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›› Politique intérieure

« C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus »

L’expression un peu triviale est de Warren Buffet, l’un des hommes les plus riches de la planète, connu pour ses aphorismes de bon sens, son réalisme et son sens aigu des affaires.

Elle date de 2007 et stigmatisait les banques américaines qui, spéculant sur la croissance, s’étaient laissé aller à une débauche de « prêts toxiques » au bénéfice d’une classe moyenne insolvable, à laquelle elles n’avaient cessé de mentir.

Elle jetait une lumière crue sur la prépotence, en même temps que sur la fragilité de Wall Street, dominant la classe politique américaine, elle-même étroitement liées aux affaires et peuplée de responsables enrichis dans les fonds d’investissements, à la fois très puissants, mais vulnérables aux soubresauts grégaires des valeurs boursières, qui tiennent le haut du pavé dans la finance planétaire.

Elle pourrait s’appliquer à toute une classe politique occidentale, tyrannisée par les sondages et les échéances électorales, habituée à édulcorer les problèmes ou à les relativiser, retardant les décisions douloureuses aux calendes grecques, trichant à la fois sur les réalités et la gamme des solutions possibles, tragiquement tributaires de priorités contradictoires inextricables qui les dépassent et les paralysent.

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Le net et les réseaux sociaux mettent à nu les abus.

En Chine, où les habitudes d’opacité ont longtemps protégé le Parti des indiscrétions publiques, ce sont les nouveaux moyens d’information capables d’une redoutable ubiquité, doublée d’une capacité inquisitrice inédite connectée à toute la planète, à quoi s’ajoute une réactivité presqu’immédiate, qui favorisent le reflux de la marée protectrice que sont la censure et l’obscurité politique, qui noyaient dans le mystère et l’omerta les connexions affairistes, la corruption, parfois les turpitudes de la classe dirigeante.

Depuis quelques années, les dévoilements qui se propagent sur le net à la vitesse de la lumière, contournant la censure, sont légion. Rapidement effacés, ils n’en laissent pas moins des traces sulfureuses dans l’esprit des jeunes internautes et de la nouvelle classe moyenne. Les mises à nu vont des systématiques connexions familiales avec le grand business ou l’industrie, aux affaires de corruption et aux vies dissolues, en passant par de longues séries de comportements et de compromissions très éloignés de l’éthique politique minimum.

Ils révèlent les extravagances des cadres ou de leurs familles, les fuites de capitaux, les frais de scolarités astronomiques payés à l’étranger par les caciques pour leur progéniture, découvrant un mode de vie à des années lumière de celui des Chinois moyens. Le tout créant une vulnérabilité politique pourtant clairement identifiée par l’actuelle équipe qui, depuis 2002, ne cesse de dénoncer les abus et la corruption du Parti comme un de ses principaux talons d’Achille.

Lire nos articles :
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Le Parti sous tension

L’affaire Bo Xilai, qui fut le révélateur de dérapages extrêmes, dont le Parti s’applique à se protéger, sans vraiment y parvenir, donnait à la fois l’impression d’insondables passe-droits éthiques et moraux que le pouvoir s’octroie à lui-même et de très sévères compromissions avec le monde des mafias - 黑社会 hei shehui – qui, dans l’imaginaire des Chinois, véhicule de fortes images, où se mêlent les connexions grises ou noires du pouvoir, la corruption des fonctionnaires et l’impression tenace d’une société occulte, échappant à la justice, précisément grâce à l’implication du pouvoir lui-même.

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Jeu de quilles.

Alors que les scories dérangeantes de ces écarts hors normes n’ont pas encore été nettoyées, voilà que surgit une nouvelle affaire, impliquant encore une fois un candidat au bureau politique, fidèle allié du président Hu Jintao, que ce dernier avait lui-même placé sur la trajectoire suprême en amont du Congrès.

Depuis mars dernier, le monde médiatique occidental et chinois bruissaient de l’accident d’une Ferrari noire « 458 spider », d’une valeur de 220 000 €, soit 20 fois le salaire annuel moyen d’un jeune ingénieur, encastrée dans la pile d’un pont sur le 4e périphérique de Pékin, à hauteur de Haidian, dont la nouvelle fut d’abord révélée par Baidu, le moteur de recherche chinois, qui situait le drame, ayant impliqué la mort du conducteur, le dimanche 18 mars à 4 heures du matin.

Aussitôt les « blogs » chinois et les réseaux sociaux étaient entrés en effervescence, diffusant des photos et des rumeurs, rapprochant même l’accident de l’affaire Bo Xilai, destitué quelques jours auparavant dont le fils, Bo Guagua, était également connu pour circuler en Ferrari.

Mais dès le 20 mars, la censure abattait son voile sur le net et les médias, tandis que le Global Times, publié par le groupe de presse du Quotidien du Peuple, mettait en ligne un article confirmant que la presque totalité des informations sur l’affaire avait été effacée dans la nuit, « ce qui – précisait le journal – avait suscité de nombreuses spéculations sur l’identité du conducteur décédé ». Le fait est que tous les blogs furent effacés, tandis que le mot « Ferrari » n’était plus accessible directement par les moteurs de recherche traditionnels. Le coup de théâtre survint 5 mois et-demi plus tard.

Le week-end du 1er septembre, des indiscrétions publiées par le South China Morning Post, probablement avec l’autorisation de Pékin, lièrent la destitution soudaine de Ling Jihua de son poste de chef du secrétariat du Comité Central, annoncée par la presse officielle, à l’accident du 18 mars, dont le conducteur décédé aurait été identifié comme son fils, prénommé Gu. Précision à la fois douloureuse et sordide, la volonté de camoufler la connexion de l’accident avec le pouvoir central serait allée jusqu’à modifier le nom du fils de Ling, changé en « Jia », sur le certificat de décès.

Passant soudain d’une des fonctions les plus puissantes du pouvoir à celle de Directeur du Département du Front Uni, bien moins en prise avec la haute direction du régime, Ling Jihua, en fonction depuis 2007, vient de perdre une bonne partie de ses chances d’entrer au Bureau Politique pour lequel il semblait destiné, tant il était considéré comme l’un des plus sûr alliés de Hu Jintao, issu, comme lui, de la Ligue de la jeunesse et aux côtés duquel il apparaissait souvent en public.

Selon d’autres indiscrétions révélées par le South China Morning Post, Jiang Zemin aurait critiqué Ling pour avoir tenté d’escamoter l’accident et se serait catégoriquement opposé à son entrée au Bureau Politique. La presse officielle indique que Ling a été remplacé à son poste par le Secrétaire Général du Guizhou, Li Zhanshu, 62 ans, dont on dit qu’il est proche du futur président Xi Jinping, mais dont la carrière est très nettement en retrait par rapport à celle de Ling Jihua. Les perspectives d’accession de Li Zhanshu, qui n’est que membre suppléant du Comité Central, au Bureau Politique sont en effet quasi nulles.

La destitution de Ling, qui apparaît comme une attaque contre la mouvance proche de Hu Jintao, est sans conteste une manifestation de la lutte d’influence que se livrent les clans pour conserver une emprise sur le pouvoir. En perdant Ling Jihua, la faction président sortant est privée d’un solide appui. Elle a cependant encore de la ressource.

Avec Li Keqiang, premier ministre déjà presque nommé et Li Yuanchao, probable futur vice-président, les deux pouvant encore recevoir l’appui de Wang Yang, le Secrétaire Général de Canton, également fidèle de Hu et réformateur avéré, dont on dit qu’il prendrait la direction de la puissante Commission Centrale de Discipline du Parti, les fidèles de Hu conserveraient un avantage opérationnel face à leurs rivaux.

Si, comme court la rumeur, ces derniers perdaient l’appui des filières ultra conservatrices de la propagande et de la sécurité d’Etat, qui, dans le cas d’un Comité Permanent à 7, seraient exclues de la tête du pouvoir, ils en seraient d’autant plus affaiblis.

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Brèves.

Déclarations de relance pour gérer l’incertitude économique.

Dans un contexte où les mauvais chiffres de l’économie, accompagnés de nouvelles alarmantes sur la situation dans plusieurs provinces de l’Est, avec faillites en séries, les déclarations politiques sur une relance de l’économie se multiplient partout en Chine. Avec à la clé le risque d’une nouvelle accumulation de dettes des provinces.

Alors que le gouvernement libérait le crédit à hauteur de plus de mille milliards de RMB (800 Mds d’€), accordait des réductions d’impôts aux PME, et augmentait ses dépenses d’infrastructures, les provinces publiaient d’impressionnantes listes de projets, parfois, sur plusieurs années, dont le financement, aléatoire dans une situation de liquidités contraintes, dépassait souvent les mille milliards de RMB.

Depuis juillet, au moins 13 provinces ont annoncé des investissements de plus 10 000 Mds de RMB sur les 5 prochaines années. Tandis que les stocks non écoulés grossissent, à quoi s’ajoutent de graves problèmes de rentabilité dans l’industrie lourde, cette débauche de déclarations, en partie destinées à rassurer, pourrait favoriser la relance. Elle porte cependant le risque de déclencher une dérive financière à contre courant de l’exigence de rentabilité du capital.

Lutte d’influence entre les grands groupes publics et le gouvernement.

Le gouvernement a renoncé à appliquer la taxe de 50% proposée par le ministre des finances sur les bénéfices des groupes publics, qui ont fait front en expliquant que l’augmentation de leurs impôts limiterait leur capacité d’investissement et aggraverait le ralentissement de l’économie.

L’objectif était de combler le déficit des fonds sociaux, mais dans la conjoncture actuelle l’argument des PDG des sociétés publiques, dont le pouvoir politique augmente a fait mouche,d’autant qu’au cours du premier semestre 2012, les profits des grandes entreprises d’état ont chuté de 11%.

Dans ce combat, l’adversaire du ministère de l’economie a été la Commission de supervision et d’administration des actifs de l’Etat, (acronyme anglais SASAC), traditionnellement ancrée dans le clan des conservateurs.

La réalité est que les groupes publics sont dans une situation privilégiée. Ils ne payent des taxes sur les bénéfices que depuis 2007, à un taux seulement compris entre 5 et 10%, réévalué à 15% en 2010. Mais suite à de nombreux passe-droits, une importante proportion des 100 000 entreprises d’Etat est exemptée de taxes. C’est pourquoi, en 2010 l’Etat n’a à peine récupéré que 2,2% de leurs profits.

S’il est vrai que la cooptation politique en 2003 des hommes d’affaires par le régime est de nature à asseoir le pouvoir du Parti, fragilisé par ailleurs, le surgissement dans la sphère politique chinoise des entrepreneurs, pour l’heure presqu’exclusivement limités aux PDG des grands groupes publics (une trentaine d’entre sont membres du Comité Central), aura, à terme, de très lourdes conséquences sur le fonctionnement général du système et ses décisions à l’intérieur, comme à l’extérieur.

Déjà, la crise a donné lieu à des symptômes de « ré-étatisation » de l’économie, à contre courant de la marche vers plus de flexibilité privée voulue par l’ancien premier ministre Zhu Rongji, situation résumée de manière lapidaire par l’opinion : « « Guo jin, Min tui - 国进民退 – l’Etat prospère, le privé régresse »

Décidé par le gouvernement en 2009, le stimulus financier a certes relancé l’économie, mais il a également conforté les gaspillages des finances publiques par le truchement de grands projets, précisément contrôlés par les entreprises d’Etat. Il est en effet fréquent que les fonds publics largement alloués aux grands projets soient en partie détournés par les groupes publics vers les budgets des administrations locales, des projets immobiliers de luxe et des infrastructures dont l’urgence n’est pas avérée.

L’augmentation du pouvoir des PDG des entreprises d’Etat touche aussi à une série de contradictions, liées à la corruption de l’oligarchie, à l’enchevêtrement du pouvoir et des affaires et aux conflits d’intérêts. Elle pose le problème des conglomérats publics ayant un accès privilégié aux banques d’Etat, et toujours tentés par la recherche du monopole et la spéculation immobilière.

A bien des égards, il arrive souvent que leurs intérêts heurtent les politiques visant à assouplir l’économie, à maîtriser sa dimension macro économique, à contrôler l’inflation, à harmoniser le développement, et à lutter contre la spéculation et la corruption, qui furent les chevaux de bataille de l’équipe Hu – Wen.

 

 

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