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›› Société

La peine de mort entre « télé-réalité » et réformes

Le 1er mars 2013, 4 trafiquants de drogue ont été exécutés à Kunming, la capitale du Yunnan. Il s’agissait de Naw Kham, originaire du Myanmar, parain d’une mafia birmane de la drogue, et de ses comparses Zha Xika, laotien, Hsang Kham, thaïlandais, et Yi Lai, probablement chinois, mais dont la nationalité n’a pas été confirmée par la police.

En dépit de doutes surgis en janvier 2012 sur la probable participation à la tuerie d’une unité antidrogue de l’armée thaïlandaise, tous ont été reconnus coupables d’avoir assassiné 13 marins chinois le 5 octobre 2011 à bord de deux cargos naviguant sur le Mékong dans la région de Chaing Rai, au nord de la Thaïlande, non loin du « Triangle d’or », où se recoupent les frontières de la Birmanie du Laos et de la Thaïlande à 100 km au sud de la frontière chinoise.

L’exécution de la sentence a été précédée d’un programme spécial de la télévision d’État d’une durée de 2 heures présentant le transport des condamnés vers le lieu de leur mise à mort par injection létale et une brève interview du chef de la bande, le Birman Naw Khan arrêté par la police laotienne en avril dernier, après une longue chasse à l’homme au Laos et dans les hauteurs au nord de la Birmanie. Extradé en Chine, il a été condamné à mort avec ses trois hommes de main le 6 novembre et leur sentence confirmée en appel le 26 décembre par le tribunal provincial du Yunnan.

La mise en scène officielle autour de l’exécution a réveillé le débat sur le rapport des autorités et de la société à la peine de mort, dont la suppression n’est à l’évidence pas à l’ordre du jour, d’autant que ce cas concerne un trafic de drogue, aggravé par des crimes de sang, dont la majorité des Chinois estime encore qu’ils doivent être sanctionnés par la peine capitale. Même si un nombre croissant pense qu’elle devrait être appliquée avec plus de discernement et que le pouvoir devrait publier le chiffre exact des exécutions, encore considéré comme un secret d’état.

S’il est vrai que depuis 2005, le Bureau Politique a procédé à des réformes du code de procédure criminelle, supprimé 13 chefs d’accusation jusqu’ici passibles de la peine capitale, et introduit des dispositions légales permettant de réduire à la fois le nombre d’exécutions, l’arbitraire et les risques d’erreurs judiciaires, il est cependant peu probable que, sous ce régime, dans l’état actuel de la société chinoise et de ses rapports avec le pouvoir politique, la peine de mort soit abolie.

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Télé-réalité au Yunnan et au Henan. Parade de condamnés à Changsha

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La diffusion d’une émission spéciale, la première depuis longtemps, a certes suscité quelques critiques de juristes comme Liu Xiaoyuan qui firent écho à celles de plusieurs organisations de droits de l’homme internationales, soulignant la violation de l’éthique et des procédures criminelles sur la peine de mort qui interdisent toute mise en scène publique, « il n’empêche que », souligne Si Yinhong, professeur de relations internationales à Beida « l’émission exprimait bien les intentions du pouvoir de montrer que la Chine ne plaisantait pas avec la protection de ses citoyens, à l’intérieur de ses frontières comme à l’étranger ».

Enfin, si certaines élites sont choquées, la grande majorité des Chinois, qui considèrent la peine capitale comme normale pour des crimes de sang, ne l’ont pas été. C’est en tous cas ce qu’indiquait l’audience très forte, estimée à 40 millions – soit 50% de la population de la province -, d’une émission diffusée par une chaîne de télévision provinciale du Henan de 2006 à 2012, supervisée par le Département de la propagande du Parti, véritable « reality show » autour de la peine de mort, au titre angoissant et sans équivoque : « interviews avant exécution ».

On y voyait une jeune et jolie journaliste devenue célèbre, nommée Ding Yu, toujours vêtue avec recherche et soucieuse de son apparence, questionner les condamnés à mort enchaînés, coupables de crimes de sang et écouter leurs regrets qu’elle leur demandait expressément d’exprimer quand ils ne le faisaient pas spontanément.

Dans ce contexte, où le public accepte et même plébiscite que la peine capitale soit à la fois banalisée et mise en scène au moins dans ses préparatifs, à des fins non seulement dissuasives, mais également morales, et peut-être de rédemption – Ding Yu pense que l’expression des remords « soulage le cœur des condamnés » -, Chen Guangzhong, professeur à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques de l’Université de Pékin, estime qu’il serait irréaliste d’imaginer que la peine de mort pourrait être supprimée à court terme en Chine. C’est aussi ce que pense la désormais célèbre présentatrice Ding Yu.

Au demeurant les mises en scène où les condamnés à mort sont publiquement exhibés puis promenés en ville avec une pancarte auour du cou, rappelant leurs méfaits, n’ont pas disparu du paysage chinois. Le 29 décembre 2011, par exemple, dans le cadre d’une des campagnes de répression contre le crime – baptisée « Yan Da, 严打 frapper fort » - dont l’origine remonte à 1983, les autorités locales de Changsha avaient présenté, juste avant leur exécution, 15 condamnés à la peine capitale, convaincus de vol qualifié, de meurtres et de l’attaque à l’explosif d’un bâtiment du Trésor public, à une foule compacte rassemblée pour l’occasion dans le stade de l’Université du Hunan.

Là aussi des experts juristes et magistrats chinois qui stigmatisent la confusion entre le droit, la politique et la morale, en même temps que le caractère expéditif des procédures collectives risquant d’aboutir à de graves erreurs judiciaires, avaient dénoncé la pratique, la qualifiant de rétrograde, jugeant en substance qu’elle s’inspirait des mouvements de masse maoïstes et d’une conception de la justice sans subtilité, inspirée par la vengeance : « l’exécution des sentences devrait respecter le droit, plutôt que de rechercher le sensationnel ». Il reste que l’opinion publique n’est en général pas choquée.

Ce qui ne signifie pas pour autant que la société chinoise n’est pas agitée de controverses, notamment contre le maintien des condamnations à mort pour les délits économiques et financiers. Ainsi, on se souvient que le 22 avril 2012, la Cour suprême chinoise avait, sous la pression de l’opinion, annulé la sentence de mort de Wu Ying reconnue coupable d’escroquerie financière et condamnée à la peine capitale en 2009 par une cour intermédiaire du Zhejiang, jugement pourtant confirmé par la Haute Cour populaire de la province. Celle-ci avait en effet estimé que les délits de Wu Ying « menaçaient l’ordre financier du pays et sa stabilité sociale, justifiant la peine de mort. » (Lire « La grande sœur riche », le Parti, les banques et la peine de mort).

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Naissance d’un nouvel état d’esprit.

En réalité toute la machine judiciaire chinoise évolue lentement vers plus de précision et de subtilité, se libérant peu à peu du carcan politique et se rapprochant progressivement des critères de droit. Tout en dénonçant les survivances expéditives de type populiste qui risquent de multiplier les erreurs judiciaires, « l’évolution mafieuse du système et la survivance des exécutions extrajudiciaires », la sinologue Marie Holzman, très critique du système politique chinois, reconnaît elle aussi que la réflexion sur la peine de mort fait lentement son chemin au sein du Parti, souvent sous la pression de juristes et avocats chinois eux-mêmes.

A ce sujet une affaire récente de condamnation à mort d’une jeune femme mérite attention. Dans le contexte chinois, où les crimes de sang sont un chef d’accusation presque systématiquement sanctionné par la peine capitale, un autre cas plus complexe que celui de Wu Ying, qui, elle, n’avait tué personne, est celui de Li Yan, condamnée à mort en novembre 2010 pour avoir, lors d’une violente dispute assassiné son mari qui la torturait régulièrement.

En dépit de plusieurs appels au secours à la police, celle-ci n’avait jamais réagi, prétextant qu’il s’agissait d’une « affaire de famille ». Mais depuis qu’en août 2012, la peine de mort de Li Yan a été confirmée par une cour d’appel, puis par la Cour Suprême, des voix s’élèvent en Chine, pour la défendre.

Appuyés par des militants étrangers du droit des femmes luttant contre les violences domestiques, les défenseurs de Li Yan font circuler une pétition, signée par 400 intellectuels et avocats pour demander à la justice de surseoir à l’exécution.

Dans le même temps, les appels répétés pour dénoncer les violences faites aux femmes ont suscité une enquête de la Cour Suprême dont le rapport a été rendu public en janvier 2013. Ce dernier met notamment à jour les lacunes du droit chinois, où il n’existe aucune description précise des conditions de déclenchement des enquêtes et mise en accusation dans les cas de violences conjugales. Une situation qui nourrit l’inertie de la police, en partie à l’origine du drame de Li Yan.

Il est vrai que la Chine est largement en tête des statistiques mondiales pour le nombre d’exécutions. Un article de perspectives chinoises de 2005 évoque le chiffre de 2750 condamnations à mort par an, dont plus de 1800 sont exécutées, avec cependant une nette tendance à la baisse. En l’absence de données officielles Amnisty International parle de « plusieurs milliers », tandis que des chiffres officieux circulent sur le web, notamment par la fondation Dui Hua, faisant état de 5000 à 6000 exécutions chaque année.

Également dénoncé par nombre d’organisations internationales de droits de l’homme pour sa pratique de la peine capitale jugée à l’emporte pièce, parfois arbitraire, assez souvent entachée d’erreurs, et appliquée pour des crimes et délits sans décès directs des victimes (avec cependant un nombre d’exécutions par habitant estimé inférieur à Singapour et à l’Iran), le Parti a, depuis 2005, engagé des réformes de fond de son appareil judiciaire et de la peine capitale, dont il est néanmoins important de préciser qu’elles ne sont pas mises en œuvre sur tout le territoire avec la même célérité. Plus encore, les campagnes de répression de la criminalité (yan da – 1983, 1996, 2001, 2010, 2011…), où le nombre de condamnations à mort, y compris collectives, monte en flèche, constituent, à chaque fois, un freinage du rythme des réformes.

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De sérieuses réformes, mais de faibles perspectives d’abolition.

Depuis 2006 la Commission des Affaires juridiques du Parti a publié plusieurs directives allant dans le sens de la diminution du nombre des condamnations à mort, de la lutte contre l’arbitraire, de la réduction du nombre d’erreurs judiciaires et d’une meilleure transparence.

A cet effet, les audiences en 2e instance des procès pouvant conduire à la peine capitale et où les faits sont mal établis, ont été rendues publiques, tandis que la Cour Suprême a été chargée de réviser tous les jugements assortis d’une sentence de mort, et de publier dans le détail les attendus de ses décisions qui renvoient les condamnations à mort aux tribunaux locaux pour révision – dans 15% des cas -. (Ce fut le cas pour Wu Ying dont le cas est rejugé par un tribunal du Zhejiang.) Une autre réforme adoptée en 2006, stipule que les aveux et témoignages obtenus sous la torture ne peuvent plus être constitués en preuves.

Mais, la réforme la plus significative depuis 1997, aura été, en 2011, le 8e amendement au code de justice criminelle qui élimine de la liste des crimes passibles de la peine capitale 13 délits allant du trafic d’œuvres d’art et de métaux rares ou précieux, aux pillages des sites funéraires archéologiques, en passant par toute une série de corruptions, fraudes fiscales et financières, faux et usage de faux, qui constituaient jusqu’alors 19% des motifs de condamnation à mort. A quoi s’ajoutent des provisions particulières du 8e amendement invitant à la clémence pour les personnes âgées et les mineurs.

Il est clair que cette évolution qui réajuste l’éventail des sentences ainsi que des chefs d’accusation liés à la peine de mort, signale une évolution de la vision sécuritaire du pouvoir, qui semble chercher un meilleur équilibre entre répression et droits des individus.

Ces réformes de fond ont été accompagnées d’une série de modification des procédures d’exécution pour une plus grande humanité (généralisation progressive des triples injections, comme aux États-Unis, notification systématique aux familles), et une meilleure transparence (annonce officielle de l’exécution qui ne doit cependant pas être publique), dans un contexte général où le pouvoir – sans cependant rendre public une liste exhaustive et nominative des mises à mort – annonce que le nombre d’exécutions aurait diminué de plus de 40% entre 2000 et 2010.

Certains observateurs ont, après les ajustements de 2011, avancé que le système chinois pourrait désormais évoluer vers l’abolition. Rien n’est moins sûr. En Chine, l’avenir de la peine de mort n’est en effet pas lié à des considérations culturelles, sociétales ou psychologiques. Plus qu’ailleurs, il dépend de la volonté politique du pouvoir, de l’état de la société et de la qualité des rapports entre eux.

Dans ce contexte, précise Zhou Zhenjie, spécialiste du droit criminel chinois à l’Université du Peuple, « la première préoccupation du Bureau Politique ne sera ni humanitaire ni liée au droit des individus, mais tributaire de son appréciation des conséquences politiques de l’abolition ».

« Alors que la société est entrée en effervescence, traversée par une criminalité en augmentation, de sérieux phénomènes de corruption, et de fortes méfiances de l’opinion à l’égard du pouvoir, le choix le plus rationnel serait de maintenir un arsenal répressif modéré, d’accélérer les réformes économiques et la redistribution des richesses, tout en développant un dispositif institutionnel permettant de contrôler le Parti de l’extérieur ».

Mais, ajoute Zhou Zhenjie, « aucun dirigeant n’est aujourd’hui en mesure d’anticiper les risques que de telles réformes feraient peser sur la stabilité sociale du pays et le magistère du Parti ». C’est pourquoi, « la sévérité des sanctions pénales restera encore longtemps le moyen le plus facile de répondre au mécontentement social et de montrer que le pouvoir répond efficacement à l’aggravation de la criminalité ».

En même temps, la tendance populiste du pouvoir, « qui s’applique à rallier les faveurs du peuple et à regagner sa confiance » contribuera au maintien de la peine de mort pour répondre aux indignations publiques et, si nécessaire, sanctionner ceux qui auront gravement discrédité l’image du Parti.

Cette tendance sera pour un temps encore favorisée par une opinion publique plutôt favorable à la peine capitale, même s’il est vrai que le pourcentage des inconditionnels diminue régulièrement. Selon des enquêtes régulières menées par l’Académie des Sciences Sociales, ils étaient 95% en 1995, 60,6% en 2005, avec un pourcentage d’abolitionnistes en forte augmentation. En 2008, les « pros » ne représentaient plus que 57,8%, alors que 14% y étaient opposés et que 28% se déclaraient indécis.

The Death Penalty in China : Reforms and Its Future (fichier pdf).

 

 

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