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›› Chronique

Le retour en grâce de l’Eurasie et toujours la quête d’énergie

Au deuxième trimestre 2014, la diplomatie économique chinoise est restée focalisée sur la quête d’énergie, la recherche de technologies, de marchés et d’influence avec cependant un net déplacement de son point moyen vers l’Europe et la Russie, avec 2 exceptions notables dans ce glissement vers l’Eurasie, prolongement terrestre de la Chine : l’Afrique, visitée par Li Keqiang au début mai, et les pays de la Ligue Arabe réunis le 5 juin à Pékin pour le 6e forum de coopération entre la Chine et les pays arabes, présidé par Xi Jinping.

Photo Pétrolier chinois. En 2012, la Chine est devenue le 1er importateur mondial de pétrole.

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La soif d’énergie détermine les stratégies chinoises

Le trimestre a encore une fois révélé l’insatiable appétit d’énergie de la Chine au milieu des controverses commerciales avec IBM et des tribulations de l’accord sur les investissements avec l’UE, à quoi s’ajoute le blocage, début juin, par le ministère du commerce chinois de l’alliance des trois grands du transport mondial, le danois Moeller-Maersk, le Suisse Mediterraneen Shipping Co.S.A et le Français CMA CGM. Ce raidissement anti-monopole révèle à la fois les ambitions globales de Pékin et l’inquiétude du secteur des transports maritime chinois, dont plusieurs sociétés, et en premier lieu COSCO, connaissent des difficultés financières.

L’accord sur le gaz passé le 21 mai avec Moscou pour la livraison pendant 30 ans de 38 Mds de m3, et un autre un mois plus tard avec Londres et BP pour la livraison chaque années pendant 20 ans de 1,5 Mds de tonnes de gaz liquéfié s’ajoutent aux tensions graves avec le Vietnam survenues le 9 mai autour de la position d’une plateforme pétrolière, pour rappeler l’extrême dépendance de la Chine à ses importations d’hydrocarbures, avec une implication de plus en plus lourde sur le marché global, les prix et les positionnements stratégiques des grands acteurs.

La demande extérieure chinoise en énergie qui, compte tenu des difficultés techniques de la filière schiste en Chine ne faiblira pas avant dix ans, a, depuis 2000, été multipliée par trois. Elle a en partie fondé la politique extérieure de Pékin, favorisé son rapprochement avec Moscou, resserré ses liens avec Téhéran et Bagdad, appuyé le développement économique de plusieurs pays d’Amérique Latine dont le Brésil et l’Équateur, d’Afrique dont le Soudan, le Nigeria et l’Angola et poussé la Chine à se tenir à égale distance entre les pays du Golfe et Israël, en dépit de ses liens très anciens avec Tel-Aviv.

Lire aussi :
- Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam.
- Chine / Etats-Unis : une nouvelle guerre froide ? Ou la résurgence des « Valeurs asiatiques » ?.
- Chine – Europe : « Unis mais différents ».
- Chine – France. Histoire, politique, coopération et maîtrise des transferts technologiques.

L’Europe et l’Allemagne

Alors qu’en Asie, la cohabitation avec les États-Unis et le Japon est tendue, l’Europe est devenue avec la Russie un objectif privilégié des relations économiques extérieures de Pékin. Cette accélération fut marquée au printemps par les visites de Xi Jinping en Europe (Sommet sur la sécurité nucléaire à La Haye), avec des escales à Paris, Bruxelles et Berlin).

En Belgique furent évoquées nombre de questions économiques et commerciales, y compris l’accord croisé sur les investissements Chine – Europe ; A Paris, Xi Jinping signa près d’une vingtaine d’accords (aéronautique, télécoms, espace, automobile, urbanisme, traitement des eaux, agro-alimentaire) ; à Berlin fut inauguré un axe logistique Chongqing - Duisburg par le plus long chemin de fer du monde, assorti d’un accord pour l’extension de la JV Daimler-Benz – SAIC et de négociations pour la création à Francfort d’une chambre de compensation pour permettre les échanges directs en monnaie chinoise.

Cette tournée très riche a été suivie à peine trois mois plus tard par une nouvelle série de visites de Li Keqiang. A Londres d’abord où fut conclu l’accord sur le gaz liquéfié tandis que la City suivait l’exemple de Francfort et lançait elle aussi les négociations pour l’ouverture à Londres d’une chambre de compensation financière.

Le lendemain à Athènes, Li Keqiang poussait les feux pour consolider les intérêts logistiques de la Chine en affirmant les visées de Pékin pour l’extension de l’emprise de COSCO sur un 3e terminal du port du Pirée et sur plusieurs installations portuaires et aéroportuaire grecques. Objectif : faciliter la pénétration des produits chinois vers le marché d’Europe Centrale et Orientale.

Tout juste 15 jours après ce 2e périple européen de la haute direction chinoise en moins de 4 mois, Angela Merkel accomplit en Chine sa 7e visite depuis 2005.

Arrivée directement à Chengdu où elle a visité le 6 juillet une usine de la JV Volkswagen – FAW (First Automobile Works – 第一汽车集团 -), la Chancelière allemande était à Pékin le 7 juillet pour un séjour de trois jours. Exportant en Chine des automobiles de luxe, des engins de chantier, des machines outils et des appareils ménagers high-tech, Berlin peut se prévaloir d’être un des seuls pays développés au monde à avoir avec la Chine un commerce quasi équilibré (en 2013 : 67 Mds d’€ d’exports en Chine contre 73 Mds d’€ d’imports). En retour, la Chine est intéressée par les hautes technologies allemandes et par l’appui de Berlin dans ses négociations commerciales avec l’UE. Pékin espère aussi une prise de position allemande sur sa querelle avec le Japon.

Photo Angela Merkel à l’usine Volkswagen de Chengdu le 6 juillet 2014.

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L’Afrique 2e fournisseur d’hydrocarbures

Au cours du 2e trimestre, le 2e point focal de la diplomatie économique chinoise fut l’Afrique. Avec toujours en tête la quête d’énergie (20% des importations de pétrole viennent d’Angola et du Nigeria et placent l’Afrique au 2e rang derrière le MO des fournisseurs de la Chine), Li Keqiang à néanmoins tenu à montrer que la relation dépassait le secteur des ressources primaires et s’intéressait au développement du Continent, avec en arrière pensée l’idée de désamorcer les critiques parfois faites à la Chine de ne respecter ni les sociétés africaines, ni les lois du travail, ni l’environnement.

Consolider la relation hors ressources primaires

Au Nigeria, une des priorités chinoises en Afrique, des contrats ont été signés dans l’aviation, la finance et, avec Huawei et ZTE, pour la téléphonie 4G, tandis que China Railway Construction Corp (CRCC) signait un contrat de 13 Mds de $ pour la construction d’une ligne de train rapide sur une distance de 1385 km. En Angola, 1er partenaire de la Chine pour le pétrole avec une colonie de plus de 200 000 chinois où SINOPEC possède 15% du champ pétrolier de Marathon dont une partie avait été acheté à Total en 2011, les compagnies chinoises travaillent depuis le milieu des années 2000 pour étendre et moderniser le réseau ferré.

Enfin au Kenya, Li Keqiang a annoncé que la Chine était prête à encourager les entrepreneurs locaux et à investir pour créer une zone de production high-tech capable d’attirer des investisseurs étrangers, tandis que Pékin cautionnera et financera aussi, en grande partie par le truchement de l’Exim-bank, la coopération entre Nairobi et Kampala pour la construction d’une voie ferrée au gabarit international entre la capitale ougandaise à la mer.

Une manne financière appréciée, malgré les critiques

Globalement, il est exact que la présence chinoise crée de nouvelles opportunités pour un continent qui monte en puissance, au milieu d’une « surchauffe démographique » dangereuse. Dans ce contexte, la relation avec la Chine qui véhicule un désir de commerce et d’investissements à des échelles assez nouvelles en Afrique, profite aux pays bien gérés, capables d’articuler des politiques de développement harmonieuses et planifiées pour le long terme. Malgré les critiques qui montent ça et là sur l’attitude prédatrice de la Chine, la vérité est que les relations ont jusqu’à présent globalement été plutôt mieux perçues par les Africains émancipés que celles avec leurs anciens mentors coloniaux.

Pour autant, les compagnies chinoises avides de ressources peuvent, si leurs actions sont mal contrôlées, devenir des partenaires encombrants et des sources de déboires pour les pays dont les systèmes politiques corrompus détournent la mise en valeur du pays au profit des individus et des clans. Enfin, il faut une fois encore relativiser l’empreinte chinoise en Afrique, même si sa montée en puissance, partie de rien il y a 10 ans, impressionne.

Chine - Afrique : un fort potentiel de croissance

En dépit des très fortes augmentations des échanges commerciaux qui, à la fin 2014 atteindront probablement 200 Mds de dollars contre 50 Mds à la fin des années 90, l’impact de la Chine en Afrique reste en effet moins large qu’on le dit. Selon une étude de la Bookings Institution, le stock des investissements chinois y représente toujours moins de 5% du total, tandis que la proportion du commerce chinois plafonne également à moins de 6%.

Vastes projets avec les pays arabes

Dernier pilier de la diplomatie économique chinoise au 2e trimestre : les 22 pays de la Ligue Arabe à qui Xi Jinping a, le 5 juin, lors du 6e Forum Chine – Pays arabes, proposé un partenariat de coopération pour l’énergie, avec en retour une augmentation des investissements chinois dont le stock serait portés à 60 Mds de $ destinés au développement des infrastructures, assortis de facilités d’investissement accordées aux capitaux arabes en Chine ; à quoi s’ajouteront de nouvelles coopérations dans les domaines de l’espace, de l’énergie nucléaire civile et des énergies vertes.

En perspective un accord de libre échange qui porterait le commerce des pays arabes avec la Chine à 600 Mds de $ (soit plus du double du volume actuel), dans le cadre d’une stratégie de resserrements des liens appuyée par des échanges culturels et éducatifs avec la formation en Chine de 6000 stagiaires.

Photo Forum Chine – Pays arabes à Pékin, le 5 juin 2014.

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Frictions commerciales

La période a également été marquée par quelques aigreurs, raidissements politiques et querelles commerciales dirigés contre les équipements high-tech des technologies américains de l’information, les laboratoires GSK et les grands du transport maritime mondial, dont la Chine craint la concurrence.

Retour au premier plan de l’affaire GSK

Avec le retour au premier plan du scandale de la corruption des médecins chinois par le groupe GSK, sur la sellette en Chine depuis un an, la cour de Shanghai et la police donnent une nouvelle fois l’image d’une justice sous la coupe du système politique fonctionnant de manière opaque et dont l’objet est plus de détourner l’attention sur des boucs émissaires publiquement montrés du doigt, que d’explorer la vérité des faits. Début juillet on apprenait en effet que Peter Humphrey citoyen britannique et son épouse américaine d’origine chinoise Yu Yingzheng, seraient jugés à huis clos début août.

Arrêtés en août 2013, de toute évidence victimes de représailles dont il est pour l’instant difficile d’identifier l’origine et officiellement accusés de s’être « procurés des informations de manière illégale », ils avaient été mandatés par le siège de GSK à Londres pour enquêter sur l’origine d’une vidéo compromettante du n°1 de GSK à Pékin Mark Reilly, filmé chez lui lors d’une rencontre avec sa maîtresse chinoise.

Au cours des investigations, le couple, victime d’un enchevêtrement d’intérêts qui le dépasse avait exprimé la certitude que les soupçons de corruption qui pesaient sur GSK et un réseau de médecins chinois étaient exacts.

En septembre dernier, ils avait été exhibés à la télévision nationale chinoise, menottés, vêtus de la veste orange des justiciables et forcés de faire publiquement amende honorable, dans la plus pure tradition de la justice spectacle, politiquement manipulée dont la vertu essentielle n’est pas la mise à jour des faits, mais la désignation d’un bouc émissaire qui laisse dans l’ombre le véritables responsables des dysfonctionnements de l’industrie pharmaceutique, qu’il s’agisse des Chinois eux-mêmes, du système de santé, ou des étrangers.

Mise à jour le 9 août  : Le 8 août une cour de Shanghai a condamné
Peter William Humphrey et Yu Zing Zeng respectivement à 2 ans et demi et 2 ans de prison et à des amendes de 200 000 et 150 000 Yuan.

Pharmacie, corruption et revenus des médecins

Les dérapages observés dans le secteur pharmaceutique sont en réalité le produit d’une réglementation chinoise à deux vitesses. La promotion des médicaments n’est en effet autorisée que pour les médicaments chinois fabriqués localement dont le retour sur investissement est faible. Les groupes étrangers qui investissent d’importants capitaux dans la recherche en Chine, s’appliquent donc à mettre en place des circuits de distribution occultes destinés à assurer la promotion de leurs produits.

La stratégie passe inévitablement par les médecins que les groupes chinois ou étrangers rémunèrent soit directement soit par des avantages en nature (voyages d’agrément, appartements, voitures de luxe, études à l’étranger pour les enfants) que les médecins chinois ne pourraient s’offrir avec leurs salaires ne dépassant pas quelques centaines de dollars par mois. Sans cet appoint considérable, le gouvernement chinois serait confronté au défi d’avoir à relever de manière substantielle les rémunérations des médecins.

Lire nos articles :
- 3e trimestre 2013. La lutte contre la corruption et les monopoles cible les groupes étrangers.
- Procès de Rio Tinto. Coup de projecteur sur le système judiciaire chinois.

Offensive contre les groupes IT américains

Depuis 2008, les administrations publiques, les banques d’État et plusieurs grandes entreprises nationales ont engagé une campagne pour supprimer progressivement de leurs équipements informatiques les logiciels et serveurs mis au point par les firmes américains IBM, Oracle et EMC, qui, jusque il y a peu, détenait un complet monopole du marché. Cette manœuvre profite aux firmes nationales telles que Inspur, Sugon et Huawei. Au passage, ce dernier compense ainsi les blocages dont il est victime sur le marché américain.

Le mouvement c’est accéléré à partir de l’affaire Snowden, adjuvant d’une phobie anti-américaine qui semble avoir saisi la machine politique chinoise, tandis que les opérateurs poussés par l’administration adoptaient des microprocesseurs opérant avec les systèmes d’exploitation libres fonctionnant à partir du noyau Linux.

Cinq ans après le lancement de l’offensive et même si les banques d’État qui ont besoin de programmes stables et fiables, tardent à se conformer au mouvement, les ventes d’IBM, Cisco System et Hewlett-Packard ont baissé. IBM avoue que son marché des logiciels s’est contracté de plus de 8%, tandis que celui des « hardwares » chutait de 25%, notamment dans les administrations et les sociétés de distribution d’électricité qui comptaient parmi ses plus importants clients.

Simultanément les ventes de Huawei et Inspur ont respectivement bondi de 61% et de 288%. Il reste que, compte tenu du monopole américain dans l’industrie des semi-conducteurs (dans les 20 premiers fabricants mondiaux 11 sont américains), la manœuvre, pour irritante qu’elle soit pour les Américains et leurs entreprises IT, risque de n’être que cosmétique, voire contreproductive.

Veto chinois contre les grands du transport maritime

Le 17 juin le ministère du commerce a mis son veto à un projet d’alliance formé il y a un an par Moeller-Maersk, Mediterranean Shipping et CMA CGM au prétexte qu’elle fausserait la libre compétition sur les routes maritimes Asie – Europe. Alors que le régulateur américain avait accepté l’accord, le Chinois l’a rejeté expliquant que l’alliance trusterait 47% du trafic maritime entre l’Asie et l’Europe.

Le blocage de l’alliance dite « P3 », en partie décidé pour protéger le transport maritime chinois en situation financière difficile, a provoqué une chute de cours en bourse des trois géants (moins 8% pour Maersk) et ralentira leurs politiques d’économies d’échelle. Mais il ne freinera pas leur association sur les autres routes Europe - Afrique - Moyen Orient et transatlantiques. S’il est vrai que pour les transporteurs chinois, l’interdiction élimine la menace immédiate d’une puissante « méga-alliance », il n’en reste pas moins que les trois chercheront à optimiser leurs opérations sur les autres routes.

A signaler aussi la vente par CMA-CGM de 49% de sa filiale de terminaux portuaires au Chinois Terminal Link, actif en Côte d’Ivoire et au Maroc. Cette transaction installe un partenariat stratégique équilibré entre le Français et le Chinois pour le développement d’installations portuaires internationales avec un contrôle partagé des actifs où CMA-CGM a gardé la majorité.

Photo Les routes de CMA CGM vers la Chine et l’Asie. Le 17 juin le ministère du commerce a mis son veto à un projet d’alliance formé il y a un an par Moeller-Maersk, Mediterranean Shipping et CMA CGM au prétexte qu’elle fausserait la libre compétition sur les routes maritimes Asie – Europe.

 

 

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