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›› Editorial

Hong Kong : un suffrage universel aux « caractéristiques chinoises. »

Photo : Pendant une manifestation contre les ingérences politiques de Pékin, une étudiante bâillonnée par un pastiche de drapeau chinois où les étoiles sont remplacées par des crabes

Le 1er septembre dernier Li Fei, membre du comité permanent de l’ANP chinoise est venu à Hong Kong pour exposer les conditions dans lesquelles se dérouleraient les prochaines élections à Hong-Kong : en 2016 celle du Conseil Législatif (Legco), le parlement de Hong Kong ; en 2017 celle du prochain gouverneur.

Il n’y aura pas de modifications au système d’élection du Legco. Pour l’heure Pékin s’en tiendra à la réforme de 2011 qui avait entériné l’augmentation du nombre de sièges à 70, dont 35, représentant des circonscriptions géographiques sont pourvus au suffrage direct et 35 autres socio-professionnels dont les tenants sont en majorité sélectionnés par des groupes d’intérêt proches de l’oligarchie et du pouvoir central.

En revanche l’ANP a accepté l’application formelle du suffrage universel direct pour l’élection du gouverneur en gardant cependant le contrôle de la désignation des candidats, ce qui dépouillera le scrutin de toute spontanéité démocratique. La nouvelle a provoqué les réactions des mouvements démocratiques et contribuera probablement à leur meilleure cohésion.

La controverse renvoie à la légitimité même du pouvoir chinois qui ne peut pas, sous peine de déboires internes, relâcher son emprise sur la R.A.S. Si les mouvements démocratiques restent fermes sur leurs positions, il faut donc s’attendre à un durcissement de la crise. Cette dernière, articulée autour d’une conception différente de la légitimité politique, renvoie aussi aux relations heurtées de la direction chinoise et du Parti avec les valeurs occidentales de « bonne gouvernance » et de démocratie.

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Les racines politiques des divergences.

Photo AP : Le 1er septembre à Hong Kong Li Fei, membre du Comité Permanent de l’ANP est chahuté par la mouvance démocratique brandissent des pancartes où on peut lire 失信 (shixin défiance) et 可耻 (kechi, honte). Ils ont été exclus par la police sous les applaudissements des supporters de Pékin présents dans la salle.

Objet d’une effervescence politique qui monte depuis janvier 2013 avec le mouvement de désobéissance civile « Occupy Central », dont l’audience semble cependant en perte de vitesse, l’épisode renvoie au conflit qui couve depuis 10 ans entre Pékin et les mouvements démocratiques de la R.A.S dont les vues divergent sur la mise en œuvre des accords de rétrocession signés en 1997 prévoyant, entre autres, l’instauration, inscrite dans la constitution de Hong Kong, du suffrage universel pour les élections du gouverneur et du Conseil Législatif.

La mouvance des démocrates dont les différentes obédiences s’opposent sur les modes d’action, accusent Pékin de vouloir grignoter les libertés politiques, notamment la liberté d’expression et surtout de vouloir introduire une démocratie tronquée où le contrôle par Pékin des candidatures au poste de gouverneur exclut de fait la mouvance démocratique opposée à la totale main-mise politique du Centre sur la R.A.S.

Le conflit oppose aussi d’une part, l’image historique de la R.A.S, née du temps de la règle britannique très éloignée de la démocratie ayant consolidé le rôle et la réputation de Hong Kong comme centre d’affaires et d’entreprises plutôt que comme creuset politique ; et d’autre part la nouvelle exigence d’autonomie qui serait totalement protégée des ingérences politiques de Pékin exprimée dans un sondage réalisé en décembre 2013 où 84% des jeunes de 18 à 29 ans préféraient d’abord l’identité de Hong Kong, certes chinoise mais également ouverte et multiple.

Un défi existentiel pour le Parti…

Pékin avance sur ce dossier très délicat en se conformant strictement à la loi fondamentale de la R.A.S, tout en ménageant ses intérêts qui, pour préserver la Chine du risque de contagion démocratique, lui enjoignent, comme le lui permet la Constitution chinoise et celle de Hong Kong, de rester maître en dernier ressort du pouvoir politique à Hong Kong. Ainsi dans la R.A.S Li Fei membre du Bureau Politique de l’ANP a, au nom du gouvernement central, entériné l’idée de l’élection du gouverneur au suffrage universel en 2017 telle que prévu par le 2e paragraphe de l’article 45 de la constitution.

…Qui entend contrôler le scrutin.

Mais il l’a sévèrement enfermée dans des limites politiques qui confèrent à un comité de sélection favorable à Pékin le pouvoir de contrôler le choix des candidats réduits à 2 ou 3 et ayant fait la preuve de leur adhésion patriotique à la Chine et au Parti communiste chinois. S’il est vrai que la condition « patriotique » n’a, en théorie, rien d’offensant pour sélectionner un candidat au poste de gouverneur, la mouvance démocrate craint que l’allégeance de l’homme à Pékin et au Parti ne le rende complice d’une stratégie de réduction progressive des libertés dans la R.A.S.

Le raidissement des mouvements démocratiques.

Tout indique donc que les 27 élus de la mouvance démocrate du Legco (70 membres) rejetteront l’amendement fermant ainsi la possibilité d’une adoption aux 2/3, exigée par la Constitution. Si tel était le cas, l’ANP prévoit un retour à la situation antérieure avec la désignation du gouverneur par un comité de sélection de 1200 notables largement favorables à Pékin. On s’achemine donc vers un blocage et de nouvelles tensions.

Martin Lee, le président et l’un des fondateurs du parti démocrate, souligne l’inanité d’un choix aussi réduit et complètement contrôlé par Pékin, tandis que Benny Tai fondateur du mouvement « Occupy Central » prônait la désobéissance civile et la grève des étudiants.

Le 1er septembre la prestation de LI Fei excluant la possibilité pour les résidents de la R.A.S de choisir librement leurs candidats fut perturbée par de vives protestations accusant la Chine de manquer à ses promesses. Les trublions agitant le poing et brandissant des pancartes où on pouvait lire « honte » et « trahison », furent expulsés par la police sous les applaudissements d’une partie de l’assistance composée d’hommes d’affaires et de membres du Legco favorables à Pékin.

Pékin joue sur la peur du « chaos »…

Sur cette controverse où, sous les yeux de ses voisins et notamment de Taïwan, le Parti joue sa crédibilité de nation mesurée et responsable capable de compromis politique, le discours officiel qui croise celui de plusieurs chercheurs présente les opposants démocrates et particulièrement ceux « d’Occupy Central » comme un bande d’immatures inconscients dont les actions illégales qui « s’apparentent à du racket », pourraient ruiner la réputation de centre d’affaires de Hong Kong à la racine de la prospérité de la R.A.S.

Un article du Global Times du 29 août accusait le mouvement « Occupy Central » d’organiser « le sabotage de Hong Kong par des revendications dangereuses », affirmant que les chances de la démocratie s’éloigneraient à mesure que les différends politiques tourneraient à la confrontation.

…Mais commet une erreur d’appréciation.

Supposant que l’opposition était minoritaire, ce qui reste à prouver, la conclusion de l’article incitait le mouvement démocratique à une remise en question : « Les démocrates devraient se préoccuper de rallier le soutien de la majorité des Hong Kongais plutôt que de provoquer Pékin par des propositions extrémistes ».

En même temps, Wang Zhemin, doyen du département d’études juridiques de Qinghua, signait un article dans le New York Times où il recommandait à la société Hongkongaise « d’accepter une démocratie imparfaite plutôt que pas de démocratie du tout ». Il y comparait la R.AS à un enfant turbulent et la Chine à « un parent sage aux intentions pures qui ne souhaite que le bien de ses enfants. »

Mais Anson Chan, ancienne n°1 des fonctionnaires de la couronne britannique puis de la R.A.S sous contrôle chinois après 1997, n’accepte pas ce paternalisme et accuse Pékin d’avoir trahi la confiance et détruit l’espoir des Hongkongais. Au plan politique en tous cas il paraît dangereux de considérer la population de la R.A.S comme immature. La réalité est probablement exactement inverse.

La société y est vibrante, capable de définir elle-même le régime qui lui convient le mieux, très éloigné des rigidités chinoises ; les Hongkongais sont des lecteurs assidus des livres interdits en Chine, spirituels, bien éduqués, utilisateurs enthousiastes des nouveaux moyens de communication, très réactifs sur les questions d’éducation, de santé, de gestion urbaine, de logements, de politique, et même de sécurité nationale.

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L’héritage colonial, et le défi démocratique

Au centre Chris Patten dernier gouverneur de l’ère coloniale britannique est intervenu récemment pour critiquer le Livre Blanc chinois sur Hong Kong et appuyer les protestations de la mouvance démocratique. Ses arguments ont été réfutés par l’actuel gouverneur Leung Chun-ying (à droite sur la photo) qui rappelait que sous Chris Patten la démocratie était inexistante. Quant à Rita Fan à gauche, membre de l’ANP de 1998 à 2008 ancienne présidente du Legco de 1997 à 2008, elle niait que la déclaration conjointe de Londres et Pékin mentionnait le suffrage universel. Disant cela elle ignorait l’article 45 de la Basic Law qui l’évoquait explicitement comme le but des réformes électorales.

La démocratie n’a jamais été le souci n°1 de la règle britannique à Hong Kong. Ce n’est que dans les dernières années avant la rétrocession que le gouverneur Chris Patten, qui n’était pas un diplomate et dont tout le monde loue le caractère extraverti et le double souci des hommes et de la connaissance exacte des situations, a, au grand dam de Pékin, modifié le système électoral pour donner au vote populaire plus d’impact dans la gestion du territoire.

Une machine économique et commerciale.

Au temps de la Couronne, le gouvernement de la colonie était assuré par une structure triple. Le législatif n’était pas élu, mais nommé par le Gouverneur, qui, en liaison avec Londres, désignait un appareil judiciaire, dont il faut souligner qu’il était plutôt indépendant, ce qui, après les années 70, fit l’efficacité du territoire et constitua la base de la confiance des affaires. Quant au Conseil Exécutif, il était, c’est le cas encore aujourd’hui, l’expression de la mouvance des patrons et actionnaires des sociétés industrielles et commerciales.

Il en résulte que le Territoire était administré et piloté comme un grand groupe où, de surcroît, à l’intérieur, ainsi que dans les relations avec l’extérieur, prévalait la culture chinoise de l’influence et des relations (guanxi) pouvant très facilement devenir des groupes de pression. Le pouvoir britannique était propriétaire du foncier, contrôlait le marché financier par les taxes et l’immobilier dont il fixait les prix. Cette situation perdure aujourd’hui. Elle n’est pas sans lien avec les déboires de la classe politique accusée de corruption.

Effet de l’irruption de l’opinion publique et de la nouvelle conscience politique du peuple véhiculée par les moyens de communication et d’information modernes échappant à la censure et aux institutions, le nouvel environnement sociopolitique qui scrute la fortune et le comportement de l’oligarchie, est à l’origine des scandales qui frappèrent le rival de Leung, intronisé par Hu Jintao le 1er juillet 2012 et éclaboussèrent l’actuel gouverneur Leung lui-même, également accusé de corruption immobilière.

Sur le plan social, il est juste de dire que la fortune de Hong Kong qui doit beaucoup à un droit des affaires rigoureux, s’est aussi construite grâce au travail intensif faiblement rémunéré des Hongkongais descendant des immigrés chinois, d’abord accueillis à bras ouverts, puis repoussés dès que se fit sentir, dans les années 60, le besoin de monter en gamme qualitative. Pendant toute la période de la guerre froide, l’instrumentalisation de la peur du communisme contribua à justifier le contrôle de l’information par Londres et l’interdiction des syndicats.

Chris Patten, Pékin et le rejet des influences extérieures.

Cet ordre efficace au profit des affaires et de l’oligarchie qui convenait assez bien à Pékin et avait été amendé à la marge après 1984, fut bousculé par Chris Patten, le dernier gouverneur de la colonie, qui s’appliqua à augmenter le poids du vote populaire dans la désignation du Conseil Législatif et du Gouverneur en modifiant la carte électorale et en élargissant la définition des circonscriptions électorales.

A l’époque l’initiative fut vertement critiquée par certains journaux chinois sur un ton qui rappelait les pires heures de la révolution culturelle et par la mouvance des affaires à Hong Kong qui y voyait une menace contre son influence. A Hong Kong, en revanche, la popularité de Chris Patten avait grandi en même temps que les critiques de Pékin et de l’oligarchie se faisaient plus acerbes contre lui. Il n’est pas exagéré de dire que son initiative joua un rôle important dans le développement de la conscience démocratique à Hong Kong.

Sur la situation politique de la RAS, l’ancien gouverneur qui, jusqu’à présent, était resté silencieux, vient à deux reprises de se replacer sous les feux des médias. Il est intervenu une première fois lors de la publication par Pékin du Livre Blanc sur Hong Kong, le 10 juin dernier. Lire notre article Hong Kong : Pékin se cabre.

A cette occasion, réagissant à l’exigence de « patriotisme » sensé, selon Pékin, animer l’appareil judiciaire, que certains interprètent comme une obligation d’allégeance au parti communiste chinois, Patten insistait notamment sur l’indépendance des juges, condition essentielle de la crédibilité d’affaires de la R.A.S : « Selon la constitution de Hong Kong, le juges sont indépendants et il ne saurait être question de les soumettre à la pression de considérations politiques ».

Le deuxième commentaire de Chris Patten fut plus clairement politique et entendait peser en faveur de la mouvance démocratique. A cette occasion, il n’hésita pas à mettre en porte à faux le gouvernement britannique qui souhaite tourner définitivement la page du colonialisme et limiter ses relations avec la Chine au domaine commercial. Pour l’ancien gouverneur, les citoyens de Hong Kong avaient le droit d’exprimer leurs préoccupations à l’égard de Londres et de Pékin, dès lors qu’ils pensent que les termes de l’accord conjoint de rétrocession ne sont pas respectés.

Brutales réactions de la presse du régime.

Dans l’ambiance actuelle où le Bureau Politique vilipende systématiquement « les ingérences extérieures », ces réflexions ont provoqué de brutales réactions des médias chinois. Le Global Times qui rappelait que la démocratie n’existait pas du temps de la règle britannique et que Chris Patten avait été nommé par la Reine, critiqua vertement les commentaires de la « classe politique britannique ».

Au passage il menaçait le Premier Ministre Cameron de représailles commerciales s’il s’aventurait à faire une déclaration officielle en appui de celles de l’ancien gouverneur, émaillant aussi sa mise en garde de virulents commentaires anti colonialistes : « seuls ceux qui s’accommodaient de leur condition d’esclave se souviennent de Chris Patten de manière positive ».

Le Parti est également agacé par les ingérences des États-Unis. Joe Biden qui, le 4 avril dernier avait déjà rencontré à Hong Kong Anson Shan et martin Lee, les deux figures les plus emblématiques de la mouvance anti-Pékin, vient encore de les accueillir à Washington.

Le 5 août, le Global Times dont il faut rappeler qu’il relaye les sensibilités très nationalistes de l’appareil chinois, allait plus loin et critiquait vertement les stratégies mondiales d’Obama qualifiées « d’incohérentes et contradictoires ». L’article était une réponse à une interview donnée par le Président des États-Unis au journal « the Economist », dans laquelle l’hôte de la Maison Blanche prônait plus de fermeté à l’égard de Pékin quand la Chine ne se conformait pas au droit international.

Hong Kong, un enjeu politique que le Parti ne peut pas perdre.

Pour le Global Times, dont le discours n’était cependant pas repris par les organes officiels que sont Xinhua et le Quotidien du Peuple, les États-Unis ne parvenaient pas à se libérer de leur « mentalité de guerre froide » et ne voyaient pas les avantages sur le long terme d’une coopération sans arrière pensée avec la Chine. Pour le Global Times, Obama a certes formellement accepté les termes d’une « nouvelle relation de puissance avec la Chine », mais la bascule du « pivot » vers le Pacifique occidental montre qu’il n’en a pas compris le fondement.

Photo : Le 9 septembre, Susan Rice, la Conseillère américaine pour la sécurité était reçue à Pékin par le Président Xi Jinping, le MAE Wang Yi, Yang Jiechi conseiller d’État pour les Affaires extérieures, ancien ambassadeur à Washington et le général Fan Chanlong, membre du Bureau Politique et premier vice-président de la Commission Militaire Centrale.

Alors que le 9 septembre Xi Jinping recevait à Pékin Susan Rice, Conseillère pour la Sécurité Nationale du président Obama afin d’éloigner le spectre d’un dérapage militaire, avec de probables discussions sur le droit des États-Unis d’effectuer des missions de surveillance maritimes et aériennes dans et au-dessus de la ZEE chinoise, la critique du Global Times renvoyait aussi au rejet par le pouvoir chinois de la présence militaire américaine dans la région et à sa volonté de tenir à distance les influences politiques occidentales sur les affaires internes chinoises.

Parallèlement aux réformes économiques et à lutte contre la corruption, cette crispation anti-occidentale s’exprime en Chine même par le durcissement contre ceux qui remettent en cause le magistère du Parti.

A cet égard Hong Kong devient un enjeu de pouvoir que le Parti ne peut pas perdre. L’alourdissement de la main du régime sur la R.A.S servira de mise en garde à la dissidence politique chinoise. En Chine une bonne partie de l’opinion dont le nationalisme est attisé par le pouvoir et qui s’offusque de « l’arrogance » et de la tendance séparatiste des Hongkongais, appuiera le durcissement de la ligne de Pékin dans la R.A.S.

 

 

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