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Xi Jinping et Obama, une rencontre au sommet sur fond de rivalités de puissance

Tous les observateurs auront remarqué le manque de chaleur et la raideur des attitudes des deux présidents qui contrastaient avec la convivialité détendue des autres voyages informels de Xi Jinping aux Etats-Unis.

Le président Xi Jinping était aux Etats-Unis du 22 au 28 septembre. Commencé à Seatle pour se terminer à New-York après un passage à Washington, le voyage de président Chinois aura consacré plus de temps à Seatle et aux Nations Unies qu’à la Maison Blanche.

Depuis 10 ans, rares furent les visites d’État d’un président chinois à Washington précédées et entourées d’autant de tensions dont la force est homothétique du défi posé à l’Amérique par la montée en puissance de la Chine. Les rancoeurs américaines se sont amoncelées avant même le voyage, alors qu’une intense campagne de « China bashing », parfois attisée par des accents populistes, agitait l’opinion aux États-Unis. Elle se nourrissait non seulement de raisons objectives articulées autour d’une série de griefs commerciaux et stratégiques bien connus, mais également de l’angoisse des élites américaines, tous partis confondus, confrontées au spectre du déclin de l’Amérique face au surgissement d’un rival planétaire qui refuse de plus en plus ouvertement de se couler dans le moule de Washington et de ses alliés.

Alors que les services américains sont eux-mêmes coutumiers de la chose (1), la préparation de la visite a été marquée par une mise en garde inhabituellement ferme du Président Obama en amont d’une rencontre officielle de ce niveau. Sommant la Chine de cesser ses cyber-intrusions dans les entrailles informatiques des industries américaines, le Président américain a menacé de sanctions bancaires contre des groupes et des personnalités chinoises. L’avenir dira si les pressions internes pousseront Obama jusqu’à cette extrémité (2)
Mais, le moins qu’on puisse dire est que l’ambiance bon enfant et décontractée des premières visites informelles de Xi Jinping s’est dissipée. Pour faire bonne mesure, l’adresse d’Obama qui avait également un arrière plan de surenchère électorale, dénonçait en vrac la pollution à Pékin, le protectionnisme commercial, le dumping des prix, les vols de propriété intellectuelle, l’augmentation de la puissance militaire chinoise et, évoquant la controverse en mer de Chine du sud, les pressions par la Chine exercées sur ses « petits voisins. »

Objectifs différents et accords a minima.

Clairement, les objectifs de la visite poursuivis par Washington et Pékin étaient différents, en partie articulés autour préoccupations de politique intérieure. Sous la pression de ses alliés en Asie du Sud-est et du Japon, à quoi s’ajoute celle de l’opinion et des hommes d’affaires agacés par les obstacles au marché dressés par l’administration chinoise (3), la Maison Blanche eut à cœur de « dire son fait » au Président chinois. A l’inverse, l’entourage de Xi Jinping recherchait un succès d’image pour conforter en interne la position d’une Chine devenue un partenaire respecté de Washington.

Les attitudes respectives de Pékin et de la Maison Blanche en amont de la visite témoignèrent de ce décalage. Début septembre, constatant que le potentiel d’harmonie dans le cadre des « nouvelles relations entre puissances égales » voulues par Pékin faisait défaut, Yang Jiechi, Conseiller d’État qui fut ministre des Affaires étrangères et ambassadeur aux États-Unis, insistait dans une interview sur les progrès de la relation, alors même que les tensions attisées par la solennelle mise en garde d’Obama, étaient les plus graves depuis 10 ans.

Le large éventail d’une coopération obligée.

Au total, en dépit des discordes et du malaise perceptible à travers les attitudes crispées qui émaillèrent les rencontres des deux chefs d’État, les deux sont condamnés à s’entendre, tandis que cette dissonance entre l’affichage conflictuel et l’obligation de coopérer n’est pas près de disparaître. A Pékin, la direction politique chinoise a conscience de l’importance cruciale pour sa modernisation d’une coopération étroite avec les États-Unis dont le vaste éventail s’étend des questions stratégiques – y compris celle de la carte sauvage des Taliban au Pakistan et en Afghanistan à l’ordre du jour des conversations - aux microprocesseurs et à l’aérospatiale en passant par le climat, l’efficacité énergétique ou les techniques d’extraction du gaz de schiste.

Quant aux Américains pour qui le marché chinois reste une cible commerciale de première grandeur, qu’aucun grand groupe ne peut ignorer, ils comptent sur Pékin pour nombre de sujets stratégiques brûlants dont le plus immédiat est la stabilité de l’accord avec Téhéran que la Chine peut conforter ou, au contraire, fragiliser en augmentant ses importations de pétrole iranien et en poussant plus avant ses projets encore dans les limbes de connecter l’Iran au Pakistan par un « gazoduc de la paix » reliant le port iranien d’Assayuleh, 250 km au sud de Shiraz, en face du Qatar, à Nawabshah au Pakistan, 200 km au nord de Karachi. (Lire : Le Pakistan, premier souci stratégique de Pékin. Les faces cachées de l’alliance).

Pour l’instant, en dépit des crispations, l’élan continu des échanges bilatéraux est une réalité. Il s’exprime notamment par le fait qu’en glissement annuel, le commerce bilatéral de la Chine a progressé avec les États-Unis (+ 2,8%), alors qu’il a fortement régressé avec l’UE, le Japon, et les autres BRICS - Russie, Brésil, Inde - (respectivement -7,1%, -11,2%, -30%). Enfin, de part et d’autre, l’affichage des résultats du voyage qui insiste sur les acquis positifs, témoigne de la volonté commune de tenir à distance les risques de dérapages diplomatiques ou militaires.

(1) Le fait que l’administration américaine distingue l’espionnage d’État des intrusions dans les systèmes informatiques des groupes industriels ne change rien aux impressions laissées dans le grand public par les révélations de Snowden sur les opérations d’espionnage de la CIA.

(2) Il s’en est cependant fallu d’un cheveu, puisque quelques semaines avant la visite, le Bureau Politique a dépêché en urgence à Washington Meng Jianzhu, président de la Commission des lois du Comité Central, membre du Politburo pour éloigner le spectre de sanctions officielles américaines en amont de la visite.

(3) C’est un fait nouveau. Depuis quelques années les hommes d’affaires américains dont l’intérêt à la recherche d’une meilleure part de marché est logiquement à la conciliation, poussent la Maison Blanche au durcissement.

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L’image renforcée de Xi Jinping et la persistance des désaccords de fond.

Le 23 septembre à Seatle le Président Xi Jinping entouré des présidents de grands groupes. L’image largement diffusée en Chine est de nature à renforcer la stature internet du n°1 du Parti. A premier rang, les PDG des plus grandes sociétés mondiales High-tech dont la valeur cumulée approche les 2500 Mds de $. Au premier rang, à gauche de Xi Jinping, Satya Nadella (Microsoft), suivi de Lu Wei, maître de la censure d’internet, Tim Cook (Apple), Jeff Bezos (Amazon), Ma Huateng (Tencent). A la droite de Xi Ginni Rometty (IBM), Jack Ma (Alibaba), John Chamber (CISCO), Liu Qiangdong (JD.com), Mark Zuckerberg (Facebook).

Parmi les succès mis en avant par Pékin, satisfait d’un échange où le Président chinois a fait jeu égal avec son homologue américain, il faut d’abord citer le fait amplement relayé par la télévision d’État chinoise qu’au cours de la séquence de Seatle, la fine fleur des PDG des plus puissantes compagnies high-tech américaines est venue rendre hommage n°1 du Parti dont l’image en aura été renforcée en interne.

Viennent ensuite l’approfondissement de la coopération aéronautique avec Boeing, la confirmation de l’accord sur le climat conclu en novembre 2014 avec la mise en place en Chine d’un crédit carbone à payer par les pollueurs et la promesse de Xi Jinping de réduire les soutiens aux projets pollueurs dans le monde qui compense un peu la faiblesse des promesses écologiques chinoises (4), la répétition qui restera à confirmer d’une coopération pour renforcer la cyber-sécurité (information et consultations réciproques en cas d’intrusions graves), les accords pour l’extradition vers la Chine de fugitifs corrompus, par le moyen de « charters » périodiques. Dans les deux derniers cas, le niveau d’efficacité dépendra essentiellement de la bonne volonté effective des deux gouvernements.

Vu par le site officiel du Département d’État, les échanges de vues et promesses de coopération ont porté sur l’Afghanistan (réconciliation des factions et reconstruction), le maintien de la paix en Afrique, la sécurité nucléaire en amont du sommet de 2016 présidé par Obama, l’écologie et la sécurité alimentaire, la santé publique, les désastres humanitaires, à quoi il faut ajouter la coopération militaire. Celle-ci se développe autour de deux protocoles d’accord sur les mesures de confiance signée en novembre 2014, complétés par des annexes sur la sécurité des vols militaires et la communication de crise ainsi que sur la notification préalable de tirs balistiques.

Mais sur le fond des désaccords qu’il s’agisse de l’opposition de Pékin aux principes démocratiques occidentaux, de la censure d’Internet, des accusations d’intrusions informatiques que Xi Jinping a niées, des questions du Tibet et du Xinjiang ou des revendications chinoises en mer de Chine du sud, le président chinois n’a pas cédé un pouce de terrain.

Avec autant de points de frictions pesant sur la relation qui s’ajoutent aux différends commerciaux non résolus, on ne s’étonnera pas que, dans les « think tank » américains, le dernier auteur à la mode est le vieux Thucydide dont les chroniques sur la guerre du Péloponnèse sont appelées à la rescousse pour mettre en garde contre les risques de conflits dévastateurs provoqués par les enchaînements incontrôlés nés du défis posé par Athènes à la suprématie de Sparte.

(4) Les promesses chinoises restent très en deçà des objectifs fixés par Paris. Depuis les accords conclus avec Washington, la Chine n’a pour l’instant pas évolué : ses promesses restent identiques à celles de l’APEC et ont été répétées lors du voyage de Li Keqiang en France en juin.

En 2030, les émissions de gaz à effet de serre seront réduites de 60 à 65% par point de PIB par rapport au niveau de 2005 (ce que reviendrait à une réduction annuelle de 2%), tandis que la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie primaire sera augmentée de 20%. (Pour mémoire, les pays de l’Union Européenne ont tous déjà conclu un accord contraignant pour réduire de 40% leurs effluents de dioxyde d’ici 2030. Quant aux États-Unis, ils promettent 26 à 28% de réduction par rapport au niveau de 2005).

*

NOTE de CONTEXTE sur le programme du voyage.

Les 22 et 23, inaugurant le voyage, l’étape de Seatle, quartier général de Boeing, fut une « séquence » industrie aéronautique, économie et technologies de l’information, avec notamment la visite des ateliers d’assemblage de Boeing à Everett (banlieue de Seatle), prélude à l’installation, à la suite d’Airbus implanté à Tianjin, d’une chaîne de montage à la périphérie de Shanghai annoncée le 23 septembre par le géant américain qui, à l’occasion, engrange une commande de 300 avions, cadeau du Président chinois à l’industrie aéronautique américaine.

Suivit le forum sino-américain organisé par Microsoft et conclu par un dîner offert par Bill Gates, regroupant quelques têtes de liste Chinois et Américains de l’Internet, auquel – détail insolite - assistait également Lu Wei, maître d’œuvre de la censure du net. Sur la photo de famille, ce dernier était à quelques pas de Marc Zuckerberg, le PDG milliardaire de Facebook dont, selon le même sort réservé à Google et Twitter, l’accès est bloqué en Chine.

Les deux derniers étaient d’ailleurs absents à une réunion organisée le 23 septembre avec les géants de la Silicon valley où figuraient en revanche Warren Buffet et les PDG d’Apple, d’Amazon, IBM, Intel, Qualcomm, Cisco et Microsoft, qui voisinaient avec les PDG d’Alibaba, Tencent, Baidu, Lenovo. Lire : La vision chinoise très sélective de l’Internet global

Après un banquet auquel avait été convié Henri Kissinger, artisan du rapprochement des États-Unis avec la Chine en 1972, et où le président chinois prononça un discours de politique générale, l’Institut Paulson organisa, avec une trentaine de chefs d’entreprises des deux pays, un débat sur les réformes de l’économie chinoise et ses progrès vers le marché. Au milieu d’un voyage par ailleurs marqué par de vives controverses stratégiques et politiques qui prirent parfois l’allure d’un dialogue de sourds, l’étape de Seatle fut également une réminiscence nostalgique et amicale avec une visite à Tacoma (40 km au sud de Seatle), jumelée en 1994 avec Fuzhou (Fujian), quand Xi Jinping était en poste au Comité du Parti de la ville.

La suite eut lieu à Washington, enrobée des fastes très apprêtés d’une visite d’État et à la 70e assemblée général des NU, à New-York, où la rencontre entre Poutine et Obama à propos de la situation en Syrie, éclipsa quelque peu celle du Président Xi Jinping. Là aussi ce dernier n’était pas venu les mains vides, puisqu’il annonça l’octroi d’une aide 100 millions de $ répartis sur les 5 prochaines années, destinée au renforcement des armées de l’Union Africaine et 1 Mds de $ d’appui global aux projets de développement accompagnés par la création d’un force permanente de maintien de la paix de 8000 hommes (soit, à la date de décembre 2014, près du double des effectifs de l’armée de terre française engagés en opération extérieures).

 

 

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