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›› Société

Les embarras de la réforme du Hukou

Le 18 décembre, la Commission pour la Réforme et Développement a indiqué que la réforme du Hukou allait être accélérée. L’intention est en phase avec la volonté du gouvernement chinois d’accompagner l’urbanisation rapide du pays et de favoriser la consommation intérieure, qui est elle-même une des clés de la réforme du schéma de développement. Mais le projet, qui vise aussi à résorber en partie les écarts de richesse et de statuts sociaux se heurtera à de nombreux obstacles.

En réalité, le projet de libéralisation du passeport intérieur figure depuis quelque temps déjà dans les intentions du pouvoir placé sous la pression des défenseurs de droits de l’homme. Ses progrès sont cependant handicapés par les inquiétudes politiques qui entourent le dossier, sans compter les difficultés économiques et financières liées à la régularisation de la vaste cohorte des migrants.

Obstacles politiques et matériels.

Les réticences du Parti avaient déjà été résumées dans un article sibyllin du Global Times, paru le 26 février dernier. Tout en soulignant le contraste entre l’augmentation radicale de la mobilité des Chinois et la survivance du Hukou, né en 1958 en plein délire maoïste, l’auteur mettait en effet en avant des bocages insurmontables : « En fait la société n’est pas prête à une rupture brutale. Et les gains escomptés d’une suppression du Hukou ne compensent pas les inconvénients qui en résulteraient ».

Suivait une courte apologie de la méthode chinoise des « petits pas » expérimentaux, née de la longue expérience des réformes poussées par la base, selon une technique qui, toujours pèse le pour et le contre, en évitant les réformes brutales. Pour critiquer les jugements systématiquement négatifs sur la survivance du Hukou, l’article expliquait que les difficultés concrètes d’une éventuelle suppression radicale du passeport intérieur dépasseraient très largement l’aspect moral de la question. 15 jours plus tard Hu Shuli, éditrice en chef du très réformiste « Caixin Century Magazine » prenait le contrepied du Global Times, écrivant que « le Hukou était moralement indéfendable ».

Parce que les migrants vivent soit séparés de leurs familles qu’ils ne voient qu’une fois tous les quelques mois, soit en grande partie hors la loi - leurs familles, quand elles les accompagnent, ne bénéficiant d’aucune couverture sociale, ni des facilités de scolarité pour leurs enfants -, la question est en effet, quoi qu’en dise le Parti, devenue morale, dans un contexte général où en Chine, la notion de droits des individus commence à pendre de l’importance parmi la classe des intellectuels critiques.

Le 1er mars 2010, un éditorial publié conjointement par 13 journaux réclamait déjà la suppression du Hukou, identifié par plusieurs intellectuels chinois comme le principal facteur de marginalisation sociale d’une partie de la population.

Pourtant ce sont d’abord les réalités économiques qui provoquèrent les premiers ajustements, assortis des habituels effets pervers de la corruption. De fait, les grandes entreprises d’état à Shanghai et Pékin, qui, aujourd’hui éprouvent des difficultés à recruter une main d’œuvre de plus en plus réticente à vivre sous la contrainte discriminatoire du passeport intérieur, ont été autorisées à distribuer des centaines de permis de résidents, dont une partie est écoulée au marché noir à des prix proches de 1000 €, négociés sur Internet.

La réforme du Hukou un dilemme moral, politique et économique.}

Mais, s’il est vrai que, le 5 mars 2012, répétant une promesse déjà faite en 2010, Wen Jiabao avait annoncé à la réunion annuelle de l’ANP que les migrants seraient progressivement intégrés dans le tissu social normal, tout indique que, dans un premier temps, le Hukou ne sera pas complètement abrogé, notamment dans les grands centres urbains.

Les autorités, qui se méfient des changements brutaux, craignent en effet que l’intégration du vaste flot de migrants dans les grandes villes crée à la fois de très sensibles problèmes politiques et d’insondables difficultés matérielles et financières encore hors de portée des budgets des municipalités.

La situation est en effet inextricable. La capacité de logement et les infrastructures des grandes villes chinoises, - plus de 160 villes ont déjà plus d’un million d’habitants - ne sont pas prêtes à accueillir une migration de cette ampleur. En outre, la vague de miséreux déclenchée par la suppression du Hukou, bousculerait quelques habitudes et mettrait en cause le schéma de développement, il est vrai assez déséquilibré, mais qui fait les beaux jours de la classe moyenne, principal appui politique du régime.

Souvent, la fortune des citadins aisés est en effet issue de la spéculation immobilière, à partir de terrains agricoles aux abords des grandes villes, réquisitionnés moyennant de faibles compensations, par l’administration, qui tire de ces transactions une partie de ses ressources.

Cette situation induit d’inextricables enchevêtrements entre les hommes d’affaires et la petite et grande nomenclature du Parti. Elle est aussi à l’origine de la hausse des prix immobiliers, qui devient elle-même un obstacle à la construction de logements sociaux et, partant, un sérieux handicap à l’accueil des migrants et à l’abandon pur et simple du Hukou. Lire à ce sujet notre article Les migrants relèvent la tête.

Du coup la question devient un casse-tête politique qui renvoie à la nécessité des réformes, lancinant leitmotiv du 18e Congrès, au centre des querelles politiques qui agitent le Parti. Dès lors il n’est pas étonnant que l’un des hommes politiques qui, à ce stade, s’est le plus exprimé pour tenter d’apporter une solution à la question du Hukou et des migrants soit Wang Yang, dont l’accès au Comité Permanent a été bloqué par la mouvance conservatrice.

Le 4 juillet 2011, lors d’une discussion en ligne, le très dynamique Secrétaire Général du Parti de Canton, avait en effet promis un effort pour l’intégration des migrants. « Au cours de toutes années de développement accéléré le développement social a pris du retard. Nous avons une lourde dette à l’égard des travailleurs ».

Dans la province qui compte 36 millions de travailleurs migrants - soit 35% de la population - théâtre de fréquentes échauffourées sociales, la question est pressante. Les efforts viseront à améliorer la vie quotidienne, les services publics et sociaux au profit des plus défavorisés, y compris en faisant appel aux ONG pour « instaurer un environnement plus démocratique ».

Faisant cela Wang Yang réagissait directement à la mise en garde du Centre de recherche du Conseil des Affaires d’Etat, publiée le 14 juin 2011 : « les migrants venant des campagnes sont marginalisés dans les villes et seulement considérés pour le faible coût de leur travail. S’ils ne sont pas intégrés dans le tissu urbain et ne bénéficient pas des droits qui leur sont dus, de nombreux conflits surgiront, qui créeront une menace majeure de déstabilisation ».

Mais la tâche sera rude et onéreuse. Selon l’Académie des Sciences Sociales, l’insertion urbaine d’un seul migrant coûterait 7000 €. Ce qui obligera à dégager un budget de 250 Mds d’€ pour intégrer tous les migrants de la seule province de Canton.

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BREVES

Vers une société de consommation

A la réunion annuelle du Parti dite « Conférence Economique Centrale », le nouveau Secrétaire Général a répété que le pays ne pouvait plus continuer à dépendre de ses exportations et des investissements et devait ajuster son schéma de croissance. Grâce aux mesures déjà prises pour abaisser les taxes aux transactions commerciales et aux paiements par cartes de crédit, la consommation interne avait augmenté de + de 14% au cours des 11 premiers mois de l’année, à un rythme très supérieur à la croissance et aux échanges commerciaux à l’international. Dans ce contexte, le Parti compte également sur l’adjuvant de l’urbanisation pour accélérer la hausse de la consommation des ménages.

Mais les experts répètent que les progrès ne seront réels que lorsqu’un système de protection sociale efficace sera en place, que la hausse qualitative des produits chinois augmentera la demande pour les marques locales, aujourd’hui encore fortement concurrencées par les marques étrangères, et que le marché immobilier cessera d’être le secteur préféré des investisseurs.

Copies immobilières.

Plusieurs chercheurs chinois ont récemment critiqué la manie des promoteurs immobiliers chinois de construire des copies sans âme de sites européens, accusant les riches clients de s’installer dans des sortes de « Disney Land ». Le dernier exemple le plus caricatural est peut-être la ville de Huizhou, dans la province de Canton, réplique de Hallstatt en Autriche, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Il s’agit là du résultat de la coopération entre la Compagnie Minière chinoise Minmetals Corporation, associée au gouvernement local de Huizhou, qui envoya une équipe en Autriche pour prendre les repères précis du site et réaliser une réplique grandeur nature de la ville de Hallstatt. Mais le maire autrichien n’en a pas pris ombrage puisqu’en juin dernier il a signé un accord de partenariat avec Huizhou dans le but avoué d’attirer chez lui des touristes chinois, curieux de connaître l’original.

Mais Huizhou n’est pas le seul exemple de duplication immobilière, dont la motivation est essentiellement la relance du marché affaibli par la crise. Le groupe immobilier Greenland a investi plus de 6 Mds de $ pour construire une petite ville européenne dans la région de Wuhan.

Evasion illégale de capitaux.

Selon l’ONG américaine « Global Financing Integrity », en 2011, la Chine était à l’origine de 61% des évasions illégales de capitaux en provenance de 150 pays émergents ou en développement. Cette fuite ne profite qu’à une très faible portion de la population et exacerbe les écarts de revenus. L’ONG estime qu’en 2011 les sommes sorties illégalement de Chine auraient atteint 420 Mds de $.

Au cours des dix dernières années, elles se monteraient à 2700 Mds de $. Ces chiffres sont 20 fois supérieurs aux estimations des autorités chinoises (Lire notre article Les 裸官 – Luo Guan -, « fonctionnaires nus », dans le collimateur

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Les « Buzz » préférés et controversés des internautes chinois.

2011 marqua l’arrivée en force des médiaux sociaux en Chine. 2012 fut celles des modes et des « buzzs » iconoclastes. Le site « China Real Time » a identifié les 10 thèmes les plus souvent repris par la foule des internautes et des réseaux sociaux.

1.- Aigreurs entre Chinois et Hong-Kongais.

En 2012, Chinois et Hong-Kongais ont cessé de camoufler leurs ressentiments réciproques. Sur la chaîne nationale CCTV, Kong Qindong, professeur à Beida a traité les Hong-Kongais de « chiens voleurs », à quoi les internautes de la RAS ont répondu en qualifiant les Chinois du continent de « sauterelles » venues du nord pour piller Hong-Kong.

La controverse a atteint son apogée en février quand le site « Apple Daily » publia une image représentant une sauterelle géante, perchée sur un rocher dominant la RAS, avec la mention : « la patience des Hong-Kongais est à bout ». 香 港 人 耐 夠 了 – Xiang Gang Ren Nai Gou Le.

La mode s’est ensuite diffusée sur les réseaux chinois qui reprirent l’expression au nom des différents groupes de mécontents : « la patience des immigrés aux Etats-Unis », contre le « China bashing » ; « La patience des Chinois », contre les cadres corrompus ; « La patience des mélomanes », contre les téléphones qui sonnent pendant les concerts de musiques etc.

2.- Congé maladie.

Quand, en février dernier, Wang Lijun, le n°2 de Chongqing s’était réfugié pendant 30 heures au consulat des Etats-Unis de Chengdu, la langue de bois officielle avait expliqué sa mise en examen qui le mit hors course et injoignable, en précisant qu’il était « mis en disponibilité et en examen, en même temps qu’il bénéficiait d’un congé de maladie » 休假式治. Personne ne fut dupe, mais la formule fit le tour des réseaux sociaux en quelques jours et reprise ironiquement à propos d’autres abus de cadres locaux.

3. Libérez Chen Guang Cheng (CGC).

Après l’équipée qui permit à l’avocat aveugle Chen, portant des lunettes noires, de se réfugier à l’ambassade des Etats-Unis à Pékin, en avril dernier, il y eut assez vite une épidémie d’internautes postant leur photo affublée de lunettes.

4.- Liu Bo est très occupé. 刘波很忙.

Le buzz fait référence à la photo d’un policier de Shifang au Sichuan, nommé Liu Bo, armé d’un bâton, chargeant des manifestants qui s’opposaient à la construction d’une usine d’affinage de cuivre. (Les repères brouillés du Parti)

Le policier est par la suite devenu une vedette du net, où, sur différents sites, on le voyait charger des personnalités célèbres, dont le champion olympique Liu Xiang ou Tom Cruise.

5.- Pourquoi habiller les nus célèbres. 为名画穿衣.

En juillet, CCTV présenta un reportage où la nudité du David de Michel Ange, exposé au musée national avait été pudiquement recouverte. Ce qui déchaina la verve satirique des internautes qui présentèrent une série de photos de nus célèbres habillés de divers accessoires vestimentaires fantaisistes.

6.- Biao Ge. 表 歌 « Frérot la montre »

C’est ainsi que les internautes ont baptisé Yang Dacai, ancien responsable du bureau de la sécurité du travail du Shaanxi, remercié pour violation des règles de la discipline du Parti. Les photos qui le montraient au travail, en conversation, ou faisant un discours, arborant toujours des montres de marque très chères, ont fait le tour de la toile comme une traînée de poudre.

7.- 62 %.

C’est le pourcentage avancé par Yang Yiyong, le directeur du Centre de recherches sociales de la Commission pour la réforme et le développement, pour apprécier le niveau de modernisation atteint par les Chinois, calculé, précisait Yang, de manière scientifique.

Le chiffre a immédiatement soulevé l’ironie des internautes qui eurent beau jeu d’expliquer que leur développement n’étant accompli qu’à 62%, il ne fallait pas trop attendre d’eux.

8.- Etes-vous heureux ? 你幸福 吗 ?

Le prétexte fut un reportage de CCTV qui, en octobre dernier, à l’occasion de la fête nationale fit le tour de la Chine pour demander aux Chinois s’ils étaient heureux.

Mais l’effet comique vint du fait que certains reporters, au lieu d’interroger ceux qui paraissaient nantis, se tournèrent vers ceux dont l’apparence était misérable. Parmi eux un vieux ferrailleur et ramasseur de bouteilles vides de 73 ans qui souleva l’hilarité des internautes en faisant semblant d’être sourd pour ne pas répondre aux questions.

9.- Li Zhun bu zu 理准不足 « La préparation théorique est insuffisante »

S’il est vrai que nombre de Chinois sont prêts à accepter l’idée que la société chinoise ne serait pas prête pour la démocratie, les choses se gâtent pour le Parti quand ses responsables tentent d’argumenter pourquoi, ou quand certains expliquent comme l’avait fait Jackie Chan en 2009 que « les Chinois doivent être contrôlés ».

En octobre, Gong Fangbin, professeur à l’Université de la Défense Nationale, avait sur le site de China Daily, avancé l’hypothèse que les réformes politiques ne pouvaient pas aller de l’avant car « la préparation théorique était insuffisante ». L’expression devint une mode par laquelle les internautes expliquaient pourquoi ils refusaient certaines disciplines, règles ou coutumes qui les gênaient : « je ne suis tout simplement pas prêt en théorie ».

10. – Le style porte-avions 航母 / 走你 « go !! »

Après les reportages de CCTV montrant le décollage du J-15 du pont du porte-avions Liaoning, l’image des 2 marins accroupis, pointant le ciel d’un geste rendu célèbre par le film « Top Gun », à la fois triomphant et synchrone, pour donner le feu vert du décollage au pilote, devint un des buzz les plus célèbres du net chinois, avec des milliers d’internautes postant leurs photos dans cette position devenue un emblème des ambitions de la nouvelle puissance militaire chinoise.

 

 

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