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L’OCS à Dushanbe. La menace terroriste ébranle les anciens équilibres stratégiques

Photo : Lors du sommet de Dushanbe, le président chinois était accompagné de Wang Hunning, à gauche au premier rang, premier conseiller spécial, Li Zhanshu, à droite au premier rang, Chef du Secrétariat du Bureau Politique, Yang Jieshi derrière Xi Jinping à gauche, Conseiller d’État pour les AE et Wang Yi, ministre des AE, derrière Xi Jinping (tête baissée), à droite sur la photo.

Le 14e sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) a eu lieu à Dushanbe au Tadjikistan les 11 et 12 septembre derniers. La rencontre réunissait les chefs d’État et de gouvernement des 6 pays membres (4 pays d’Asie Centrale + Chine et Russie, ces derniers représentés par Xi Jinping et Vladimir Poutine qui se voyaient pour la 4e fois depuis le début 2014 – une 5e étant à venir) et les représentants de plusieurs pays de la zone invités en observateurs dont les présidents Hamid Karzai, Hassan Rouhani, Elbegdorj respectivement d’Afghanistan, d’Iran et de Mongolie, auxquels s’étaient joints le Pakistanais Sartaj Aziz Conseiller pour la sécurité de la présidence à Islamabad et Madame Salman Khurshid ministre des Affaires étrangères de l’Inde, ainsi que des représentants du Sri Lanka, de la Biélorussie et de la Turquie.

Au total, en cette mi-septembre 2014, ce sont 14 nations qui étaient rassemblées dans la capitale du petit pays Tadjik enserré dans les hautes chaînes montagneuses du Pamir et de l’Alay, à 150 km de la frontière afghane et dont la population d’origine perse est disséminée dans toute l’Asie Centrale, en Afghanistan, en Russie et au Pakistan. Mais depuis la création du « Groupe de Shanghai » en 1996, devenu l’Organisation de Coopération de Shanghai en 2001, l’environnement géostratégique de l’Organisation a profondément changé.

Comme des plaques tectoniques mises en mouvement, la relation de la Chine avec l’Asie du Sud évolue lentement sous la pression de la menace terroriste. Celle-ci inquiète d’autant plus la Chine que les États-Unis évacuent l’Afghanistan toujours en proie à l’effervescence talibane et que le Pakistan contrôle mal les zones tribales.

Même si les discours officiels chinois restent calibrés par la nécessité d’afficher les équilibres immuables dont ils affirment l’irrévocable stabilité, le risque terroriste pèse sur la qualité des relations entre Pékin et Islamabad. Par contrecoup, il induit un ajustement des attitudes chinoises à l’égard de New-Delhi. Il pourrait également rapprocher Washington et Pékin.

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La prévalence des défis sécuritaires.

Photo : Avant le sommet de Dushanbe, l’APL aparticipé avec les forces armées des 5 autres nations de l’OCS au plus vaste exercice militaire jamais organisé en Mongolie Intérieure. L’objet de la manœuvre, baptisée comme chaque année « Peace Mission » était de s’entraîner à la lutte contre contre les trois fléaux du « terrorisme, du séparatisme et de l’extrémisme ».

A l’origine, modeste forum de négociations pour la résolution des différends frontaliers et pour le développement économique, l’organisation a, sous l’influence chinoise et russe, peu à peu affirmé de plus vastes ambitions, d’abord économiques, puis stratégiques dont le but commun affirmé fut de combattre les trois « fléaux » identifiés par la rhétorique sécuritaire chinoise que sont « le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme ».

De fait, la région d’Asie Centrale qui abrite elle-même des mouvements religieux extrémistes, jouxte des zones troublées et instables de l’Afghanistan, du Caucase aux marches de la Russie et du Xinjiang chinois, théâtre d’affrontements ethniques récurrents entres Han et populations turcophones, en majorité musulmanes.

Le spectre du terrorisme ouïghour

Dans la vaste province du Grand Ouest chinois se cristallisent aujourd’hui de sévères rancoeurs ethnico-religieuses attisées par la revendication d’indépendance du Mouvement Islamique du Turkestan Oriental dont les connexions avec l’idéologie musulmane radicale à l’œuvre au Moyen Orient et dans les zones tribales pakistanaises est aujourd’hui avérée.

Attisées par les effets pervers des brutalités répressives chinoises qui ciblent tout autant les terroristes que les modes de vie ostensiblement religieux des Ouïghours, les condamnations de la Chine par les mouvements extrémistes se multiplient. Dans ce contexte, le discours de Pékin qui affirme la neutralité de la Chine et ses priorités économiques et commerciales dans un environnement apaisé et harmonieux commence à perdre son efficacité.

Au fil des ans, le volet anti-terroriste de l’OCS qui, pour les Chinois, est devenu la face dure de la lutte contre le séparatisme ouïghour au Xinjiang, s’est développé avec l’organisation régulière de manœuvres armées communes. Cette année, la conférence de Dushanbe faisait suite au plus vaste exercice militaire traditionnellement baptisé « Peace mission » jamais organisé par le groupe.

Tenu en Mongolie intérieure chinoise, il regroupait 7 000 hommes des 6 pays sous les ordres du Général Wang Ning vice-chef d’état-major de l’APL. Au Tadjikistan, accentuant le volet sécuritaire de l’Organisation, la plupart des discours ont d’abord insisté sur la menace islamiste radicale.

L’intervention du Président tadjik Rahmon, hôte de la conférence en poste depuis 22 ans, a sans le nommer, fait allusion à l’État Islamique en Syrie et en Irak dont des ramifications ont déjà contaminé tous les pays de l’OCS y compris les pays observateurs. Selon lui, il était inquiétant que des acteurs non étatiques se soient aujourd’hui dotés d’équipements militaires qui jusqu’à présent n’étaient détenus que par les gouvernements réguliers. « De telles évolutions » a t-il précisé « modifient de manière significative la nature du problème et l’approche que nous devons adopter pour le résoudre ».

Le Président Xi Jinping, lui-même aux prises avec un durcissement très angoissant de la situation au Xinjiang, a certes enveloppé son adresse dans une perspective de coopération et de développement articulée autour de l’accroissement des échanges commerciaux, la coordination énergétique, la résolution du stress hydrique, l’intégration économique et – c’est une constante de plus en plus présente des stratégies chinoises – l’harmonisation financière.

Mais, tout en promettant de porter le fond de coopération Chine - Eurasie à 5 Mds de $ et d’ouvrir 2000 stages de formation administrative et technique aux pays de l’Organisation à partir de 2015, il a placé les objectifs de sécurité anti-terroriste en tête des priorités de la Chine, proposant des coopérations entre les systèmes juridiques, le contrôle d’Internet et la fermeture des sites religieux extrémistes. En même temps, il a exhorté ses partenaires de l’OCS à prendre en main à leur niveau les défis de la menace terroriste.

Les autres évolutions majeures dignes d’attention sont d’abord la soudaine inquiétude de Pékin à la perspective de l’évacuation de l’Afghanistan par les troupes américaines, créant un vide laissant libre cours à la résurgence d’un pouvoir islamiste radical menaçant directement la stabilité du Xinjiang. A cet égard le contraste avec les stratégies chinoises initiales est total. Enfin, les glissements stratégiques en cours influencent la relation de Pékin avec New-Delhi et Islamabad.

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Pékin et le défi de l’instabilité pakistanaise et afghane.

Photo AP : Une unité de l’armée pakistanaise photographiée en 2011 dans la zone tribale du Sud Waziristan.

Le départ d’Afghanistan des troupes américaines inquiète Pékin

En 1996, la création du groupe de Shanghai recelait en effet un arrière plan stratégique anti-américain qui entendait freiner l’expansionnisme de l’OTAN et contrer l’épidémie de « régime change » à l’œuvre dans la région. En 2005, les 6 pays avaient même adopté une position commune dénonçant les bases américaines établies dans la zone en base arrière de l’intervention américaines en Afghanistan et exigé que Washington fixe un calendrier de retrait. Cet état d’esprit prévalait encore en 2011.

Mais, depuis, l’aggravation de la situation au Xinjiang a changé la donne. Désormais, les inquiétudes chinoises face au vide provoqué par le départ de l’ISAF laissent présager un rapprochement entre Pékin et la Maison Blanche dans la lutte contre l’extrémisme religieux radical.

Pékin préoccupé par le désordre Pakistanais.

Simultanément, attisé par l’aggravation de la situation dans le grand ouest chinois, surgit à Pékin un malaise de plus en plus perceptible face à l’ambiguïté d’Islamabad à l’égard des groupes terroristes. Alors que les positions officielles des deux pays restent calées sur l’image d’une proximité stratégique inébranlable qui souffre cependant de relations commerciales faibles et déséquilibrées, il est utile de lever le voile sur les différends qui pourraient s’exacerber à mesure que se développe la menace terroriste en Chine. Déjà, à l’été 2007 des militants islamistes avaient kidnappé 7 ressortissantes chinoises accusées de tenir un commerce de prostitution à Islamabad.

Les 10 et 11 juillet 2007, en partie sous la pression de Pékin, l’armée pakistanaise avait, sur ordre du Président Musharaf, brutalement investi la mosquée rouge et la madrassa adjacente devenue depuis 2006 le refuge des extrémistes religieux et une institution réservée aux femmes qui prêchait l’instauration de la Charia (bilan 154 morts).

Au même moment, trois officiels chinois avaient été assassinés à Peshawar et un attentat suicide avait visé une équipe de travailleurs chinois au Balutchistan, la province irrédentiste limitrophe de l’Iran et de l’Afghanistan, arrière pays du port de Gwadar, un des éléments clés de la relation sino-pakistanaise et point de départ du projet de pipeline devant relier la mer d’Arabie au Xinjiang.

Lire notre article Ambiguïtés sino-pakistanaises.

A partir de 2011, deux années après les émeutes d’Urumqi, les critiques chinoises se firent plus directes accusant Islamabad de mal contrôler ses zones tribales et pointant du doigt l’entraînement au Pakistan des terroristes auteurs des attentats à Kahsgar au Xinjiang. Les accusations qui provenaient des autorités chinoises locales, avaient été reprises par le China Daily.

En mai 2013, tandis que les médias chinois rappelaient, par leurs formules convenues, la solidité des liens entre Pékin et Islamabad (« 全天候伙伴 ») Li Keqiang avait, comme s’il présageait une stagnation ou des difficultés, appelé à un renouveau de l’amitié « pour qu’elle porte de nouveaux fruits - 结出新硕果 ». En réalité, le régime chinois s’inquiète d’une aggravation de la sécurité au Pakistan au point que, selon les renseignements militaires américains, il aurait commencé à réfléchir à l’hypothèse extrême d’une prise de contrôle par les radicaux de tout ou partie de l’arsenal nucléaire pakistanais.

Prise de conscience à Islamabad.

Le 1er juin 2014, un article du « Dawn », le plus ancien et le plus lu des quotidiens pakistanais en langue anglaise, publiait un article qui mettait directement l’accent sur les risques posés par le « spectre terroriste » sur les relation d’Islamabad avec ses voisins, après le retrait américain d’Afghanistan. Après avoir rappelé la solidité des liens entre Chinois et Pakistanais, appuyés par une bonne perception réciproque des opinions publiques, il soulignait non seulement que « la Chine était très inquiète de protéger ses intérêts au Pakistan », mais qu’elle était également préoccupée par le phénomène des Ouïghours et des ressortissants d’Asie Centrale ayant trouvé refuge dans les zones tribales entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Au point que, selon l’auteur de l’article, les centres de recherche stratégique chinois commençaient à suggérer au gouvernement de Pékin d’augmenter, comme le fait Washington, mais en contradiction avec le principe chinois de non ingérence, sa pression sur Islamabad pour qu’il lance des opérations militaires contre les terroristes réfugiés dans les zones tribales, avec l’objectif d’affaiblir le mouvement indépendantiste religieusement très marqué de l’ETIM (Acronyme anglais pour Mouvement Islamiste du Turkestan Oriental).

Toutes ces évolutions directement liées à l’un des plus graves problèmes de sécurité interne que la Chine n’ait jamais connu, ne suffisent certes pas à attester d’un relâchement significatif des liens entre Islamabad et Pékin. Les deux pays ont en effet toujours d’importants projets de développement en cours financés par plus de 50 Mds de $ promis par la Chine pour améliorer l’intégration économique et densifier les réseaux de transport ferrés et routiers d’une « nouvelle route de la soie du XXIe siècle ».

Leur proximité stratégique s’alimente aussi de la volonté chinoise de faire contrepoids à Washington et New-Delhi. Mais force est de reconnaître que la relation bilatérale est aujourd’hui troublée par l’ambiguïté et les hésitations pakistanaises face à la question terroriste qui pose à la Chine un risque existentiel inédit qu’elle ne peut plus ignorer.

Un fâcheux concours de circonstances.

Enfin, il arrive que de néfastes coïncidences contribuent à dissiper le voile des ambivalences diplomatiques et à ramener à la surface quelques vérités plus conformes à la réalité des situations. Chacun aura noté que, dans ses relations avec l’Asie du Sud, Pékin s’applique à maintenir au moins dans la forme un équilibre entre New-Delhi et Islamabad. Depuis quelques temps, c’est devenu une tradition : chacun des voyages de la haute direction du régime dans la zone comporte un passage obligé dans les deux capitales. C’était le cas de Li Keqiang au printemps 2013 qui après un voyage remarqué en Inde a fait un crochet au Pakistan.

Autre évidence : après les fortes crispations de la relation sino-indienne du printemps 2013, le régime chinois s’est appliqué à faire baisser les tensions (lire notre article Diplomatie chinoise et méfiances indiennes). A la suite de l’élection de Narendra Modi, le n°1 chinois n’a eu de cesse de le rencontrer. Les deux se sont vus longuement au Brésil, fin juillet lors de la dernière réunion des BRICS. C’est pourtant par le Japon, il y a trois semaines et par les États-Unis où il se rendra le 29 septembre que le nouveau premier ministre indien a commencé son action diplomatique après son arrivée au pouvoir. Du coup c’est Xi Jinping, qui à peine plus d’un après le voyage de Li Keqiang, a consenti à faire le voyage de New-Delhi.

La carte sauvage des militaires pakistanais.

Cette fois pourtant, suite à l’instabilité qui régnait à Islamabad où depuis plusieurs semaines les manifestants réclamaient le départ du premier ministre, le n°1 chinois a été contraint d’annuler le rituel du passage au Pakistan. La décision vient du premier ministre Nawaz Sharif qui accusait les mouvements d’opposition d’entretenir l’instabilité. Après des démentis du porte parole du gouvernement chinois et des autorités pakistanaises, l’agence Xinhua confirmait la nouvelle le 9 septembre, tout en rappelant le caractère indéfectible des liens entre Pékin et Islamabad.

Le fait est que, sous couvert de querelles pour la validité des élections générales remportées en mai dernier par le mouvement de Nawaz Sharif au sein de la Ligue Pakistanaise Musulmane, la sévère discorde en cours à Islamabad entre le pouvoir civil et les militaires recèle un potentiel d’aggravation de la situation du sous-continent qui ne fait l’affaire ni de la Chine ni celle des États-Unis.

Peu intéressée par le développement des liens initiés par Nawaz Sharif entre Islamabad et Kabul comme d’ailleurs avec New-Delhi, l’armée pakistanaise qui tire son pouvoir des tensions en cours voit avant tout l’Afghanistan comme un enjeu de compétition avec l’Inde. Compte tenu des liens entretenus par les services de renseignement militaires pakistanais avec les mouvances radicales, Pékin et Washington peuvent légitimement s’inquiéter de ces évolutions. Sur ce sujet au moins, les préoccupations de la Chine rejoignent celles des États-Unis.

 

 

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