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›› Politique intérieure

Xi Jinping, l’APL et les mânes maoïstes

Peinture à l’huile représentant Mao à la conférence de Gutian le 28 décembre 1929.

Les débats sur l’armée chinoise sont le plus souvent quantitatifs. Et quand ils abordent l’aspect qualitatif c’est presque seulement par le biais des équipements. De ces points de vue budgétaire et technique, la montée en puissance est réelle. Il reste cependant des aspects largement inconnus passés sous silence par la plupart des commentateurs faute d’information ou d’expérience : l’aptitude opérationnelle réelle à quoi s’ajoutent la cohésion et le moral qui, in fine, conditionnent au-delà des aspects purement matériels, la force et l’efficacité d’un engagement au combat.

Au moment où, en contrepoint des commémorations militaires organisées à Moscou en mai par Vladimir Poutine pour célébrer la victoire alliée, le Bureau Politique envisage, pour la première fois dans l’histoire, d’inviter des troupes étrangères à défiler aux côtés de l’APL lors de la grande parade de la victoire qui se tiendra en septembre à Pékin, il faut tenter de lever le voile sur les conséquences des opérations de nettoyage en cours dans les armées chinoises.

En engageant une répression féroce contre les généraux corrompus responsables d’insondables coulages, auteurs de nombreuses promotions obtenues au rabais par le truchement de passe droits rémunérés, eux-mêmes à l’origine d’une culture de coteries enrichies et de vastes rancoeurs internes détestables pour le moral des troupes, Xi Jinping a trois soucis clairement exprimés par ses actions récentes.

Le Président qui s’est sans doute bien mieux que ses deux prédécesseurs imposé aux militaires comme le véritable chef des armées, entend en effet : 1) nettoyer les « écuries d’Augias » et supprimer les mauvaises pratiques tolérées par ses prédécesseurs ou qu’ils furent incapables d’éradiquer et qui minent la capacité des forces ; 2) maintenir la cohésion et le moral que la tourmente d’assainissement menace de fragiliser ; 3) s’assurer que les militaires restent bien fidèles au Parti et ne se laissent pas influencer par les idées occidentales sur la neutralité des armées dédiées à la défense de la Nation plutôt qu’à celle d’un Parti.

A cet effet, confirmant un fois encore sa vision d’une histoire chinoise indivisible et résistant aux pressions intellectuelles qui réclament une rupture avec les affres révolutionnaires, Xi Jinping fait appel au dogme maoïste à la racine de la subordination de l’APL au Parti.

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Un ébranlement brutal…

Xi Jinping avec les chefs militaires de l’APL à la conférence de Gutian de novembre 2014.

La brutale mise en examen en 2014 du général Xu Caihou ancien Commissaire politique de l’APL à la retraite et ancien vice-président de la Commission Militaire Centrale (CMC) décédé à la mi-mars d’un cancer et accablé d’opprobres par le Quotidien des Armées ; le suicide à l’automne dernier de trois généraux et amiraux accusés de corruption ; la mise en examen de dizaines d’autres militaires de haut rang ; le soupçon qui court à l’encontre du Général Guo Boxiong ancien n°2 de la CMC et premier militaire chinois de 2007 à 2012, à quoi s’ajoutent l’arrestation de son fils, le contre amiral Guo Zhenggang et les dernières rumeurs sur l’arrestation de sa fille Guo Yonghong, sont une succession de très graves ébranlements internes dont l’importance ne peut pas être sous estimée.
Lire notre article L’APL fortement secouée par la lutte anti corruption

…dont il faut contrôler les dommages.

A elles seules les secousses infligées à l’APL par l’inflexible Commission de discipline justifient que le Secrétaire Général du Parti Xi Jinping et chef des armées se préoccupe du moral des troupes et de leur cohésion tout en s’assurant de leur fidélité politique au Parti. En novembre 2014, un séminaire a été tenu avec la haute hiérarchie sur ces sujets sensibles. Compte tenu que l’APL reste l’ultime recours politique du Parti communiste chinois, la dimension politique des événements est indéniable.

Gutian, symbole révolutionnaire…

Le séminaire a été organisé dans un lieu emblématique de l’histoire des relations entre le Parti et l’armée : à Gutian à 80 km au nord-ouest de Fuzhou dans le Fujian, province dont Xi Jinping avait été le gouverneur de 1999 à 2002.

Dans la dernière livraison de China Leadership, James Mulvenon rappelle que dans cette ville s’était tenue en décembre 1929 une conférence politique au cours de laquelle Mao – à l’époque Commissaire politique au nom du Komintern – avait abordé le thème de la « correction des erreurs » dans l’APL. Parmi ces « erreurs » figurait une liste qui renvoyait aux actuels soucis sur le fonctionnement des armées tels que les « fautes disciplinaires », les « tendances claniques et putschistes » ou les « excès de démocratie ».

…et de la subordination de l’APL au Parti.

Mais la critique de Mao qui résonnait le plus avec l’actualité fut la dénonciation de ce qu’il appelait « le point de vue strictement militaire ». Par là, il blâmait non seulement l’idée selon laquelle la seule tâche de l’armée serait le combat, mais également le courant de pensée qui opposait les affaires militaires aux questions politiques. Une dérive qui pouvait mener à des fractures entre les directions militaires et civiles de la révolution. En juillet 2014, un article du journal de l’École du Parti avait préparé le terrain et fait le lien entre la session présidée par Xi Jinping et la réunion de 1929.

Le long développement concluait à la permanence du rôle révolutionnaire des armées et à la nécessaire prévalence du politique sur les militaires. Surtout, il mettait en garde contre les idées qui prétendaient « occidentaliser » les armées chinoises pour les « dépolitiser » et les soustraire au contrôle du Parti. Selon l’auteur, la tendance avait déjà brouillé l’adhésion de certains officiers au principe essentiel de la prévalence du Parti Communiste Chinois, « au point - dit l’auteur - qu’ils admirent aveuglément les systèmes militaires occidentaux ». L’article concluait, entre autres, à l’exigence d’une sélection sans faille des cadres dont la loyauté devait être exemplaire.

Les références maoïstes du Secrétaire Général.

Après avoir déposé une gerbe au pied de la statue de Mao et honoré une longue suite de vétérans de l’armée rouge, le discours de Xi Jinping prononcé face à plus de 400 cadres regroupant toute la haute hiérarchie de l’APL, a lui aussi abondamment fait référence à la pensée maoïste d’une armée strictement subordonnée au Parti.

Puis, ayant reconnu les progrès effectués dans la lutte contre la corruption, il a identifié une série de problèmes et difficultés liés à « l’état d’esprit, à l’idéologie, à la faiblesse de l’idéal révolutionnaire » en même temps qu’au manque de compétence des cadres, aux fautes de gestion et à la déficience des contrôles. Au total, l’intervention du Secrétaire Général a assez peu focalisé sur l’exigence opérationnelle, comme s’il s’agissait d’un impératif annexe, preuve que sa préoccupation était politique plus que purement militaire.

…et les mises en garde du fils de Liu Shaoqi.

Au-delà des appréciations très laudatives de la haute hiérarchie qui considéra comme un seul homme que la réunion du 1er novembre avait « une portée historique », il était évident que les ébranlements en cours, ponctués par l’arrestation de Xu Caihou et les suicides des généraux à l’automne, constituent un traumatisme de grande ampleur dont la direction politique craint les contrecoups, d’autant que tout indique que les mises en accusation des chefs militaires ne s’arrêtera pas.

L’évocation des mannes révolutionnaires maoïstes pour refonder le moral et la réputation de l’armée durement écornée a en effet été accompagnée par les nouvelles mises en garde du principal artisan de la mise à jour des corruptions et de la chute de Xu Caihou, le général Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi, très proche de Xi Jinping.

Alors que chacun a conscience que la culture des passes droits de l’ancien commissaire politique de l’APL avait, dans la sélection des cadres, installé des cursus non pas fondés sur le mérite, mais basés sur népotisme et la corruption, Liu Yuan a, lors du séminaire, répété que la gangrène risquait de détruire l’APL.

L’histoire indivisible.

Une nouvelle fois, le Secrétaire Général se réfère au passé révolutionnaire et à Mao pour, à la fois redresser l’éthique et tenir à distance l’influence occidentale. La stratégie confirme une tendance apparue dès 2013. Pour Xi Jinping, l’histoire de la Chine moderne est indivisible. Convaincu du prestige rémanent du « Grand Timonier » et de la force de cohésion de sa mémoire, incarnation du renouveau national après un siècle de déclin et d’humiliations et, pour beaucoup, symbole de moins d’inégalités, le Président ne cèdera pas aux sirènes des modernes tentés par la rupture historique avec le passé révolutionnaire.

Ce dernier fonde l’imbrication entre le Parti et l’Armée à un moment de grands défis où, dans la conception concentrée et léniniste du pouvoir, la « dépolitisation » des militaires n’a pas de sens, puisqu’elle placerait l’APL en position d’arbitre.

Une évolution politique éminemment dangereuse pour le rôle dirigeant du Parti. Il reste donc au Secrétaire Général à contrôler au mieux les conséquences de la commotion provoquée par le redressement éthique en cours, en évitant que les cibles visées par la Commission de discipline ne s’organisent contre lui en un clan rebelle.

Tel était l’arrière plan de la réunion de Gutian où flottait la mémoire de Mao. Dans ces initiatives éminemment politiques, les questions de pure technique militaire et de modernisation des forces sont restées au second plan.

 

 

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