Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chine - monde

Xi Jinping en Europe. Au-delà des bonnes paroles et des apparences

La visite en France du Président chinois Xi Jinping du 25 au 28 mars s’inscrivait dans une tournée en Europe qui l’a aussi conduit à La Haye pour le troisième sommet mondial sur la sécurité nucléaire, à Berlin où il a rencontré Angela Merkel et son homologue le président allemand Joachim Gauck, ancien militant des droits de l’homme en Allemagne de l’Est et enfin à Bruxelles, où le Président Xi fut le premier chef de l’État chinois de l’histoire à visiter les institutions européennes.

La signification du périple vaut autant par les messages officiels adressés aux médias que par la somme des sous-entendus et non dits – parfois des malentendus - qui accompagnèrent le voyage, notamment et surtout parce qu’il coïncida avec la crise ukrainienne. Pour autant, ce télescopage du voyage avec un événement stratégique qui secoue toujours l’Est de l’Europe ne fut pas la seule coïncidence révélatrice de quiproquos ou de désaccords plus profonds.

Mise à jour le 30 septembre 2014 : Désormais l’Allemagne est reliée à la Chine par 3 axes ferroviaires : Hambourg - Zhengzhou, Duisburg - Chongqing, Leipzig - Shenyang. La durée du transit par ces routes terrestres est de moins de 20 jours, contre plus d’un mois par voie maritime. Ces nouvelles « routes de la soie » entre la Chine et l’Europe inaugurées en 2014 sont le résultat d’une coopération étroite entre la Deutsche Bahn et les chemins de fer chinois et russes.

Les charmes de la diplomatie familiale...

La présence de Xi Jinping sur le Vieux Continent qui permit la rencontre avec le Président Obama à La Haye en marge du sommet sur la sécurité nucléaire, se déroulait alors que – et ce fut une autre première - l’épouse du président américain, sa mère et ses filles, d’abord chaperonnées par Peng Liyuan, reçurent en Chine un accueil enfiévré de la classe moyenne « branchée » à la recherche de nouveautés et heureuse qu’enfin l’épouse du Secrétaire Général du Parti puisse rivaliser en allure, en style et en prestige avec la première dame de la plus grande puissance occidentale.

Mais l’affichage « glamour » de cet épisode familial tellement apprécié du public chinois qui a semblé sortir le n°1 du Parti et sa famille de la naphtaline protocolaire, eut sa contrepartie stratégique sans concessions. Les instants inédits de détente marqués en Chine par des contacts de Michèle Obama avec la société chinoise et les étudiants de Beida, à qui elle a présenté le 22 mars, sans acrimonie ni arrogance les avantages de la libre expression dans la presse et sur internet, furent en effet compensés par la position divergente de la Chine sur la sécurité nucléaire.

...L’âpreté des rivalités de puissance..

Le contraste entre le charme des épouses et la dure réalité des compétitions de puissance s’est également exprimé lors de la rencontre des deux chefs d’État à La Haye. A cette occasion, le président américain, plus que le Chinois, a fait état des divergences et controverses entre les deux pays (Droits de l’homme, espionnage, Mer de Chine, Alliances du Pentagone avec les Philippines et le Japon, Corée du nord, désarmement nucléaire, Tibet etc.).

Autre coïncidence, à peine quelques jours après le périple européen de Xi Jinping, certains points durs de la relation sino-américaine furent aussi au menu de la première visite en Chine du 7 au 9 avril du nouveau secrétaire d’État américain à la Défense, Chuck Hagel à qui Chang Wanquan, le ministre chinois de la défense, a asséné une profession de foi nationaliste et belliqueuse très éloignée des sourires de circonstance des attachés d’Ambassade et du charme inédit de la diplomatie familiale : « La Chine ne fera aucune concession et ne signera aucun traité qui compromettrait sa souveraineté territoriale ». Pour faire bonne mesure il ajouta que « l’APL était à tout instant prête au combat pour la victoire. »

Il est vrai que, de passage au Japon, juste avant l’étape de Pékin, Chuck Hagel avait tracé un parallèle entre la manoeuvre de Poutine pour replacer la Crimée dans le giron russe et les pressions chinoises pour s’approprier la presque totalité de la mer de Chine du sud et contester la souveraineté Japonaise sur les îles Senkaku en mer de Chine de l’est. Pourtant, dans la délégation du Secrétaire d’État américain personne ne prit au pied de la lettre la menace qui fut interprétée comme l’expression de la frustration et de la colère des élites chinoises.

Aux prises avec le vieux complexe d’encerclement et animé du sentiment très agaçant d’injustice face au Japon, ennemi héréditaire, responsable d’exactions pendant la guerre, vaincu en 1945, et pourtant toujours allié à la première puissance militaire de la planète, Pékin n’accepte pas le discours ambigu américain qui prétend à la fois ne pas prendre partie dans les querelles territoriales et en même temps réaffirmer sans faiblir la solidité de l’alliance militaire avec Tokyo. Au demeurant, comme pour tempérer ses propos, Chang a rappelé qu’à l’instar de son homologue américain, il était un vétéran du Vietnam. Il ajouta que tous deux connaissaient les affres de la guerre qu’il convenait d’éviter.

...Et les limites du « doux commerce »

Enfin, les derniers télescopages de situations mettant à jour le contraste entre les discours officiels de l’approche strictement commerciale et quelques réalités dérangeantes ont eu lieu en Allemagne et à Bruxelles. La visite de Xi Jinping à Berlin placée sous le signe d’un accord sur la monnaie et d’un contrat automobile étendu entre Daimler et la Beijing Automotive Corporation (BAIC) s’est en effet terminée tout juste une semaine avant l’ouverture dans la capitale de la République Fédérale de la plus grande exposition de l’artiste dissident Ai Weiwei jamais organisée.

L’intéressé, un des irritants des plus célèbres du régime qu’il épingle régulièrement pour son arbitraire et ses atteintes aux libertés, n’y assistera pas, puisque son passeport lui avait été confisqué en 2011 après presque trois mois de garde à vue. Avec son ironie acerbe, Ai Weiwei explique que le sujet qu’il préfère dans l’exposition est précisément qu’il ne puisse pas y participer.

Alors que Xi Jinping laissait paraître que, sur la question ukrainienne, il éprouvait quelque difficultés à concilier sa proximité avec Moscou et son attachement à la non ingérence, l’Europe qui remet son destin entre les mains de John Kerry et de Lavrov, souffre de son impuissance stratégique face aux manœuvres russes en Crimée et dans l’est de Ukraine. Dans ce contexte, elle donne une fois de plus à la Chine l’image de son incapacité à équilibrer le poids de Washington.

Obsédée par les 130 Mds d’€ de déficit de son commerce avec la Chine, l’UE s’intéresse en effet d’abord au rééquilibrage de ses exports et s’inquiète de la sincérité des promesses d’ouverture du marché chinois. En échange, Pékin attend à la fois de nouvelles opportunités d’affaires pour ses groupes industriels, la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes et, objectif que la Chine poursuit depuis 2001, la reconnaissance par l’UE que son économie est conforme aux lois du marché.

Photo Le 31 mars à Bruxelles, Xi Jinping avec, à gauche José Manuel Barroso, président de la Commission européenne depuis 2004 et, à droite Herman Van Rompuy, président du Conseil européen.

++++

La Haye et la face cachée de la sécurité nucléaire

Le voyage de Xi Jinping en Europe a commencé par sa participation au 3e sommet sur la sécurité nucléaire à La Haye dont le but officiel était : 1) de réduire la quantité de matières fissiles dangereuses, notamment l’uranium hautement enrichi (+ de 90% d’uranium 235) en circulation dans le monde ; 2) de renforcer la sécurité et de mieux contrôler les sources des matières radioactives ; et 3) d’améliorer la coopération internationale sur ces questions. Au-delà des commentaires sur la convivialité des échanges en marge de la conférence entre les présidents américains et chinois où il était question de la tournée de Michèle Obama en Chine, on constate deux choses :

1) Quand Pékin développe son discours à large spectre sur « les nouveaux rapports de confiance et de respect mutuel entre les grandes puissances », les États-Unis qui approuvent en apparence ce nouveau style, rétrécissent systématiquement leurs commentaires aux questions sensibles de la relation que sont la Corée du Nord, le changement climatique et la pollution, les droits de l’homme et la liberté de navigation en Mer de Chine du sud.

Tous ces sujets auxquels il faut ajouter l’absence de transparence militaire, le dumping social, le non respect du marché, l’espionnage, la monnaie chinoise sous évaluée et le vol de technologies que la Chine conteste, se retrouvent toujours en première ligne des dialogues stratégiques entre Washington et Pékin.

2) S’il est vrai que tous les participants au sommet nucléaire ont exprimé leur volonté de réduire le stock des matières fissiles, La Chine faisait partie des 18 pays (dont la Russie, le Pakistan et l’Inde) ayant refusé d’intégrer dans leurs législations nationales les recommandations du sommet pour une coopération internationale renforcée et plus de transparence proposées par les Etats-Unis, les Pays-Bas et la Corée du Sud, puis signées par 32 autres pays, dont la France, la Turquie, l’Ukraine et Israël.

L’examen de la liste des réfractaires comparée à celle des 35 signataires dont la plupart sont membres de l’OTAN, signale un point commun plus ou moins affirmé : la contestation de l’ordre occidental, jusque là conforté par les alliés de Washington ou ceux qui se coulent dans son sillage par intérêt conjoncturel, comme l’Algérie, le Chili, l’Ukraine ou les Emirats.

La fracture entre les signataires et les réticents dévoile quelques solidarités rebelles ou des angoisses encore diffuses : celle des émergents menés par les BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du sud) qui tentent difficilement de se faire une place dans le concert stratégique mondial ; celle de quelques pays asiatiques (Inde, Indonésie, Thaïlande, Pakistan, Singapour, Malaisie) - avec les très notables exceptions des Philippines et du Vietnam en froid avec Pékin - ; ou celle de quelques pays du Moyen Orient comme l’Arabie Saoudite et l’Egypte inquiets de l’évolution de Washington sur la question iranienne.

La liste des opposants à l’accord confirme enfin la solidarité entre Pékin et Moscou dont la trajectoire stratégique semble s’articuler autour d’une contestation systématique anti-américaine dont la solidité à terme restera cependant à vérifier.

Alors que les controverses entre Tokyo et Pékin ne faiblissent pas, il faut enfin souligner le geste très médiatique du Japon, mais peut-être sans réelle portée, ayant marqué l’ouverture du sommet par le transfert aux États-Unis de 350 kg de plutonium de qualité militaire et d’une grande quantité d’uranium enrichi estimée à plus de 200 kg, capable d’armer plusieurs douzaines d’armes nucléaires. Les quantités sont faibles, mais le symbole est destiné à la Chine et à sa critique systématique du Japon supposé militariste et accusé depuis février 2014 par Pékin de s’être lancé dans la construction d’un arsenal nucléaire.

Il est cependant improbable que ce renoncement par le Japon à des matières fissiles initialement transférées à Tokyo par Londres et Washington, recèle, comme certains le croient, une portée globale avec des effets possibles sur la situation en Asie du Nord-est et au Moyen Orient où la question de l’uranium iranien continue de nourrir la méfiance belliqueuse de Tel Aviv, pourtant lui-même à la tête d’un arsenal nucléaire proliférant à l’origine des méfiances et des angoisses de la région.

Pour tempérer la portée de l’initiative, à Pékin on fait remarquer que les stocks de plutonium présents dans les déchets des centrales japonaises pourraient être facilement recyclés en matériaux fissiles de qualité militaire, notamment dans l’usine de retraitement que Tokyo envisage d’ouvrir cette année au nord du pays.

Photo Les participants du 3e sommet mondial sur la sécurité nucléaire à La Haye (24 au 25 mars).

++++

A Berlin et Bruxelles priorité au commerce.

L’Europe neutralisée. Les droits de l’homme en embuscade

Après La Haye et Paris, le président chinois s’est rendu en Allemagne devenue un des points d’entrée privilégiés de l’influence chinoise en Europe (Voir notre article Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.), au point que c’est à Duisburg en Rhénanie-Westphalie qu’arrive le plus long chemin du fer du monde (11 179 km), nouvelle « route de la soie » reliant Chongqing à l’Europe de l’ouest en 16 jours par le Xinjiang, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne.

Mise à jour le 30 septembre : Depuis l’inauguration de la ligne vers Duisburg, la Deutsche Bahn a, en coopération avec les chemins russes et chinois, lancé un service de transport de pièces détachées automobiles de Leipzig à Shenyang. Les liaisons vers Duisburg et Leipzig s’ajoutent à celle entre Hambourg et Zhengzhou au Henan en service depuis juillet 2013 au rythme d’un trajet tous les deux mois.

Ces nouvelles routes terrestres entre la Chine et l’Europe permettent d’accomplir le trajet en 2 fois moins de temps que par la voie maritime. Elles rapprochent du marché chinois les machines outils et les pièces détachées de l’industrie automobile allemande. Sur chacun de ces axes elles acheminent à chaque voyage vers l’Europe, près de 700 tonnes de marchandises fabriquées par l’usine du monde.

Cette fois pourtant, l’adoption formelle d’un partenariat stratégique entre Berlin et Pékin et le volontarisme commercial et industriel ont, en amont de l’exposition Ai Weiwei à Berlin, (3 avril au 7 juillet) été tempérés par un regain des critiques privées et publiques contre le régime chinois. A l’annonce des 18 accords dont un agrément préliminaire sur la création à Francfort d’une chambre de compensation pour la devise chinoise et une extension de la JV entre Daimler-Benz et la BAIC (北京汽车), la presse allemande, a, en phase avec le président Gauck, fait écho en plaidant pour plus de droits en Chine. Un point qu’Angela Merkel a rappelé à Xi Jinping en lui faisant valoir que la liberté d’expression était un élément essentiel de la créativité, qui justifiait qu’on rende son passeport à Ai Weiwei.

Dans un éditorial publié avant la visite de Xi Jinping, la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui se félicitait par ailleurs de la coopération avec Pékin, encourageait les responsables allemands à se montrer plus fermes sur les sujets de la démocratie et à ne pas brader les valeurs du droit pour le simple intérêt du marché chinois. Au passage, le journal soulignait non seulement quelques faiblesses structurelles de la Chine, ses dépendances au marché européen et aux hautes technologies, mais également la tendance de Pékin à manipuler à son avantage la compétition intra-européenne.

La paralysie stratégique de l’Europe marchande

A Bruxelles, Xi Jinping suivait d’à peine 5 jours Barack Obama arrivé dans la capitale belge le 25 mars. Il précédait John Kerry en visite à l’OTAN et Ban Ki-moon le SG des NU, venu assister à une conférence organisée par les Nations Unies, l’Union Africaine et l’Institut Royal de Belgique sur la prévention des génocides. Dans la capitale belge, l’agitation diplomatique confirmait à la Chine, viscéralement attachée à son indépendance, non seulement la persistance des rivalités entre Moscou et Washington, mais aussi l’incapacité de l’Union à prendre seule en mains son destin face aux provocations russes dans l’est de l’Ukraine et au chantage au prix du gaz de Vladimir Poutine.

Les discours du président chinois sur la proximité d’intérêts entre l’UE et la Chine ont semblé vouloir corriger l’impression de désamour de Pékin pour la machine compliquée de l’UE depuis l’échec du traité constitutionnel en 2005 (en 2008 le régime avait même annulé le 11e sommet Chine – Europe en représailles de la rencontre annoncée entre Nicolas Sarkozy et le Dalai Lama).

Mais les bonnes paroles cachaient mal que le cœur des préoccupations chinoises restait l’accord réciproque, toujours en négociation, sur les investissements (dont le volume global reste faible avec seulement 2% des investissements européens dirigés vers la Chine), tandis que les Européens exigent plus de transparence sur les appels d’offre et un meilleur accès à la classe moyenne, notamment dans le secteur des services.

Pour Bruxelles, l’exigence de l’ouverture est d’autant plus pressante que Pékin a annoncé un effort des entreprises chinoises appuyées par la Banque de développement pour investir 200 Mds de $ d’ici 2015 dans les pays de l’Europe orientale et du sud dont les finances sont en déshérence et où la crise a tiré les coûts de la main d’œuvre vers le bas. Si cette prévision très optimiste se réalisait, elle quadruplerait le stock des investissements chinois dans le Vieux Continent et signalerait un effort sans précédent de la Chine vers l’Europe orientale, aggravant du même coup la césure est-ouest confirmée par la crise ukrainienne.

Le rééquilibrage passe par la fin des barrières non tarifaires chinoises dans les domaines des services (banques et assurances), du transport, des télécoms et de la santé. La négociation sera d’autant plus difficile que Pékin considère que nombre de secteurs dits stratégiques doivent être protégés de la concurrence étrangère, sans compter que le climat des affaires, la corruption et les controverses sur les droits de propriété continueront de décourager une partie des investissements européens.

Photo Le 29 mars à Duisburg, accompagné d’une importante délégation chinoise et du ministère allemand de l’économie Sigmar Gabriel (à gauche sur la photo), Xi Jinping a accueilli en grande pompe un convoi de conteneurs chargés d’articles électroniques parti 16 jours plus tôt de Chongqing. A droite, Hannelore Kraft, ministre-présidente de Rhénanie-du-nord-Westphalie.

 

 

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

[28 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

[22 février 2024] • La rédaction

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

[9 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

[4 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants

[15 décembre 2023] • François Danjou