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›› Editorial

Renaissance et modernisation, conditions d’une puissance chinoise apaisée

Depuis le XIXe siècle, deux mots hantent la pensée des dirigeants chinois et de l’élite intellectuelle qui gravite autour : Renaissance et modernisation. Deux concepts qui regorgent d’énergie et d’espoirs, tout autant que de malentendus, d’interrogations et, parfois, de craintes.

Alors que le Vice-président des États-Unis quitte Pékin, où il eut une conversation de 4 heures avec Xi Jinping, les évolutions que nous observons en Chine même et dans son comportement à ses approches illustrent à la fois le chemin de retour de puissance et les questionnements, les ambiguïtés et parfois les inquiétudes qui l’accompagnent.

A l’extérieur, l’ombre portée militaire de la Chine s’allonge et télescope ses bonnes intentions commerciales et culturelles. En Asie de Sud-Est, elle provoque le raidissement de Manille et l’inquiétude d’une partie de l’ASEAN pourtant activement courtisée par Pékin.

En mer de Chine de l’Est, le face à face inflexible et crispé avec le Japon met l’Amérique en porte à faux, partagée entre sa proximité stratégique avec Tokyo et la crainte d’un emballement militaire contre la Chine. Mais après quelques cafouillages initiaux sur la création de sa ZDI, Pékin a repris la main dans cette controverse.

Que la Maison Blanche dénonce la « remise en question du statu quo » par la Chine, alors que le bouleversement de l’ordre ancien dans ces espaces qu’elle considère comme sa zone d’intérêt direct est en réalité l’ambition majeure de la direction politique du pays, donne la mesure de la divergence stratégique entre Washington et Pékin.

A l’intérieur, les vastes réformes envisagées par le récent 3e plenum interpellent les observateurs sur la capacité du régime à se remettre politiquement en question. Alors que la puissance future de la Chine, son poids, son autorité apaisante dans la zone et dans le monde dépendent aussi de son aptitude à vaincre ses démons domestiques, condition de sa stabilité politique interne, voilà que resurgit le spectre du « national populisme », à la fois obstacle à la modernisation politique et catalyseur des frayeurs qui, depuis des lustres, accompagnent la montée en puissance de la Chine.

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Succès et difficultés du jeu de GO.

A Joe Biden, qui venait de Tokyo où, après l’établissement de la ZIA chinoise, il avait affirmé la solidité de l’alliance militaire avec le Japon que la Chine voit comme une survivance anachronique de la guerre froide, Pékin a ouvertement livré un message sans équivoque par le biais d’un éditorial du China Daily : « Il n’y aura aucune avancée majeure s’il (Joe Biden) vient seulement répéter les déclarations univoques et erronées de son gouvernement ».

La gravité enkystée de la querelle sino-japonaise est attestée par le professeur de relations internationales Takehiko Yamamoto à l’université Waseda de Tokyo cité par l’AFP : « L’administration Abe ne fera jamais marche arrière pas plus que la Chine. Dans l’immédiat il n’y a aucune marge pour l’optimisme ».

Mais en sous main, la réalité est aussi que Washington, gêné par l’intransigeance de son allié japonais est en passe d’accepter l’établissement de la ZIA chinoise pour ce qu’elle est : une initiative conforme au droit international, de nature défensive venue s’inscrire dans un espace où le Japon dispose lui-même depuis 40 ans, d’une zone d’identification dix fois plus vaste. Sur ce sujet, une marche arrière de Pékin est totalement impossible. Les États-Unis le savent.

Un succès diplomatique et stratégique face à Washington et Tokyo.

Même si, comme le souligne Wang Dong professeur associé de relations internationales à Beida, la Chine a d’abord raté sa communication sur le sujet, elle est en passe de remporter une victoire diplomatique. Washington s’exerce maintenant au grand écart entre, d’une part la nécessité de ménager la Chine et d’autre part le soutien à son allié japonais. Suite à l’épisode B-52 et la décision de 55 compagnies aériennes appartenant à 19 pays différents de se plier aux injonctions chinoises, l’intention d’apaisement des États-Unis est manifeste.

Après avoir expliqué que le potentiel d’escalade avait été créé par Pékin, la Maison Blanche concède en effet que la Chine s’était abstenue de toute action agressive pouvant conduire à un dérapage. Dans ce contexte, ajoute Washington, l’important était désormais que les deux parties s’appliquent à réduire les tensions et trouvent une solution diplomatique à leurs différends en mer de Chine de l’Est. Mais s’ils veulent conserver un levier de manœuvre dans ce différend, les États-Unis devront prendre quelque distance avec Tokyo, ce qui ne sera pas le plus facile.

En Asie du Nord-est où l’alliance avec Tokyo met Washington en porte à faux, la Chine est donc en position favorable dans la partie de jeu de GO dont l’objectif est de neutraliser les ambitions stratégiques japonaises par le moyen des Senkaku et de la ZIA englobant leur espace aérien.

A Séoul, où les sentiments anti japonais sont historiquement tenaces, les agacements passagers contre le chevauchement des zones d’identification aériennes n’ont pas empêché l’accord entre une filiale du géant sud-coréen LG et le champion chinois des telecoms Huawei pour développer un réseau national wifi à haut débit.

L’affaire n’est pas anodine puisqu’elle coïncide avec l’intention de Huawei de renoncer au marché américain où ses perspectives sont fermées par les soupçons d’espionnage, tandis qu’au Congrès des voix s’élèvent pour dénoncer les menaces de sécurité posées par les risques d’intrusion de la compagnie chinoise dans les réseaux sécurisés de l’alliance militaire conjointe entre Séoul et Washington.

Difficultés des menées chinoises en Asie du Sud-est.

En revanche, en Mer de Chine du Sud, les stratégies de Pékin développées autour du vaste potentiel de la zone de libre échange déjà active depuis 2010 pour 6 pays de l’ASEAN, se heurtent aux craintes des riverains face aux ambitions hégémoniques de la Chine, de sa marine et de ses forces de projection que l’APL met sur pied depuis plus de dix ans.

Cristallisé autour de la plainte déposée par Manille au Tribunal du Droit de la Mer qui crée un précédent sans cependant faire des émules, le sentiment latent d’insécurité face à la disproportion des forces en présence et à la fréquence des empiètements chinois, rassemble mécaniquement certaines nations de la région sous la bannière de Washington.

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Les réformes internes, clés de la modernisation.

Mais les dirigeants chinois savent bien que la force d’influence de Pékin dans la région dépendra tout autant de la capacité du régime à relever les défis de la modernisation pour rénover l’efficacité de son schéma économique et éloigner les risques d’instabilité interne. A cet égard les ambiguïtés et les incertitudes ne sont pas levées.

Certes le troisième plenum a affiché une série de « vastes et profondes » ambitions clairement réformistes articulées autour du souci de rapprocher l’économie des règles du marché et notamment de l’exigence d’instaurer les conditions d’une concurrence équitable entre les acteurs publics et privés. Les intentions touchent d’abord - et il s’agit d’un bouleversement - à la nature de la propriété publique, à l’introduction de capitaux étrangers dans les conglomérats d’état et à la réduction de l’emprise du gouvernement qu’on envisage d’exclure de la gestion des entreprises publiques.

Les décisions balayent aussi un large éventail qui va de l’assainissement du système financier (banques et bourse détachées de l’influence publique), à la fin des prêts bancaires trop généreux aux provinces, en passant par l’arrêt des interventions publiques sur les taux d’intérêt et le cours de la monnaie, à quoi s’ajoutent la généralisation des taxes à la propriété, la remise en ordre de l’outil statistique et quelques mesures sociales comme la fin progressive de la politique de l’enfant unique.

Dans le domaine judiciaire, Meng Jianzhu, président de la Commission des lois a réaffirmé l’exigence déjà ancienne de l’indépendance des juges désormais nommés par les provinces qui auront la charge budgétaire des tribunaux locaux. Il a aussi réitéré sa promesse de supprimer les camps de rééducation par le travail 劳动教养 (Lao Jiaoyang) qui autorisaient des incarcérations sans jugement durant deux ans, à la discrétion de la police.

La feuille de route atteste clairement de la volonté de réformes ; mais, hormis les ajustements judiciaires évoqués plus haut et les promesses d’une meilleure gouvernance instillée par l’autocontrôle d’une « démocratie intra-parti », elle dit peu de choses de la nécessaire révolution des comportements pour conformer les pratiques politiques aux exigences de la constitution chinoise qui attend toujours d’être promue à sa place de « Loi Fondamentale » au-dessus de celle du Parti.

Sans cet effort pour affirmer la prévalence du Droit, clé de la lutte contre les obstacles politiques qui bloquent la modernisation, chemin vers la renaissance, nombre de changements et amendements annoncés lors du 3e plenum resteront lettre morte, faisant peser sur le pays la menace d’une crise économique sociale et politique. Dans ce cas, la tentation de resserrer la cohésion politique de la société en attisant le nationalisme porterait en elle le risque de favoriser les affirmations de puissance que craignent la plupart des voisins.

Photo : Affiche de propagande sur le « rêve chinois » 中国 梦。

 

 

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