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Les dictatures du marché et les ambiguïtés de la réforme

Depuis le 3e plenum de novembre 2013 qui avait défini les objectifs de long terme pour ajuster l‘économie aux exigences de plus d’efficacité sociale, financière et industrielle, il plane une incertitude sur la capacité politique, la cohésion et la détermination du pouvoir. Confronté à la fois à ses vieilles craintes socio-politiques et aux blocages corporatistes, le régime semble en effet éprouver quelques difficultés à mettre en œuvre les réformes annoncées.

Alors que de nombreux commentaires dissertent encore sur l’insuffisance du marché, le succès des réformes et de la modernisation de l’économie dépendra en réalité de l’aptitude du pouvoir à imposer les limites aux excès de libéralisme à la racine de nombre de déséquilibres socio-économiques ; il se nourrira aussi de sa capacité à surmonter les blocages conservateurs. S’il est exact que la Chine ne risque pas une crise systémique de grande ampleur, tout indique que le court et moyen terme seront difficiles, tant il est vrai qu’aucun des choix politiques n’est complètement dépourvu de risques.

La relance souhaitée par nombre d’acteurs économiques induirait une nouvelle accumulation de crédits toxiques et un probable recul vers le schéma de développement ancien, gaspilleur, polluant et peu innovant tournant le dos à la modernisation. Mais le choix contraire de l’assainissement fait naître des risques politiques et provoque le raidissement des conservateurs protecteurs des intérêts acquis.

En réalité, l’impression générale d’hésitations, parfois de piétinements ou de retours en arrière qui surnage, révèle que la longue liste de réformes décidées par le régime se heurte non seulement aux blocages conservateurs, mais également aux difficultés que le régime éprouve à concilier à la fois le maintien de la croissance, la lutte contre le fléau corruption - pollution, l’exigence de fermeté nécessaire au maintien de l’élan réformateur et, à l’inverse, le libéralisme bien compris porteur d’innovation et de dynamisme, mais débarrassé des réflexes de prédation.

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Inquiétudes et hésitations

S’il est vrai que les réticences des sceptiques peuvent paraître excessives et prématurées, il n’en reste pas moins que l’observation détaillée des faits trahit deux types de symptômes : 1) la baisse continue du rythme de la croissance crée un flottement à la tête du régime toujours inquiet des effets sociaux d’un ralentissement économique ; 2) en dépit des discours de rigueur, les efforts engagés semblent parfois tourner le dos aux restructurations du long terme et trahissent ici et là un retour en urgence aux vieilles solutions de relance dont les effets contribuent structurellement au creusement des déficits publics et handicapent les politiques d’assainissement financier et industriel.

Désarroi des administrations locales

Plusieurs provinces proches ou moins proches de Pékin renvoient l’image d’administrations locales désorientées par le tarissement des crédits dédiés aux réformes du long terme pourtant affichées comme prioritaires pour restructurer le vieil appareil productif, notamment dans les secteurs les plus lourdement liés aux prébendes tels que l’acier, plombés par les dettes et les surproductions. Toujours selon des observateurs proches de l’appareil, le resserrement des budgets se fait également sentir dans le tarissement des ressources dédiés à la lutte contre les gaspillages et la pollution industrielle qui figuraient pourtant en tête des objectifs de la réforme.

Dans le même temps, moins d’un mois après la réunion des assemblées, par ce qui semblait être une remise en cause au moins partielle des déclarations d’assainissement, de fermeté et de vision à long terme, le pouvoir écartelé entre ses promesses réformistes et ses craintes socio-politiques face à une croissance durablement ralentie, annonçait début avril un plan de relance par des grands travaux d’infrastructures urbaines et ferroviaires dans le centre et l’ouest du pays.

Même s’il est vrai que l’ampleur de la mesure bien plus faible que celle de 2008 et qui prévoit aussi la construction de logements sociaux urbains et une extension des exonérations de taxes pour les PME, signale plus un ajustement qu’un changement radical de stratégie, il n’en reste pas moins que les effets collatéraux d’un investissement public de 150 à 200 Mds d’€ destiné aux infrastructures ferroviaires contribueront à retarder la remise en ordre des finances locales et la lutte contre les corporatismes qui sont au cœur même des enchevêtrements politico-affairistes, principaux handicaps des réformes.

Une image contrastée des zones de développement

Sur le front de la modernisation des administrations, de l’ouverture au marché, de l’augmentation du nombre de secteurs ouverts aux investissements étrangers, de l’assouplissement du contrôle des changes et de la transformation des banques en entités commercialement rentables capables de rivaliser avec des concurrents étrangers, notamment en matière de rémunération de l’épargne, l’image est également hésitante. Il est indéniable que le gouvernement semble vouloir pousser les feux d’une réforme financière pour plus d’ouverture vers l’étranger et moins de créances toxiques en mettant ses banques à l’épreuve et en multipliant les zones de libre échange.

En 2014, les banques publiques seront une nouvelle fois soumises à des tests de solvabilité et, pour la première fois dans l’histoire chinoise, confrontées à la concurrence d’au moins cinq banques privées. Mais alors que le gouvernement décidait en janvier, suivant les exemples des zones de Shanghai, Canton et Tianjin établies en 2013, l’ouverture d’une douzaine de zones expérimentales sous douane, dont ceux de Zhoushan et Hangzhou (Zhejiang), Qingdao (Shandong), Chengdu (Sichuan), et Wuhan (Hebei), on peut craindre que les habituels effets des compétitions inter-régionales créeront des tensions sur les ressources humaines, d’importantes hausses au sommet des grilles de salaires et, in fine, un regain de projets d’infrastructures, épines dorsales des anciens schémas de développement gaspilleurs, peu innovants et parfois polluants.

Les informations qui viennent des zones de Shanghai et de Qianhai (aux portes de Hong Kong), toutes deux créees 2013, auxquelles s’ajoutent celles de Hengqin (débouché de la Rivières des Perles) et de Nansha (Macao) donnent à cet égard une image contrastée. Un gestionnaire d’actifs chinois connaissant bien Qianhai juge la zone dynamique et innovante avec des responsables très investis pour attirer des capitaux et des projets venant de Hong Kong, au point que les banques Hong-Kongaises ont déjà installé plus de 60 succursales dans les trois zones sous douane de la province de Canton.

En revanche, sur la zone de libre échange de Shanghai, pourtant une priorité du Premier Ministre, les retours sont moins optimistes. Mise en place pour expérimenter des politiques financières et des règles d’investissement en phase avec le libre échange et l’ouverture à des traités internationaux, la zone n’a pas, selon un article de Caijing du 4 avril, répondu aux attentes du pouvoir. Après 6 mois, les résultats sont en effet mitigés. S’il est vrai que les capitaux étrangers sont aujourd’hui autorisés dans les services financiers et que l’enregistrement des sociétés a été facilité, il n’en reste pas moins que plus de 1000 secteurs ont été exclus de la liste des investissements autorisés pour les étrangers, tandis que les autorités peinent à clarifier leurs intentions à moyen terme.

Pour l’auteur de l’article, au lieu du dynamisme attendu, l’image donnée par la zone sous douane qui célébrait récemment ses 100 jours, est celle de l’attentisme, reflet des hésitations du régime, brocardées par un dicton populaire : « shao zuo, shao cuo ; bu zuo, bu cuo 少做, 少错, 不做, 不错 - moins on en fait, moins on se trompe et quand on ne fait rien on ne se trompe pas ».

Les ambiguïté officielles…

Les hésitations s’expriment également au travers des déclarations au plus haut sommet de la machine politique du régime qui balance entre l’inquiétude et les déclarations optimistes et volontaristes. Après la faillite de la société de panneaux solaires Chaori début mars incapable de payer les intérêts d’un prêt de 145 millions d’€ - une première en Chine - et la panique bancaire qui s’est emparé des petits épargnants de la ville de Yancheng (280 km au nord de Shanghai), Li keqiang a d’abord rassuré les investisseurs en laissant entendre que, si nécessaire, le gouvernement relancerait l’économie par un stimulus. Mais, lors de la cession des assemblées du printemps, il a aussi prévenu que de nouvelles faillites auraient lieu dans le secteur industriel privé fragilisé par crise globale, tandis que, selon lui, de « graves difficultés » apparaitraient en 2014.

…et le pessimisme des observateurs …

Pour ne rien arranger, les observateurs étrangers ont, eux aussi, exprimé quelques inquiétudes sur l’état de l’économie chinoise. En janvier dernier Georges Soros, le célèbre financier spéculateur américain d’origine hongroise expliquait que le contexte international qui avait permis la croissance était à bout de souffle.

Pour lui, la relance massive décidée par la Chine en 2008 avait certes heureusement permis d’éviter la déflation, mais la machine économique chinoise se trouvait aujourd’hui devant un dilemme : une nouvelle relance creuserait encore les déficits et augmenterait dangereusement la dette. La crise financière mondiale avait mis en évidence l’erreur du concept « usine du monde », uniquement nourri par les exportations. Quand celles-ci faiblirent suite à l’atonie des marchés extérieurs, l’élan économique n’a pu être maintenu que par le creusement des déficits. Selon lui, ce schéma ne pourrait pas être tenu au-delà de quelques années.

Début avril, le groupe financier américain Bloomberg publiait sur son site un article expliquant à l’instar du groupe Morgan que le risque le plus probable pour la Chine serait une réédition de la déflation japonaise des années 90 entraînant à la fois la reconduction indéfinie des dettes toxiques, la vulnérabilité croissante des banques comme du tissu de sociétés industrielles et de services à l’origine de la baisse durable de la croissance. Mais, reprenant nombre d’arguments des conservateurs, l’analyse ajoutait aussi que la brutalité des mesures d’assainissement pour garantir une croissance du long terme pouvait être l’étincelle d’une éventuelle déflagration, dont le cordeau détonnant serait le marché immobilier, avec d’importantes conséquences sociales.

A cet égard, ajoute l’article, une forte augmentation des taux d’intérêts créerait des tensions financières pour nombre de sociétés. Surtout elle ajouterait aux difficultés des particuliers pour accéder à la propriété avec un effet négatif sur le marché immobilier chinois ; de même la libéralisation des investissements à l’étranger rendrait l’immobilier chinois moins attractif, ce qui pénaliserait les classes moyennes pour qui l’achat d’un appartement a longtemps été la seule manière de rentabiliser leur épargne que les banques chinoises ne rémunèrent pas.

Enfin, l’introduction d’une taxe à la propriété aurait certes des effets positifs dans des centres urbains comme Pékin où les prix ont explosé au point que seuls les riches peuvent acheter un appartement, mais elle casserait les prix dans les villes de 2e et 3e rang où l’offre est déjà très supérieure à la demande. Sur ce sujet Li Dakui, professeur d’économie à Qinghua, ancien conseiller de la banque centrale prévient qu’une chute des prix immobiliers réduirait les revenus des gouvernements locaux et provoquerait des faillites.

Il ajoute que s’il ne veut pas être confronté à une nouvelle panique des épargnants comme celle qui avait éclaté Yancheng le 24 mars dernier, le pouvoir devait en urgence adopter une loi sur les faillites et mettre en œuvre une politique à la fois plus dynamique et plus souple, mieux adaptée aux réalités de terrain très diverses qui s’accommodent mal de politiques rigides et univoques décidées à Pékin.
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Ralentissement de la croissance


Le libéralisme en question et la nécessaire fermeté politique.

Le 8 février, Nouriel Roubini, docteur en économie, professeur à l’université de New York, surnommé « Monsieur catastrophe » et connu pour ses analyses sans concessions, ayant notamment mis en garde dès 2005 contre l’imminence d’une crise globale, résumait la situation chinoise en pointant du doigt l’excès de crédits accordés aux entreprises publiques et aux promoteurs immobiliers pouvant conduire à un accident économique si les mesures correctives publiques étaient trop lentes.

Il récusait cependant la possibilité d’une crise systémique massive dont, dit-il, la Chine est protégée grâce à ses réserves de change et à la solvabilité de ses banque publiques. Il n’évacuait cependant ni les risques de tensions à court terme ni la difficulté des choix auxquels sont confrontés les dirigeants chinois soulignant que les deux solutions du contrôle strict de la masse monétaire ou au contraire de la relance, pourraient avoir des effets adverses importants. La remarque explique amplement les hésitations du régime, tiraillé entre les exigences de la remise en ordre et les effets perturbants des politiques d’assainissement.

Une des raisons du pessimisme ambiant tient à un nouveau ralentissement de la croissance au premier trimestre due à une contraction de 27% des exportations et à un resserrement du crédit qui frappe les promoteurs et les petits exportateurs. Calculée à 7,4%, la hausse du PNB pour les trois premiers mois de 2014 est la plus faible depuis 2012. A quoi s’ajoute une baisse de 11,3% des importations qui signale un ralentissement de l’activité qui fait craindre pour l’emploi.

Le schéma de développement évolue

Il existe cependant des motifs de satisfaction dans le chiffre de la croissance des services maintenue à +7,6%, qui confirme la lente bascule de l’économie vers une prévalence des services déjà apparue dans les statistiques de 2013 où ces derniers comptaient pour 46% du PNB contre 44% pour la production industrielle, tandis que la forte hausse des chiffres de la grande distribution signalait une augmentation de la consommation, indiquant que la Chine modifiait lentement son schéma de croissance.

Le dangereux leurre du marché

et les responsabilités des pouvoirs publics

Au milieu de ces informations pour la plupart inquiètes et alors que nombre d’observateurs commentaient un ralentissement voire un arrêt des réformes, le 2 avril Joseph Stiglitz prix Nobel d’économie en 2001, connu pour ses critiques adressées au FMI et à la Banque Mondiale dont il fut le vice-président, évaluait les chances de l’esprit réformiste en Chine dans un article publié dans fin mars dans Project Syndicate et repris par The Guardian : « Alors que le pouvoir met une nouvelle fois en œuvre une série de réformes fondamentales, face à la montée des obstacles corporatistes, quelles sont les chances de succès des réformateurs ? ».

La réponse est intéressante car elle prend le contrepied des mantras libéraux qui continuent d’argumenter sur la trop faible influence du marché en Chine. Or Stiglitz dit l’inverse : « Nombre de problèmes chinois aujourd’hui viennent non pas de la faiblesse du marché, mais au contraire de l’excès de marché et de l’insuffisance de contrôle de l’État ». Il ajoute « en d’autres termes, le pouvoir fait trop de choses qu’il ne devrait pas et ne fait pas assez de ce qu’il devrait faire ».

Constatant à la suite de la crise de 2008 que le marché ne s’autorégule pas, mais qu’au contraire, il provoque de considérables effets pervers sur la structure de la société par les inégalité qu’il creuse, sur les déficiences des systèmes sociaux qu’il perpétue ou sur l’écologie qu’il détruit, Stiglitz met en garde la direction chinoise contre l’imitation pure et simple du modèle américain, individualiste et matérialiste. Si la Chine adoptait l’exemple américain très inégalitaire, elle ne ferait qu’aggraver les tendances actuelles qui favorisent la corruption massive et la destruction de l’environnement.

Il rappelle que c’est l’obsession américaine pour la dérégulation qui fut à la racine de la crise des subprimes. En 1980, l’absence d’encadrement des intérêts avait déjà conduit les Etats-Unis à la crise de l’épargne et du crédit ; la libéralisation des prêts a encouragé les attitudes prédatrices d’exploitation des pauvres, tandis que la dérégulation bancaire n’a pas conduit à plus de croissance, mais à plus de risques.

Une chose est certaine : la Chine ne pourra pas maintenir une forte croissance et tout à la fois faire face à une demande globale atone, restructurer son économie, réduire le crédit et combattre la corruption. Si elle persistait dans cette voie, elle risquerait la paralysie.

Le chemin du succès passe en revanche par l’augmentation des dépenses d’urbanisation, de santé, d’éducation, d’aides sociales et de lutte contre la pollution, nourries par une politique fiscale efficace sur les revenus, la propriété, les bénéfices des investissements financiers et les émissions de carbone. Il s’agira aussi de distribuer aux ouvriers les bénéfices des entreprises publiques, y compris en réduisant les salaires des PDG.

Tout en reconnaissant que ses conseils ne seront pas simples à appliquer du fait des obstacles corporatistes, Stiglitz estime que si la Chine parvenait à mettre en œuvre ce programme qui tourne le dos aux obsessions du marché, elle-même et le monde s’en porteraient bien mieux.

 

 

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