Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Album

Le « style Tarentino » de Jia Zhangke

Le réalisateur chinois Jia Zhang-ke, 43 ans, a reçu le prix du scénario au 66e festival de Cannes pour son film « A touch of sin » (un soupçon de péché - titre chinois Tian Zhu Ding,天注定 -). S’appuyant sur des faits réels, parfois relayés par la presse chinoise et toujours par le net, le plus souvent sur le ton de l’indignation, le film dresse un tableau heurté - comme les morceaux d’un miroir éclaté dit un critique - d’une société fracturée en pleine effervescence économique et en voie d’urbanisation rapide, minée par la corruption, la détresse et la violence.

Jia Zhang-ke est le peintre pessimiste, ultra réaliste de l’âpreté, du bouillonnement, de la brutalité et des injustices qui agitent le corps social chinois, dont le peuple et surtout la nouvelle classe moyenne urbaine informée et réactive a de plus en plus conscience. Le scénario est articulé autour de quatre histoires enchevêtrées et ponctuées par la mort, le meurtre et le suicide.

Jia explique que les péripéties qui se développent dans plusieurs régions du pays et dans tous les milieux ne sont pas exceptionnelles, mais les symptômes alarmants d’une société qui paye le prix fort du développement accéléré et impressionnant de la Chine.

++++

Violences sociales et destins tragiques.

Le fil conducteur de ces destins tragiques entrecroisés est le sentiment de révolte face aux tourments et aux difficultés accablant la vie quotidienne d’une population pléthorique qui tente de rester en phase avec le rythme effréné des bouleversements, dont la brutalité déchire en profondeur la trame traditionnelle de la société chinoise.

Le décor est celui de « l’usine du monde », des immenses ateliers, des sites d’extraction miniers, et, par contraste, des brillantes lumières et des gratte-ciels qui poussent comme des champignons dans les villes nouvelles.

Dans ce paysage ébranlé et instable, traversé par de sévères secousses sociales, les héros du film, corrompus, violents, obsédés par l’appât du gain ou angoissés par la peur ancestrale de manquer, humiliés par des conditions de vie misérables, sont tous les jouets d’une fatalité néfaste qui les précipite aux enfers.

Du mineur de fond écœuré et jaloux de la Maserati et de l’avion privé du patron, à l’ouvrier qui découvre la puissance terrifiante et rédemptrice des armes à feu, en passant par le jeune homme à la recherche d’un emploi honnête, ils sont en quête de richesse, de pouvoir et de puissance pour les uns, d’identité, d’amour propre ou de dignité pour les autres.

La fresque, extraordinairement lucide, possède une vertu allégorique qui rend compte des causes de la violence dans un style sans détour et cruel. Elle exprime aussi un humour subtil, avec, par moments, les ressorts techniques des films d’arts martiaux.

Enfin, par sa précision clinique, elle tient du documentaire hyperréaliste, marque de fabrique de Jia Zhang-ke qui s’était fait déjà connaître par « Still Life » description poignante des villages engloutis par le barrage des trois gorges (voir http://www.lebleudumiroir.fr/critique-still-life/)

Plusieurs cinéphiles comparent le style de Jia Zhang-ke dans Tian Zhu Ding à celui du « Django » de Quentin Tarantino récemment autorisé par la censure, puis déprogrammé à la dernière minute. La trame des histoires de cynisme, d’arbitraire, d’injustice et de mépris, à la source des violences qui sont la colonne vertébrale du film, y est tout aussi réelle et tirée de faits divers chinois, dont certains ont fait le tour de la planète, comme l’accident de TGV près de Wenzhou à l’été 2011.

Mais, souvent il s’agit d’histoires sinistres, misérables, presque anodines, passées inaperçues dans un Occident impressionné jusqu’à la fascination par la puissance montante et irrésistible de la Chine moderne.

On y voit une masseuse tuer à coups de couteau un cadre du Parti qui venait de la gifler avec une liasse de billets de banque, parce qu’elle refusait ses avances – dans le film c’est la femme de Jia, l’actrice Zhao Tao, qui, placée dans une situation similaire, joue ce rôle -. Une autre scène du film montre l’épidémie de suicides des ouvriers de Foxcon abrutis et désespérés par leurs conditions de travail (voir notre article Hausse des salaires et des coûts de production).

++++

Critique politique et censure.

Alors qu’il est difficile de ne pas voir le film comme une critique sans concession des politiques de développement menées depuis 30 ans, les médias sociaux chinois sont entrés en effervescence aussitôt la bande annonce de « Touch of sin » rendue publique en amont du festival. Le thème des échanges fut souvent la brutalité politique exprimée par le film et les risques de censure.

Quand on se souvient que l’auteur commença sa carrière dans une semi-clandestinité et qu’il eut fréquemment maille à partir avec la censure, la question se pose de la projection du film en Chine et de l’attitude des autorités à son égard, alors que la récompense à Cannes ne garantit aucune protection contre la vigilance des censeurs. Le film de Lou Ye « Palais d’été », primé à Cannes en 2006 avait en effet été interdit en Chine.

Par le passé Jia Zhang-ke, qui, jusqu’à présent, n’a fait que peu de concessions aux directives officielles, avait préféré renoncer aux projets de films trop édulcorés par la propagande.

Ce fut le cas d’une histoire sur la vie sexuelle d’un citoyen ordinaire, caviardée pour pornographie, ou d’un sujet d’espionnage sur fond de rivalités entre le Kuomintang et le Parti Communiste, quand le pouvoir exigea que les espions du Parti soient systématiquement présentés comme des super-héros.

Cette fois pourtant, Jia est plus optimiste. Il rappelle d’abord que le film a été coproduit par la société de production d’état de Shanghai chargée de la distribution en Chine, et qu’il avait déjà reçu l’approbation de la commission de censure.

Surtout, il n’est pas impossible que le pouvoir politique, lui-même préoccupé par les dérives décrites dans le film, le considère comme un appui à l’œuvre de remise en ordre et d’assainissement à laquelle il s’est attelé pour redresser l’image du Parti, passablement malmenée depuis quelques années.

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

[3 mars 2024] • François Danjou

Bataille idéologique et graffitis à Brick Lane

[16 août 2023] • François Danjou

Le rêve chinois à la gloire de Messi

[30 juin 2023] • Jean-Paul Yacine

Wu, le policier à la retraite et le Sniper. Polars taïwanais chez Gallimard

[26 janvier 2023] • Jean-Paul Yacine

C.C.Eyes only. Pour les Conseillers du Commerce Extérieur confinés à Shanghai. Chapitre VII

[28 juillet 2022] • Rémi Gedoie