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›› Politique intérieure

Les hussards de la réforme et leurs adversaires

Il ne fait pas de doute que le Parti a engagé des réformes dans l’industrie, le rail, l’administration et la finance qui assurément bouleversent quelques avantages acquis, prébendes et positions de pouvoir des clans et des familles. Le système financier chinois en particulier est l’objet d’attentions d’une équipe déterminée à briser les connivences paralysantes entre les banques et le secteur public, principaux acteurs de la monopolisation et du gaspillage des crédits publics, dont une partie est détournée vers la spéculation immobilière.

L’objet de l’offensive qui vise à la transparence et à la concurrence est aussi d’éradiquer les circuits parallèles, à l’origine des taux d’intérêts usuraires qui asphyxient les PME et enrichissent les spéculateurs et les agioteurs affairistes.

L’esprit de la bataille engagée depuis le printemps et fermement ancré dans l’idée réformiste n’est évidemment pas limité aux techniques industrielles, administratives ou financières. Touchant aux intérêts particuliers et à la corruption des plus hautes strates du régime, consubstantielle de son fonctionnement, il est forcément politique. L’ampleur des chocs infligés au système et les remous qu’ils provoquent dans l’oligarchie sont homothétiques de l’efficacité des actions menées. A cet égard, le régime envoie des signaux ambigus que cette note tente de décrypter.

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Signes de fracture ou habileté manœuvrière ?

Quand on observe les réactions publiques des caciques du régime ou celles de chercheurs dont la proximité avec le pouvoir est avérée - certaines étant très contradictoires voire hostiles aux remises en ordre en cours -, il est légitime de s’interroger sur d’éventuelles fêlures au sommet du pouvoir. Il est vrai que depuis les ébranlements qui secouèrent le Parti dans les années 60 et une bonne partie des années 70, à quoi s’ajouta le spasme de 1989, le sommet du pouvoir chinois s’applique à donner une image cohérente et solidaire.

Il reste que l’ampleur des défis et mutations auxquels le Parti est confronté change la donne. Au milieu des critiques et inquiétudes, la difficulté des choix suscite une avalanche de commentaires et propositions, dont personne ne peut garantir l’efficacité, tandis que, pour l’heure, seul émerge le consensus autour des dangers de l’immobilisme. Au demeurant, en 2012, une première alerte sérieuse sur les risques de craquements a déjà secoué l’appareil chahuté par l’affaire Bo Xilai.

Sous une forme caricaturale ce dernier proposait une solution régressive et populiste à la quadrature du cercle des réformes à la fois nécessaires, mais refusées par le Parti qui les juge dangereuses pour son magistère. Le sentiment de sa toute puissante impunité, la conviction que la fin justifie les moyens, les dérapages corrompus, la perte des repères moraux les plus élémentaires ont, avec l’implication de son épouse Gu Kailai dans le meurtre crapuleux d’un consultant étranger, signé sa perte.

Aujourd’hui, les tendances populistes à tendance maoïste qui furent le moteur des succès de Bo Xilai à Chongqing, quoique moins exubérantes, n’ont pas disparu. Elles nourrissent toujours les frustrations des laissés pour compte et sont un adjuvant des convictions anti-réformistes.

Marquées à la fois par une série de déclarations anachroniques proches des slogans de propagande, un durcissement de la censure et un immobilisme qui frise l’obstruction sur certains projets portés par le premier ministre lui-même, les conservatismes freinent les ajustements structurels et donnent le sentiment d’un flottement à la tête. On peut même s’interroger sur la solidité réelle du couple Xi Jinping – Li Keqiang, quand on se souvient qu’en 2007, le premier avait ravi le poste de Secrétaire Général au second, suite à une manœuvre de la faction Jiang Zemin contre Hu Jintao.

Images brouillées au sommet.

Observés de l’extérieur, les signaux envoyés par Xi et Li donnent en tous cas une image contrastée et hésitante de leur coopération. Quand le Premier Ministre, s’appuyant sur une équipe résolument réformiste de bons techniciens de la finance décide de bousculer les banques en étendant la petite expérience de convertibilité du Yuan en cours à Qianhai depuis l’été 2012 à son projet de Zone de Libre Echange de Shanghai, il se heurte à l’inertie de ses détracteurs, dont l’immobilisme l’exaspère. (Lire notre brève Pékin teste la convertibilité du Yuan à Qianhai.).

Quand Xi Jinping stigmatise vertement et publiquement la corruption des cadres, le gaspillage et l’hédonisme, il marche sur la même voie que celle de son Premier Ministre. Mais il s’en éloigne en inscrivant son discours dans la phraséologie régressive des campagnes de masse maoïstes. Il s’en écarte aussi en oubliant son insistance récente pour le respect de la constitution et l’indépendance de la justice, qui garantissent la liberté d’expression et fondent la lutte contre l’arbitraire et la corruption. Lire notre article Reconstruire le lien entre le pouvoir et la société.

Deux mouvements, l’un marqué au sceau du populisme, l’autre à celui du raidissement idéologique, dont on peut penser qu’ils sont peut-être tactiques et destinés à rassurer les conservateurs, mais qui, pour l’heure, attirent au Secrétaire Général une série de critiques venant des intellectuels du sérail.

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Li Keqiang et les financiers réformateurs face aux résistances.

Lui-même licencié en droit et titulaire d’un doctorat d’économie de l’université de Pékin, le premier ministre, résolument réformateur est assisté de spécialistes d’expérience ouverts aux réformes.

Dans son équipe on retrouve Lou Jiwei, le nouveau ministre des finances, ancien Directeur du fonds souverain chinois doté de 500 Mds de $, adepte convaincu d’une réforme fiscale et de l’ouverture de la finance chinoise au marché ; Xu Xiaoshi, nouveau Président la Commission pour la Réforme et Développement et son n°2 Liu He, titulaire d’un master d’économie de la Kennedy School à Harvard, cheville ouvrière des réformes dont la teneur sera révélée au plénum de l’automne ; à qui il faut ajouter Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque Centrale, maintenu à son poste en dépit de son échec à l’élection au Comité Central, qui veille, contre nombre de ses détracteurs, à freiner les tentations de relance par l’investissement et prône, comme Lou Jiwei la libéralisation du Yuan.

Agissant en parallèle de ces hussards de la réforme financière on trouve un allié de poids en la personne de Wang Qishan, membre du Comité Permanent, n°6 du régime également spécialiste de la finance, ancien Directeur de trois des grandes banques d’Etat, et aujourd’hui président de la Commission Centrale de discipline, en charge de la lutte contre la corruption. Sans faire de bruit, faisant appel aux dénonciations par internet, connu pour ses méthodes expéditives et son refus du compromis, il dit vouloir installer un sentiment de malaise dans la haute direction du régime.

Récemment cette petite brigade de choc a rencontré quelques difficultés sur le projet emblématique de la Zone de Libre Echange de Shanghai, lancée par Li Keqiang, au cœur de la réforme financière et dont le développement est envisagé sur dix ans. A la clé il y a le relâchement progressif des contraintes imposées aux taux d’intérêts des banques, la libéralisation du marché financier, des garanties accordées aux dépôts bancaires et la mise au point d’une loi règlementant les faillites.

Un article du 15 juillet du South China Morning Post (SCMP) insiste sur l’importance que le Premier Ministre accorderait au projet au point qu’un renoncement lui ferait perdre la face et affaiblirait sa position dans le Parti. Le SCMP explique que – citant des sources proches des instances dirigeantes et familières des réunions au sommet –l’équipe de Li s’était sur certains des aspects du projet heurtée à l’opposition de Shang Fulin, président de la Commission de régulation bancaire et de Xiao Gang Président de la Commission de régulation des opérations boursières, ancien patron de la Banque de Chine, pourtant très critique des acteurs de la finance grise.

Xiao Gang a ouvertement refusé la constitution à Shanghai de stocks de minéraux et leur cotation en bourse par des intermédiaires chinois ; quant à Shang Fulin, il ferait obstacle à l’autorisation donnée aux banques de la Zone de Libre Echange de s’engager dans des activités de services financiers à l’étranger. Le SCMP ajoute que Li, « très frustré » aurait « tapé du poing sur la table » et vertement rejeté les réticences.

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Les flottements manœuvriers de Xi Jinping.

Que Xi Jinping cherche à asseoir le plus largement possible son audience dans le Parti correspond au moins à une nécessité tactique. Il n’est cependant pas possible de dire si ses messages aux réminiscences maoïstes qui contredisent ses professions de foi constitutionnalistes adeptes d’une justice indépendante correspondent à ses convictions politiques. Mais le fait est qu’en décembre 2010, il avait été le seul membre du Comité Permanent à rendre visite à Bo Xilai à Chongqing, où il avait même fait l’apologie de sa campagne contre les triades.

A cette époque nombre d’observateurs en avaient déduit que le futur n°1 du Parti pouvait avoir un penchant populiste et quelques sympathies pour la voie prônée par Bo Xilai qui proposait une alternative purement chinoise au dilemme réformateur.

Aujourd’hui le n°1 est critiqué pour ces discours qui, disent ses détracteurs, fleurent la campagne de masse, notamment quand il cible les corrompus, les hédonistes et le formalisme bureaucratique. Début juillet, l’historien Li Haiqing, s’exprimant probablement avec le soutien de quelques caciques, écrivait dans le Xuexi Shibao 学习时报 (Study Times), journal académique de l’Ecole Centrale du Parti, que l’appel populiste aux masses était un procédé politique démodé ne pouvant servir de substitut à la démocratie.

L’idée force de l’article était que « seul le renforcement de la démocratie et l’état de droit sont en mesure de créer un environnement institutionnel capable de mettre les cadres du Parti au service du peuple ». Le message envoyé au Président était clair. Sans un cadre institutionnel respecté de tous, d’ailleurs prôné à l’occasion par Xi Jinping lui-même, articulé autour de la force du droit placée au-dessus du Parti, celui-ci ne parviendrait jamais à l’idéal du slogan maoïste « 為人民服務 », inscrit aux portes de Zhongnanhai.

Une semaine plus tard, Yu Keping n°2 du bureau des traductions du Comité Central, intellectuel proche du pouvoir et connu pour son livre publié en 2009, « la démocratie est une bonne chose », signait un article dans les Nouvelles des Pékin, intitulé, « Comment parvenir à une démocratie ordonnée - 如何实现有字的民主。 » S’il est vrai qu’il ne s’agissait pas d’une attaque directe contre Xi Jinping, le raisonnement n’en était pas moins l’exposé serein des bienfaits de la démocratie et de son caractère inéluctable.

Il s’opposait frontalement et sans nuances aux idées maintes fois développées par le régime d’une « démocratie aux caractéristiques chinoises », mise en œuvre en interne et protégeant le Parti des batailles politiques. Il prenait aussi le contrepied de la toute récente « directive n°9 » préparée par le département de la propagande de Liu Yunshan mettant en garde contre le danger des idées occidentales (Lire « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – ». L’inquiétante panne des réformes politiques.

Sous la plume de Yu Keping on pouvait lire que la démocratie et l’Etat de Droit étaient la clé du « rêve chinois » et le « flux vital de la République Populaire », dont le sens profond était bien que « le peuple devait disposer du pouvoir de décision ». Il ajoutait que, dans un contexte où « il n’était plus temps de s’interroger si on aimait ou pas la démocratie, devenue une tendance irrépressible du monde moderne, une grande puissance comme la Chine devait s’engager sur la route qui la mènerait de la démocratie intra-parti à la sociale démocratie ».

La longue bataille des réformateurs.

Voilà longtemps que la modernisation de la Chine se heurte au dilemme de la réforme politique glissant insensiblement au dernier rang des priorités. Deng Xiaoping, lui-même n’ignorait pas qu’elle viendrait un jour télescoper les réformes économiques.

N’avait-il pas coup sur coup désigné Hu Yaobang et Zhao Ziyang, deux personnalités convaincues de la nécessaire ouverture politique, avant de poser une chape de plomb sur l’appareil, dont les effets ne sont toujours pas dissipés. Aujourd’hui beaucoup s’interrogent sur la trajectoire de Xi Jinping, dont la parole publique empreinte de fermeté en même temps que d’exigence éthique et morale, oscille entre l’apologie de l’Etat de Droit et les exhortations d’allégeance inconditionnelle au Parti.

Mais, sauf à accepter une dérive à la Gorbatchev un Secrétaire Général soucieux de la pérennité de l’appareil n’a probablement pas d’autre choix que de tenter le grand écart de la cohésion entre les techniciens de la finance et des réformes de structures, les réminiscences populistes et les voltigeurs de l’Etat de Droit. Faisant cela il prend le risque de l’immobilisme que, pour l’instant, on cherche à conjurer par un style plus direct dénonçant sans détours la corruption et l’hédonisme. A moyen terme le grand écart du SG fera poindre le péril du blocage des réformes par les tenants du système des prébendes et le danger des tentations populistes qui font le lit des crises politiques.

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NOTE de CONTEXTE

Le 3 juillet, le Conseil des Affaires d’État a approuvé la proposition du Premier ministre de créer sur une surface de 28 km2 au nord de l’aéroport de Pudong de Shanghai, dans la région de Waigaoqiao, la première zone de libre échange de Chine.

Pour le gouvernement il s’agit, après l’expérience de Qianhai, de tester des réformes d’ajustement à l’économie de marché dans 4 domaines essentiels : les investissements étrangers, le commerce, les services financiers, et le droit des affaires.

La montée en puissance prévue sur une dizaine d’années devra à terme aboutir à réduire l’emprise de l’État dans les flux financiers et le transit des marchandises trans-frontières. Sont en particulier à l’étude des mesures destinées à élargir l’éventail des secteurs ouverts aux investissements étrangers, à faciliter leur application – en supprimant l’autorisation de l’État - et à éliminer progressivement leur plafonnement.

Dans ce schéma les JV avec des partenaires chinois n’auront plus à faire figurer au contrat une autorisation gouvernementale – Il suffira d’un simple certificat d’enregistrement administratif -. La mesure sera également valable pour les sociétés chinoises de la ZLE souhaitant investir à l’étranger.

Mais la plus grande priorité de la ZLE de Shanghai est peut-être l’approfondissement des réformes financières testées à Qianhai. On touche là au cœur des réformes envisagées par la Banque Centrale et Zhou Xiaochuan. Le projet envisage en effet explicitement de libéraliser les taux d’intérêt et de laisser le marché gouverner les mouvements de capitaux.

Une autre proposition, pour l’instant bloquée par la Commission de Régulation Boursière, concerne l’autorisation donnée aux intermédiaires chinois de stocker et d’introduire en bourse des matières premières étrangères.

Hormis Shanghai, Shenzhen et Tianjin ont également postulé pour le statut de ZLE. Le choix de Shanghai a été décidé en mars, après une visite de Li Keqiang qui considère que le projet sera une étape cruciale pour améliorer le niveau qualitatif de l’économie chinoise. Certains estiment cependant que les facilités de change et de libre rapatriement de fonds, déjà en cours d’expérimentation à Qianhai, présentent un risque si elles étaient étendues sans précaution au reste de la Chine.

C’est la raison pour laquelle les concepteurs du projet Shanghai ont décidé de garder la main sur la convertibilité du Yuan et indiquent seulement que « des programmes pilotes de libre convertibilité pourront être lancés quand il sera possible d’en contrôler les risques ». Selon un expert international de la Banque Chinoise de Construction une première possibilité pourrait être de lever à l’intention des investisseurs étranger les quotas sur le montant de leurs bénéfices convertibles en monnaie chinoise.

- Source Caixin on line.

 

 

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