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›› Politique intérieure

Les grandes ambitions du 5e Plenum. Entre « Rêve chinois » et obstacles

Le Comité Central vote à main levée l’abolition de la politique de l’enfant unique et l’adoption du 13e plan qui devra encore être approuvée par l’ANP en mars prochain.

A la fin octobre s’est tenu à Pékin le 5e Plenum du Comité Central du 18e Congrès dont le but était d’approuver le 13e plan (2016 – 2020) en gestation depuis décembre 2013, avec la publication fin 2014 par la Commission Nationale de Réforme et Developpement des « lignes directrices » sur 25 sujets majeurs (基本 思路).

Le travail a continué tout au long de 2015. En arrière plan, l’exigence réaffirmée par le Parti d’une bascule de la structure de la croissance et d’un bond qualitatif de la production pour tenir compte à la fois du stress écologique provoqué par les dérapages industriels et de la baisse de la compétitivité de « l’usine du monde » suite à la hausse massive des salaires.

Le projet sera soumis officiellement à l’approbation de l’ANP en mars 2016. D’ici là le Parti s’essaiera à un pastiche de démocratie directe en ouvrant au public la discussion sur le projet par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les grandes lignes du plan ont été rendues publiques par un communiqué officiel le 29 octobre dernier.

Société : la fin de « l’enfant unique » et le difficile chantier des assurances sociales.

Dans le domaine social, en mars prochain, le Parti mettra officiellement fin à la politique de l’enfant unique déjà assouplie depuis plusieurs années, puisque « les couples mariés » (la précision est importante qui insiste sur le caractère familial et légal de la procréation) dont au moins un des deux était un enfant unique, pouvaient avoir un deuxième enfant.

Compte tenu des rémanences démographiques il n’y aura pas d’effets immédiats sur la structure de la population chinoise. Mais la décision indique que l’appareil a pris conscience des risques posés à terme par le vieillissement et le déséquilibre hommes – femmes. S’y ajoutaient les effets pervers récurrents et politiquement désastreux d’une application brutale et inégalitaire des restrictions par des cadres locaux qui tiraient profit des sanctions financières parfois sans nuances appliquées aux contrevenants (Lire notre article Les égarements du « 计划生 育 ». Quand le planning familial devient fou).

La deuxième annonce sociale, concerne la suppression du passeport intérieur (Hukou), ainsi que les chantiers de l’assurance maladie et des retraites moins souvent évoqués par les médias occidentaux, mais dont les effets seront d’une importance capitale dans une société où la solidarité est battue en brèche par l’urbanisation et l’éclatement des familles. Le Parti qui teste régulièrement l’état de l’opinion par des sondages effectués par Xinhua sait d’ailleurs qu’avec la pollution et la corruption, les filets sociaux figurent en tête des préoccupations des Chinois, d’abord parce que les prestations sont, en dépit des efforts en cours depuis 2009, à la fois insuffisantes et inégalitaires. (Lire notre article Les inquiétudes sociales du pouvoir)

Réformer la machine économique.

Priorité à l’innovation. Les grands groupes dans le collimateur.

Ouvriers d’un groupe de construction en octobre dernier sur un chantier à Pékin. Les groupes publics sont dans le collimateur des réformateurs. A l’été, Xi Jinping lui-même avait souligné la nécessité d’ajuster les salaires excessifs des PDG. Il est peu probable que cette réforme ne donne pas lieu à des résistances.

Mais le cœur du 13e plan concerne la gestion de la transition économique lancée lors du 3e plenum à l’automne 2013 et dont le fer de lance administratif et politique est le groupe dirigeant pour l’approfondissement des réformes dont Xi Jinping a pris lui-même la tête 中央全面深化改革领导小组。Zhongyang quanmian shenhua gaige lingdao xiaozu). L’objectif, souvent évoqué par Questionchine, est de basculer le schéma de croissance du pays qui reposait sur une machine productive alimentée par des investissements publics presque illimités et l’export massif de produits de qualité moyenne, vers un modèle où la part dans le PIB des services et de la consommation serait augmentée, tandis que la qualité de l’appareil productif serait tirée vers le haut par l’innovation.

Le chantier déjà commencé est titanesque puisqu’il implique la réforme des banques publiques et des grands groupes industriels d’État, piliers d’un schéma de croissance devenu inefficace, gaspilleur des ressources et des deniers publics, en même temps que très souvent pollueur.

Les indices sont nombreux, indiquant que l’offensive contre ces féodaux nourris d’immenses avantages acquis et rétifs aux réformes est en cours, tandis que la baisse de la croissance provoquée par de nombreux facteurs externes et internes est aussi un des signes que la lente bascule du schéma de croissance a bel et bien commencé. Lire aussi Basculement du schéma de croissance de la Chine et craintes politiques

…Une priorité cardinale assortie de risques politiques.

Il est bien probable que la restructuration du tissu industriel public auquel le président Xi Jinping accorde un rôle essentiel dans le renouveau et le rêve chinois puisqu’il ambitionne de créer des groupes de renommée internationale à l’instar des Japonais, constituera l’épine dorsale du 13e plan.

Il est également légitime d’anticiper que ces restructurations pourraient donner lieu à de sévères joutes politiques internes. Mais le pire dont il est prudent de mesurer les risques, n’est cependant jamais sûr. Lire notre article Grands travaux et réforme des groupes publics. Une ambition immense et complexe

Le communiqué fait aussi état - corollaires de la bascule du schéma de développement - des coups de pouce à la consommation et aux PME, à quoi s’ajoutent l’aide à l’entreprise privée et à l’innovation, en même temps que les promesses de l’ouverture du compte de capital, d’une plus grande transparence gestionnaire et d’une meilleure allocation des ressources au profit des salaires et des obligations sociales du pouvoir, des questions foncières et de la R&D.

COP 21 oblige : une réelle préoccupation écologique.

A un mois de la Conférence de Paris sur le climat, le communiqué met l’accent sur une « croissance verte et durable », économe des ressources et de l’environnement, une profession de foi écologique qui s’inscrit dans le projet global d’aide aux campagnes et d’aménagement du territoire, alors que le pays est soumis à la vague massive de l’exode rural.

Concrètement, Pékin réitère les clauses de l’accord conclu à l’automne 2014 avec Washington : à partir de 2017, une limite haute sera fixée aux émissions d’oxyde de carbone, notamment dans les secteurs du papier, du ciment, des matériaux de construction, de l’acier, des centrales au charbon et de la chimie. Le tout sera assorti de dérogations monnayables par les entreprises à des prix fixés par le marché.

Consolider la croissance et doubler ses performances par rapport à 2010.

Enfin, au-dessus planent toujours les grands objectifs sociaux et macro économiques du régime qui n’ont pas changé et dont nombre d’observateurs se demandent s’ils sont toujours réalistes, compte tenu des pressions qui s’exercent sur la croissance. A côté du lent et vaste glissement qui éloigne l’appareil productif chinois de son image « d’usine du monde », surnagent les anciennes ambitions à la fois marquées du sceau du réalisme social et de la volonté de rattrapage : d’ici 2020 construire une société plus égalitaire, de « confort moyen » - 小康 社会 – (xiaokang shehui) et doubler les indicateurs du PIB total et par habitant par rapport à ceux qu’ils étaient en 2010.

Beaucoup d’observateurs en doutent, mais alors que le Parti lui-même n’a encore donné aucune information sur le taux de croissance planifié pour les 5 ans à venir, le président Xi Jinping lui-même a affirmé le 3 novembre qu’une croissance réduite à 6,5% suffirait à atteindre ces objectifs.

Il faisait cette remarque lors de la 2e Conférence organisée à Pékin sur le thème « Comprendre la Chine » par le Think Tank américain Berggruen Institute à laquelle assistaient 200 anciens dirigeants et intellectuels de la planète (principalement Chinois, Américain et Indiens), parmi lesquels on distinguait, entre autres, les anciens premiers ministres singapourien et australien Goh Chok Tong et Kevin Rudd, l’ancien ministre des finances pakistanais Shaukat Aziz, l’intellectuel américain Francis Fukuyama, l’entrepreneur iranien - français et américain, Pierre Omidyar, Red Hoffman gestionnaire de risques financiers et fondateur de Linkedin, Laurence Summers, ancien secrétaire d’État américain au trésor, professeur honoraire à Harvard, Shashi Tharoor, diplomate et intellectuel indien, ancien ministre, ancien fonctionnaire de l’ONU et auteur à succès.

Tout cet aréopage évoluait au milieu d’une longue séries d’officiels chinois, dont Zhang Gaoli, n°7 du Politburo et vice-premier ministre en charge de l’économie, Mme Fu Ying, vice ministre des AE, ancien ambassadeur à Londres, en Australie et aux Philippines, Wu Jianmin, ancien interprète de Mao, ancien ambassadeur à Paris, Genève et La Haye et président de l’institut de diplomatie, Wang Huning, conseiller stratégique de Xi Jinping et Lu Wei, maître de la censure d’Internet en Chine.

Au sujet de Nicolas Berggruen lire l’article du JDD

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NOTE de CONTEXTE

Les dernières étapes de la prise de conscience écologique chinoise.

En mars dernier la journaliste de CCTV avait diffusé un documentaire sur la pollution de l’air à Pékin où elle avait répété : « je ne veux plus vivre comme ça ». Le Parti est conscient de ce rejet et prend des mesures.

Au printemps, la censure du documentaire de Chai Jing sur la pollution de l’air pouvait laisser croire au triomphe des conservateurs rassemblés autour de la position traditionnelle des pays émergents dont la Chine s’était fait le porte parole au sommet de Copenhague. Il n’en est rien. Tout porte en effet à croire que la décision intempestive d’effacer du net une vidéo qui avait déjà été vue par plusieurs centaines de millions d’internautes, a plutôt été motivée par la crainte que le sujet ne fédère trop de mécontents contre le Parti (Lire notre article La longue marche chinoise vers la conscience écologique).

En réalité, la préoccupation écologique du pouvoir ne peut pas être sous estimée. Même si beaucoup reste à faire pour rattraper les effets de 30 années de croissance sans égards pour l’environnement dont certains ne seront peut-être jamais corrigés et en dépit d’hésitations, parfois de marche-arrières, on ne peut nier la prise de conscience du pouvoir.

Dépollution des cours d’eau.

Un mois après la réunion des Assemblées en mars 2015, le régime a en effet adopté des mesures pour commencer à assainir les réserves hydriques du pays. Le 16 avril, le Conseil des Affaires d’État publiait une « feuille de route » assorti d’un plan en 10 points dont l’objectif affiché prévoit que d’ici 2020, 70% des 7 plus grands cours d’eau de Chine, dont le Yangzi, le Fleuve Jaune, la Rivière des Perles et la Huai auront été nettoyés.

Pour l’instant, alors que, d’après une étude de 2013 du ministère des ressources foncières, le gouvernement affirme que seules 22% de l’eau des plaines du nord sont potables, les ressources en eau sont classées en 5 niveaux qui vont de l’eau potable aux « eaux lourdement polluées, noires et puantes » (sic) dont les critères ne sont cependant pas rigoureux et varient selon les provinces. Alors que le Jiangsu calcule que 20% des eaux du Jiangsu sont « noires et puantes », le Henan situe cette proportion à 56,7%.

Au total, le plan prévoit que d’ici 2030, 70% des principaux cours d’eau seront classés au-dessus de la catégorie 3 (conditions acceptables). D’ici là, des directives ont été adressées aux provinces pour appliquer des prix de l’eau différents en fonction de sa qualité, affiner la mesure des pollutions dans chaque municipalité et fermer ou surveiller plus efficacement les effluents des usines les plus polluantes (papeteries, usines de fertilisants, production de métaux non ferreux, cokéfaction), avec l’introduction d’un système de points payants en échange du droit à polluer. A partir de 2018, toutes les villes devront rendre public l’état de leurs ressources en eau potable.

Vers une atmosphère urbaine plus respirable ?

S’agissant de la pollution de l’air, Li Keqiang a reconnu que les réglementations publiques étaient mal appliquées essentiellement à cause de la faible autorité des administrations locales sur les industries polluantes. Alors que le ministère de l’environnement reconnaissait qu’en 2014, seulement 8 villes parmi les 74 inspectées avaient satisfait aux tests d’une atmosphère propre, Pékin et Washington ont annoncé en novembre dernier, lors du sommet de l’APEC, un accord qui fixe le pic des émissions chinoises de dioxyde de carbone à 2030. S’il est vrai que l’échéance est loin de l’idéal de Paris d’un pic à 2020 contrôlable, l’accord avec les États-Unis n’en témoigne pas moins d’une inflexion notable de la position chinoise, en contraste total avec l’atmosphère d’hostilité qui prévalait il y a 5 ans au Danemark.

Pour la première fois, la Chine qui durant les 15 dernières années a été à l’origine de 60% de l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et les États-Unis qui furent les plus grands pollueurs jusqu’en 1997, sont tombés d’accord sur la question globale et essentielle du réchauffement de la planète. Même s’il est très peu probable que Pékin accepte de se conformer aux contraintes de Paris, l’accord n’en prépare pas moins le terrain de la 21e conférence sur le climat du Bourget sur un mode plus coopératif qu’il y a six ans.

Pour autant, les promesses chinoises restent très en deçà des objectifs fixés par Paris. Depuis les accords conclus avec Washington, la Chine n’a pour l’instant pas évolué : ses promesses restent identiques à celles de l’APEC et ont été répétées lors du voyage de Li Keqiang en France en juin.

En 2030, les émissions de gaz à effet de serre seront réduites de 60 à 65% par point de PIB par rapport au niveau de 2005 (ce que reviendrait à une réduction annuelle de 2%), tandis que la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie primaire sera augmentée de 20%. (Pour mémoire, les pays de l’Union Européenne ont tous déjà conclu un accord contraignant pour réduire de 40% leurs effluents de dioxyde d’ici 2030. Quant aux États-Unis, ils promettent 26 à 28% de réduction par rapport au niveau de 2005).

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Un très long chemin.

La plupart des observateurs applaudissent aux promesses chinoises et constatent les efforts en cours pour fermer les industries les plus polluantes et en surcapacité du Hebei (acier, charbon, ciment) et développer les énergies non renouvelables. Après avoir augmenté sa production d’énergie solaire de près de 14 gigawatts en 2014, l’objectif 2015 prévoit d’en rajouter 15 autres, pour atteindre 100 gigawatts en 2020. Récemment des photos de la NASA ont révélé que le vaste champ de panneaux solaires installé dans le désert de Gobi en 2012 avait triplé sa surface et sa production passée de 5,2 à 28 GW.

En avril, l’Agence Nationale de l’énergie a demandé aux provinces de lui soumettre les plans de leurs nouveaux champs de panneaux solaires pour 2015. Combinés avec le ralentissement industriel, les efforts commencent à produire des résultats. Selon le Bureau National des Statistiques, les émissions de carbone ont baissé de 2% en 2014 pour la première fois depuis 2001. Mais, compte tenu de l’ampleur des pollutions, la plupart des ONG sur l’environnement qui suivent la situation, considèrent qu’il s’agit du début d’un très long processus, homothétique de celui des réformes socio-économiques où les obstacles sont souvent retranchés dans les mêmes féodalités des grands groupes industriels.

Mise à jour le 6 novembre.

Début novembre, la visite en Chine du Président Hollande a confirmé la nouvelle conscience écologique du Bureau Politique, attisée par l’intérêt de plus en plus vif porté par l’opinion publique aux pollutions industrielles de l’air et des rivières. Durant la visite du Président français, Pékin a confirmé les promesses de réduction des émissions de CO2 faites lors de sa dernière visite aux États-Unis qui étaient elles-mêmes un rappel des accords conclus lors de l’APEC à Pékin en novembre 2014.

La nouveauté est que Paris et Pékin ont annoncé le 2 novembre un accord pour la vérification tous les 5 ans des engagements pris par les États. Sans être véritablement « contraignant » comme l’annonce la presse française, l’accord signale une modification notable de l’état d’esprit du gouvernement chinois par rapport à la conférence de Copenhague où Pékin avait pris la tête d’une fronde des émergents et des pays en développement pour réaffirmer leur priorité au développement économique. Cette fois le Président chinois a promis à François Hollande que son pays s’engageait à contribuer au succès de la COP 21.

Lire notre article Copenhague. La fronde de la Chine et des pays émergents

Par ailleurs, s’inscrivant dans les projets de « décarboniser » l’économie chinoise, l’autorité chinoise de l’énergie nucléaire, les groupes Huaneng et Datang ont signé avec Areva un accord d’une valeur de 22 Mds de $ pour le recyclage des déchets nucléaires, tandis que la China Nuclear Corporation a rendu publique son intention de prendre une participation minoritaire dans le capital d’AREVA. Le 3 novembre l’action du groupe nucléaire français affichait une forte hausse de 13,95% portant le cours à 7,76 € (il était à 10,1€ en janvier 2015).

 

 

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