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›› Editorial

Main basse sur le cinéma chinois à Qingdao

Le 22 septembre à Qingdao, immense ville hybride de plus de 8 millions d’habitants, située sur la côte sud de la péninsule du Shandong, à la fois complexe industriel, cité touristique et siège du commandement militaire de la flotte de l’Est abritant une base de sous-marins stratégiques, a eu lieu un événement d’autant plus étonnant que la cité n’est pas connue pour les traditions d’ouverture de sa municipalité, où les marins de l’APL ont encore une belle influence derrière le rideau.

Dans cette ville qui fut brièvement une colonie allemande jusqu’à la fin de la Grande Guerre et porte encore les traces architecturales de l’Allemagne de Guillaume II, il est intéressant de décrypter ce que signifie pour la Chine le lancement, grâce à un investissement massif de 8,2 Mds de $ d’un futur centre cinématographique que les concepteurs voient déjà comme un concurrent d’Hollywood et de Cannes, Venise ou Berlin, tant pour la production de films que pour la renommée des festivals.

Pour rehausser l’événement furent invitées quelques unes de plus grandes stars américaines et chinoises du moment (Di Caprio, Kidman, Zeta-Jones, Travolta, Mc Gregor, Zhang Ziyi, Tony Leung) et les PDG des plus grands groupes cinématographiques de la planète comme Weinstein Co, Warner Bros, Viacom, Paramount Pictures et Lions Gate Entertainment.

Le pionnier richissime à l’origine de cette aventure qui commence par un coup d’éclat mémorable n’est pas un inconnu. Selon une enquête de Hurun publiée le 11 septembre dernier, Wang Jianlin, PDG du groupe Wanda investi dans l’immobilier, les hôtels de luxe, les grands magasins et le « tourisme culturel » est désormais l’homme le plus riche de Chine avant Zong Qinghou, PDG de Wahaha qui tenait encore la corde il y a un an. A la tête d’une fortune estimée à 14 Mds de $, Wang avait occupé le devant de la scène en juin 2012 quand son groupe avait acheté pour 2,6 Mds de $ le groupe américain AMC, le géant des cinémas Multiplex.

Certains disent que Wang ne s’arrêtera pas en si bon chemin, puisqu’il ciblerait déjà d’autres groupes du secteur en mal de « cash » en Europe et aux États-Unis. Mais ce que l’on sait moins est qu’il a, comme beaucoup de riches hommes d’affaires chinois, commencé sa vie professionnelle dans l’armée à l’âge de 15 ans et qu’à la faveur de l’ouverture et du développement fulgurant initiés par Deng Xiaoping, il a d’abord accumulé des capitaux grâce à ses affaires dans l’immobiler où les plus-values permettaient jusqu’à il y a peu de doubler sa mise en un temps record.

Les comptes-rendus factuels parus depuis le début de la semaine font également l’impasse sur la compétition interne très féroce que se livrent les acteurs du secteur, au point qu’on peut légitimement craindre que l’industrie du cinéma se développera d’abord selon le schéma très gaspilleur, articulé autour de critères quantitatifs et des luttes de pouvoir génératrices d’intenses dilapidations de ressources financières et humaines. Un modèle dont il n’est pas certain qu’il favorise l’émergence du talent et de la qualité.

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Sévère compétition interne.

Si Wang Jianlin n’est pas le seul en lice dans le secteur du cinéma il a au moins gagné une première bataille contre un longue liste de concurrents dont les plus connus sont Polybona film group, à cheval sur la Chine Continentale et Hong Kong et Huayi Brothers, société de productions créée en 1994 par les frères Wang Zhongjun et Wang Zhonglei. En février 2011 ces derniers avaient annoncé, dans un style emphatique camparable à celui de Wang Jianlin qu’ils s’apprêtaient à mettre sur pied le plus grand complexe de studios cinéma et TV en Asie de l’Est, avec à la clé un profit estimé à 10 Mds de Yuan en 2016 (1,6 Mds de $).

Pour illustrer la compétition impitoyable que se livrent les investisseurs chinois, surveillés de près par la bureaucratie qui entend bien prendre sa part du gâteau dans ce nouveau secteur lucratif alors que la manne financière de la Chine usine du monde est en train de se tarir, il suffit de consulter un article publié le 30 mai 2012 dans le China Daily.

Publié quelques jours avant le rachat de AMC par Wanda, une initiative qui a provisoirement modifié les rapports de forces dans la profession et promptement rallié l’attention des administrations, l’article qui présentait un autre projet situé à Wuxi, du même calibre que celui de Qingdao, ne parlait certes pas de qualité artistique ou d’innovation, mais, comme aujourd’hui, il donnait au lecteur le vertige des chiffres.

On y parlait d’abord de l’explosion du marché chinois, le sempiternel et presque unique argument de la bureaucratie qui soulignait que le nombre de salles à projection digitale qui n’était que de 80 en 2008 avait atteint 7000 aujourd’hui, chevauchant un « tsunami » de recettes passées de 1 Mds de Yuan 2002 à 13,1 Mds en 2011. Surtout à l’époque, l’administration et la télévision officielle CCTV semblaient avoir jeté leur dévolu sur le projet de Wuxi dont la description ressemblait à s’y méprendre à celle qu’on lit aujourd’hui à propos de Qingdao.

L’auteur citait notamment Zhu Weiping le Secrétaire du Parti du district de Wuxi où s’installeront les studios. Il expliquait que « dans 3 à 5 ans le complexe produirait 30 à 40 films chinois et étrangers chaque année et que l’Etat et la province du Jiangsu y investiraient 1,58 Mds de $ ». Dans ce contexte, ajoutait Zhu, « les studios de Wuxi attireront 30 000 à 50 000 professionnels du cinéma d’ici 2017 et deviendront une plateforme pour les réalisateurs chinois et étrangers ».

Là aussi l’argent, nerf de la guerre et le marché, son adjuvant, devaient attirer les talents étrangers et dynamiser la création cinématographique chinoise. Le schéma rappelle celui qui fut si longtemps à l’œuvre dans l’industrie, d’abord pour attirer les investissements, puis les technologies de pointe.

Dans cette bataille pour l’argent, le pouvoir et l’influence où la création artistique n’a qu’une place marginale, on voit bien qu’aujourd’hui le coup d’éclat de Wang Jianlin vient de le propulser en tête de course. Le Parti Communiste qui appuie ces initiatives ne s’y est pas trompé. Li Qiangkuan président de l’Association des cinéastes contrôlée par le gouvernement estimait que le projet de Qingdao « inédit par la puissance des investissements et par sa dimension », était « historique », et que « situé au meilleur niveau, il symbolisait le développement à venir ». On ne pouvait pas mieux dire.

La bureaucratie est sur les rangs.

La municipalité de Qingdao, présente au grand complet lors du coup d’éclat médiatique du 22 septembre a suivi le mouvement puisque dans une des villes les plus chères de Chine, les 6000 hectares nécessaires au projet ont été attribués en un temps record, à des prix défiants toute concurrence. Pour le groupe Wanda il s’agit de créer de toutes pièces une vingtaine de studios, dont un sous-marin, un parc à thème copié sur celui d’Orlando, des cinémas, des hôtels de luxe, un club nautique, qui transformeront Qingdao en une cité mondiale de la télévision et du cinéma. Le premier festival s’y tiendrait en 2016.

Preuve que les temps changent, il y a seulement quelques années la meilleure solution pour obtenir un terrain à bas prix à Qingdao était de présenter un projet d’assemblage industriel, dont récemment la mode était à l’automobile. L’épidémie s’était étendue à toute la Chine provoquant la naissance de plus d’une centaine de marques automobiles vite engagées dans une compétition chaotique impitoyable et destructrice.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’est pas difficile de prévoir que les rivalités mortifères seront bientôt à l’œuvre dans le secteur du cinéma. Déjà Wang Zhongjun expliquait il y a quelques semaines qu’il croyait fermement que son groupe dont il détient 26% des parts dépasserait en 2013 le niveau de ses bénéfices de 2012 évalués à 342 millions de $, soit 20 % des profits que le groupe projette de faire en 2016.

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Pour quelle qualité ?

Il restera à savoir si cette magistrale mise en scène, noyée dans le glamour, les capitaux et les hyperboles médiatiques, sera capable de transformer la citrouille en carrosse. On se gardera cependant d’insulter l’avenir et d’être trop pessimiste tant les chinois adeptes des rêves et du merveilleux, sont aussi des maîtres du théâtre et de la mise en scène. Et on se souviendra aussi qu’un des grands réalisateurs à succès du cinéma moderne est le Taïwanais Ang Lee, lauréat de 3 oscars à Hollywood, de deux lions d’or à Venise et de 2 ours d’or à Berlin.

Il est vrai qu’il travaille la plupart du temps aux États-Unis et que son imagination et son talent ne sont pas bridés par un très pointilleux et très frileux département de la propagande. Wang Zhongjun, PDG de Huayi Brothers qui reste jusqu’à preuve du contraire l’un des véritables professionnels du cinéma chinois moderne affirmait il y a quelque temps à CNN que cette difficulté pouvait être surmontée. On aimerait bien le croire.

En réalité il y a en Chine au moins deux obstacles au développement du cinéma de grande qualité. L’avalanche d’argent qu’on observe depuis quelques temps qui accompagne une mentalité purement commerciale et la censure qui formate les films, soit en fonction des goûts ou des tabous supposés du public, soit parce que certains sujets critiques, le plus souvent politiques ou de société sont systématiquement censurés par le pouvoir, y compris quand ils ne concernent pas la Chine elle-même.

L’attractivité financière du secteur est considérable avec une hausse des recettes du « Box Office » de 30% en 2012, dépassant celles du Japon et plaçant le marché chinois en 2e position derrière celui des États-Unis.

Depuis l’adhésion à l’OMC, l’obligation faite à la Chine d’ouvrir son marché aux films étrangers a créé chez les professionnels européens et américains un intérêt d’autant plus grand que hors de Chine le secteur semble s’essouffler, avec des symptômes inquiétants de baisse qualitative dus à la priorité exclusive donnée à la rentabilité commerciale.

A ce sujet, le diagnostic d’un des plus grands noms du 7e art, Stephen Spielberg qui s’exprimait récemment était sans appel. Selon lui le secteur risquait une implosion quand trois ou quatre films à gros budget manqueront leur cible commerciale, par défaut de qualité. Il dénonçait la tendance à l’œuvre depuis 5 années, où les réalisateurs de talent sont méprisés par des investisseurs n’ayant aucune expérience artistique. C’est bien ce risque qui guette la Chine dont l’explosion du marché attirera les capitaux et pas forcément le talent.

Au printemps dernier lors du 32e festival de Hong Kong, Ng See-yuen producteur de « Il était une fois en Chine » (1992, sorti en France en 2000) et plus récemment de « l’assassin légendaire » (2008), estimait que le cinéma chinois s’était développé jusqu’à l’absurde où les investisseurs n’ont que peu d’expérience du secteur. Avec aussi peu de professionnalisme il n’était pas étonnant que 80% des films perdent de l’argent, en dépit de gros investissements. Il ajoutait que pour échapper à la censure, beaucoup de producteurs se lançaient dans les films historiques qui n’intéressent plus le public à 80 % composé de jeunes de moins de 35 ans.

La deuxième entrave à la qualité qui vient s’ajouter à la faible expérience des producteurs et des investisseurs, est la censure et la survivance de tabous qui freinent la diversification des sujets et inhibent les réalisateurs. En avril dernier la censure avait retiré de l’affiche au dernier moment le film de Tarantino « Django déchaîné » et remboursé les spectateurs.

Toujours au printemps 2013, le festival de Dali présentant des réalisateurs indépendants avait été interdit, soulevant les critiques de Cui Weiping, professeur à l’Académie du Cinéma de Pékin : « Toutes ces censures ajoutées les unes aux autres aboutissent à supprimer l’espace de progrès intellectuel et à tuer dans l’œuf la capacité de puissance douce de la Chine ».

 

 

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