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›› Editorial

Les repères brouillés du Parti

La crise qui frappe le système politique chinois n’est pas la première. Le Parti en a connu d’autres et les leviers qu’il actionne, en dehors de la pure répression, sont efficaces. Avec le patriotisme économique, les progrès sociaux, les hausses de salaires, les exploits de la conquête spatiale et le raidissement face à l’intrusion des Etats-Unis dans sa zone d’influence directe, le Bureau Politique dispose d’une longue palette d’atouts sur lesquels il peut faire vibrer les fibres civiques, patriotiques et culturelles et y appuyer sa légitimité.

Dans la sphère économique, et en dépit des signaux d’alerte, il est vrai alarmants, répétés par tous les médias de la planète, la machine de la croissance dispose encore de l’amortisseur de ses formidables réserves de change et des marges de développement, encore en partie inexplorées, du développement de l’Ouest où les salaires, même en hausse, sont encore trois fois inférieurs à ceux de la côte Est.

Pourtant, les risques qui montent avec les vagues de mécontentement propagées par Internet et les réseaux sociaux, dépassent de très loin les défis économiques.

Début juin, la foule manifeste à Shifang – 50 km au nord de Chengdu au Sichuan -, contre l’implantation d’une usine d’affinage de cuivre. Les deux banderoles appellent à la protection de l’environnement. « Résistons avec détermination, protégeons notre jardin » et « protégez l’environnement, rendez nous notre jardin ».

Ponctués par des dérapages éthiques des cadres locaux rabroués par la foule en colère agitée par le net et désavoués par le Centre, les incidents qui se multiplient signalent d’abord une disharmonie entre les strates supérieures du régime à Pékin et les responsables subalternes du Parti, confrontés aux contradictions d’un développement dont les critères dépassent aujourd’hui les simples statistiques manipulables, et exigent une plus grande sophistication sociale et écologique.

Ils mettent aussi en évidence un flottement à la tête du Parti, partagé entre la nécessité de réformer le schéma de croissance du pays et son système politique et la crainte qu’une évolution vers plus de libertés affaiblisse le Régime.

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Désarroi des cadres locaux. La puissance dérangeante d’Internet.

Il n’est pas certain que le Secrétaire Général de base d’une mairie locale soit politiquement bien armé pour faire face aux révoltes publiques contre des projets économiques, certes impopulaires et polluants, mais dont il pensait que l’implantation garantirait à la fois les revenus de son administration que Pékin n’assure pas ou très peu, et le plein emploi, condition de la stabilité sociale, dont on lui répète depuis des lustres qu’elle est la priorité cardinale du système politique.

D’autant que le réflexe de contrôle étroit de la société et de répression vient encore d’en haut, notamment quand, s’agissant du Tibet, du Xinjiang ou des dissidents qui font mine de remettre en cause le sacro-saint « rôle dirigeant du Parti », l’appareil répressif abat de manière indiscriminée et peu subtile sa lourde main sur la société chinoise. Ainsi, n’est-il pas étonnant que, pris entre autant d’objectifs contradictoires, assortis de signaux politiques flous et changeants en fonction des situations et parfois des provinces, les responsables locaux commettent des erreurs lourdes de conséquences.

Les incidents qui viennent de se produire au Sichuan, à la suite d’autres turbulences semblables dans plusieurs provinces, dans le Liaoning à Dalian, à Shanghai et à Canton, où les autorités ont été contraintes par la foule en colère et par l’effervescence du net de faire marche arrière, souvent à propos d’atteintes inacceptables à l’environnement, d’affaires de corruption ou de captations de terres par les cadres locaux, sont emblématiques de cette dichotomie inconfortable entre le Centre et la Province.

Le 2 juillet, Li Jincheng, SG du parti de Shifang – 50 km au nord de Chengdu - où devait s’implanter une usine d’affinage industriel de cuivre, annonçait que le projet, d’une valeur d’1 milliard de $, serait reporté sine-die, à la suite de violentes échauffourées entre la population et la police qui firent plusieurs blessés, dont les images ensanglantées firent le tour de la toile. Simultanément, le China Daily publiait pourtant un éditorial dénonçant « le manque de connaissances scientifiques des résidents de Shifang, qui, à cause de soucis écologiques excessifs, pourraient faire obstacle à des entreprises pourtant utiles au développement ».

En même temps, le Global Times stigmatisait l’absence de concertation entre la population et les autorités locales. Quelques jours plus tard, le SG de Shifang, qui avait pourtant obtenu au préalable le blanc seing de l’agence de l’environnement pour l’usine de cuivre, était démis de ses fonctions, tandis que le Parti commençait, comme il ne manque jamais de le faire, la recherche des meneurs protestataires, les incitant à se constituer prisonniers en échange d’une amnistie et les menaçant de sévères sanctions s’ils restaient dans l’ombre.

A ces symptômes dissonants, où les cadres locaux subalternes sont dénoncés par le Centre qui les sacrifie comme des boucs émissaires chaque fois que les images des révoltes passent la barrière de la censure, s’ajoutent aujourd’hui les indices de sérieuses hésitations et contradictions à la tête du système sur la manière de faire face à la contagion des révoltes, dont les images dérangeantes, prenant de court les censeurs, se répandent en un éclair sur la toile chinoise de plus en plus réactive, avec ses 513 millions d’abonnés.

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Hésitations au sommet. L’indiscrétion grandissante des médias.

A Pékin, l’oligarchie au pouvoir n’est pas non plus à la fête, secouée par les relents nauséabonds du scandale Bo Xilai et harcelée par la nouvelle obsession de transparence des médias qui, de plus en plus, dévoilent les connexions affairistes des hautes sphères du Parti, affaiblissant d’autant ses exhortations morales et ses appels récurrents à lutter contre la corruption. La dernière cible en date étant le futur Secrétaire Général lui-même, dont Bloomberg a, le 29 juin dernier, révélé la longue liste d’intérêts économiques et financiers dissimulés sous des prête-noms, dans l’immobilier, les terres rares et la téléphonie mobile.

Dans ce contexte incertain et fragile, que Hu Jintao lui-même - interpellé par un activiste de la Région Administrative Spéciale - a pu mesurer le 1er juillet, lors de l’anniversaire de la rétrocession à Hong Kong, comment affronter sans risques majeurs les accès de fureur des laissés pour compte ou de ceux qui, découvrant la puissance politique d’Internet, tiennent de plus en plus à participer à la gestion du pays ou à faire valoir leurs avis et leurs droits ?

Depuis l’épisode catastrophique de Tian An Men, le Parti considère avec crainte les conséquences néfastes d’une répression brutale et indiscriminée. Même s’il s’y résout parfois dans les cas extrêmes où il estime que l’unité du pays et la pérennité de son pouvoir sont en cause, il a depuis longtemps donné des consignes pour assouplir autant que possible les heurts avec la foule et éviter à tous prix les bains de sang.

A ces questionnements qui ne sont pas minces et renvoient indirectement à la question sensible de la loyauté au Parti, lui-même hésitant sur la route à suivre, le système apporte globalement deux séries de réponses débattues à l’Ecole Centrale du Parti, et dont les idées ne sont pas exclusives les unes des autres.

Au-delà du consensus contre la répression brutale et indiscriminée, elles proposent des solutions alternatives différentes. Les premières qui pourrait être qualifiées de « conservatrices », cherchent des boucs émissaires et désignent à la fois l’incompétence des cadres subalternes et les effets pervers de l’influence étrangère, militant pour un regain de la propagande idéologique et l’affirmation confiante des spécificités de la culture chinoise.

Autrement dit, pour ce groupe auquel se rattachent naturellement Li Changchun, maître de la propagande, ainsi que Hu Jintao et son successeur, Xi Jinping, qui tous deux ont récemment abordé ces thèmes controversés sous l’angle de la différence culturelle, l’éducation politique doit persuader les masses que, désormais, dans le chaos du Monde et les interrogations qui surgissent sur la pertinence de l’Occident et de son système, le Parti est en mesure d’offrir autre chose que le simple progrès économique et social.

L’autre sensibilité, plus « réformiste », défendue par Wang Yang, le Secrétaire Général de Canton, Wen Jiabao, Li Keqiang le premier ministre et son successeur, ainsi que Li Yuanchao, le très consensuel diplômé de la Kennedy School of Government de Harvard, actuel grand maître de l’organisation interne du Parti, prône l’amélioration du niveau des cadres pour les rendre plus capables d’anticipation et d’écoute, par la formation et le relèvement de leur niveau de recrutement et de sélection. L’écrémage des meilleurs, ajoute Li Yuanchao, ne pourra pas se passer plus longtemps d’une sélection démocratique des candidats par un processus électif ouvert et compétitif, seule manière, avec la lutte contre les abus et la corruption, d’améliorer la légitimité des membres du Parti.

Philosophiquement les deux tendances sont à l’exact opposé l’une de l’autre. La première procède de l’ancienne tendance à la glorification culturelle chinoise qui stigmatise l’étranger, avec, en arrière pensée, le rejet d’une ouverture politique à l’Occidentale, considérée comme dangereuse pour le magistère du Parti. La deuxième qui, elle aussi, ne prétend pas mettre en danger le Régime, prône cependant le progrès qualitatif par la compétition démocratique, la transparence, l’ouverture et le respect de l’état de droit.

Il serait cependant erroné de croire que ces mouvements s’arc-boutent l’un contre l’autre, sans aucune porosité entre eux. Mais, pour l’heure, c’est bien la tendance adoptée par Hu Jintao et Xi Jinping, plutôt xénophobe, antioccidentale et moins portée aux réformes politiques, qui domine. Les deux semblent avoir fait alliance pour imposer leur ligne au Parti et l’unité de pensée du système chinois en cette période troublée.

Le calicot brandi par les manifestants à Shifang, souhaitant à la fois l’expulsion de l’usine de cuivre et longue vie au Parti, pourrait les conduire à penser que leur marge de manœuvre est encore confortable.

 

 

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