Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chronique

Hong Kong : « Occupy Central » s’étiole, tandis que resurgit le contentieux sino-britannique

Le 1er juillet 1997, le dernier gouverneur de Hong Kong, Christopher Francis Patten, reçoit l’Union Jack des mains d’un soldat de sa Majesté.

L’histoire ancienne des relations très conflictuelles de Londres avec Pékin semble refaire surface, au moment où la fronde du mouvement « Occupy Central » s’étiole avec la reddition à la police de deux de ses fondateurs, les professeurs Benny Tai et Chan Kin-man, en même temps que deux de ses plus emblématiques soutiens, le Cardinal Zen et le révérend Chu Yiu-ming.

C’est en tous cas l’impression qu’on retire de la dernière décision chinoise d’interdire à une délégation de députés britanniques en charge des relations avec l’ancienne colonie de se rendre à Hong Kong durant la troisième semaine de décembre pour une mission d’enquête planifiée depuis juillet. La mesure qui est une première, enfreint les accords consulaires autorisant l’entrée des citoyens britanniques à Hong Kong sans visa pour une durée de 180 jours. Elle a été communiquée au Foreign Office par le n°2 de l’Ambassade de Chine à Londres accompagnée d’une lettre qui accuse le parlement britannique d’interférence « inappropriée dans les Affaires intérieures chinoises ».

Les cris d’orfraie de la Chambre des Communes laissent penser que les élites anglaises qui ont diligenté cette investigation n’ont pas pris conscience que, pour le pouvoir politique chinois, une enquête politique menée sur son sol par l’ancienne puissance coloniale est, dans les circonstances actuelles, un irritant de toute première grandeur.

Plus largement, la rebuffade de Pékin s’inscrit dans la détermination chinoise à ne pas se couler dans un ordre politique dont les règles lui seraient imposées de l’étranger. Compte tenu des coopérations industrielles, commerciales et financières entre Londres et Pékin, la marge de manœuvres anglaise est réduite.

Pour autant, le raidissement chinois qui tourne le dos au pragmatisme, pourrait écorner l’image de puissance douce que le Parti tente de véhiculer et gêner ses relations avec l’Occident. Mais il est révélateur de la conception du Bureau Politique, exprimée par Xi Jinping en février 2012, lors de son voyage à Washington, d’un « type nouveau de relations au XXIe siècle entre les grandes puissances » - 新型大国关系 – .

Développée à propos des relations avec les États-Unis, l’idée qui insiste sur la coopération et le respect mutuel, est tout aussi pertinente pour les relations avec n’importe quelle autre membre permanent du Conseil de Sécurité.

Mais à Hong Kong, Pékin est confronté à un mouvement politique qui s’inscrit dans la vague globale de recherche par les générations plus jeunes d’un accomplissement individuel parfois construit contre la puissance et le cynisme des États. Dans ce contexte, l’explication chinoise de troubles fomentés par des complots étrangers anti chinois manque une partie de l’image. Il reste qu’on ne peut pas comprendre la nervosité de la direction politique à Pékin sans faire un retour historique sur les relations heurtées entre l’Empire britannique et l’Empire chinois.

++++

Photomontage paru dans un blog du South China Moning Post qui figure Xi Jinping en leader sûr de lui, montrant la voie et refusant les influences étrangères.

Retour sur les humiliations subies par la Chine.

Dire que les Chinois ne gardent pas un souvenir enthousiaste de la cession de Hong Kong à l’Empire Britannique et des conditions dans lesquelles la Colonie a été rétrocédée à Pékin est un euphémisme. Au sein du Bureau Politique, au Comité Central et dans l’opinion très nationaliste, le moindre commentaire à propos de la R.A.S venant de l’ancienne puissance coloniale est un puissant irritant.

Aujourd’hui, alors que Londres n’avait jamais autorisé la démocratie dans la colonie britannique, la Direction chinoise a le sentiment que la fronde des étudiants réclamant un authentique suffrage universel en 2017 est attisée de l’extérieur. Le fait que le 10 juin dernier, Chris Patten, le dernier gouverneur britannique principal artisan de la Loi Fondamentale, base institutionnelle de la contestation, ait commenté publiquement la sortie du Livre Blanc chinois sur Hong Kong avait allumé la crispation contre Londres. Depuis, elle s’aggrave, nourrie par les cuisants souvenirs de l’histoire.

Un contentieux commercial dérape vers un conflit militaire.

Les contentieux entre le vieil Empire et la couronne britannique furent d’abord ceux du commerce du thé, du coton et de l’opium. Au cœur de cette histoire où se mêlèrent la cupidité, l’arrogance coloniale et le Nationalisme chinois, dans un empire en déshérence : l’East India Company. Enrichie par le commerce de thé chinois vendu en Europe au XVIIIe siècle, elle finança la conquête de l’Inde grâce à ses fonds propres et à de très lourds emprunts à la couronne. Pour équilibrer ses achats de thé, la Compagnie des Indes vendaient à la Chine du coton et des tissus indiens, dont les revenus étaient aussitôt réinvestis dans le thé.

Mais ce bel équilibre reposant sur le profit univoque de la Compagnie des Indes se grippa quand les Chinois s’aperçurent que leur commerce ne rapportait rien aux caisses de l’empire puisque l’argent du thé chinois était immédiatement dépensé pour acheter du coton indien. Ainsi décida t-on à Pékin une riposte commerciale qui consista à mettre sur le marché de Canton le coton bon marché de Chine du Nord acheminé vers le sud par bateau.

La manœuvre réussit magnifiquement. Les ventes de coton indien s’effondrèrent et l’East India endettée jusqu’au cou n’eut bientôt même plus les moyens d’acheter du thé. C’était il y a plus de 170 ans. Comme aujourd’hui, les aigreurs internationales contre la Chine étaient déjà en partie attisées par le serpent de mer du déficit commercial.

Sauf qu’à cette époque, on ne tentait pas de régler l’affaire à l’OMC, mais en se faisant la guerre. L’histoire de la colonie britannique de Hong Kong plonge ses racines dans ces fâcheries commerciales réglées par les armes. Pour effacer son déficit et ses dettes, la Compagnie des Indes qui ne pouvait plus vendre son coton indien déclassé par celui venu de Chine du Nord, décida à la place de vendre de l’opium qu’à l’époque les Chinois, importaient d’Amérique.

L’opium comme adjuvant du commerce britannique.

Ainsi naquit un des plus grands trafics transnationaux de drogue cautionnés par un empire colonial. Produit en Inde à bon marché à partir de la fleur de pavot, l’opium allait être écoulé en Chine grâce une ardente campagne commerciale destinée à créer une clientèle aussi vaste que possible d’opiomanes. Sans surprise, la Chine se cabra ce qui conduisit à la guerre, après que l’émissaire de l’empereur Daoguang à Canton, le Commissaire Impérial Lin Zexu, fit enterrer et brûler à la chaux une cargaison britannique d’opium sur une plage près de Canton.

Les Anglais mieux armées et mieux entraînés n’eurent aucun mal à battre l’armée et la marine chinoises. Le traité de Nankin (1842) qui fut le premier des traités inégaux, infligea à la Chine impériale des Qing de lourdes humiliations. Surtout, il céda au Royaume Uni l’île de Hong Kong « le port aux parfums » qui resta territoire britannique jusqu’en 1997. (Voir Histoire de la Chine de Danielle Elisseeff. Editions du Rocher, 1997).

1997 : Le Parti partagé entre l’enthousiasme et l’amertume.

En 1997, à Pékin l’humeur enthousiaste et festive du retour de la Colonie à la mère Patrie cachait cependant une amertume. Alors que la démocratie n’avait jamais été le souci n°1 de la règle britannique à Hong Kong, ce n’est que dans les dernières années avant la rétrocession que le gouverneur Chris Patten, a, au grand dam du Parti Communiste chinois, modifié le système électoral pour donner au vote populaire plus d’impact dans la gestion du territoire.

Le souvenir de celui qui avait allumé cette « mèche lente » ajouté à ses prises de position de l’été dernier, sur fond d’accusations chinoises d’un « pilotage extérieur » du mouvement Occupy par des « forces anti chinoises » sous couvert de démocratie, expliquent largement le raidissement du Parti qui a la mémoire longue et n’a pas l’intention de perdre le contrôle de la situation.

La nouvelle donne du XXIe siècle.

En 2014, les équations internationales ne sont plus les mêmes qu’en 1842 ou même 1997. Certes Londres s’insurge bruyamment contre la manœuvre chinoise qui interdit à des citoyens Anglais de se rendre à Hong Kong alors que les accords autorisent leur accès sans visa au territoire de la R.A.S. pendant six mois.

Une session spéciale a été convoquée à la Chambre des Communes où la décision chinoise a été presque unanimement condamnée. David Cameron, sous pression des députés qui réclament une réaction ferme du Foreign Office, a jugé que l’interdiction chinoise était une « erreur » qui influencerait de manière négative le renouveau des relations entre Londres et Pékin.

Mais toute cette effervescence politique oublie que Pékin est aujourd’hui de plus en plus entré dans son rôle de très riche n°2 économique de la planète, que son influence stratégique se renforce rapidement, que les marges de manœuvre de l’ancienne puissance coloniale sont limitées et que, dans ce nouveau contexte, c’est la Grande Bretagne en mal de « cash » qui, depuis plusieurs années, courtise les investissements chinois.

On se souvient par exemple que Londres a récemment autorisé les groupes de l’électronucléaire chinois à investir jusqu’à 30% dans la construction de centrales nucléaires, que l’extension de l’aéroport de Manchester a été confiée à un groupe de Pékin pour 1,3 Mds de $, ou que les Britanniques ont obtenu l’autorisation d’investir jusqu’à 13 Mds de $ en Chine en même temps qu’un accord avec Pékin permet désormais de libeller les échanges directement en Livres Sterling ou en Yuan à hauteur de 200 Mds de Yuan (20 Mds de £, 24 Mds d’€ ou 32 Mds de $).

En juin 2014, la valeur des accords - 30 Mds de $ -, allant de l’énergie et des infrastructures télécoms à la finance, en passant par les technologies off-shore - conclus entre David Cameron et Li Keqiang au cours de sa visite à Londres, attestent de la force des enjeux économiques. Huawei, le n°1 mondial des infrastructures télécoms (14 bureaux ouverts au Royaume Uni depuis 2001), a annoncé en 2012, 2 Mds de $, d’investissements dont 200 millions (annoncés en 2013) seront consacrés la création d’un centre de R&D sur le sol britannique avec la perspective de 140 emplois d’ingénieurs dont le nombre pourrait être porté à 300 en 2017. Ce qui porterait le total des emplois créés en GB par le géant chinois des télécoms à 1500.

Lire aussi notre article Les tribulations nucléaires franco-chinoises à l’export.

Détermination chinoise.

Surtout, la Chambre britannique semble ignorer que le Parti Communiste est fermement décidé, quels que soient les désaveux et les condamnations de l’Occident, à tenir à distance la contagion démocratique et les influences extérieures pouvant se mettre en travers de sa conception d’une « démocratie aux caractéristiques chinoises » où, in fine, le magistère du Parti ne peut être contesté. Cette ligne devenue une des épines dorsales des stratégies chinoises contre les ingérences extérieures chez elle et dans son environnement stratégique direct se renforce depuis 2012.

++++

Le 3 décembre 2014, les dirigeants du mouvement « Occupy Central » et leurs supporters déclarent se rendre à la police. De gauche à droite le cardinal de Hong Kong Joseph Zen, Chu Yiu-ming, le pasteur baptiste de Hong Kong qui avait joué un rôle crucial dans l’exfiltration des dissidents de Tian An Men recherchés par la police chinoise, et les fondateurs : Chan Kin-man, Docteur en Philosophie, professeur en sciences sociales à l’université de Hong Kong et Benny Tai, professeur de droit.

Pékin entend rester maître du jeu…

Sur la question de Hong Kong, Pékin s’en tient à la lettre de la Loi Fondamentale (Basic Law) qui régit la R.A.S et ses relations avec le Continent. Elle autorise toutes les interprétations, des plus restrictives aux plus ouvertes. Dans sa Section 1, Art 45, elle stipule notamment que « le gouverneur (Chief Executive), choisi au moyen d’élections ou à la suite de consultations locales, est nommé par le Gouvernement Central ». (…) « La méthode de sélection du gouverneur sera arrêtée à la lumière de la situation réelle de la R.A.S et selon un processus qui garantira une évolution graduelle et ordonnée. »

A chaque fois que la question s’est posée de l’élection du gouverneur au suffrage universel (en 2002, 2007, 2012 et aujourd’hui en vue de 2017), l’Assemblée Nationale Populaire chinoise s’est appuyée sur la condition d’une « évolution graduelle et ordonnée », soit pour reporter l’adoption d’un scrutin populaire, soit pour en limiter la mise en œuvre, comme elle vient de le faire le 1er septembre 2014. Lire aussi Hong Kong : un suffrage universel aux « caractéristiques chinoises. ».

La suite de ce bras de fer dont on voit bien que les implications sont complexes n’est pas encore écrite. La détermination chinoise, confortée par la mouvance des affaires, attachée à la réputation de stabilité ordonnée de la R.A.S, appuyée par un des plus solides droits des affaires de l’Asie, héritier de la règle britannique, se heurte à une conscience politique rebelle diffuse et parfois désordonnée, convaincue que la spécificité politique de Hong Kong définie par le schéma « Un pays deux systèmes » est menacée.

Dans cette mouvance se mêlent d’une part une authentique conviction démocratique inquiète des tendances du Parti Communiste chinois à réduire progressivement les libertés publiques et d’autre part l’impétuosité dangereuse de la jeunesse étudiante, tentée par les actions extrêmes, condamnée par les plus anciens, comme la grève de la faim ou l’occupation violente des bâtiments publics.

La reddition des « têtes » du mouvement « Occupy Central » a pris acte des risques d’un dérapage violent à la fois dommageable pour la crédibilité de son action de désobéissance civile qui s’était toujours voulue pacifique et pour la réputation de centres d’affaires de la R.AS. « J’espère que le public comprendra le sens de notre reddition » a expliqué Benny Tai, le fondateur, qui appelait à la fin de l’action, alors que la police avait entrepris de dégager le dernier carré de Central, après les échauffourées de la semaine dernière dans le quartier de Mong Kok et que 24 personnes âgées de 33 à 82 ans ont été arrêtées pour « avoir participé à des rassemblements non autorisés ». Il est probable que d’autres arrestations suivront.

Face à une opinion partagée…

Il reste que le fond des choses lié à l’interprétation de la formule « Un pays deux systèmes » n’est pas réglé. S’il est vrai que les manifestants regroupés pendant plusieurs mois autour de l’idée de démocratie dans l’ancienne colonie, ne s’accordent pas sur la stratégie à suivre, il n’en reste pas moins que les sondages d’opinion révèlent un malaise que le Parti Communiste ne peut pas prendre le risque d’ignorer. Les manifestants étaient composés de groupes divers allant de lycéens à une frange de population plus mature, en passant par nombre d’étudiants d’université et de professeurs.

Irrités par l’évolution très inégalitaire de la société, dominée par les grands hommes d’affaires, les manifestants craignaient tous l’influence grandissante de la Chine dans les affaires de Honk Kong, qui leur paraît une contradiction avec le principe même de l’autonomie de la R.A.S.

Les aigreurs se cristallisent autour de la revendication d’un suffrage universel authentique débarrassé du filtre de Pékin pour éviter qu’à la prochaine élection le gouverneur soit à l’instar de C.Y. Leung, considéré par beaucoup comme inféodé aux affaires et trop proche du Parti Communiste. Les derniers sondages réalisés en septembre montrent une population partagée et inquiète de troubles potentiels : 46% des sondés ne soutenaient pas le mouvement, tandis que 31% se sont prononcés en sa faveur. Mais ici se creuse un écart entre générations : dans la frange des moins de 24 ans, 47% soutiennent le mouvement, tandis que les supporters sont seulement 24% dans la fourchette des 40 à 59 ans.

Pour autant, plus de 47% craignent pour l’avenir de Hong Kong, tandis que plus de 56% disent, toutes générations confondues, ne plus avoir confiance dans le schéma « Un pays deux systèmes », constatant que depuis l’avènement du nouveau gouvernement en mars 2013, la pression contre les libertés publiques en Chine s’est accentuée, tandis que les peines de prison contre les voix dissidentes se sont alourdies.

La prochaine échéance sera le vote d’approbation ou non – décidé au 2/3 des voix - par le Conseil législatif de la réforme électorale proposée par Pékin le 1er septembre dernier. Un sondage du South China Morning Post révèle que 48% des personnes interrogées pensent que les députés devraient s’opposer à la réforme, alors que 39% suggèrent de l’approuver. 13% ne se sont pas prononcés.

 

 

Chine - France : Commission mixte scientifique 2024, vers une partie de poker menteur ?

[29 février 2024] • Henri Clairin

A Hong-Kong, « Un pays deux systèmes » aux « caractéristiques chinoises. »

[12 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Chine-Allemagne : une coopération scientifique revue et encadrée

[9 octobre 2023] • Henri Clairin

Pasteur Shanghai. Comment notre gloire nationale a été poussée vers la sortie

[23 septembre 2023] • Henri Clairin

A Pékin et Shanghai, les très petits pas de l’apaisement des tensions commerciales

[3 septembre 2023] • Jean-Paul Yacine