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Li Keqiang en Afrique. L’heure des bilans

Du 4 au 11 mai, Li Keqiang était en Éthiopie, en Angola, au Nigeria et au Kenya après avoir lui-même reconnu avant son départ que des problèmes avaient surgi dans la relation, au milieu de fréquentes accusations désignant la Chine comme une « nouvel exploiteur colonial », pas très différent de ses prédécesseurs occidentaux.

Sans nier les controverses, le Premier Ministre a cependant précisé qu’il s’agissait de cas isolés dans une relation en général basée sur « l’égalité des partenaires et la réciprocité des bénéfices ». Après voir précisé qu’il était prêt à examiner dans le détail les controverses en cours, il a tenu à rassurer les partenaires africains de Pékin que la Chine ne poursuivrait jamais la politique colonialiste que « certains pays mirent en œuvre par le passé ».

Il n’empêche que Xinhua et les officiels chinois sont souvent obligés d’allumer des contrefeux contre des accusations de condescendance d’une politique univoque presqu’uniquement articulée autour de l’exploitation des ressources primaires, mise en œuvre par des longues cohortes de Chinois expatriés qui privent les locaux d’un emploi dans le secteur minier. Les reproches ne sont pas toujours sans fondement.

Les échanges avec l’Angola, par exemple, une des destinations de ce voyage qui accueille 250 000 Chinois expatriés et dont 40% du brut extrait est livré à la Chine, sont encore déséquilibrés, avec peu d’investissements directs créateurs d’emplois. Le schéma qui conforte l’oligarchie en place grâce aux 14,5 Mds de $ crédits consentis depuis la fin de la guerre civile en 2002, est critiqué pour l’opacité des contrats, le non respect par les compagnies chinoises des promesses de formation de la main d’œuvre ou parfois la mauvaise qualité des travaux d’infrastructure. Ailleurs comme au Tchad, en Zambie et au Niger des grèves ont éclaté dans les exploitations minières et pétrolières pour protester contre le non respect des lois du travail.

Il faut cependant se garder de généraliser. La situation de la Chine en Afrique mérite une remise en perspective et un examen détaillé pays par pays.

Photo Li Keqiang à Addis Abeba, le 5 mai 2014, lors de la visite d’un projet ferroviaire chinois. A sa gauche, lunettes noires, le premier ministre éthiopien Hailemariam.

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Un déficit d’image en Occident

En dépit des démentis des médias officiels chinois qui accusent les citiques de propagande anti-chinoise, la direction du régime est consciente de ce déficit d’image. Et, depuis quelques années, la riposte ne s’arrête plus au simple déni et à la propagande. De jeunes étudiants travaillant avec des ONG internationales et des journalistes de la nouvelle génération de plus en plus préoccupés de l’empreinte sociale et écologique des compagnies chinoises, sillonnent l’Afrique. Leur objectif : prendre la mesure exacte des critiques faites aux hommes d’affaires et informer les autorités et le public chinois.

La prise de conscience est en cours sur de multiples sujets qui vont du trafic d’ivoire aux impacts environnementaux en passant par la responsabilité sociale des entreprises et les rapports parfois difficiles de l’encadrement avec les personnels locaux. Les compte-rendus qui, jusqu’à présent, n’atteignaient pas le public chinois commencent à faire l’objet d’articles dans la presse et même de reportages des chaînes nationales. En appui de ce mouvement, l’ONG londonienne « International Institute for Environment and Developement (IIED) » qui finance des reportages conduits par de jeunes journalistes. C’est ainsi qu’un enquête complète sur le trafic d’ivoire depuis la source jusqu’aux clients en passant par les réseaux de distribution en Chine a été diffusée sur CCTV.

S’il est vrai que la réputation des compagnies chinoises restent mitigée en Afrique, où elles sont connues pour leurs investissements et leurs modes opératoires efficaces et rapides, mais assez souvent critiquées pour leur faible intégration sociale et leur impact négatif sur l’environnement, notamment dans le secteur minier, il n’en reste pas moins que le sujet de la responsabilité sociale des entreprises -企业社会责任 - qiye shehui zeren - encore inconnu il y a seulement 5 ans, est de plus en plus présent dans la presse spécialisée et académique où, depuis 2002, il est en augmentation de plus de 30%.

Succès et déboires

Mais beaucoup reste à faire et le premier ministre n’ignore pas les défis, d’autant que les grands groupes publics n’ont pas encore été mis au pas écologique en Chine. Depuis 30 ans ils ont accumulé de mauvaises habitudes qui furent à la racine de la plupart de leurs déboires en Afrique. Ainsi même s’il n’a pas abandonné la stratégie de prêts à long terme (Li a promis 30 Mds de $ - dont 20 étaient déjà en cours - pour tout le continent lors d’un discours à Addis-Abeba, le 5 mai), assortie de constructions d’infrastructures, - notamment ferroviaires au Nigeria et au Kenya le voyage a, cette fois, révélé un souci de prudence et de remise en question.

Certes les bonnes affaires sont nombreuses dans le secteur de ressources – avec par exemple le quadruplement des profits du groupe Jinchuang Group International Ressources, coté à Hong Kong après le rachat en 2011 d’une mise de cuivre et de cobalt en Afrique du sud, ou le succès de CNOOC au Nigeria et de CNPC en Angola -. Mais les déconvenues n’ont pas été rares non plus. Y compris dans le secteur minier, en partie à cause de désaccords, parfois de frictions avec les autorités locales dont certaines accusent les Chinois de ne pas diversifier leurs engagements ou de ne pas débloquer assez vite les fonds promis.

A côté des tensions sur les lois du travail ou liées au climat des affaires, d’autres difficultés sont apparues pour la mise en œuvre des accords de construction d’infrastructures rémunérée par des livraisons de matières premières que les compagnies chinoises tentent de renégocier à mesure que les prix des matières premières baissent. Le Wall Street journal cite les 3 Mds de $ prêtés par la Chine au Ghana en 2011 pour, entre autres, financer un oléoduc et garantis par des livraisons de pétrole. Mais à Accra on se plaint qu’après la chute des prix du brut, les banques chinoises n’ont seulement déboursé que 20% du prêt, tandis que les autorités chinoises accusaient le Ghana d’avoir mal planifié ses travaux d’infrastructure.

Du coup, les investissements directs chinois marquent le pas. Alors qu’il avaient atteint 5,5 Mds de $ en 2008, en 2011 ils n’étaient plus que de 3,2 Mds et seulement 2,5 Mds en 2012 (Source MOFCOM). En un mot, le temps de la conquête de territoires vierges des investissements chinois où, dans une stratégie de rattrapage, Pékin distribuait largement ses capitaux pour asseoir son influence, tire à sa fin. Le thème du voyage de Li Keqiang était plutôt la résolution des différends et des malentendus, à des fins de consolidation et la recherche d’un meilleur rendement pour les engagements financiers chinois.

Photo Avec le président du Nigeria Goodluck Jonathan et son épouse, à Abuja, le 7 mai 2014. A gauche Madame Cheng Hong, épouse de Li Keqiang, professeur d’économie à Pékin. Son père fut le secrétaire général adjoint du Comité Central de la Ligue de la Jeunesse, base politique de Li Keqiang. A Abuja, où il a également assisté au forum économique mondial, le PM chinois a signé le 6 mai un accord de 13 milliards de $ pour la construction par la Compagnie chinoise China Railway Construction Corp (CRCC) d’une ligne de train rapide sur une distance de 1385 km. Au total près de 9000 travailleurs locaux seront recrutés pour projet.

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Remises en question…

S’il est exact que le continent africain reste une priorité de Pékin parce qu’il fournit aujourd’hui 20% des besoins de pétrole de la Chine, ce qui le place juste derrière le Moyen Orient dans la liste de ses fournisseurs, les préoccupations de Li Keqiang sont également imprégnées des nouvelles idées véhiculées par la classe de jeunes experts et journalistes critiques qui écrivent sur la responsabilité sociale des entreprises et leur insertion dans la vie locale. Enfin, la démarche de consolidation également orientée vers de meilleurs retours sur investissement est d’autant plus cruciale pour Pékin qu’en interne l’heure est à la remise en ordre des finances publiques, tandis que les capitaux se font plus rares.

Pour accréditer l’idée d’une meilleure insertion dans le tissu social et l’économie locale, le vice ministre du commerce Zhang Xiangchen annonçait avant son départ de Chine que les accords envisagés au cours du voyage dépasseraient le secteur des ressources primaires, notamment dans le domaine de l’agriculture et de la production industrielle créatrice d’emplois ou des infrastructures sociales.

Parlant devant l’assemblée de l’OUA à Addis Abeba, Li Keqiang a annoncé qu’une partie des fonds chinois seraient non seulement dédiés au développement des infrastructures ferroviaires inter-africaines et à l’exploitation des ressources, mais également à l’amélioration du niveaux de vie des populations et à l’aide aux petites et moyennes entreprises. Il concluait : « Les faits et l’expérience le montrent, le développement de la Chine crée des opportunités pour l’Afrique et profite à la Chine ».

…Mais toujours, les ressources primaires et les infrastructures

Le même message exprimant une volonté de diversification des investissements et leur meilleure intégration dans le tissu social a été délivré aux étapes suivantes. Au Nigeria où les investissements chinois cumulés atteignent 2 Mds de $ (3e destination du continent africain) et où la démographie du pays (170 millions d’habitants) accepte plus facilement qu’ailleurs une immigration chinoise modeste, évaluée à 20 000 âmes. Des contrats ont été signés avec Huawei et ZTE pour la téléphonie 4G, dans l’aviation et la finance. A signaler le très important contrat de 13 Mds de $ dans l’escarcelle de la China Railway Construction Corp (CRCC) pour la construction d’une ligne de train rapide sur une distance de 1385 km.

Simultanément, Li Keqiang qui a souligné le retard de développement du pays et signé un accord pour accroître la coopération santé, a promis des investissements dans le secteur manufacturier créateur d’emplois. Arrivé trois semaines après l’enlèvement de 276 jeunes filles par le groupe terroriste Boko Haram, le PM chinois a également promis une coopération dans le domaine de la sécurité.

En Angola dont la Chine achète près de 40% du pétrole, un des pays africains ou l’empreinte chinoise est la plus lourde (avec une colonie de 260 000 chinois) et une forte présence des pétroliers chinois (SINOPEC est propriétaire de 15% des parts du champ pétrolier de Marathon en partie rachetées à Total en 2011) tandis que les compagnies chinoises travaillent depuis le milieu des années 2000 pour étendre et moderniser le réseau ferré, Li Keqiang a, sans donner de détails, promis de diversifier la coopération dans l’agriculture et la finance.

Enfin au Kenya, il a annoncé que la Chine était prête à encourager les entrepreneurs locaux et à investir pour créer une zone de production high-tech capable d’attirer des investisseurs étrangers. Pékin cautionnera et financera aussi en grande partie par le truchement de l’Exim-bank, la coopération entre Nairobi et Kampala pour la construction d’une voie ferrée au gabarit international entre la capitale ougandaise à la mer.

Le premier tronçon entre Monbasa et Nairobi dont la construction par une compagnie publique chinoise devrait commencer à l’automne fait partie d’un projet plus vaste qui visera à relier le Ruanda, le Burundi, le Kenya, l’Ouganda et le sud Soudan. Le schéma d’intégration régionale de 5 pays d’Afrique de l’Est sous l’égide du rail chinois qui rappelle les projets de Pékin en Asie du Sud-est également promus par Li Keqiang, a été signé à Nairobi le 10 mai en présence des présidents Uhuru Kenyatta (Kenya), Yoweri Museweni (Ouganda), Paul Kagame (Ruanda) et Salva Kiir (Sud Soudan).

Au passage le président kényan a rendu hommage à la coopération chinoise, « basée sur la confiance mutuelle ». Pour sa part l’Ougandais Museweni a saisi l’occasion pour fustiger les styles de coopération occidentaux « qui donnent des leçons de gouvernance », sur, a t-il ajouté, « des questions qui sortent des préoccupations de développement ». Il faisait allusion aux critiques occidentales de sa loi contre les homosexuels, une tendance répressive également à l’œuvre au Kenya et au Nigeria.

Des situations contrastées et en évolution rapide

Après cette visite, il est nécessaire de remettre l’empreinte chinoise en Afrique en perspective. En dépit des très fortes augmentations des échanges commerciaux qui, à la fin 2014 atteindront probablement 200 Mds de dollars contre 50 Mds à la fin des années 90, l’impact de la Chine en Afrique reste moins large qu’on le dit.

Selon une étude de la Bookings Institution, le stock des investissements chinois y représente toujours moins de 5% du total, tandis que la proportion du commerce chinois plafonne également à moins de 6%. Malgré les critiques qui montent ça et là sur l’attitude prédatrice de la Chine, la vérité est que les relations ont jusqu’à présent globalement été plutôt mieux perçues par les Africains émancipés que celles avec leurs anciens mentors coloniaux.

Aujourd’hui encore, les exigences de bonne gouvernance, conditions de l’aide économique occidentale sont mal perçues par les élites africaines qui préfèrent la souplesse et la réactivité chinoises. Pourtant on l’a vu, l’émergence un peu partout des notions de responsabilité sociale des entreprises, souvent mises en avant par des groupes d’opposition aux oligarchies locales avec lesquels Pékin a officiellement assez peu de contacts, crée des difficultés aux entreprises chinoises.

Cette nouvelle donne oblige à l’ajustement des discours et des attitudes officielles, dont ce voyage a donné un exemple. S’il est vrai que très souvent les objectifs affairistes des engagements chinois privilégient la stabilité politique contre les nouvelles aspirations sociales, il n’en reste pas moins qu’une prise de conscience est en marche, homothétique du nouveau besoin d’éthique en Chine qui obligera Pékin a mieux prendre en compte la demande des populations locales souvent opprimées par l’arbitraire des pouvoirs locaux.

Enfin, quand on tente une appréciation globale de la Chine en Afrique, il faut se garder de généraliser. Globalement il est exact que la présence chinoise crée de nouvelles opportunités pour un continent qui monte en puissance, au milieu d’un « surchauffe démographique » dangereuse. Dans ce contexte, la relation avec Chine qui véhicule un désir de commerce et d’investissements à des échelles assez nouvelles en Afrique, profite aux pays bien gérés, capables d’articuler des politiques de développement harmonieuses et planifiées pour le long terme.

Mais en même temps, les compagnies chinoises avides de ressources peuvent, si leurs actions sont mal contrôlées, devenir des partenaires encombrants et des sources de déboires pour les pays dont les systèmes politiques corrompus détournent la mise en valeur du pays au profit des individus et des clans. C’est pourquoi, l’analyse doit être conduite en fonction des situations locales, pays par pays. De même, l’impact des colonies chinoises et la manière dont elles sont perçues dépend aussi de la démographie des pays d’accueil.

En Namibie où la population locale est clairsemée, la présence de quelques dizaines de milliers d’émigrants chinois créé des difficultés. Leur présence massive en Angola qui compte presque 25% des expatriés chinois sur le continent convient au régime de Luanda, parce qu’elle procure des ressources financières aux élites locales qu’elle conforte au pouvoir depuis plus de 30 ans, mais elle est source de conflits avec la population.

Autre idée reçue à remettre en perspective au vu des évolutions en cours : Les engagements chinois sont souvent perçus comme débarrassés de toute contrainte politique. En réalité, la prévalence des affaires crée un état d’esprit privilégiant systématiquement la stabilité politique en appui des régimes en place, parfois contre les mouvements de fond des sociétés civiles ignorés par la tendance chinoise à se caler uniquement sur les relations officielles d’état à état.

Lire aussi :
- Le rêve céleste des Africains

- L’aventure africaine de la Chine

A consulter pour la qualité des analyses et son objectivité qui prend le contrepied des idées reçues, le site de Deborah Brautigam, « China in Africa : The Real Story ».

D.B. est professeur de politiques comparées et directeur d’un programme d’études sur le développement international à l’université privée John Hopkins (Baltimore. Etats-Unis) qui dispose de campus en Asie à Singapour et à Nankin. Deborah Brautigam étudie les relations Chine – Afrique depuis 30 ans.

Photo Le 10 mai à Nairobi, Li Keqiang a signé un projet de réseau ferré est africain, financé à 90% par l’Exim Bank qui reliera le Kenya, l’Ouganda, le Ruanda, le Brurundi et le sud Soudan. De gauche à droite : Paul Kagame (Ruanda), Uhuru Kenyatta (Kenya), Yoweri Museweni (Ouganda) et Salva Kiir (Sud Soudan).

 

 

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