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Pyongyang. Kim le IIIe droit dans ses bottes ?

Le 12 février, dernier le régime militaro-dynastique nord-coréen a procédé à sa troisième explosion nucléaire, qu’il a fait suivre d’une violente rhétorique anti-américaine déversée d’un ton agressif et triomphant par la télévision nationale. Washington étant accusé de nourrir une « hostilité féroce contre la Corée du Nord et contre son droit à lancer des satellites ».

Le test souterrain, comme les deux précédents, a eu lieu à Punggye-Ri, à 350 km au nord-est de Pyongyang, dans la province de Hamyong, à 100 km de la frontière chinoise et près des côtes de la Mer du Japon – Mer de l’Est pour les Coréens -. Il aurait développé une puissance de 6 à 7 kilotonnes, sensiblement supérieure à celui de 2009 et sans commune mesure avec celui de 2006 estimée à 0,55 kilotonnes.

Mais, à la différence de 2006 et 2009, où il avait évoqué des engins au plutonium, le ministère de la défense sud-coréen qui, au contraire de la Chine, dit n’avoir détecté aucune radiation suspecte, n’a, cette fois, pas fait mention du type de matière fissile employé.

La question est d’importance car l’utilisation d’uranium, que le pays possède en quantité et dont l’enrichissement est plus facile à camoufler, signifierait une capacité de montée en puissance autonome et donc une augmentation de la menace. Le plutonium, en revanche, employé dans les deux premiers tests, n’existe qu’à l’état de traces dans la nature et il faut le synthétiser artificiellement. Pour en produire en quantité il faut disposer d’un réacteur nucléaire.

L’accession au pouvoir en décembre 2011, du petit fils de Kim Il Sung, Kim Jong Un, suivie du limogeage du maréchal Ri Yong Ho en juillet 2012, avait créé l’espoir que le régime pourrait s’ouvrir au moins économiquement et mettre un frein à ses ambitions nucléaires et balistiques. En juillet 2012, deux mois après avoir démenti les rumeurs d’un test nucléaire imminent, Pyongyang s’était même déclaré prêt à reprendre le dialogue à 6, tandis qu’un rapport de l’AIEA montrait des progrès dans la construction d’un réacteur à eau légère.

Mais l’enchaînement, en quelques mois, de 2 tirs balistiques, l’un raté, le 13 avril 2012, suivi de l’arrêt de l’aide alimentaire américaine, l’autre réussi, le 12 décembre 2012, à quoi s’ajoute le test nucléaire du 12 février 2013 - les trois événements, qui contreviennent aux résolutions anti-prolifération onusiennes, ayant été condamnés par le Conseil de sécurité -, replace la Corée du Nord sur le cycle catastrophique de l’isolement international et des sanctions économiques américaines, ponctuées par des famines internes, dont la conjonction dessine, à quelques embellies près, la situation calamiteuse du pays depuis plus de 20 ans.

Revenant sur ses déclarations antérieures envisageant son retour à la table du dialogue à 6, le régime a rejeté les négociations pour la dénucléarisation de la péninsule et indiqué qu’il était seulement intéressé par la signature d’un traité de paix avec Washington, sa plus ancienne et plus centrale exigence, qui n’a cessé de pendre Pékin et Séoul à contrepied.

Les raisons de ce retour des crispations en moins de huit mois restent à décrypter. Elles ont peut-être quelque chose à voir avec l’analyse du frère de Kim Jong Un, Kim Jong Nam, qui dans un e-mail adressé au journal japonais Tokyo Shimbun, le 3 janvier 2012, doutait de la capacité de son frère à contrôler l’armée et les caciques du parti des travailleurs, sans se faire manipuler. « Il ne sera qu’une figure formelle. Le vrai pouvoir restera entre les mains de l’élite actuellement aux commandes ».

A quoi il avait ajouté « si le régime ne se réforme pas, il ne durera pas longtemps ». Cette appréciation prenait le contre-pied des nombreuses analyses qui spéculent sur la stabilité de la succession et la solidité du pouvoir du nouveau dirigeant nord-coréen.

Les conséquences d’un hypothétique effondrement du régime qui alarment Pékin, mais que Washington minimise, sont, entre autres facteurs plus insidieux, la clé de voute de cette situation paradoxale, où le régime chinois apporte son soutien à un pays autiste et claquemuré, qui tout en manipulant et affamant sa population, pose une menace grandissante pour la stabilité stratégique de l’Asie du Nord-est et pour le régime de non prolifération nucléaire.

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Pyongyang et ses voisins coréens et japonais.

En attendant que se confirme ou pas le désastre redouté par Pékin et attendu depuis plus de 20 ans par Washington - dont l’objectif essentiel n’est pas la stabilité du régime nord-coréen, mais la dénucléarisation de la péninsule -, l’analyse de la réaction des États-Unis et des voisins immédiats de Pyongyang, qui sont aussi les membres du dialogue à 6, en panne depuis avril 2009, pourrait donner quelques indications sur l’évolution à court et moyen terme de la situation dans la région.

Celle-ci est aujourd’hui compliquée par les tensions nationalistes entre Pékin et Tokyo à propos des Senkaku/Diayu, et, il est vrai à un degré moindre, entre Tokyo et Séoul, également autour de questions de souveraineté sur l’archipel des Tokdo/Takeshima, cette fois situé en Mer du Japon ou Mer de l’Est pour Séoul.

Alors que l’ONU considère le test nucléaire comme « une claire violation des résolutions du Conseil de Sécurité » et qu’un grand nombre de pays, y compris l’Iran, le Pakistan et la Russie, qui furent par le passé, et à des périodes diverses, proches du régime nord-coréen, condamnent le test, la réaction qui, comme à l’habitude a été la plus analysée et la plus disséquée a été celle de Pékin, parrain malheureux du dialogue à 6, protecteur, sponsor logistique de Pyongyang et principal investisseur au-delà du Yalu.

En Corée du Sud et au Japon, tous deux habitués aux provocations Nord-coréennes et toujours aux premières loges des tensions sur la péninsule, la fermeté des réponses officielles a été en phase avec l’intransigeance des États-Unis, avec cependant un ton et une rhétorique militaires plus agressifs, laissant planer la menace d’une course aux armements.

A Séoul, des drapeaux nord-coréens et l’effigie de Kim Jong Un ont été brûlés par des militants qui conspuent violemment le régime de Pyongyang, tandis que nombre de citoyens ont exprimé leur compassion pour leurs compatriotes du Nord et appelé en secret une réunification hypothétique dont les modalités les obsèdent et les inquiètent.

C’est bien pour répondre à ces aspirations où se mêlent d’une part l’exigence de fermeté à l’égard d’un régime tyrannique et paranoïaque et d’autre part la miséricorde à l’égard des Coréens du Nord martyrisés, que la future présidente élue en décembre, Park Geun-hye, fille du dictateur Park Cheung-hee assassiné en 1979, a rappelé son intention de proposer à Pyongyang des mesures de confiance, en ajoutant cependant qu’un retour positif de Kim Jong Un était essentiel.

Se référant au test du 12 février, elle ajoutait une mise en garde : « même un quatrième ou un cinquième essai nucléaire n’amélioreront pas la situation du pays. La poursuite d’un programme nucléaire conduira à l’autodestruction. L’URSS ne s’est pas effondrée parce qu’elle n’avait pas d’armes nucléaires ».

Quant à l’appareil militaire sud-coréen, il s’est appliqué démontrer sa capacité de riposte précise, héritée de son mentor américain. Le lendemain du test, le ministère de la défense a annoncé son intention de développer un missile balistique à longue portée, après quoi il a fait diffuser la vidéo du tir d’un nouveau missile de croisière, capable d’atteindre des objectifs au nord du 38e parallèle.

« Ce missile a la possibilité de frapper à tout moment et où que ce soit, n’importe quelle cible en Corée du nord – qu’il s’agisse d’un équipement ou d’une personnalité - ». Pour être sûr d’être bien compris, il ajoutait : « le missile est assez précis pour s’engouffrer par la fenêtre dans le bureau du Commandant en chef ».

Au Japon, des manifestations populaires ont aussi violemment dénoncé le test de Pyongyang. La différence avec Séoul est que les scories de l’histoire impériale japonaise au XXe siècle gênent la compassion populaire. Mais, dans les cercles des politiciens de droite, dont est issu l’actuel premier ministre Shinzo Abe, rôde l’idée inquiétante pour la Chine, d’une capacité de première frappe balistique, qui bousculerait l’actuelle interprétation de la constitution pacifiste.

Évoquant ce point avec l’agence Reuter, Itsunori Onodera, le ministre de la défense expliquait : « Si une attaque contre notre pays était imminente et qu’il n’y avait pas d’autre option, la loi nous autorise à déclencher un tir préventif ». Pour atténuer l’effet sur l’Asie, toujours inquiète de la renaissance du militarisme japonais, il ajoutait cependant : « Compte tenu des orientations pacifiques de la diplomatie japonaise, le temps n’est pas encore venu de nous doter de cette capacité, mais nous observons avec attention l’évolution de la situation de sécurité dans la région. »

Une chose est sûre, le nouveau virage agressif de la Corée du Nord pourrait, au grand dam de Pékin, accélérer les projets de défense antimissiles du triangle Tokyo – Séoul – Washington, sous l’égide du Pentagone. La priorité immédiate sera d’installer dans le sud du Japon un radar d’alerte à ondes courtes pour compléter celui déjà opérationnel depuis 2006 au nord de l’archipel.

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Washington et Pyongyang. Le cul-de-sac.

Dans l’affaire nord-coréenne, les États-Unis sont dans une position particulière, héritage de la guerre de Corée, dont la paix n’est toujours pas signée, puisque, périodiquement, Pyongyang exige une garantie de sécurité de la part de Washington et la signature d’un traité de paix directement avec l’Amérique, en échange de l’arrêt de ses programmes nucléaire et balistique.

Le 22 mai 2012, la télévision nord-coréenne avait, au demeurant, réitéré la menace de poursuivre la mise au point d’une arme atomique « tant que les États-Unis ne mettraient pas fin à leur attitude agressive ». Une situation qui dessine un cul de sac stratégique, puisque Washington est précisément sur l’attitude inverse, faisant de l’abandon des programmes proliférants de Pyongyang, la condition préalable à toute reprise des négociations.

En effet, pour la Maison Blanche, qui sans le dire officiellement, spécule sur l’effondrement du régime dynastique de la famille Kim, incapable d’ouverture économique et encore moins politique, la priorité, gravée dans le marbre, est toujours de s’ériger en obstacle au développement d’une arme nucléaire par Pyongyang, y compris au risque d’une catastrophe humanitaire et politique. Cette détermination nourrit également les menaces répétées de Pyongyang, faisant des États-Unis la cible future et hypothétique d’un tir nucléaire.

Cette fois encore les États-Unis ont donné le ton de la fermeté inflexible. Le 12 février, le Washington Post et le New York Times publiaient des articles alarmistes spéculant sur la possibilité d’une accélération du programme nucléaire et critiquant l’attitude conciliante de la Chine.

« 15 années de négociations ont démontré que Washington ne pourrait pas convaincre la Corée du Nord d’abandonner ses armes nucléaires. S’il existe un pays qui en a les moyens c’est bien la Chine qui livre à Pyongyang son pétrole et une partie de sa nourriture. C’est pourquoi la diplomatie américaine devrait s’efforcer de faire pression sur le régime chinois afin de le contraindre à prendre ses responsabilités et mettre un terme à la menace qui grandit à ses portes ».

Le jour même de l’explosion, quelques heures avant le discours sur l’état de l’Union, le président Obama s’appliquait à rallier la communauté internationale à une réaction rapide face à ce qu’il a appelé « un acte extrêmement provoquant, menaçant la sécurité des États-Unis et la paix mondiale ». Il ajoutait que ces attitudes agressives « n’augmentaient pas la sécurité de la Corée du Nord, mais contribuait à l’isoler et à appauvrir son peuple »

Il reste que, pour alourdir encore les pressions sur Pyongyang, les États-Unis n’ont eux-mêmes qu’une marge de manœuvre réduite, même si des accords de défense leur enjoignent de voler au secours du Japon et de la Corée du sud, leurs principaux alliés de la région. Washington a déjà mis en œuvre unilatéralement quelques sanctions économiques sévères, dans un contexte où le commerce bilatéral est voisin de zéro.

Enfin, s’il est vrai que le Pentagone maintient en Corée et au Japon un total de plus de 50 000 militaires, et que, techniquement - la paix n’ayant jamais été signée après le conflit de Corée en 1953 - les belligérants sont toujours en état de guerre ouverte, une initiative militaire directe contre Pyongyang est hautement improbable, compte tenu des risques posés par le caractère irrationnel du régime.

Certains, en Corée du sud, héritiers de l’ère Kim Dae-jung, disent même que la rhétorique inflexible de la Maison Blanche contribue aux tensions et favorise le raidissement de l’appareil militaire, inquiet de protéger sa prééminence et sa survie. Aujourd’hui, chacun voit bien que, pour aller collectivement au-delà des condamnations verbales prononcées par l’ONU lors de la réunion d’urgence du Conseil de Sécurité, le jour même du test, il faudrait en effet le concours actif de la Chine.

Dans l’administration américaine, tout le monde a conscience de ces limites. Certains, comme le Président républicain de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, Ed Royce, considèrent que la stratégie nord-coréenne de la Maison Blanche est un échec. Quant au Président de la Commission du renseignement, Mike Rogers il a, peu après le test, indiqué que Washington devrait « exercer de sérieuses pressions sur Pékin, seule manière de mettre fin au cycle de provocations nord-coréennes ».

Il faut donc s’attendre à des efforts diplomatiques de la Maison Blanche en direction de la Chine sur ce thème. Compte tenu de l’arrière plan historique et des contraintes stratégiques actuelles, le succès de la démarche américaine n’est pas garanti.

Il y a plus d’un an déjà, Christopher Hill, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Séoul et chef de la délégation américaine du dialogue à 6, estimait que Washington devait tout faire pour convaincre Pékin qu’un effondrement de la Corée du Nord ne heurterait pas ses intérêts stratégiques et que la Maison Blanche ne saisirait pas cette occasion pour étendre sa présence militaire au nord du 38e parallèle.

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Le dilemme chinois (1)

Chacun connaît les motivations qui, depuis 2009, poussent Pékin, historiquement proche de Pyongyang, à renforcer encore sa coopération avec le régime reclus de la famille Kim. Elles tiennent d’abord à des raisons objectives, liées à la crainte du chaos résultant d’un effondrement du régime, aspirant dans son sillage une « occupation humanitaire » de la Corée du nord, dont Washington, déjà lourdement positionné au sud, pourrait tirer profit.

A quoi s’ajoute que la disparition soudaine de la menace priverait la direction chinoise d’un précieux levier de manœuvre, moteur d’influence dans la région et monnaie d’échange avec Washington sur d’autres sujets comme la question iranienne ou la controverse sur les ventes d’armes américaines à Taïwan. Sans compter qu’à Pékin, certains estiment que la chute brutale du régime nord-coréen pourrait apparaître en interne comme un revers dans la compétition stratégique de plus en plus exacerbée qui oppose le pays à Washington.

Lire notre article Pyongyang, enjeu de la rivalité sino-américaine.

Cette fois encore le Bureau Politique a fait voter les résolutions condamnant Pyongyang pour ses activités proliférantes et nombre de commentaires extérieurs spéculent sur son agacement. Le 12 février l’ambassadeur de Corée du nord Ji Jae Ryong a été convoqué par Yang Jiechi.

Mais en Chine même, les principaux « Think Tank » doutent encore que la direction politique à Pékin pourrait aller plus loin dans les pressions et se résoudrait, comme le souhaitent les Américains, à fermer le robinet logistique qui tient le régime nord-coréen en situation de survie.

Pour Zhu Feng, par exemple, professeur de relations internationales à Beida, « le test nucléaire donnera des maux de tête au Bureau Politique et compliquera les relations entre Pékin et Pyongyang. Il pourrait induire certains ajustements de la politique nord-coréenne de la Chine. Mais il est peu probable qu’il conduise la direction chinoise à abandonner son allié ».

Il n’empêche qu’à l’intérieur les critiques montent contre cet attachement indéfectible à un compagnon de route aussi imprévisible, dont les provocations recommencent à gêner la réputation de la Chine. Sans compter que les programmes nucléaire et balistique assortis des discours agressifs de Pyongyang ont des incidences directes sur l’environnement stratégique de la région, induisant mécaniquement des évolutions très défavorables à Pékin (resserrement des alliances américaines de la région, accélération du programme antibalistique du Pentagone, résurgence des tendances nationalistes au Japon).

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Le dilemme chinois (2)

Sur la « blogosphère » chinoise, les internautes ont dénoncé la complaisance de Pékin à l’égard de Pyongyang : « cela revient à confier à un chien enragé la garde de la maison » écrit l’un d’entre eux ; un autre suggérait de dénoncer le traité d’assistance mutuelle de 1961, de mettre un terme à l’aide logistique et de rappeler l’ambassadeur.

Un troisième qualifiait la politique chinoise « d’extrêmement stupide », tandis que le dissident Hu Jia décrivait l’alliance entre Pékin et Pyongyang comme « un couple de chiens féroces ». Enfin, Yu Jianrong, de l’Académie des Sciences Sociales expliquait que la politique incohérente de la Chine « pavait la route de sa propre humiliation ».

Pour l’heure, il est encore trop tôt pour anticiper une inflexion des stratégies chinoises et un arrêt des aides logistiques dont les conséquences pourraient être catastrophiques. Pékin fournit en effet à la Corée du Nord 90% de son énergie, ainsi que 80% des biens d’usage courant et 45% de produits alimentaires qu’elle consomme. Sans compter que le Bureau Politique répugne à donner l’impression qu’il cède aux pressions de Washington.

Mais, les réponses aux questions sur l’état des relations entre Pyongyang et Pékin pourraient venir très vite. En 2009, après le 2e essai nucléaire nord-coréen, spéculant sur les possibilités d’ouverture économique du régime, et soucieuse de faire contrepoids à Washington, le Parti Communiste chinois s’était en effet systématiquement positionné contre les États-Unis et la Corée du sud, notamment lors du torpillage de la frégate Cheonan en Mer Jaune, le 26 mars 2010 (46 marins sud-coréens tués) et du bombardement de l’Ile sud-coréenne de Yeonpyeong par l’artillerie nord-coréenne, le 23 novembre 2010.

Entre mai 2010 et août 2011, Kim Jong Il avait été invité quatre fois en Chine, et Pékin avait pesé de tout son poids pour qu’augmentent les relations commerciales et les investissements directs chinois. Il est peu probable que, cette fois, Pékin fasse autant d’efforts.

En effet, dans le courant de l’année 2012, après l’accession au pouvoir du petit fils de Kim Il Sung, les relations se sont crispées entre les deux alliés, notamment après les rumeurs surgies en mai de la préparation d’un nouveau test nucléaire. Selon REUTERS, la Chine aurait même refusé de recevoir Kim Jong Un en visite officielle, en amont du 18e Congrès, en dépit de la requête formulée par son oncle Chang Sun Taek, désigné en 2008 comme mentor du futur n°1 nord-coréen, après l’attaque cérébrale dont Kim Jong Il avait été victime.

Cet enchaînement d’événements, où après les signes d’ouverture de la fin du règne de Kim Jong Il, Pyongyang revient, presque de manière caricaturale, au schéma du chantage nucléaire insupportable pour Zhongnanhai, conduit à faire l’hypothèse que la nouvelle direction politique du régime chinois est moins bien disposée à l’égard de Pyongyang, dont les dérapages mettent Pékin en porte à faux. Sans compter que les proliférations créent une situation de sécurité favorable au renforcement des alliances américaines de la région.

La succession des revirements suggère aussi de s‘interroger sur l’efficacité réelle du dispositif imaginé par Kim Jong Il pour, à la fois protéger Kim Jong-un, asseoir son influence au sein du parti des travailleurs comme dans l’armée et surtout introduire des réformes économiques capables d’extraire le pays du marasme, mais dont l’impact pourrait menacer les avantages de l’oligarchie.

Articulé autour de Kim Yong Hee, la sœur du « Cher dirigeant », nommée général à 4 étoiles en 2011 et de son mari Chang Song Taek, promu en 2010 au rang de vice-président de la Commission de la Défense Nationale, de fait l’organe exécutif suprême du pays, le parrainage de la succession pourrait avoir fait long feu, mis sous le boisseau par les caciques de l’armée qui manipulent à leur profit la mémoire de Kim Il Sung et de sa famille.

Cette hypothèse, non vérifiable, à rebours des analyses tablant sur la consolidation pouvoir de Kim Jong-un, spécule, à l’inverse, sur son inexpérience face à la machinerie opaque du régime qui le porte aux nues, tout en revenant aux stratégies antérieures de chantage et de menace, moins dangereuses pour son pouvoir. Elle expliquerait les récents revirements de la politique nord-coréenne.

L’autre hypothèse serait celle, classique, d’un Kim Jong Un grisé par le pouvoir et exalté par les succès technologiques du régime, incapable de résister à la tentation de la puissance et du face à face avec les Américains, spéculant sur l’efficacité de l’indéfectible paravent chinois. A la vérité, aucune des deux conjectures n’est rassurante.

Lire aussi : La mort de Kim Jong Il. Inquiétudes, non dits et arrière pensées

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BREVES

La Chine prend le contrôle de Gwadar.

Début février la Chine a, après presque deux années de tractations avec Islamabad, et après que Singapour ait jeté l’éponge, annoncé qu’elle allait reprendre la gestion de Gwadar, dont elle avait elle-même financé la construction à hauteur de 75% du coût total estimé à 248 millions de $.

La déclaration sanctionne un cuisant échec commercial de la société singapourienne, en partie du au fait que le Pakistan n’a jamais - probablement pour des raisons de sécurité - terminé la construction de la route vers l’arrière pays.

Le 30 janvier, le gouvernement pakistanais a accepté l’accord entre le précédent gestionnaire singapourien PSA International Pte Ltd et un repreneur chinois appartenant à l’Etat, China Overseas Port Holding Ltd, qui paiera 35 millions de $ par an pour le contrôle du port en compagnie de 3 autres actionnaires, dont l’un appartient à l’armée pakistanaise.

Selon un officiel pakistanais, la Chine s’est engagée à terminer la route longue de 900 km qui reliera le port à l’autoroute Nord-Sud qui rejoint la Chine par le col de Karakorum et les régions contestées du Cachemire. Il restera à construire l’oléoduc vers le Xinjiang depuis longtemps dans les cartons chinois - une des alternatives à la route maritime du pétrole chinois - mais dont les travaux n’ont jamais commencé.

Les difficultés du port et les retards se nourrissent de la mauvaise situation de sécurité du Baluchistan - arrière pays de Gwadar -, traversé par des menées irrédentistes qui ciblent les Chinois En 2004, 3 ouvriers chinois qui travaillaient à la construction du port avaient été tués par l’explosion d’une voiture piégée. La même année deux ingénieurs chinois travaillant à la construction d’un barrage dans le sud du Waziristan avaient été kidnappés et l’un d’entre eux tués.

Lire Ambiguïtés sino-pakistanaises.

La Chine instrument du monopole de Rosneft

Rosneft, le n°1 du pétrole russe contrôlé par le Kremlin est sur le point de doubler ses livraisons de pétrole à la Chine, après que Pékin et le géant pétrolier chinois CNPC aient accepté de lui prêter 30 Mds de $ pour racheter son concurrent russe TNK – BP.

Le dernier prêt de CNPC aux Russes Rosneft et Transneft (pipelines) avait permis à Rosneft de racheter le pétrolier Youkos, en échange de la construction d’un pipeline aujourd’hui opérationnel qui livre 300 000 barils/jour à la Chine.

Après de sérieuses controverses sur les tarifs avec les pays européens Poutine avait décidé de diversifier ses livraisons vers l’Asie, qui représentent aujourd’hui 15% des exportations russes. Rosneft, qui manque de cash pour ses projets pantagruéliques, n’a pas encore décidé de quelle manière il augmenterait ses livraisons à la Chine.

Plusieurs options sont sur la table : doubler le pipe-line existant ; livrer par l’est et la Sibérie orientale ; ou augmenter les livraisons directes par le Kazakhstan en utilisant les infrastructures existantes d’un pays dont les réserves pétrolières s’épuisent. Pékin privilégie cette option qui ne fait cependant pas l’affaire de Transneft, dont la bonne santé financière dépend de la densité des réseaux de pipe-lines.

 

 

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