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›› Editorial

Nouveau pouvoir, vieille sclérose et anciens défis

Si on en croit les déclarations du 18e Congrès, le Parti s’est fixé trois grands objectifs d’ici 2020 : multiplier le PNB et les revenus par 2, réduire les écarts de richesse et mettre fin à la corruption au sein de l’appareil. Aucune des ces intentions qui visent à restaurer la confiance dans le Parti n’est originale. Aucune n’évoque une réelle ouverture du système politique.

La première, d’ordre quantitatif a déjà été annoncée lors des Congrès précédents et amplement respectée, puisqu’entre 2000 et 2012 le PNB a presque été multiplié par 4. Mais par les temps qui courent, où le vieux schéma de développement s’essouffle, tandis que les marchés traditionnels de la Chine aux Etats-Unis et en Europe restent atones, poursuivre la croissance à un rythme garantissant la paix sociale ne sera pas facile.

Les deux autres intentions sont qualitatives et n’ont, à l’inverse, jamais été réalisées, en dépit de promesses répétées. Il est même probable que les différences de revenus entre la base et le sommet de la pyramide sociale se sont aggravées, tandis que le système des prébendes reste, aujourd’hui encore, une forteresse imprenable.

En réalité, l’un et l’autre sont liés et deviennent une fragilité politique, dès lors que le Parti recèle de très grosses fortunes, associées aux affaires par le truchement de délit d’initiés ou de népotisme, tout en dégageant un insistant parfum de corruption, systématiquement associé à la nomenklatura.

Ces dernières années nombre de chercheurs chinois n’ont cessé de répéter que les plaies des inégalités sociales et de la corruption étaient endémiques au système ; qu’il fallait le modifier, mais que cela ne serait possible qu’au prix d’avancées politiques. Pourtant, tout indique qu’au cours des cinq prochaines années, la machine du Parti, qui vient de promouvoir cinq fidèles conservateurs à sa tête, n’est pas prête à sauter le pas de réformes politiques plus osées.

L’intention est au contraire de réformer de l’intérieur, en améliorant la gouvernance, la rigueur des comptes et des contrôles, tout en laissant entendre que, désormais, on n’hésiterait pas à frapper les corrompus au plus haut niveau de la hiérarchie. Compte tenu de la longue histoire des luttes anti-corruption avortées, rien ne dit que Xi Jinping réussira là où tant d’autres ont échoué, à moins qu’il n’accepte d’amender le système politique.

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Le défi de la croissance.

La croissance qui avait ralenti connaît une nouvelle vigueur à la suite de plusieurs mesures de relance interne. Il s’agit de garantir un taux minimum de +7,5%, condition nécessaire au maintien de l’emploi et de la paix sociale. A moyen terme, l’élan pourrait être maintenu. Mais ses leviers restent fragiles et peu nombreux.

Une nouvelle relance par un investissement massif est exclue. Elle risquerait de stimuler les prix immobiliers et l’inflation que le pouvoir s’est appliqué à contrôler depuis 2009, et de déclencher une nouvelle vague de prêts aux provinces dont la dette accumulée se monte déjà à plus de 1500 Mds de $.

Sans compter que l’injection massive de capitaux qui nourrissent les prébendes, aggrave l’écart de revenus, en même temps qu’elle constitue aussi une des principales causes de la corruption endémique du système, que le régime veut précisément combattre. Enfin, le relâchement de la rigueur monétaire déjà en cours à la marge, produirait les mêmes inconvénients, tandis que la relance de l’export restera difficile dans le contexte d’une faible demande aux Etats-Unis et en Europe.

En réalité, les seules cartes dont dispose aujourd’hui le pouvoir chinois restent l’amélioration de la rentabilité du capital, qui suppose de bousculer la collusion entre les grands groupes d’état et les banques, à quoi s’ajoute la hausse de la demande interne, liée au développement de l’Ouest, mais qui, elle aussi, se heurtera au goulot d’étranglement de l’export en berne.

Surtout, le pouvoir place de grands espoirs dans la consommation des ménages, dont l’envol a déjà commencé, mais dont la vigueur dépendra du retour de la confiance dans la classe politique, aujourd’hui affaiblie, ainsi que de l’amélioration des filets sociaux et de la hausse des revenus. Autant de conditions liées à la fois à l’image du Parti, à sa capacité à affaiblir les citadelles des prébendes, à l’efficacité de ses politiques sociales et à la lutte contre la corruption.

Selon un audit récent réalisé par le gouvernement chinois et la Banque de Chine, tel qu’il est conçu aujourd’hui, entaché par de nombreuses zones d’ombre, le système de sécurité sociale, il est vrai en progrès rapide depuis 2009, reste cependant largement insuffisant pour constituer un véritable encouragement à la consommation. En réalité, à la fin 2011, seulement 500 millions de Chinois bénéficiaient d’une assurance maladie et à peine 300 millions d’une pension raisonnable. Quant aux assurances chômage, accident du travail et maternité, elles ne touchaient respectivement que 140 millions, 200 millions et 150 millions d’individus.

A quoi il faut ajouter les scandales des cadres locaux et non des moindres. On se souvient de l’affaire de détournements de fonds d’assurance sociale de Shanghai, à l’origine de la chute de Chen Liangyu, en 2006. Aujourd’hui encore la corruption entretient la suspicion du public à l’égard des caisses sociales. En 2012, l’audit de la Banque de Chine a mis à jour que 1,7 Mds de Yuan (200 millions d’€) avaient été utilisés frauduleusement par des cadres locaux pour combler les déficits de leurs comptes, construire des bureaux, ou acheter des voitures de fonction. Le rapport indiquait aussi que près de 30% du montant des caisses étaient utilisés pour effectuer des investissements non autorisés.

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Le rocher de Sisyphe des écarts de revenus et de la corruption.

L’ampleur de la corruption et l’urgence d’y mettre fin, leitmotivs de l’équipe précédente, n’a pas échappé au nouveau Secrétaire Général, qui a évoqué le sujet lors de son investiture . Il avait certainement en mémoire la double expérience personnelle d’avoir eu à remplacer à Shanghai un haut dirigeant, tombé pour corruption et une autre plus ancienne, au Fujian, qui pourrait expliquer la nomination de Wang Qishan au poste de président de la Commission de discipline du Parti, en charge de lutter contre la corruption.

Xi Jinping était en effet aux premières loges à Fuzhou, comme Directeur de l’Ecole du Parti, puis secrétaire général adjoint du Fujian quand éclata l’affaire Lai Changxing, extradé du Canada le 23 juillet 2011 et condamné à perpétuité pour ses vastes activités de contrebande, qu’il mettait en œuvre depuis Hong Kong, avec la complicité de nombreux cadres locaux.

A cette époque, c’était Zhu Rongji lui-même, l’ancien premier ministre symbole de la lutte contre les gaspillages, les incohérences administratives et la corruption qui s’était saisi en personne du dossier. Il était précisément secondé par Wang Qishan, dont il avait fait son bras droit, et qui, à ce titre, avait participé en 2000, alors qu’il était en charge de la réforme économique au Conseil des Affaires d’état, à la première création d’une unité antifraude, supervisée par les douanes et l’appareil de sécurité.

Aujourd’hui et malgré ces efforts, la tâche relève toujours du rocher de Sisyphe, que les équipes précédentes n’ont jamais réussi à rouler efficacement en dépit de quelques épisodes célèbres. Des centaines de membres du Parti sont millionnaires et si on ne compte que les 70 les plus riches, leur fortune cumulée se monte à plus de 100 Mds d’€ dont il est raisonnable de penser – et c’est bien ainsi que l’opinion publique relayée par les réseaux sociaux considère la question - qu’elle n’est pas que le fruit d’affaires complètement honnêtes.

Depuis qu’en mars dernier les internautes chinois avaient brocardé les vêtements et accessoires de luxe des délégués de l’ANP, à quoi s’ajoutèrent les révélations successives sur les connexions affairistes de Xi Jinping et Wen Jiabao, l’ambiance est au profil bas et au branle bas pour redresser l’image passablement écornée du Parti.

Après la nomination de Wang Qishan, dont on espère qu’il aura le courage de s’attaquer aux hautes strates corrompues du régime, Xi Jinping a fait procéder au renouvellement des cadres de la Commission de discipline, dont certains comme Madame Ma Wen, 64 ans, proche de l’épouse de Wen Jiabao, et ancienne n°3 de la Commission spécialement en charge de la corruption, n’a même pas été reconduite au Comité Central.

Il reste que, compte tenu de l’enchevêtrement de la politique et des intérêts d’affaires, maintes fois mis à jour ces dernières années, si rien n’est fait pour mettre sur pied un système judiciaire indépendant du Parti, il est permis de douter que la nouvelle équipe réussisse mieux que les précédentes. Le constat renvoie à la quadrature du cercle d’un système qui, par crainte de fragiliser son magistère, recule sans cesse l’échéance des réformes politiques, prenant ainsi le risque d’un accident interne.

Lors du dernier Congrès, le rapport d’une heure quarante du SG sortant était en effet émaillé d’une langue idéologique particulièrement rétrograde, nourrie en partie d’une prose d’inspiration maoïste, sans la moindre indication innovante permettant de faire face aux risques politiques qui menacent le Parti. L’avenir dira si le nouveau maître du Parti et de la Chine sera capable de bousculer cette sclérose.

 

 

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