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›› Economie

Soubresauts de la bourse, restructurations industrielles et financières. Pékin s’essaye au marché tout en contrôlant ses effets

Graphe des variations de la bourse. Après une hausse presque continue depuis janvier, les cours ont brutalement baissé à la mi-juin. L’intervention de l’État le 27 juin a mis fin à la chute.

Le week-end dernier, la Banque Centrale a vigoureusement réagi à une chute ininterrompue des cours de la bourse depuis deux semaines (moins 20% depuis la mi-juin dont 7% pour la seule journée du 26 juin [1], après 60% de hausse au premier semestre), avec 2000 titres tombés à leur niveau le plus bas, sur fond de ventes grégaires en séries.

La tendance se développait au milieu d’une fièvre d’OPA où ont été levés l’équivalent de 35 Mds d’€, soit 2 fois plus qu’en juin 2014, risquant d’assécher le marché secondaire et de perturber le processus de restructuration des grands groupes publics [2]. Au point que le gouvernement aurait eu un temps l’intention de stopper temporairement certaines offres publiques d’achat lancées par les entreprises d’État pour privatiser leur capital, dont celles dans l’industrie nucléaire.

Protéger les restructurations industrielles, freiner le désordre boursier, relancer la croissance.

Éviter que les fluctuations de la bourse et la frénésie d’offres publiques ne perturbent le processus complexe de la restructuration industrielle, telle est en effet une des raisons de la décision prise le samedi 27 juin de baisser une nouvelle fois les taux d’intérêt et de réserves obligatoires des banques. Elle n’est pas la seule : La mesure signale la volonté du gouvernement de ne pas laisser s’installer la morosité et le désordre dans le marché boursier, épine dorsale de sa stratégie de réformes des grands groupes d’État.

La protection de ce projet est d’autant plus nécessaire qu’il s’imbrique à un défi social : celui d’obliger les entreprises publiques à consacrer une part de leurs revenus à la restauration de l’équilibre financier du système des pensions. Enfin, la nouvelle baisse des taux dont le « timing » a pris de court la plupart des analystes, tente de relancer le rythme de la croissance jugée trop faible pour atteindre l’objectif de 7% pour 2015.

La manœuvre a fonctionné, cependant sans garantie que la correction sera durable : le 30 juin, l’index de la bourse de Shanghai était en hausse de 5,6% après que, dans la nuit du 29 au 30 juin, la Commission de régulation boursière ait appelé les investisseurs au calme sur son réseau social. Depuis le premier trimestre 2011, les taux d’intérêts sont tombés de 6,7% à 4,8%, l’essentiel de la baisse étant intervenue depuis l’automne 2014 en 4 fois. Ajoutée à la réduction du taux de réserve obligatoire des banques, la dernière mesure combinée (baisse des taux de réserve et réduction de l’intérêt des banques) – une première depuis 2008 – pourrait, selon les analystes financiers, libérer plus de 1000 Mds de Yuan (150 Mds d’€).

Ayant pour l’instant enrayé la chute de la bourse, il reste à savoir si le dernier coup de barre de la Banque Centrale réussira à stabiliser le marché des OPA, principal instrument de la restructuration industrielle, dans un contexte où les actions des groupes publics ont fortement chuté en juin.

S’il est vrai que le marché boursier chinois est volatile, sujet à des variations brutales dues aux connections directes avec le pouvoir qui permettent aux investisseurs d’anticiper les corrections macro-économiques, il n’en reste pas moins que la chute quasi générale et continue des cours en 15 jours inquiète le gouvernement et perturbe sa stratégie de restructuration industrielle.

Les titres publics en forte baisse.

Selon les chiffres bourse de Shanghai publiés par le Wall Street Journal du 29 juin, en 15 jours, les cours de CRRC (中国中车 fabriquant de matériel roulant ferroviaire, créé en juin 2015 par le regroupement de CNR et de CSR) a chuté de 53,5% ; celui de l’aéroport de Shanghai est à moins 28,2% ; China Shipbulding Industry à moins 27% ; dans le secteur automobile, le n°1 SAIC, allié à Volkswagen, General Motors, Fiat et Iveco est en baisse de 25,8% ; Petrochina, la partie cotée à New-York du géant CNPC a perdu 25,3% ; l’action du géant CITIC est à moins 35% ; Ping An Insurance, groupe d’assurance privé, mais dont la structure du capital est floue, en partie liée à l’oligarchie, a perdu 17,9%, quant à China Life Insurance, n°1 de l’assurance en Chine, créé en 2003 et coté à New-York, son cours est à moins 29,7%.

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La volatilité de la bourse où se croisent les intérêts enchevêtrés de l’État et des affaires, le nouvel engouement boursier des acteurs privés sur fond de délits d’initiés permanents qui multiplient et accélèrent l’ampleur des fluctuations, exprime à la fois les affres de la transition vers plus d’ouverture au marché et le défi des réajustements financiers et industriels.

Pour l’heure la carte sauvage du désordre boursier trouble la réforme globale engagée par le pouvoir dont la restructuration des groupes publics est un pilier majeur. La dimension inédite des réformes vise tout autant le redressement éthique, la montée en gamme technologique, les restructurations pour une meilleure rentabilité ainsi que la remise en ordre et l’ouverture des finances publiques.

Délaissant un marché immobilier apathique, plus de 5 millions de nouveaux investisseurs, pour la plupart des particuliers, s’essayent à la bourse dont les performances contrastent avec la baisse de tous les indicateurs économiques. Dans un contexte où le pouvoir laisse jouer le marché tout en réajustant périodiquement ses effets – ce qui vient de se produire -, le décalage entre les résultats de l’économie réelle et l’état de la bourse laisse présager d’autres soubresauts marqués par de fortes hausses interrompues par la baisse brutale des cours corrigés par des mesures de relance.

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Parallèlement à la restructuration du secteur public, le Conseil des Affaires d’État s’attaque aussi à un autre rocher de Sisyphe : la réduction de la dette des administrations provinciales.

Effacement et restructuration des dettes locales.

La directive qui à l’automne 2014 avait tenté d’interdire aux gouvernements d’emprunter par le truchement des sociétés fiduciaires (LGFV) avait jeté le trouble dans un marché financier parallèle estimé à plus de 700 Mds d’€. Depuis, Pékin est revenu sur cette mesure. Celle-ci a cependant sérieusement réduit le rôle de la finance grise. Alors qu’en 2014 les obligations des LGFV avaient dépassé 600 Mds de RMB (86 Mds d’€), leur montant en 2015 a cessé d’augmenter, dans un contexte général où la dette des entreprises est estimée à 15 000 Mds de RMB en janvier 2015 (2000 Mds d€).

Mis en œuvre en trois temps depuis juin 2014 par le ministre des finances Lou Iiwei - 1) Instauration de l’obligation de transparence et du contrôle des budgets par l’ANP ; 2) Obligation de distinguer clairement les sociétés fiduciaires des administrations ou de les fermer ; 3) Obligation de procéder à l’inventaire détaillées des dettes locales – l’assainissement des finances provinciales passait aussi par la restructuration de leurs dettes existantes dont même le pouvoir central ne semble pas connaître le montant exact. [3].

A cet effet, au printemps dernier, le ministère, la banque centrale et la commission de régulation avaient adressé une directive urgente aux provinces les autorisant à mettre sur le marché des obligations garanties destinées à transformer leurs créances en emprunts dont les échéances vont de 3 à 10 ans et dont les intérêts sont compris entre 2,94% et 3,41%, légèrement supérieurs à celui des obligations émises par la Banque Centrale.

A la fin août, la totalité des 36 provinces et municipalités autonomes devront avoir mis sur le marché leurs obligations dont la valeur est estimée à 1000 Mds de Yuan (145 Mds d’€) et dont la plupart (70 à 80%) seront achetées par les Banques publiques, contraintes à une opération qu’elles acceptent avec réticence, jugeant les taux d’intérêt insuffisants. [4].

Simultanément, revenant sur une mesure de rigueur financière décidée à l’automne 2014, la Banque Centrale a à nouveau autorisé des sociétés fiduciaires à emprunter au nom des administrations locales. La marche arrière signalait clairement la crainte de Pékin que la rigueur du processus d’assainissement n’entraîne un recul de la croissance préjudiciable à l’emploi.

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Il en est de la restructuration de la dette comme de la mise en ordre de la bourse : l’ouverture au marché est régulièrement ponctuée par des interventions de l’État pour en atténuer les effets. Le mélange des genres est l’un de meilleurs témoins de la transition économique chinoise. Il signale aussi des hésitations dont la racine est sociale et politique.

Lire aussi :
- Grands travaux et réforme des groupes publics. Une ambition immense et complexe
- Point sur les réformes récentes. Essai d’analyse de la méthode

Note(s) :

[1La brutalité de la chute des cours a donné lieu à des appréciations catastrophiques, incitant certains analystes anglo-saxons à qualifier la journée du 26 juin de « vendredi noir ». Si on veut bien considérer que les mouvements boursiers en Chine sont amplifiés par des anticipations grégaires dues à un contexte trouble de délits d’initiés, on relativisera le phénomène tout en reconnaissant que son amplitude en une seule journée fut assez rare. Il ne fait pas de doute que cette tendance a conduit le gouvernement à mettre en œuvre des mesures qu’il avait cependant déjà prévues. La plupart des analystes estiment que les taux d’intérêt ne baisseront plus en 2015, en revanche ils anticipent que le taux de réserves obligatoires fera probablement encore l’objet d’au moins un ajustement d’ici la fin de l’année.

[2L’échauffement des cours en amont de la crise de juin et l’emballement du marché des OPA sont en partie le résultat des incitations du pouvoir lui-même qui tente d’encourager la privatisation partielle des groupes publics dont les performances se sont sévèrement contractées. Depuis juin 2014, la capitalisation combinée des bourses de Shenzhen et Shanghai a augmenté de 140%.

[3A l’été 2013, Pékin estimait les dettes locales 18000 Mds de Yuan (2600 Mds d’€). Mais depuis cette date les emprunts ont continué et la plupart des experts craignent que leur montant soit aujourd’hui plus proche de 5000 Mds d’€).

[4Après avoir tenté de laisser libre cours au marché, mais constatant le peu d’enthousiasme des investisseurs pour les obligations émises par les autorités locales, le pouvoir a décidé d’obliger les banques publiques à en absorber la plus grande partie.

 

 

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