Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Taiwan

Taïwan : les lignes politiques bougent

Zhang Zhijun, 61 ans, membre du Comité Central du Parti Communiste Chinois, Directeur du Bureau des Affaires taïwanaises, vice-ministre du Conseil des Affaires d’État a quitté Taïwan le 28 juin après une visite de 4 jours.

Une première

C’est la toute première fois depuis 1949 qu’un officiel de la République Populaire de Chine foule le sol taïwanais sans être abrité derrière la fiction de l’ARATS, (Acronyme anglais désignant l’Association pour les relations dans le détroit de Taïwan ou 海峡两岸关系协会 – Haixia Liang An Guanxi Xiehui), signifiant ainsi que les deux entités politiques avaient officiellement accepté de se reconnaître mutuellement. C’est bien ce qu’a exprimé Zhang Zhijun en arrivant à l’aéroport de Taoyuan, le 25 juin : « J’ai mis seulement trois heures pour venir de Pékin, mais il a fallu 65 ans aux relations dans le Détroit pour accomplir ce simple pas ».

Faisant suite à la rencontre à Nankin avec son homologue Wang Yu-chi le 11 février dernier qui marqua pour Pékin l’ouverture de la phase politique des relations dans le Détroit, ce que Taipei refuse absolument de reconnaître, le voyage de Zhang a pris un tour insolite, marqué par d’importantes ambiguïtés, quelques incongruités comme l’absence de tout contact politique avec les têtes politiques du régime ou de l’opposition et, une nouvelle fois, le télescopage entre, d’une part, la stratégie de rapprochement de la Chine par le détour économique et, d’autre part, la méfiance des Taïwanais inquiets de ce qu’ils considèrent comme un tentative de réunification rampante.
Lire notre article Nankin : une rencontre inédite aux conséquences incertaines.

A fronts renversés, les lignes bougent

Au total, en dépit d’incidents pour la plupart concentrés à Kaoshiung, fief indépendantiste, ce premier voyage officiel d’un responsable politique chinois sur l’Île s’est plutôt bien déroulé, même si les progrès politiques furent très réduits en dehors du droit de visite à leurs ressortissants purgeant des peines de prison accordé aux futurs représentants à Taipei et Pékin. N’ayant, comme convenu, rencontré aucune tête politique taïwanaise, Zhang Zhijun a diffusé un message d’apaisement destiné à faire contrepoids à une déclaration intempestive qui fit grand bruit à Taïwan, lancée deux semaines auparavant par sa propre administration selon laquelle l’avenir politique de l’Île devait être décidé par les Chinois de la Grande Terre et les Taïwanais ensemble.

Dans un jeu de rôles à fronts renversés, les réfutations les plus catégoriques de cette proposition vinrent cependant du KMT et des militants indépendantistes de base, tandis que le parti indépendantiste (DPP) lui-même, en plein réajustement stratégique visant à reconquérir le pouvoir, adoptait un profil bas. Dans ce jeu ambigu, le DPP trouve en écho l’ouverture nouvelle du Parti Communiste Chinois prêt à développer avec lui des contacts plus riches, avec, en arrière pensée, le souci de ne pas compromettre les progrès dans la relation accomplis depuis 2008, en cas de défaite du KMT aux élections présidentielles de 2016.

Photo Zhang Zhijun avec Chen Chu, le maire indépendantiste de Kaoshiung le 27 juin 2014-06-30. REUTERS/Stringer

++++

Mieux comprendre les Taïwanais et les rassurer

Le caractère officiel de la visite ayant été soigneusement encadré - les rencontres avec les responsables de l’Île, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition n’étant pas au programme -, le but du voyage fut presque entièrement limité, comme Zhang l’a expliqué lui-même, à prendre contact avec la société taïwanaise dans le but essentiel de mieux la comprendre et, à l’évidence, de la rassurer : « Nous comprenons les Taïwanais et apprécions le prix qu’ils accordent à leur style de vie, leur système social, leurs valeurs et leurs idées ».

Disant cela, Zhang répétait le message adressé le 15 juin dernier par Yu Zhengsheng, n°4 du régime, en charge des questions taïwanaises au Bureau Politique, à Xiamen, lors du 6e forum sur les échanges avec Taïwan : « La clé pour résoudre les problèmes dans le Détroit est que nous devons, en tant que membres d’une même famille, être plus compréhensifs, plus respectueux et plus indulgents ».

Les bonnes paroles en forme de rameau d’olivier faisaient écho à celles de Xi Jinping lors de sa rencontre en février dernier à Pékin avec Lien Chan ancien président du KMT qui, depuis 2005, fait régulièrement le voyage sur la Grande Terre où il est de mieux en mieux reçu.

Lire notre article : Retrouvailles des frères ennemis, symboles et arrières pensées.

Le style conciliant et l’approche sociale de Zhang qui n’a cependant rien cédé sur l’essentiel, ont été maintenus tout au long des étapes de la visite du nord au sud. En harmonie apparente avec son homologue Wang Yu-chi qui a cependant répété que le temps des négociations politiques n’était pas venu, il a accepté de revoir les points controversés de l’accord Cadre sur les services, objet des manifestations étudiantes en mars, mais seulement après que la totalité du texte soit entrée en vigueur.

Une disposition cependant rejetée par de nombreux intellectuels et une partie de l’opinion (Voir la Note de contexte). Lire notre article Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.

A Taipei, après la réunion avec le maire KMT Eric Chu, Zhang a rencontré des patrons de petites et moyennes entreprises, puis des aborigènes du district de Wulai, sans oublier une table ronde à huis clos avec des activistes pro-réunification de la « Nouvelle alliance Tong Meng Hui », dont le nom fait référence à la société secrète fondée par Sun Yat Sen à Tokyo en 1905.

Résurgence des effervescences politiques

Mais la force d’apaisement de ces messages ne réussit à calmer qu’en partie la transe provoquée à Taïwan par la déclaration de Fan Liqing, la porte parole du Bureau des Affaires Taïwanaises, dont Zhang est pourtant le Directeur qui, le 11 juin, tout juste deux semaines avant sa visite sur l’Île, répétait que l’avenir des Taïwanais serait décidé par le peuple chinois tout entier, qu’il soit dans l’Île ou sur le Continent.

L’affirmation intempestive contredisant la stratégie chinoise qui spécule à la fois sur l’apaisement, le rapprochement économique et la mise en attente des questions politiques trop sensibles, a provoqué une réaction épidermique à Taïwan dans l’opinion et de la part du gouvernement. La réaction du DPP a en revanche été remarquable de discrétion.

Le 12 juin, la Présidence à Taipei, impressionnée par la réaction populaire, inquiète de ne pas aggraver la chute de Ma Ying-jeou dans les sondages, réaffirmait que Taïwan était un pays souverain et indépendant dont le futur ne devait être déterminé que par les habitants de l’Île. Pour le KMT au pouvoir, les relations dans le Détroit ne pouvaient que s’articuler autour du consensus de 1992 qui reconnaissait l’existence d’une seule Chine, Taipei rejetant à la fois la réunification, l’indépendance et les menaces militaires.

La grande retenue du parti indépendantiste…

Curieusement pourtant, les ténors du parti indépendantiste sont restés discrets, laissant la virulence des protestations aux militants qui se sont exprimés lors de l’étape de Kaoshiung.

La seule réaction officielle du Minjindang fut celle de Tsai Ying-wen, ancienne candidate malheureuse aux présidentielles de 2012 et réélue n°1 du Parti le 25 mai. Après le départ de Zhang, elle a sobrement conseillé la prudence face à la bonne volonté chinoise, rappelant que les problèmes en suspens étaient encore nombreux. Cette inversion des rôles des élites politiques qui atteste clairement que le Parti Indépendantiste, engagé sur une trajectoire de reconquête du pouvoir a, pour l’heure, choisi de mettre le radicalisme des revendications indépendantistes en veilleuse, a, à quelques variantes près, été observée pendant tout le voyage.

Elle fut évidente à Kaoshiung, le fief de Madame Chen Chu maire de la ville et figure emblématique du mouvement indépendantiste, emprisonnée pendant six ans (1979 – 1985) durant la loi martiale. Respectant la ligne de son parti, alors qu’elle-même est engagée avec la Chine dans une stratégie visant à nouer des liens entre les sociétés de chaque côté du Détroit, épine dorsale de la politique d’apaisement du DPP, Chen qui s’est déjà rendue deux fois en Chine, ne fut pas à l’origine des incidents qui émaillèrent la venue de Zhang dans sa ville, au contraire.

Après avoir fait remarquer à Zhang que l’affirmation selon laquelle le destin de l’Île serait scellé par un scrutin organisé à la fois en Chine et à Taïwan n’était acceptable ni pour l’opposition ni pour le parti au pouvoir, elle lui a ménagé un accueil chaleureux s’appliquant à focaliser les entretiens sur les questions pratiques : l’augmentation du nombre de vols directs depuis la Chine vers Kaoshiung ; les exportations agricoles et la venue des touristes chinois.

Au passage elle n’a pas hésité à critiquer la corruption et le népotisme régnant dans l’Île au détriment des petites entreprises et des marins pêcheurs. La bénévolence à l’égard de Zhang lui a cependant attiré une remarque du mouvement des étudiants dit du « Tournesol » et de la nébuleuse de ses alliés, dont l’ancien président Lee Teng Hui s’est rapproché, la mettant en garde contre la tentation de sacrifier les valeurs des droits de l’homme au développement économique.

Plutôt que des ténors du mouvement indépendantiste, la fronde contre Zhang est donc venue des militants.

Les protestations de la base …

Les altercations qui rencontrèrent parfois des militants pro-réunification favorables à Pékin lançant des slogans contraires, eurent lieu l’arrivée de Zhang à Kaoshiung le 27 juin, le lendemain, au départ de son hôtel, où un militant a été blessé par la police, puis sur la route du domaine de Siziwan où avait été organisée une réunion informelle avec Wang Yu-chi. Chaque fois une centaine militants du TSU (Taïwan Solidarity Union – 台灣團結聯盟-Taiwan Tuanjie Lianmeng) et du Front National de la Jeunesse dit de l’Île noire, surgeon du mouvement des étudiants de mars, crièrent des slogans en faveur de l’indépendance de l’Île et jetèrent des projectiles en direction du cortège, maculant de peinture blanche la voiture officielle de Zhang.

…et la souplesse du Parti Communiste Chinois

A Pékin on joue également ce jeu ambigu, à front renversé. Tactiquement, il s’agit de prendre ses distances avec le KMT affaibli en interne et menacé de perdre les élections en 2016 et de resserrer les liens avec tous les segments de la société taïwanaise, y compris avec l’opposition dont le profil bas sur les questions d’indépendance lui facilite la tâche. L’intention du Bureau Politique est, pour l’instant, de se mettre en mesure, quels que soient les résultats du scrutin de 2016, de poursuivre la stratégie du rapprochement économique en y ajoutant le volet social à tendance populiste, dans lequel Zhang Zhijun excelle. L’objectif à moyen terme étant de contraindre Taïwan, le moment venu, à engager des négociations politiques sérieuses sur la réunification.

S’il fallait des preuves que les lignes politiques de l’Île et en Chine sont en train de bouger dans la perspective d’une défaite du KMT aux prochaines élections présidentielles, il suffirait d’écouter les messages et coups de sondes envoyés par Pékin et par le DPP. Lors du passage de Zhang à Kaoshiung, à la question de savoir jusqu’à quel niveau le Parti indépendantiste entendait poursuivre son rapprochement avec Pékin, Chen a répondu que la paix entre les deux ayant été conclue, il s’agissait désormais de mieux se connaître. « Quant à l’avenir », a t-elle ajouté, « il sera ce qu’il sera ». Réponse sibylline qui ne ferme aucune porte.

A Taipei, les choses étaient même allées un peu plus loin quand l’ancien parlementaire du Yuan Législatif, Julian Kuo, membre du DPP, interrogea Zhang sur la disponibilité du Parti Communiste à entamer des négociations politiques avec le Minjindang si celui-ci abandonnait provisoirement sa revendication d’indépendance. A quoi Zhang avait répondu que le Bureau Politique ne s’intéressait pas à la charte du Parti mais à sa politique et à ses actes concrets. Là aussi l’ambiguïté de la réponse ouvre des perspectives jusque là inexplorées. Elle promet de sévères débats internes au DPP et avec ses militants les plus radicaux d’ici 2016.

Photo Zhang Zhijun avec un fermier du district de Shanlin (Kaoshiung) le 27 juin 2014 (Xinhua/Wang Shen)

++++

NOTE DE CONTEXTE

Les tribulations de l’accord sur les services

A Taïwan, au printemps dernier, plus de 200 professeurs et spécialistes de l’Industrie ont mis en garde contre les risques de sécurité liés à la libéralisation des télécommunications proposée par l’accord sur les services toujours en suspens. Mais l’affirmation fut aussitôt démentie par la Commission Nationale des Communications.

Cette controverse s’inscrit dans la remise en cause de la manière expéditive et peu transparente dont le texte avait été révisé une première fois par le Yuan Législatif. La contestation s’est exprimée le 18 mars par l’occupation du Yuan Législatif par un groupe d’étudiants et le 21 mars par une déclaration commune des associations des Universités Nationales Taïwanaises comprenant 52 établissements appelant le Président Ma à répondre aux protestations des étudiants et à engager un dialogue avec leurs représentants.

Une autre déclaration signée peu après par 25 des 34 professeurs de l’Université de Mathématiques appuyait également le mouvement des étudiants. Celle-ci stipulait que les signataires ne s’opposaient pas formellement à la signature de l’accord sur les services, dans un monde globalisé, mais exigeaient que l’examen du pacte et sa signature soient transparents.

La déclaration critiquait aussi au passage un argument de l’État mettant en avant les plus hauts salaires des étudiants qui accepteraient de travailler sur le Continent : « Expatrier en Chine les jeunes diplômés est-elle la seule solution du gouvernement pour résorber les problèmes des bas salaires et des écarts de richesse ? ».

Enfin à la fin mai, les parlementaires du DDP critiquèrent le Bureau des Affaires du Continent pour sa rétention de l’information concernant l’accord et l’accusaient de ne diffuser que des informations positives.

Globalement les opposants à l’accord expliquent qu’il favorisera les grands groupes et donnera un coup fatal au PME taïwanaises, notamment dans l’édition et les médias, dont la liberté d’expression sera réduite, créant les conditions favorables à la réunification.

Le président du département d’économie à l’Université de Taïwan, Zen Xiuling, soulignait que l’accord ouvrait 64 secteurs à la compétition avec la Chine qui englobent des milliers d’activités économiques à Taïwan allant des transports à la grande et petite distribution, en passant par les télécommunications, les médias et l’édition, certains secteurs ayant une implication de sécurité nationale.

Pour Zen, les négociateurs taïwanais privilégiaient les groupes financiers au détriment des acquis sociaux des Taïwanais. Il considère qu’ouvrir sans limites Taïwan placera l’économie de l’Île sous le contrôle de la Chine, notamment pour ce qui concerne les biens, les services et les infrastructures.

A l‘inverse les défenseurs du traité expliquent que l’augmentation des investissements chinois créera un appel d’air pour l’économie , tandis que les points litigieux pouvaient être affinés au profit de Taïwan. Mais la mise en attente, la non ratification ou le retrait de l’accord affaibliraient sa crédibilité internationale. Le 26 mars la chambre de commerce de Taïwan exprimait également son soutien à l’accord dans une conférence de presse qui rassembla 50 secteurs des services concernés. Le lendemain, l’association des banques s’est également prononcée en faveur de l’accord.

Selon un sondage datant du mois de mars réalisé par le magazine Business Week, 56,3% des Taïwanais interrogés étaient opposés à l’accord, contre 22,3% qui se prononcèrent en sa faveur. Mais 80,9% avouèrent n’être pas assez informés.

En mai un autre sondage effectué par le Bureau des Affaires continentales montrait que les opinions s’étaient inversées et que l’écart se réduisait avec 42,5% en faveur du pacte contre 40,1% contre. La plupart des sondés se sont déclarés en faveur d’une revue publique article par article du pacte et souhaitent son examen par le Conseil National de Sécurité.

Photo Le 27 juin Zhang Zhijun à son hôtel à Kaoshiung escorté par un garde du corps couvert de peinture blanche suite à une agression de manifestants. Après cet incident, deux visites prévues au programme furent annulées. L’une à des pêcheurs dde Kaoshiung, une autre à un site touristique à Taichung.

 

 

Regards sur l’inquiétude des aborigènes et le durcissement de la Chine

[7 mars 2024] • François Danjou

Manoeuvres législatives

[7 février 2024] • Jean-Paul Yacine

Présidentielles. Victoire de Lai Qing De ; net recul législatif du Min Jin Dang. Souple et pragmatique, Ko Wen-je renforce sa position d’arbitre

[15 janvier 2024] • François Danjou

Présidentielles 2024 : Lai toujours favori. L’écart avec Hou se resserre. Les perspectives du scrutin législatif se brouillent

[26 décembre 2023] • François Danjou

Promouvoir la démocratie et les libertés pour échapper au face-à-face avec Pékin

[16 novembre 2023] • François Danjou