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›› Editorial

Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question

Le 26 mars, le Bureau des Affaires taïwanaises du gouvernement chinois a minimisé l’impact sur les relations dans le Détroit de la révolte étudiante appuyée par nombre de professeurs d’université et de représentants de la société civile qui, à Taipei, protestent contre la signature de l’accord sur les services entre les deux rives.

Il a aussi nié les exagérations sur les risques d’une « invasion » de l’Île par les travailleurs chinois que l’accord sur les services ne prévoit pas, tout comme ce dernier n’autorise pas, comme certains le craignent, que les citoyens de la Grande Terre pourraient immigrer à Taïwan contre un versement de 48 000 Yuan (5600 €).

A Taipei, Ma Ying-jeou s’est appliqué au même désamorçage en insistant sur les bénéfices réciproques de l’accord et la nécessité de l’intégration de l’Île dans l’économie régionale, précisant que les critiques dont il était l’objet étaient attisées par des motivations de politique intérieure. Les deux sont cependant dans une posture politique assez peu en phase avec l’ampleur des protestations et l’angoisse ressentie par ceux qui, dans l’Île, craignent la force irrésistible et protéiforme des projets d’affaires chinois.

Pour la première fois, la rue taïwanaise qui s’exprime par les étudiants, les ONG et des universitaires, signale un désaveu inquiet et sans ambiguïté de la stratégie de rapprochement économique et commerciale des deux rives qui, pour Pékin, doit conduire à un dialogue politique, puis à la réunification pacifique.

Les effervescences qui n’ont cessé de s’amplifier pour déboucher le 30 mars sur une manifestation monstre de plus de 200 000 personnes (700 000 selon les organisateurs) ont commencé le 18 mars avec l’occupation du Yuan Législatif (le parlement taïwanais) par un millier d’étudiants mécontents de la manière opaque et expéditive dont le KMT conduisait la revue du pacte sur les services réclamée depuis juin 2013 par l’opposition et la société civile.

Munis de sacs de couchages et de provisions de bouche, les étudiants se sont installés pour durer, affirmant qu’ils ne quitteraient les lieux qu’après que le Président Ma Ying-jeou aura accepté de prendre en compte leurs revendications dont la plus importante, en dehors du réexamen clause par clause du pacte sur les services, exige la création d’un organisme de contrôle des accords dans le Détroit. A trois reprises la police a renoncé à les expulser.

Le surlendemain, 20 mars, les protestataires étaient déjà 10 000, assistés par des infirmiers volontaires organisés en petites unités de soins d’urgence. Le lendemain, alors que les forces de police étaient appelées en renfort, plus de 50 professeurs appartenant à l’Association des Universités taïwanaises appelaient le Président Ma à « entendre » les protestations.

Quatre jours plus tard, un sondage TVBS indiquait que 48% des Taïwanais soutenaient l’occupation du Yuan législatif, tandis que 40% s’y opposaient. Mais, alors que seulement 20% soutenaient le pacte avec la Chine, 70% souhaitaient que chaque article soit rediscuté en détail, comme le KMT l’avait promis.

Alors que le 24 mars la police était intervenue brutalement pour expulser un groupe d’étudiants ayant investi les locaux du gouvernement, le 26 mars, Wang Jin-pyng, Président du Yuan législatif dont on connaît l’hostilité à l’égard du pacte et du président Ma, s’opposait à l’expulsion par la force des occupants du parlement.

Au moment même où en Chine, la session annuelle du Parlement, succédané d’une démocratie de façade, venait à peine de se terminer, les tumultes à Taïwan qui s’insurgent à la fois contre le fond des dispositions de l’accord cadre sur les services et contre les méthodes à l’emporte pièce du KMT peu soucieux de dialogue, en disent long non seulement sur le fossé politique qui sépare les deux rives du Détroit, mais également sur la fracture qui risque de séparer d’une part le KMT allié aux hommes d’affaires de l’Île et d’autre part des intellectuels, la jeunesse étudiante et la société civile.

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La brutalité politique du KMT

Sur fond de rivalités exacerbées entre MaYing-jeou et Wang Jin-pyng, le parti de Ma Ying-jeou a, depuis juin 2013, accumulé les bévues politiques. De cette période de huit mois, les Taïwanais ont retenu que le Président, de plus en plus catalogué comme « pro Chinois », entendait, pour faire plaisir à Pékin dont il subissait la pression, expédier le plus vite possible la ratification par les députés de l’accord sur les services.

C’est là que le bât blesse. L’accord avec la Chine fut d’abord négocié à huis clos au point que même des députés du KMT relayèrent les craintes exprimées par leurs électeurs. Une attitude de dissidence interne encore aggravée par la menace intempestive du Bureau Politique d’exclure du Parti ceux des membres qui pourtant ne faisaient que rapporter les angoisses de leur base, mais n’eurent d’autre choix que de rentrer dans le rang.

C’était sans compter avec la vitalité de la société civile et des avocats de l’opposition dont l’activisme obligea le Parti à passer le pacte au crible d’une révision clause par clause au Yuan législatif et par le tamis de l’examen critique des universitaires et des ONG exprimant les inquiétudes des intellectuels et des associations professionnelles qui s’estimaient menacées.

Hélas, le KMT retrouva à l’occasion ses vieux réflexes dirigistes. La revue des clauses fut expédiée en l’espace d’une semaine, alors que certains représentants économiques et quelques ONG ne furent pas invités ou interdits d’accès au parlement.

Après quoi, Chang Ching-chung, président KMT de la Commission des affaires administratives, refusa tout amendement, suggérant d’adopter le pacte en l’état. Le raidissement très peu démocratique provoqua une première série de tumultes bloquant la ratification du pacte. Le refus du parti nationaliste de transiger, renouvelé en mars 2014 est à l’origine directe de l’occupation de Yuan législatif, resté dans l’histoire de l’Île sous le nom de «  Mouvement des tournesols - 太陽花 學 運動 - »

Connivences démocratiques entre Hong-Kong et Taïwan

Plus grave pour Pékin, l’hostilité envers la politique d’unification rampante trouve un écho à Hong-Kong où le désamour envers le Parti Communiste chinois n’a jamais été aussi profond depuis 1997. Le 21 mars le mouvement pro-démocrate « Occupy Central 佔領中環 - Zhanling Zhonghuan - », violemment critique des politiques chinoises dans la RAS a, dans une lettre adressée à ses adhérents, pour la première fois établi un lien entre les manifestations à Hong Kong et celles à Taipei : « le mouvement en cours à Taïwan, mené par des étudiants et des professeurs a touché ceux qui souhaitent l’éclosion de la démocratie à Hong Kong (..) ».

A Pékin, le Parti a d’ailleurs clairement identifié la menace. Le 24 octobre dernier, un éditorial du Global Times commentait la rencontre entre Chu Yiu-ming, un des meneurs du mouvement « Occupy Central » et Shih-Ming-teh (73 ans) ancien président du Parti Indépendantiste taïwanais de 1994 à 1996, aujourd’hui en rupture de ban après les dérives de corruption de Chen Shui-bian. Pour l’auteur de l’article qui exprimait la crainte du régime à Pékin, les effervescences à Hong Kong pouvaient devenir « une menace pour l’État ».

Dans la région administrative spéciale comme à Taïwan, les efforts de Pékin pour gagner le cœur de ces deux territoires excentrés du « rêve chinois » se heurtent à des résistances existentielles nourries par la crainte que disparaissent les libertés politiques qui fondent leur spécificité.

A Hong-Kong, les observateurs attribuent les déboires du Parti à son absence d’attention aux caractéristiques particulières de la RAS attachée à l’État de droit et à l’autonomie politique. A Taïwan on pointe aussi du doigt l’impossibilité du dialogue politique avec le Régime chinois, dont l’objectif de réunification heurte de plein fouet le sentiment de différence politique des Taïwanais. Mais, paradoxalement, c’est à la brutalité politique du KMT qu’on attribue d’abord le raidissement de la société civile, des étudiants et d’une partie des universitaires sur la question de l’accord des services.

L’appel de Lee Teng-hui

C’est bien cette défiance profonde contre le KMT qui motiva l’appel lancé le 30 mars sur son compte Facebook par l’ancien président Lee Teng Hui (91 ans), qui en 2001 avait tourné le dos avec pertes et fracas au parti nationaliste, sa mouvance politique d’origine, pour se rapprocher des Indépendantistes.

Notant que depuis 10 jours l’action des étudiants occupant le Yuan législatif avait été pacifique, mais déterminée, adressant aussi un satisfecit aux forces de police qui se montrèrent capable de retenue, le texte mis en ligne par l’ancien n°1 du KMT, successeur du fils de Tchang Kai-chek à la tête de l’Île, est bien plus qu’un simple soutien aux étudiants. Marquée par une vision large et humaniste, il se présente comme une leçon de gouvernance démocratique qui vaut à la fois pour Taïwan, Hong Kong et Pékin.

Insistant sur la force irrésistible de la jeunesse, espoir pour l’avenir de l’Île, Lee Teng-hui dont il est impossible de sous estimer l’influence et l’effet perturbant pour Ma Ying-jeou comme pour le régime à Pékin, rappelle que la démocratie ne se résume pas aux échéances électorales, mais qu’elle exige un effort permanent pour faire participer les citoyens aux décisions qui les concernent. A cet effet, il exhorte Ma Ying-jeou à organiser une conférence nationale seule capable, selon lui, de résoudre les controverses politiques qui ont enfermé l’Île dans l’impasse.

Rien ne dit que le KMT qui accuse l’opposition de saboter le travail législatif et de bloquer sans esprit de recul la ratification du pacte avec Pékin, accepte de remettre ainsi publiquement en cause les fondements même de sa politique d’apaisement avec la Chine. Vue par le pouvoir comme le pilier de l’avenir économique de l’Île, la stratégie de Ma Ying-jeou est assez largement appuyée par la communauté d’affaires qui a très positivement accueilli l’investissement de 495 entreprises chinoises dans le secteur productif et dans les services de l’Île.

A Pékin il ne fait aucun doute que, tout en s’appliquant à édulcorer la portée des protestations qui prennent en écharpe Hong Kong et Taïwan, le Parti mesure la puissance déstabilisatrice des turbulences sociales et politiques qui menacent de se mettre en travers de son projet réunificateur, une des épines dorsales du « rêve chinois ».

Quant aux États-Unis, leur position a d’abord été brouillée par une déclaration de David Brown, expert des relations dans le Détroit, professeur à l’Université John Hopkins et membre du Conseil d’administration de l’Institut Américain à Taipei, ambassade officieuse de la Maison Blanche, qui condamnait sévèrement l’occupation du Yuan législatif. Mais le 31 mars, le porte parole de l’Institut Américain à Taipei se désolidarisait de cette critique, affirmant que Washington appuyait l’expression de la démocratie à Taïwan tout en appelant les différentes parties au dialogue.

Mise à jour le 10 avril

Le 10 avril, les étudiants ont, de leur propre initiative évacué le Yuan législatif après trois semaines de protestations contre le pacte des services avec la Chine. Le président Ma s’est félicité de l’apaisement, mais a tenu à préciser qu’il ferait ratifier le pacte le plus vite possible.

En réponse Chen Wei-ting, représentant des étudiants a réitéré ses deux principales exigences : 1) créer une commission chargée de superviser les relations avec la Chine ; 2) attendre pour la ratification du pacte que la commission ait examiné le pacte et donné son avis.

Pour faire bonne mesure, Chen a lancé un défi au pouvoir, estimant que la contestation étudiante avait accumulé assez de puissance pour devenir un
mouvement national.

Quel que soit l’angle de vue, les événements de ces dernières semaines constituent une première. Ils accompagnent une pression inédite d’une partie de la société civile taïwanaise pour une pratique plus éthique de la démocratie dans l’Île et pour éloigner le pouvoir de l’orbite politique de la République Populaire de Chine.

Le 10 avril, un article de Denis Wang dans Commonwealth Magazine expliquait que les étudiants en colère avaient également protesté contre la dégradation des pratiques de gouvernement et contre l’injustice sociale. Critiqués par nombre d’adultes qui les sommaient de retourner à leurs études, ils se sont insurgés avec vigueur contre les mensonges, le cynisme et la lâcheté des politiques.

Tel était, selon l’auteur, le fond de tableau d’une situation qui, avec le Pacte sur les services imposé à la hussarde, a touché un point ultra sensible de la politique de l’Île : la dépendance économique de plus en plus lourde de Taïwan à la Chine, sur fond d’arrogance du pouvoir exécutif et de désespérance d’une jeunesse inquiète pour son avenir.

La très large audience du mouvement dans le monde universitaire, - Universités Nationales de Qinghua, Taïwan, Cheng Kung, Chiao Tung, Chengchi - qui toutes soutiennent la quête de la jeunesse pour plus d’éthique politique et critiquent l’absence de vision de la classe dirigeante, laisse supposer la persistance des tensions dans l’Île.

 

 

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