centaines de pétitionnaires se sont rassemblés dans le Hebei pour demander la libération de Zhang Xiangxing, un adepte du Falun Gong (FLG). Après Zhouguantun en avril, un autre rassemblement à eu lieu à Tangshan, le 29 mai dernier.

Zhang, qui pratique le FLG depuis 2003, a été arrêté le 25 février, puis transféré à l’hôpital psychiatrique de Ankang, où sa condition physique serait gravement détériorée. Sa famille a reçu une facture de 10000 RMB (1250 €) pour prix des drogues qui lui ont été injectées par l’hôpital.

En mars 2012, des avocats impliqués dans la défense d’adeptes de Falun Gong dans la province de Heilongjiang ont estimé que la répression de FLG était moins dure. Simultanément des internautes chinois signalaient que les sites FLG avaient été rendus accessibles de même que ceux rendant compte des trafics d’organes de prisonniers de la secte.

Le ministère de la santé brise le tabou du Qigong.

Après 13 années de condamnation du Qigong par le Parti, qui l’assimilait à la pratique du Falun Gong, plusieurs journaux chinois viennent d’en faire l’éloge, signalant une évolution de la position officielle. Plusieurs médecins et personnels soignants ont récemment suivi une cession d’initiation à la pratique du Qigong de 9 jours, dont les bienfaits ont été publiés par le Bureau de la santé publique du Gansu.

Cette évolution n’aurait pas été possible sans l’approbation des plus hautes strates du régime. Selon le journal Epoch Times, une source à Pékin affirme qu’un consensus serait intervenu au sommet du pouvoir pour réhabiliter les persécutés du Falun Gong.

Gu Kailai avoue le meurtre de Neil Heywood.

Le journal Asahi Shimbun a révélé que Gu Kailai avait reconnu le meurtre de Neil Heywood. Il s’agissait de l’empêcher de rendre publics les détails de ses capitaux investis ou transférés à l’étranger, évalués à plusieurs milliards de $ par les enquêteurs et enregistrés au nom de parents ou d’amis en Europe et aux Etats-Unis.

Le rapport faisant état de la confession et révélé par le journal japonais a été établi par le Secrétariat du Comité Central. Ce dernier qui joue aussi le rôle de cabinet du Secrétaire Général du Parti, a procédé à l’interrogatoire de plusieurs douzaines de personnes proches de Bo à l’époque où il était maire de Dalian et SG de Chongqing, ainsi que de centaines de ses contacts professionnels, y compris des PDG d’entreprises publiques et privées.

L’investigation de la Commission Centrale de Discipline du Parti cherche maintenant à déterminer si Bo Xilai est impliqué dans le meurtre.

Selon des sources chinoises, la complicité de Bo Xilai avec sa femme est avérée. C’est lui qui aurait donné l’ordre à 4 membres de la sécurité publique - Gong An - 公安 - d’empoisonner Neil Heywood et d’installer un cordon de sécurité autour de l’hôtel où résidait le consultant anglais en froid avec Gu Kailai.

Quand Wang Lijun le Vice-maire de Chongqing, adjoint de longue date de Bo Xilai en charge de la sécurité l’a appris, après que 2 des complices de la Gong An impliqués aient été assassinés, il s’en est ouvert à Bo Xilai. Puis, voyant sa réaction il a pris peur. Le 6 février 2012, il est allé se réfugier au consulat américain de Chengdu, ce qui a déclenché toute l’affaire et provoqué la destitution de Bo Xilai, annoncée le 15 mars 2012.

Le 29 juin, Hor Namhong, le ministre des Affaires étrangères cambodgien annonçait que, dans l’attente d’éléments probants permettant sa mise en examen, à fournir par la Chine dans les deux mois, il n’ordonnerait pas l’extradition de P. Devillers vers la Chine.

Le Ministère français des Affaires étrangères a réclamé des éclaircissements et demandé que P Devillers ne soit pas extradé sans preuves. Au Quai d’Orsay on craint en effet que la partie chinoise, dont le système judiciaire est aux ordres du politique, ne procède pas selon les standards internationaux de protection des droits dont doivent bénéficier les témoins et les suspects.

Nouvelles immolations par le feu de Tibétains.

Deux hommes se sont immolés par le feu le 19 juin dernier dans le district de Yushu, dans l’Ouest de la province du Qinghai. L’un, un berger âgé de 24 ans, est décédé et l’autre, 22 ans, récemment venu du district de Abba dans le Sichuan est gravement blessé. Au moment de s’immoler, les deux hommes brandissaient des drapeaux du Tibet indépendant et hurlaient des slogans pour la liberté du plateau. Depuis 2009 plus de 30 personnes se sont immolés par le feu dans cette région.

Le mois dernier la vague d’immolations a atteint pour la première fois Lhassa quand deux hommes l’un âgé de 19 ans qui a péri dans les flammes et l’autre de 24 ans gravement brûlé se sont aspergés de pétrole et brûlés en face du monastère de Jokhang, le plus important du Tibet.

Bataille pour la succession de la mairie de Pékin.

Lors du Congrès municipal qui s’est ouvert le 21 juin, 2 candidats sont en lice pour le poste de Secrétaire Général de la mairie de Pékin, à la suite de Liu Qi. Le premier est Guo Jinlong (60 ans), l’actuel maire, n°2 de la ville proche de Hu Jintao, qui, s’il était élu, serait un candidat sérieux pour le Bureau Politique.

L’autre candidat serait Hu Chunhua 49 ans, actuel n°1 de la région autonome de Mongolie intérieure, également protégé de Hu Jintao (pas de lien familial entre les deux). Il a une expérience au Tibet où il a servi comme Secrétaire de la Ligue de la Jeunesse (2005 – 2006). Il également tenu le poste de gouverneur du Hebei (2008 – 2009) et de Secrétaire National de la Ligue de la Jeunesse (2007 – 2008).

 

 

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