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Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné

Le week-end du 28 juillet a peut-être marqué un nouveau tournant des relations dans le Détroit puisque, pour la première fois, et à la suite de Jia Qinglin, n°5 du Comité Permanent du Bureau Politique, et président de la Conférence Politique Consultative du Peuple Chinois (CPCPC), des chercheurs du Continent, sortant de l’ambiguïté, ont clairement posé les conditions et affirmé l’urgence d’un dialogue politique entre les deux rives.

La réaction de leurs homologues taïwanais, très en retrait, se réclamant de la démocratie et de la nécessité de tenir compte de la volonté populaire dans l’Ile, une contrainte que la République Populaire rejette absolument, montre à quel point les deux positions sont éloignées l’une de l’autre.

La passe d’armes révèle les limites du « consensus de 1992 » par lequel le KMT et le Parti Communiste chinois acceptent tous deux « l’existence d’une seule Chine », avec cependant des différences radicales et inconciliables dans la mise en œuvre du projet de réunification.

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Négociations politique et dialogue de sourds. La Chine presse Taïwan.

Les échanges qui avaient tout l’aspect d’un dialogue de sourds se sont déroulés en marge du huitième forum économique et culturel entre le KMT et le Parti Communiste Chinois, organisé le week-end du 28 juillet à Harbin. C’est Jia Qinglin qui a ouvert le feu en précisant la lecture bien connue que le Parti faisait du concept « d’une seule Chine », prenant soin, sans surprise, de nier l’approche taïwanaise, mais avec une précision qui tranchait avec l’habituelle prudence du Bureau des Affaires taïwanaises du Parti : « le Continent et Taïwan appartiennent au même pays ; il ne peut donc pas y avoir une relation d’Etat à Etat entre les deux rives ».

La charge a continué avec Yu Keli, directeur des affaires taïwanaises à l’Académie des Sciences Sociales qui prévenait que la Chine aurait des difficultés à accepter longtemps la politique des « Trois Non » de Ma Ying Jeou (non à l’indépendance, non à la réunification, non à l’usage de la force), inaugurée en 2008. Pour faire bonne mesure, ses collègues ajoutaient que la confiance dans la relation reposerait désormais sur la capacité du KMT et du Président Ma à préciser les contours de leur « politique d’une seule Chine ».

Pour sa part, Zhou Zhihuai, secrétaire général de l’Association Nationale pour les études taïwanaises, allait encore plus loin. Après avoir insisté sur l’importance du dialogue politique pour l’établissement de la paix dans le Détroit, il accusait le KMT de le différer pour des raisons électorales, rejetant même brutalement la nécessité d’un choix démocratique, révélant une conception très dirigiste et univoque de « la version correcte de l’histoire » : « si tout dépendait d’un vote public, il ne serait jamais possible de redresser les erreurs de l’histoire ».

Enfin, Li Yihu, Directeur de l’Institut des Etudes taïwanaises de l’Université de Pékin, accusait Taipei d’avoir toujours refusé de venir à la table des négociations et pressait lui aussi le KMT de réfléchir en interne à la contradiction existant entre, d’une part sa quête d’espace diplomatique et ses aspirations à une défense indépendante, et d’autre part, son acceptation de la politique d’une seule Chine.

Taïwan freine et rappelle l’exigence de démocratie.

A ces mises en demeure, qui lèvent quelques ambiguïtés, mais ne sont cependant pas une surprise, contrairement à ce que semble dire la presse taïwanaise, les chercheurs de l’Ile ont répondu en répétant les conditions posées par Taipei pour l’ouverture d’un dialogue politique qui sont l’exigence de souveraineté de Taïwan et la démocratisation de la Chine, d’autant plus inacceptables par Pékin que la première contredit sa vision des relations dans le Détroit et que la deuxième menace la pérennité du Parti.

Zhao Chun-shan, professeur à l’Institut des études chinoises de l’Université de Tamkang, répondant au déni de démocratie de Zhou Zhihuai et faisant allusion aux récents tumultes sociaux en Chine, présentait une réflexion sur l’illusion que les pouvoirs politiques, qu’ils soient chinois ou taïwanais, puissent commander indéfiniment à la société. Il concluait sa présentation en insistant sur le fait que seul le partage de valeurs politiques communes permettrait d’institutionnaliser la paix dans le Détroit.

Enfin, Qing Hui-zhu, conseiller municipal à Taipei invitait la partie chinoise à méditer le poids de l’opinion publique à Taïwan, qui, lors de la récente campagne présidentielle s’était immédiatement rebiffée contre Ma Ying Jeou, aussitôt qu’il avait évoqué l’éventualité d’un dialogue politique avec Pékin. Il ajoutait que ce dernier ne serait possible que si les deux rives du Détroit devenaient des « Nations démocratiques » et pouvaient négocier sur le même pied, précisant, non sans ironie, que Taïwan serait prêt à « attendre patiemment que la Chine trouve le chemin de la démocratie ».

Les pièges du « consensus de 1992 »

Tant que le concept politique d’une seule Chine, articulé autour du consensus de 1992 restait dans l’ambiguïté, il pouvait constituer un facteur d’apaisement, surtout après les crispations des huit années de la présidence Chen Shui-Bian, où l’idéal politique de l’indépendance de l’Ile était sans cesse agité sous les yeux du Parti Communiste Chinois.

Facilité par le « consensus », le soulagement apporté par l’élection de Ma Ying Jeou, non seulement à Pékin et Washington, mais également dans l’Ile, où la population attachée au statuquo craint les tumultes avec Pékin, a permis, à partir de 2008, les progrès les plus spectaculaires jamais enregistrés dans le Détroit entre la Chine et Taïwan (lire notre article « La difficile équation de Ma Ying Jeou »).

Malgré quelques controverses à Taïwan, sur l’accélération du processus et les accusations par l’opposition d’une mise à l’écart du Yuan législatif, les progrès enregistrés ont globalement satisfait l’opinion publique inquiète des crispations avec Pékin et les hommes d’affaires de l’Ile, qui tirent profit de la signature de l’Accord Cadre et du renforcement des mécanismes de coopération économique entre les deux rives.

Mais la déclaration de Jia constitue un durcissement de l’attitude du Parti par rapport aux déclarations d’il y a seulement 4 mois de Wang Yi, Directeur du Bureau des Affaires taïwanaises à Pékin. En février, ce dernier prenait en effet encore soin de préserver l’ambiguïté en écrivant dans un article publié par son administration : « l’essence du consensus de 1992 consiste à adhérer à la plateforme commune d’une seule Chine, tout en mettant de côté les différends politiques. » [1]

La levée du voile des équivoques sur les politiques d’une seule Chine, fort différentes de part et d’autre du Détroit, qui semble correspondre à une impatience nouvelle de Pékin, fait apparaître le « consensus de 1992 » comme un terrain dangereusement miné de chaque côté du Détroit.

Voilà en effet le régime chinois placé par Taïwan en face d’un de ses plus dangereux talons d’Achille. Alors même qu’il est de plus en plus sur la sellette de contestations internes, en Chine et à Hong Kong, son incapacité à progresser vers un système politique plus ouvert pourrait conduire à un affaiblissement de sa légitimité, dans un contexte général où une partie de la classe moyenne montante urbanisée, base politique traditionnelle du régime, exprime de nouvelles attentes sociales et politiques.

A Taipei, l’insistance de la Chine pour ouvrir le dialogue politique créé un dangereux porte à faux pour le KMT. Celui-ci s’est clairement manifesté lorsque, durant la dernière campagne présidentielle, les sondages d’opinion ont immédiatement réagi négativement à l’annonce, pourtant prudente, le 12 mai par Ma Ying Jeou, d’une possible ouverture d’un dialogue politique avec la Chine s’il était réélu.

Après les embellies de 2008 et la signature de l’Accord Cadre, accepté par la majorité des acteurs de part et d’autres du Détroit, la volonté de la Chine d’accélérer les échanges politiques, dont tout le monde voit bien qu’ils constituent pour Pékin un jalon vers la réunification, heurte de plein fouet l’illusion du statu quo derrière laquelle se réfugient le KMT et une bonne partie de l’opinion taïwanaise.

Dans ce contexte le parti indépendantiste a, sans surprise, dénoncé l’absence de réaction officielle de l’équipe de Ma Ying Jeou et de son Parti à la mise au point de Jia Qinglin à Harbin. Le 30 juillet, Madame Chen Ting-fei, députée indépendantiste de Tainan, habituellement très critique du rapprochement avec la Chine et des relations entre le KMT et le PCC, jugeait que le ton du Président de la CPCPC avait une connotation « impérialiste », accusant Wu Po-hsiung, Président honoraire du KMT, présent au forum de Harbin, de n’avoir pas réagi. Elle ajoutait que le « futur de l’Ile devait être déterminé par les 23 millions de Taïwanais et non par Ma Ying Jeou, ou le KMT ».

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BREVES

Forum économique et culturel à Harbin.

Le week-end du 28 juillet a eu lieu à Harbin le 8e forum économique et culturel entre le Guomindang et le PCC. 17 points d’accord ont été retenus dans la déclaration finale. Les 2 partis ont notamment condamné le projet d’indépendance de l’Ile et reconnu la validité du « Consensus de 1992 », précisant que les relations entre les 2 rives n’étaient pas des relations d’Etat à Etat, mais que les 2 parties devaient néanmoins négocier leurs différends sur un pied d’égalité.

La déclaration incite les deux gouvernements à accélérer les négociations pour la mise en œuvre complète de l’Accord Cadre signé en 2010, notamment dans les secteurs de la culture (cinéma, édition, éducation) du tourisme, de l’agriculture, des services et de la protection des investissements. Elle prône également la mise en place d’un mécanisme financier destiné à faciliter les échanges.

Les 2 Partis ont également décidé d’établir à Pékin et à Taipei des bureaux de représentation nationaux. La décision est cependant subordonnée à la révision de la loi taïwanaise sur les relations entre les deux rives.

Placée sous les critiques de l’opposition indépendantiste, Lai Shin-yuan, la ministre des relations avec le Continent, a cependant précisé que le processus serait long. Enfin, évoquant quelques crispations liées à la faible autonomie diplomatique laissée à l’Ile par Pékin, elle a, en contradiction flagrante avec la déclaration de Harbin, répété que Taïwan était « un pays souverain ».

Ce tête à queue ne fait que souligner à quel point il est difficile pour le KMT, en interne et face à l’opinion, de tenir sa ligne politique d’apaisement avec la Chine, quand surgit la question de la souveraineté de l’Ile.

Rénovation des F16 A/B taïwanais. Vente de F-16 C/D

Début mai, Washington a chiffré en baisse le prix de la rénovation de la centaine de F-16 A/B taïwanais, évalué à 3,8 Mds de $, approuvés par le ministère du budget de Taipei. L’opération comportera également la vente de missiles AIM-9X Sidewinder et de bombes Laser.

Au même moment, la chambre des représentants américaine approuvait la vente de 66 F-16 C/D à l’Ile, dont le prix est évalué à plus de 8 Mds de $. La décision est cohérente avec la bascule stratégique américaine vers le Pacifique Ouest qui, quoi qu’en dise Washington, cible la Chine. Si la décision était confirmée, elle mettrait une nouvelle fois à mal la relation sino-américaine et porterait un coût d’arrêt aux échanges entre les deux systèmes de défense.

Relations Etats-Unis – Taïwan.

La visite à Taïwan, planifiée le 5 août, du Vice-secrétaire d’Etat américain au commerce Fernandez se déroulera alors que les tensions commerciales entre Taipei et Washington ont diminué après la levée de l’embargo taïwanais sur les importations de bœuf américain traité à la ractopamine.

Fin juillet, Ma Ying Jeou faisait part de la volonté de Taïwan d’élargir le nombre de ses partenaires commerciaux, bien inférieurs à ceux d’autres pays de la zone, comme la Corée du Sud ou Singapour.

Il espérait aussi que la levée des restrictions sur le bœuf américain faciliterait la participation de Taïwan à l’accord Transpacifique, que Washington voit comme le concurrent des vastes réseaux d’accords commerciaux signés par Pékin avec les pays d’Asie du Sud-est et en cours de préparation avec la Corée du Sud et le Japon.

La Parti indépendantiste s’intéresse à la situation en Chine.

Courant juillet le DPP a ré-ouvert un département d’études chinoises, supprimé en 2007, dont le but est d’explorer la possibilité de relations moins conflictuelles avec le PCC et la société chinoise. Cette décision accompagne les questionnements internes au Parti, suite aux récentes défaites électorales.

La création du département est suivie de la mise sur pied d’une Commission des Affaires chinoises composée de poids lourds du Parti, dont la mission sera de formuler la nouvelle politique chinoise du DPP. L’objectif, assez contradictoire, est clairement de réduire les tensions entre le DPP et le PCC, sans pour autant abandonner les valeurs du Parti, dont la plus importante – l’indépendance de l’Ile – est précisément inacceptable par Pékin.

Mais le nouveau secrétaire général Su Tseng-chang espère bien développer le maximum de relations avec la Chine, dans tous les domaines. Se projetant dans le futur proche, Su a exprimé l’espoir d’une vision plus pragmatique de la part du nouveau Secrétaire Général Xi Jinping, à propos de ce qu’il appelle les « différences idéologiques » dans le Détroit.

Plus pratiquement, il compte sur les multiples relations avec les hommes d’affaires taïwanais entretenues par Xi quand il était en poste dans le Fujian à l’Ecole du parti de Fuzhou et au gouvernement du Fujian entre 1985 et 2002.

Chute de Ma Ying Jeou et des cadres KMT dans les sondages.

Selon un sondage daté du 30 juillet, à peine 22% des sondés faisaient confiance à Ma et au Premier ministre. Seulement 24,3% estimaient que Wu Den-yih, le Vice-président, était fiable. Et plus de 60% le jugeaient ce dernier peu digne de confiance du fait qu’il avait été lui-même impliqué dans plusieurs cas de corruption.

Plus grave, 65% des sondés estimaient que le système judiciaire et la police n’étaient pas fiables. Il s’agit là d’une dégradation régulière de la confiance publique dans l’institution depuis 2006.

Taïwan renforce ses forces militaires en Mer de Chine du Sud.

Suite aux tensions dans la région, de nouveaux équipements seront acheminés dans les 6 mois sur l’Ile d’Itu Aba – Taiping Dao – contrôlée par Taïpei et située à 800 nautiques aux Sud-ouest de Taïwan, dans l’archipel des Spratlys.

Les gardes côtes recevront notamment une batterie de 8 automoteurs équipés de canons de 40 mm et appuyée par des mortiers de 120 mm. Le ministère de la défense a cependant rejeté la proposition d’un député du KMT qui suggérait le déploiement de missiles sol-air.

La décision est de l’ordre du symbole, destiné à rappeler la souveraineté de la République de Chine sur cet îlot contesté, dans un contexte général tendu.

Ma Ying-jeou appelle Pékin et Tokyo au calme.

(mise à jour).

Après les échanges de rhétorique militariste entre le Japon et la Chine à propos des Senkaku - Diaoyutai en Chinois -, (Mer de Chine de l’Est), lesquels faisaient suite à la provocation du Gouverneur de Tokyo Ishihara d’acheter purement et simplement 3 des 5 ilots, Ma Ying-jeou dont le gouvernement revendique également l’archipel situé à 110 nautiques au Nord-est de Taïwan, a, le 5 août, appelé au calme et proposé une « initiative de Paix en Mer de Chine de l’Est ».

S’il est vrai que les affichages belliqueux du Japon et de la Chine ont des arrières pensées de politique intérieure et tiennent plus de la mise en scène, il n’en reste pas moins que les récentes menaces de Tokyo et Pékin d’engager leurs marines de guerre dans la zone constituent une des ces évolution néfastes pouvant déraper vers un incident grave.

Alors que Pékin et Tokyo ont entamé en mai dernier un dialogue visant à régler les différends maritimes par la négociation, Ma a appelé les deux parties à s’en tenir au Droit international et à régler leurs différends par le compromis et la négociation. La dernière chose que souhaite le KMT serait un conflit militaire ouvert entre la Chine et le Japon à proximité des côtes de Taïwan.

Note(s) :

[1Ce n’est pas la première fois que le Parti Communiste chinois accélère le processus de rapprochement. Initialement, l’agenda que Hu Jintao avait dévoilé dans plusieurs discours ne prévoyait une signature de l’Accord Cadre qu’après 2012. Lire aussi « Chine-Taiwan. Le poids de l’histoire, des non-dits et des ingérences extérieures ».

 

 

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