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Chine – Europe : « Unis mais différents »

Le premier ministre Li Keqiang s’est rendu au Royaume Uni puis en Grèce du 16 au 21 juin derniers. Quelques commentaires ont établi une hiérarchie dans ces visites, affirmant que le passage à Londres était une formalité accomplie au passage, le but réel du voyage étant Athènes. Il s’agissait d’accréditer l’idée de la subtilité oblique de la Chine, évitant les poids lourds et approchant l’Europe par ses « ventres mous », le Portugal, l’Espagne, la Grèce, l’Europe de l’Est pour la circonvenir et s’y tailler une influence économique qui pourrait peser politiquement sur Bruxelles.

Après les crispations…

Ce n’est pas tout à fait exact. D’abord parce que la Chine a compris que l’UE et Bruxelles sont devenus incontournables et que l’étape de Londres fut tout sauf une formalité. Certes, après les déboires du traité constitutionnel en 2005, Pékin qui avait manifesté par un Livre Blanc son intérêt pour l’UE en 2003, avait pris ses distances pour revenir à « la stratégie des capitales », pays par pays, avec une préférence pour l’Allemagne, les pays d’Europe centrale et orientale, puis ceux frappés par la crise.

La France et le Royaume Uni étaient boudées, pour cause de rencontre avec le Dalai Lama. En novembre 2011, Pékin avait même pris l’initiative rarissime d’annuler sa participation au sommet Chine – Europe prévu à Lyon, lors de la présidence française pour s’insurger contre la visite dans plusieurs capitales européennes du chef spirituel tibétain.

…retour au pragmatisme

Ces crises semblent aujourd’hui dépassées. En premier lieu parce que l’Europe reste un marché indispensable et un réservoir de technologies que la Chine convoite. Ensuite, parce qu’à l’Est, les relations de Pékin se sont crispées avec nombre de ses voisins et que la compétition stratégique avec Washington et Tokyo se durcit. Résultat, par souci de contrepoids, en moins de quatre mois, les deux plus hauts dirigeants chinois ont fait le déplacement en Europe.

Cinq pays ont été visités dont l’Allemagne, la France et le Royaume Uni. Pour la première fois dans l’histoire, un président chinois s’est rendu à Bruxelles, au siège de la Commission. Quant au Royaume Uni, il est évidemment faux de croire que Pékin ne s’y intéresse qu’à la marge. Il est vrai qu’une visite à Londres renvoie forcément à des réminiscences historiques cuisantes, encore ravivées de manière irritante par les récentes crispations entre Pékin et Hong Kong.

Mais la somme et la valeur des accords – 30 Mds de $, allant de l’énergie à la finance en passant par les technologies off-shore - conclus entre David Camerone et Li Keqiang au cours de la visite, attestent de l’intérêt de la Chine pour Londres. Plus encore, l’accord commercial avec British Petroleum dont les racines sont liées à l’Iran, pourrait recéler un appel du pied aux Etats-Unis dont les stratégies dans cette région du proche Orient sont en train de d’évoluer.

Par comparaison les 4,6 Mds de $ d’accords commerciaux et d’investissements signés avec Athènes paraissent un ton en-dessous, en dépit de la publicité faite autour de l’intérêt controversé de COSCO pour un troisième terminal du port du Pirée et des visées des investisseurs chinois sur plusieurs autres infrastructures portuaires et aéroportuaires.

Les immuables intentions chinoises en Europe

Au fond quelles sont les intentions et les intérêts chinois en Europe ? Des éléments de réponse à cette question se trouvent dans un éditorial du Quotidien du Peuple publié le 17 juin dernier. Il est intitulé : « les trois signaux envoyés par les visites de Xi Jiping et Li Keqiang en Europe », dont l’idée maîtresse tente d’accréditer une connivence confiante, en dépit des différends et divergences qui persistent, en termes d’idéologie et de modèle de développement : « Unis, mais différents ».

Après avoir rappelé les coopérations financières, la recherche de marchés et la quête de technologies qui resteront encore longtemps les épines dorsales des échanges Chine – Europe, en dépit des querelles commerciales dont on ne voit pas la fin, l’article évoque avec insistance un autre pilier essentiel de la relation : la recherche d’influence. Les références concrètes et directes, renvoient aux actuelles frictions entre la Chine, les Etats-Unis, le Japon et les pays de l’ASEAN et à l’espoir que le rapprochement de Pékin avec l’UE fournira un contrepoids aux pressions de Tokyo et Washington en Asie.

A cet égard, l’auteur qui rappelle l’aide financière apportée à l’Europe (notamment à Peugeot) et la contribution de la Chine au carnet de commandes d’Airbus (70 appareils pour 10 Mds de $) exprime quelques inquiétudes et frustrations : Alors que les négociations de Traité transatlantique avec les Etats-Unis avancent et que Washington et Bruxelles intensifient leur coordination politique, les pourparlers sur l’accord de libre-échange Chine – Europe ne progressent que lentement ; tandis que la succession des visites officielles japonaises tentent, pour l’instant sans succès, de faire adopter à l’Europe une position commune anti-chinoise sur les questions de mers de Chine orientale et du sud.

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Londres : arrière-pensées historiques et grandes affaires

S’il est vrai qu’avec Londres, les réminiscences néfastes de l’histoire ne sont jamais bien loin, cette fois, la venue de Li Keqiang semble les avoir dépassées. C’est en tous cas ce que montre la dimension des accords conclus. Les crispations toujours présentes ont été rappelées par un article du Guardian du 15 juin.

L’auteur y souligne d’abord que « Pékin avait remis Londres à sa place », quand Liu Xiaoming l’ambassadeur chinois, frustré par la lenteur des procédures de visas accordés à ses compatriotes et l’échec d’un projet de construction par une entreprise chinoise d’une nouvelle piste à l’aéroport d’Heathrow, a précisé, sans s’embarrasser de circonlocutions diplomatiques, que le Royaume Uni n’était plus que la troisième puissance européenne, derrière l’Allemagne et la France.

Le reste de l’article explique comment les dirigeants britanniques de Margareth Thatcher qui avait d’abord hésité à restituer Hong Kong à Pékin, à David Camerone, pressé sur sa gauche par les préoccupations de droits de l’homme, ont fini par se conformer aux principe de réalité : s’efforcer de tirer le meilleur parti des opportunités de la croissance chinoise. Finalement, c’est la position de Georges Osborne, chancelier de l’échiquier qui avait prévalu.

Elle rappelle celle du président Chirac et rejoint les actuels conseils de Zbignew Brzezinski à la Maison Blanche : « Développer les relations les plus larges possibles avec la Chine ». Cette perspective avait été exprimée par Osborne lui-même au magazine Caixin, lors de son voyage en Chine à l’automne 2013 : « il n’existe pas de pays occidental plus ouvert que le Royaume Uni aux investissements chinois ».

A l’époque, des sceptiques comme Will Hutton, économiste, critique du mode de développement chinois, auteur du livre « The Writing On The Wall China and the West in the 21st Century » ((2007) ISBN 978-0-316-73018-1), s’étaient insurgés de ce qu’ils considéraient comme une avalanche de concessions humiliantes – dans la banque, l’énergie nucléaire et les hautes technologies – qui selon Hutton, revenait à abandonner une partie de la souveraineté du pays, sans contrepartie réelle.

Lire notre article Les embarras de la puissance chinoise.

Un accord gazier de long terme…

La réponse est peut-être dans l’accord conclu entre le gouvernement chinois et la British Petroleum, n°2 de l’énergie au Royaume Uni qui, pour 20 Mds de $, prévoit la livraison annuelle pendant 20 ans de 1,5 Mds de tonnes de gaz liquéfié à la Chine, à partir de 2019. Outre l’importance commerciale de l’accord qui permet à un groupe anglais de tirer avantage de la boulimie d’hydrocarbures de la Chine, la manœuvre de Pékin avec BP, héritière de l’ancienne « Anglo Persian Oil Company », installe un début de contrepoids à la puissance gazière de la Russie.

…à la portée stratégique

Plus encore, le marquage historique de BP avec l’Iran, exprime peut-être une prudence de Pékin, préoccupé pour la sécurité de ses positions industrielles et commerciales dans l’ancienne Perse, alors que Washington qui vient de recommencer à exporter ses propres hydrocarbures, est en train d’opérer un glissement stratégique de première grandeur au Moyen Orient qui le rapprochera de Téhéran, empiétant forcément sur les intérêts chinois, tout en éloignant l’Amérique de l’Arabie Saoudite, du Qatar et des Émirats.

D’autres accords de moindre importance ont été signés avec la délégation chinoise qui fut rejointe à Londres par plus de 200 hommes d’affaires et les présidents des grandes banques. Ils portent la totalité des engagements à 30 Mds de $. Parmi eux signalons la promesse d’engagement dans les services financiers et les technologies off-shore de 1,5 Mds de $ par Minsheng Investment Corp., le plus grand groupe d’investissement chinois officiellement identifié comme privé, mais dont les connections avec la bureaucratie du régime ne font aucun doute compte tenus des secteurs de coopération envisagés.

En ligne de mire : les projets de centrales nucléaires, le TGV et le marché financier de la City, toujours le n°2 mondial après New-York qui brasse 5000 Mds de $ par jour d’opérations de change dans toutes les monnaies de la planète, y compris le Yuan chinois. A cet égard, la Banque Centrale chinoise a annoncé le 25 juin qu’elle autorisait des transactions directes (sans passer par le $) entre la Livre et le Yuan dans le but de promouvoir le commerce bilatéral.

La China Construction Bank, 2e banque chinoise en avoirs, a été désignée par la Banque de Chine pour coordonner les compensations des opérations effectuées en Renminbi à Londres, ce qui confortera la place financière anglaise dans la compétition pour développer des chambres de compensation permettant des transactions directement en monnaie chinoise. De tels accords sont en cours de négociation entre la Deutsche Bank et la People’s Bank of China depuis la visite de Xi Jinping en Allemagne au printemps dernier.

Sur les négociations à propos du nucléaire chinois au Royaume Uni, lire aussi : Les tribulations nucléaires franco-chinoises à l’export.

La Grèce privatise, la Chine achète

L’autre étape européenne de Li Keqiang fut la Grèce où il est arrivé le 19 juin dans l’après-midi, après 72 heures passées à Londres. Il en est reparti le 21 après une escapade en Crète, à la fois étape d’affaires et de culture. Le cœur des projets chinois articulés autour de l’infrastructure portuaire et aéroportuaire s’inscrit dans la continuité du rachat par COSCO en 2008 de deux terminaux du port du Pirée.

Cette fois la Chine s’est montrée intéressée par le troisième terminal du Pirée et par les aéroports d’Athènes et de Kasteli (île de Crète) ainsi que par le port de Tymbaki également en Crète. Ces infrastructures que la Chine voit comme des plateformes logistiques d’entrée vers l’Europe centrale et orientale, sont sur la liste des ventes d’actifs publics préconisées par le plan de restructuration imposées à la Grèce par le FMI et l’UE.

Parmi les événements dans la ligne de la vision logistique chinoise, l’inauguration, lors de la visite de Li Keqiang de la voie ferrée qui reliera la côte grecque à l’Europe centrale et orientale, destination finale des conteneurs de COSCO qui affirme vouloir acquérir 67% des parts du port du Pirée, en dépit du veto de la commission européenne qui tente d’éviter un monopole chinois.

Cité par un article du Point du 21 juin, l’ambassadeur de Chine à Athènes défend le projet de COSCO : « Après trois ans de dur travail, les terminaux pour conteneurs au Pirée ont quadruplé leur activité. C’est désormais le port qui se développe le plus rapidement au monde ; il a participé à la croissance de l’économie grecque et a créé de l’emploi ».

Miltiadis Varvitsiokis, ministre grec de la marine confirme : depuis 2007 le volume des conteneurs transitant par le Pirée a augmenté de 130%, passant de 1,3 millions de tonnes EVP (Equivalent Vingt Pieds, moyenne entre les conteneurs de 20 et de 40 pieds) à 3,1 millions, ce qui place le port devant Le Havre. Notons que le premier port de conteneurs mondial est Shanghai avec avec 33,6 Millions de T/ EVP. Le premier européen est Roterdam, n°11 mondial à 11,6, suivi de Hambourg, 14e à 9,25 et Anvers 15e avec 8,5. Le port du Pirée est 46e, celui du Havre est 60e.

Selon l’AFP, repris par La Croix, le 16 juin le tout premier convoi de marchandises a quitté les installations de Cosco au Pirée à destination de la République Tchèque pour le compte du groupe informatique américain Hewlett Packard. Le 20 juin, MM. Li et Samaras ont inauguré le premier départ de marchandises chargées de conteneurs du groupe chinois Huawei à destination de l’Europe de l’Est.

Enfin un autre volet de la coopération entre Pékin et Athènes, en gestation depuis 2008, consisterait en des prêts des banques chinoises aux armateurs grecs afin de faire construire dans les chantiers navals chinois au moins dix navires. Les armateurs grecs, leader mondiaux, transportent 50% des exportations chinoises et 60% de l’énergie importée en Chine par voie maritime. (AFP / La Croix).

Photo Le 20 juin, MM. Li et Samaras ont inauguré le premier départ de marchandises pour le compte du groupe chinois Huawei (information et communication) à destination de l’Europe de l’Est. A droite de Li Keqiang Ma Zehua, PDG de COSCO nommé en juillet 2013. Âgé de 61 ans, Ma est employé chez COSCO depuis 1977. Il était vice-président du groupe depuis 2001.

 

 

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