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›› Editorial

Mer de Chine du sud : au jeu de « Tape la taupe », la tension monte

L’amiral Sun Jianguo n°2 de l’état-major général salue le vice-ministre de la défense vietnamien Nguyen Chi Vinh lors du Shangri-la dialogue.

L’expression imagée employée par l’amiral Blair ancien commandant en chef américain dans le Pacifique au début des années 2000, est une critique directe de la stratégie américaine en mer de Chine du Sud. Elle renvoie au jeu vidéo qui consiste à détruire avec un marteau les taupes surgies de manière aléatoire de leurs galeries et qui, selon lui, s’apparente aux initiatives du Pentagone pour contrer les actuelles expansions artificielles de 9 îlots des Spratly au large des Philippines.

Ce n’est pas la première fois que l’ancien « CINC » qui fut le proconsul miliaire américain pour tout le Pacifique occidental, se heurte à la Maison Blanche et au Pentagone. En 2010, il avait été contraint de démissionner de son poste de Directeur National du Renseignement parce qu’il désapprouvait les méthodes sans nuances de la CIA et prônait une meilleure interaction avec les alliés. Au milieu des controverses il y avait une proposition, rejetée par les conseillers d’Obama, de coopération plus équilibrée entre les services de renseignements français et américains à l’image des errements en vigueur entre les Américains et les Britanniques.

Tout en affirmant que les Chinois prendraient un risque considérable en engageant le combat avec l’US Navy, l’Amiral Blair n’en juge pas moins irrationnelles les actuelles ripostes américaines consistant à systématiquement survoler les îlots des Spratly ou à croiser dans les espaces maritimes adjacents à mesure que Pékin modifie la structure des archipels pour définir les zones contigües et leurs abords aériens comme des espaces de souveraineté nationale.

De fait, ces dernières semaines ont été marquées par un chassé-croisé de provocations, ripostes, mises au point, réfutations et mises en garde entre Pékin et Washington, ponctuées par plusieurs survols des îlots remblayés par le génie maritime chinois et les patrouilles dans leurs parages de navires de combat et des aéronefs de l’US Navy.

La controverse qui tourne à l’aigre, fut l’un des sujets phares du forum de sécurité annuel de Singapour du « Shangrila Dialogue » qui réunissait le week-end dernier les ministres de la défense et les chefs militaires de l’Asie – Pacifique. En amont du forum les déclarations agressives et les postures belliqueuses avaient fleuri de part et d’autre.

Dans son discours d’ouverture du forum, Lee Hsien Loong, le premier ministre de Singapour, fils de Lee Kuan Hew, récemment décédé, a défini les enjeux et tracé la voie de l’apaisement : la stabilité de l’Asie – Pacifique dépend de la qualité des relations entre la Chine et les États-Unis. Les États-Unis doivent accepter la montée en puissance de la Chine. Pékin doit résister à la tentation du fait accompli et de la force.

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Déclarations agressives et postures belliqueuses.

Le 11 mai 2015, l’USS Fort Worth croise dans les Spratly suivi à distance par le destroyer lance missile Yangcheng de la marine chinoise. Photo US Navy.

Le 25 mai, le journal Global Times surgeon populiste du Quotidien du Peuple, mettait en garde contre les risques de conflit militaire si les États-Unis persistaient à entraver les travaux de la Chine dans les Spratly. Au passage, l’article fustigeait le Président Aquinio des Philippines qui rejette les nouvelles affirmations de souveraineté chinoises, rappelle chaque fois que possible sa proximité stratégique avec Washington et prévient que ses appareils de reconnaissance continueront à survoler les îlots contestés.

L’auteur citait la mise en garde du porte parole du Waijiaobu : « La Chine rappelle aux Philippines qu’elle ne cherchera pas à intimider les “petits pays“, mais ces derniers doivent cesser de créer des troubles (…) Nous espérons que les Philippines mettront fin à leurs provocations et accepteront de résoudre les problèmes par la consultation et la négociation. »

Pour la première fois, le Livre Blanc sur la défense précise les priorités de sécurité de la Chine.

Le 26 mai, alors que le porte-parole chinois signalait le lancement officiel de la construction de deux phares sur les Spratly, la Chine publiait un nouveau Livre Blanc sur sa défense. Le document différait des précédents par le fait qu’il identifiait clairement ses priorités de sécurité extérieures au nombre de 6 où ses droits maritimes, la protection de ses lignes de communication et ses intérêts outre-mers [1] étaient placés en tête, en même temps que ses capacités de dissuasion nucléaire, la protection contre les cyber-menaces et ses inquiétudes face à la militarisation de l’espace.

Surtout, le document insistait sur la nécessaire évolution des mentalités de l’appareil militaire chinois qui continuait à accorder une prévalence aux forces terrestres par rapport à la marine. Enfin il ciblait précisément les États-Unis désignés – sans les nommer - comme « une nation étrangère occupée à se mêler agressivement des affaires de la Mer de Chine du sud et de celles des États riverains. »

Le 29 mai, l’agence Xinhua enfonçait le clou en dénonçant les survols provocateurs des territoires chinois des Spratly par des appareils de surveillance américains, accusant Washington – qui n’avait aucune légitimité stratégique dans la région -, de semer la discorde, de créer des tensions en ralliant les Philippines et le Vietnam et de vouloir freiner l’ascension stratégique de la Chine.

La fin de la dépêche spéculait sur la cohérence des intérêts des 2 premières puissances économiques de la planète et mettait en garde Washington contre le risque d’une dégradation durable de ses relations avec Pékin alors que leurs objectifs à long terme étaient pourtant complémentaires, non seulement sur les sujets économiques et commerciaux, mais également sur les questions stratégiques tels que le nucléaire iranien et le contrôle de la Corée du Nord.

La réponse américaine est venue le 30 mai, lors du forum de Singapour par la voix d’Ashton Carter secrétaire d’État à la défense. Il demandait que la Chine mette « immédiatement et durablement » fin à l’extension des îlots qui, selon le Département d’État et John Kerry venu à Pékin le 16 mai, contrevenaient directement au droit international. Dans son discours de Singapour, Carter a en outre affirmé que l’aéronavale américaine continuerait « à voler et naviguer chaque fois que les lois internationales l’autorisent comme elle le fait partout dans le monde ».

Quelles stratégies de « désescalade » ?

Tandis que certains des adversaires potentiels de la Chine dans la région Japon, Philippines et Vietnam rapprochent leurs appareils militaires, les rapports de forces dans la région du Pacifique occidental se rééquilibrent progressivement en faveur de Pékin. Alors qu’en apparence les positions sur la souveraineté paraissent irréconciliables, la question se pose des stratégies possibles de « désescalade » pour éviter un dérapage militaire intempestif.

Conscient que plus que des travaux d’agrandissement des îles, les tensions dans la région se nourrissent du projet final, matérialisé par la ligne en 9 traits, d’annexion par Pékin de toute la mer de Chine du sud, l’Amiral Blair conseille aux États-Unis de cesser de réagir ponctuellement à chaque nouvel élargissement au risque de provoquer un grave incident militaire.

Au lieu de quoi il suggère une action politique militant pour une solution négociée avec tous les pays de l’ASEAN. Celle-ci prévoirait le partage des ressources, des accords sur les zones de pêche et la démilitarisation complète des archipels. Une solution que, pour l’instant, Pékin n’accepterait qu’à la condition de négocier en bilatéral avec chaque État, sans l’intrusion de Washington.

La proposition Blair rejoint celle de Taïwan qui, tout en ayant les mêmes revendications que Pékin (ligne en 11 traits datant de 1947) tente d’apparaître comme une force de conciliation face à la fermeté inflexible des réclamations chinoises. Mais, tout comme celle de l’ancien commandant des forces américaines du Pacifique Occidental, l’initiative de Ma Ying-jeou n’a, pour l’instant, eu aucun succès à Pékin.

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Les États-Unis doivent accepter la puissance de la Chine.

Elle-même doit respecter le droit international.

Lee Hsien Loong durant son discours d’ouverture du Shangri-la dialogue, le 29 mai 2015.

Lee Hsien Loong, premier ministre de Singapour hôte du « Shangri-la dialogue » a, dans son discours d’ouverture du 29 mai, remarquablement résumé la complexité de la situation et des enjeux. Après avoir rappelé qu’après la bascule des forces de la guerre froide et la disparition de l’URSS, les deux acteurs principaux dans la zone pacifique étaient désormais Pékin et Washington, il a concédé que les États-Unis restaient, non seulement la puissance dominante grâce à l’omnipotence militaire de la 7e flotte, mais également le facteur essentiel de la paix et de la stabilité de la région.

Modification des équilibres stratégiques.

Mais, a t-il ajouté, l’équilibre stratégique de l’Asie se modifie. La Chine est devenue la 2e puissance économique mondiale et le plus gros partenaire commercial de presque tous les pays de la zone, y compris les États-Unis.

Son influence et son habileté à trouver des partenaires se sont considérablement développées en même temps que la puissance de ses forces armées qui acquièrent progressivement toutes les capacités d’une puissance maritime. S’il est vrai que, jusqu’à présent, l’émergence de la Chine a été pacifique, la clé pour que sa montée en puissance apaisée continue réside dans la qualité de ses relations avec les États-Unis, dont la nature est fondamentalement différente de ce que furent celles entre l’URSS et les États-Unis du temps de la guerre froide.

Les tensions sino-américaines ne sont pas la guerre froide.

Loin d’être un jeu à somme nulle, les relations sino-américaines sont certes articulées autour de rivalités et de compétitions, mais elles se construisent également à partir d’une longue séries d’interdépendances économiques et de vastes opportunités à bénéfices partagés dans les secteurs de la finance, du commerce, des hautes technologiques, de l’innovation et de l’éducation – y compris pour nombre d’enfants de l’élite chinoise qui étudient dans les universités américaines -. Les terrains de coopération sont également stratégiques, qu’il s’agisse de la prolifération nucléaire ou du réchauffement climatique où aucun des deux ne peut rien réaliser sans l’appui de l’autre.

Dans ce contexte, tous les riverains du Pacifique dont la plupart ne sont pas prêts à choisir un camp plutôt que l’autre, espèrent que la Chine et les États-Unis ne se laisseront pas aller à bâtir des zones d’influences rivales et exclusives l’une de l’autre. S’il est vrai qu’entre les deux puissances la compétition est inévitable, la question cruciale est de savoir quelle forme elle prendra.

A la croisée des chemins.

Deux destins pour l’Asie entre compétition apaisée ou conflits.

Le premier schéma de la compétition se construirait dans le cadre du droit international, pour le bénéfice de tous, développé par les projets chinois en Asie du Sud-est que Pékin a baptisés « 一带一路, one belt, one road, une ceinture, une route » avec l’appui de la Banque d’Investissements pour les Infrastructures en Asie (AIIB), devenue un efficace levier de l’influence chinoise dans le monde, tout comme le FMI, la Banque Mondiale et la Banque asiatique de développement sont les instruments de la puissance européenne, américaine et japonaise.

La réussite du TPP à la satisfaction de tous

condition de l’audience des États-Unis en Asie.

L’autre volet de la compétition inscrit dans le droit qui fait pendant aux projets chinois, mais dont la mise en œuvre est brouillée par les intentions globales des multinationales, est la proposition américaine du Trans Pacific Partnership dont, précise Lee, chacun espère qu’après avoir passé le Sénat, elle sera acceptée par la Chambre des représentants, selon un mode qui satisfera tout le monde, qu’il s’agisse des États-Unis eux-mêmes ou de leurs partenaires en Asie.

En insistant sur la nécessité d’en faire un traité qui bénéficie à tous, le premier ministre singapourien qui a élevé la voix en prononçant l’idée de la « satisfaction de tous », faisait, sans le dire, allusion aux nombreuses critiques qui plombent le traité américain en Asie. A commencer au Japon où les dispositions qui donneraient aux grands groupes internationaux une prévalence juridique sur les lois nationales, heurtent la société civile qui considère le traité comme un cheval de Troie au profit de la domination globale des multinationales.

L’idéal d’une coopération sereine entre la Chine et les États-Unis.

A ce stade, après avoir indiqué de manière oblique à quel point le projet américain était plus contraignant que le chinois, Lee a formulé le souhait que les élites et le public des États-Unis prennent bien la mesure des enjeux : la qualité, la réussite ou l’échec du TPP conditionnera l’audience à venir des États-Unis en Asie. Décrivant le modèle idéal de coopération entre Washington et Pékin, le premier ministre a souhaité qu’en dernier ressort les réticences des Américains à leur propre participation au projet chinois de l’AIIB et leurs préventions à celle de Pékin au TPP soient levées.

Échapper à la dynamique de conflits.

L’autre modèle de compétition où la difficulté d’un accord pourrait déboucher sur un affrontement armé est la question des mers de Chine de l’Est et du sud, traversées par des tensions qui ne cessent de croître depuis des mois entre la Chine, le Japon, les États-Unis, les Philippines et le Vietnam, dans un chassé croisé de provocations et de réactions des riverains et des États-Unis qui réaffirment sans cesse le droit de navigation.

Sur ce sujet alors qu’il estime, sans doute avec raison, qu’aucun accord n’est probable dans un avenir prévisible, Lee a exhorté la Chine, les États-Unis et les riverains parties aux disputes (Brunei, Hanoi, Manille, Kuala Lumpur et Taïwan) à tout faire pour s’extraire de la dynamique en cours qui pourrait conduire à un conflit militaire provoqué intentionnellement ou par accident. Il a notamment, sans la nommer, incité la Chine à résister à la tentation d’imposer une solution par le fait accompli et la force plutôt que par le droit.

Voir la vidéo sur Youtube Keynote Address at IISS Shangri-La Dialogue 2015

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NOTE de CONTEXTE

Du 7 au 14 novembre 2014, un sous-marin Diesel de la classe SONG escorté du navire logistique Changxing ont fait escale à Colombo. Ils ont accosté à un terminal international construit par la Chine. La visite signale l’intention de Pékin d’utiliser les facilités portuaires de la route vers le Golfe comme des points d’appui navals.

Depuis février 2015, en dehors du Livre Blanc chinois sur la défense, une étude du ministère de la défense (document PDF) a fait le point des modernisations et des nouvelles capacités de l’APL.

Le document insiste surtout sur les nouvelles capacités navales des armées chinoises qui semblent constituer la préoccupation n°1 du Pentagone. Selon les auteurs, l’APL se modernise avec en arrière plan la perspective d’un conflit avec les États-Unis dans le détroit de Taïwan, autour des Senkaku et mer de Chine du sud.

Dans cette zone, le rapport décrit la stratégie chinoise comme usant de contraintes paramilitaires à basse intensité, engageant des patrouilleurs côtiers armés de canons à eau, et prenant soin de ne jamais mettre en œuvre des navires de combat dans les échauffourées navales.

Plus généralement, l’étude offre un inventaire des modifications de structures – transformant les divisions en brigades et réduisant le nombre des Commissaires politiques – à quoi s ‘ajoute une revue d’équipements (missiles, navires de combat, 2e porte-avions, sous-marins, équipements amphibies et d’assaut, avions de transport aérien stratégique à longue distance, chasseurs de combat furtifs, hélicoptères d’attaque).

En cohérence avec les déclarations du Livre Blanc sur la prévalence de la marine, elle fait état de l’élargissement des activités navales, notamment dans l’océan indien où ont été déployés les sous-marins nucléaires de la classe SHANG et à propulsion Diesel de la classe SONG.

Elle confirme une fois de plus l’existence de 1200 missiles à courte portée de type DF-16 déployés en face de Taïwan et la poursuite de la mise au point du missiles balistique anti-navires DF-21D, destiné à tenir à distance les porte-avions américains. Les autres domaines d’effort de l’APL concernent l’informatisation, la lutte contre les intrusions informatiques et les armes spatiales. Enfin, un paragraphe est consacré à la lutte contre la corruption.

Note(s) :

[1En décembre 2014, Pékin a pour la première fois envoyé un bataillon d’infanterie de 700 hommes dans une opération de maintien de la paix au Soudan. Dans le même temps, le pouvoir chinois négocie avec Djibouti pour établir comme l’ont déjà fait le Japon et les États-Unis une base navale dans l’ancienne colonie française. Il s’agit de créer un point d’appui logistique pour les bâtiments chinois qui participent aux opérations anti-piraterie dans le golfe d’Aden et au large des côtes somaliennes.

 

 

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