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›› Economie

La Chambre de commerce de l’UE en Chine, nouvel acteur politique ?

Jörg Wuttke, président de la Chambre de Commerce de l’UE en Chine. Les deux derniers rapports de la Chambre, l’un faisant le bilan des promesses du 3e plenum (novembre 2013), l’autre stigmatisant les vastes surproductions du tissu industriel chinois ont toutes les allures d’une prise de position politique. Elle s’invite au débat sur l’octroi à la Chine du statut d’économie de marché.

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Sommes nous en train d’assister aux prémisses d’une dégradation des relations entre l’UE et Pékin sur fond de controverses internes à l’Union à propos de l’attribution du statut d’économie de marché à la Chine ? On pourrait le croire à la lecture du dernier rapport de la Chambre de commerce de l’Union Européenne en Chine qui vient de s’inviter dans le débat en mettent directement en cause la surproduction de certains groupes, notamment ceux de l’acier, que les sidérurgistes européens accusent d’inonder le marché européen en cassant les prix.

Publié en février, le rapport dénonce d’abord les excès de capacité créés par les politiques publiques à coups d’investissements mal ciblés, dans une ambiance générale où, dans le provinces, la performance reconnue par les autorités locales est surtout quantitative, tandis que nombre de sites industriels non rentables – qualifiés de « site zombies » par un des auteurs du rapport -, sont maintenus en activité assez souvent pour garantir l’emploi. Mais, l’analyse va plus loin puisqu’elle dénonce l’incapacité des pouvoirs publics à tenir leurs promesses de dégraissage des secteurs les plus encombrés et les moins rentables qui vivent aux dépens du reste de l’économie et de l’équilibre des comptes des banques, créant une fragilité dans les finances publiques.

Affaiblissement de l’élan réformiste

Les tendances aux surproductions du tissu industriel chinois ne sont pas nouvelles. Mais les entreprises publiques se sont récemment développées sur la manne de la relance des années 2008 – 2009, s’endettant à l’excès le plus souvent pour des investissements capacitaires. Alors que l’économie ralentit et que la demande intérieure freine, beaucoup d’usines ont réduit leur production et peinent à rembourser leurs dettes.

Au lieu de fermer, elles continuent à s’alimenter des crédits bancaires, augmentant leurs dettes et créant des abcès malsains dans le tissu industriel. Selon le rapport, les intentions du 3e Plenum en 2013 de privilégier le rôle du marché dans les secteurs du ciment, de l’acier et des chantiers navals, n’ont été que peu suivies d’effet, tandis que, malgré la réduction de leurs prérogatives et de leurs allocations budgétaires, les gouvernements locaux continuent à approuver et à subventionner des projets qui relèvent de la responsabilité du Centre.

Mais il y a plus. Alors que les responsables provinciaux rivalisent entre eux sur le critère de la plus forte croissance, au prix de décisions économiquement peu vertueuses qui alimentent les surproductions, la question du dumping de l’acier chinois au coeur des débats sur l’attribution par l’UE du statut d’économie de marché à la Chine, n’a créé aucune émotion dans les provinces, dont les acteurs politiques et industriels paraissent déconnectés des situations réelles.

Au point que, dit le rapport, la production chinoise d’acier atteint aujourd’hui le double des productions additionnées du Japon, de l’Inde, des États-Unis et de la Russie, les 4 plus gros producteurs après la Chine. Des surplus du même ordre sont observés dans le secteur du pétrole, du papier, du verre, du ciment et des chantiers navals où les capacités ont bondi depuis 2008.

Risques financiers

L’importance de la finance grise est en constante augmentation depuis 2007. Elle se compose 1) de prêts par des sociétés fiduciaires au nom des banques publiques (Entrusted) mais ne figurant pas sur leurs comptes, essentiellement parce que les banques n’acceptent pas d’en assumer les risques, 2) de prêts effectués directement pas des sociétés fiduciaires (Trust loan) en dehors des banques et 3) de ceux consenti par des banques (bank bills) à des débiteurs dont la capacité de remboursement n’est pas garantie.

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Cette gabegie désordonnée d’industriels vivant au crochet des subventions publiques a, selon le rapport de la Chambre, produit d’importants effets pervers qui vont de la stagnation des salaires aux dommages environnementaux, en passant par l’épuisement des budgets de R&D, conditions de l’innovation et de l’amélioration qualitative de la production industrielle que le pouvoir appelle pourtant de ses vœux.

Le schéma recèle par ailleurs le potentiel d’aggraver le risque d’une crise financière qui mettrait en danger l’économie chinoise. Les chiffres de l’accélération brutale des créances toxiques des entreprises envoient à cet égard un signal alarmant. Alors que leur augmentation avait été circonscrite à 76 Mds de $ au cours des 10 premiers mois de 2015, leur croissance est passée à 291 Mds de $ au début de l’année 2016, (voir la note de contexte).

Par un commentaire exceptionnellement direct de la part d’un responsable commercial en poste à l’étranger, Jörg Wuttke, ancien d’ABB en Chine, aujourd’hui représentant de BASF à Pékin et président de la Chambre de commerce de l’UE, explique qu’aujourd’hui la Chine, touchée par l’évasion de capitaux et fragilisée par l’accumulation de dettes, n’a plus la marge de manœuvre financière qui, par le passé, lui permettrait, à coup d’investissements, de s’extraire sans dommages d’une situation difficile. Mais il n’est pas le seul à sonner l’alarme.

Dans une interview au South China Morning Post publiée le 17 février, Zhu Baoliang directeur de la prévision au Centre d’analyse rattaché au département de planification, expliquait que la réforme était « presque paralysée » dans les secteurs clés des entreprises publiques, de l’équilibre budgétaire et de la taxation, du système financier et de la propriété foncière. Il ajoutait que, dans ces circonstances, les risques d’une crise financière devenaient plus réels.

Les ratés du marché et les obstacles aux investissements étrangers.

Le rapport de l’UE sur les surcapacités de l’industrie fait suite à une très longue étude de 441 pages parue au 2e semestre 2015 qui analyse dans le détail les décalages entre les promesses de réformes et leur mise en œuvre.

Dans la synthèse du rapport on peut lire ceci : « L’économie chinoise fait face à un ralentissement dont les effets négatifs ne pourront être combattus qu’en modifiant l’ancien schéma économique du pays. La communauté d’affaires étrangère en Chine s’était réjouie des promesses du 3Ie Plenum de réformer l’économie d’ici 2010. Deux années plus tard, il est clair que l’élan des réformes a en partie été perdu. ».

Suivent une série de recommandations insistant sur la nécessité d’allouer les ressources en fonction des règles du marché protégées par l’État de droit et, plus classiquement, préconisant un schéma de croissance où la consommation représenterait une plus grande part du PNB ; où il n’existerait pas de discrimination entre les investissements chinois et étrangers ; où les interventions de l’État seraient réduites au rôle de régulateur ou d’incitateur ; avec un accroissement du rôle des services, appuyé par un système éducatif capable d’alimenter les besoins du marché du travail en main d’œuvre qualifiée pour une meilleure capacité d’innovation du tissu industriel.

Au total, le document reconnaît les efforts consentis par le pouvoir, mais présente en même temps un long inventaire détaillé des promesses du 3e Plenum restées lettre morte, énumérant notamment la liste des secteurs où l’accès des investisseurs étrangers est interdit ou fortement règlementé et ceux où la marche vers la prévalence du marché à stagné, voire régressé.

En limitant la listes à ces deux insuffisances ciblées par le rapport (freins opposés par le système à la marche vers un marché ouvert et accès compliqué des investissements étrangers au marché chinois) on citera, entre autres, la persistance de la domination des grands groupes dans le tissu industriel (notamment dans le secteur des métaux et des mines) ; le peu de progrès dans le système de taxations, ou de la propriété foncière ; les secteurs protégés des pièces détachées automobiles ; le secteur du rail (signalisation et fabrication des équipements roulants) ; les réseaux de distribution électrique ; la grande distribution alimentaire ; le secteur des finances et de la banque dont l’accès est limité par de nombreux freins et où le nombre des acteurs autorisés reste strictement contrôlé, alors que les banques chinoises ont un large accès au marché européen [1] ; l’assistance juridique où les firmes étrangères ne peuvent exercer en Chine que sous de très strictes limitations. Ce dernier secteur ayant d’ailleurs récemment fait l’objet d’une régression politique puisque le niveau d’accès des étrangers au secteur est passé de la catégorie « accès limité » à « accès interdit ».

Un constat très politique.

Mais la liste n’est pas close, tandis que, tout en rappelant les progrès accomplis par la Chine dans nombre de secteurs, le rapport stigmatise les obstacles qui freinent l’accès des entreprises étrangères aux marchés publics, la persistance de l’obligation de JV dans de nombreuses activités commerciales et industrielles et l’abondance de règlementations contradictoires ou floues.

Au bilan et malgré la reconnaissance des efforts consentis par la Chine dans de nombreux domaines [2], – et c’est en ce sens que la question devient politiquement sensible – l’ensemble des deux rapports apparaît comme un argumentaire opposé à l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine.

Enfin, au passage, ajoutant au caractère politique des constats, les deux rapports critiquent le recul des droits avec la promulgation des lois sur la sécurité, celle règlementant les ONG et l’alourdissement de la censure d’internet.

Plus largement, le questionnement renvoie à la conception chinoise du marché, forcément modifiée par les exigences politiques nationalistes d’une ouverture contrôlée et dominée par l’idée d’une spécificité chinoise, non seulement dans la sphère économique et commerciale, mais également dans celle du droit, exprimée par l’expression « d’un État de droit socialiste aux caractéristiques chinoises -中国特色社会主义法治 - »

Lire The European Business in China – Position Paper

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NOTE de CONTEXTE.

Hypothèse de crise financière en Chine.

Ce schéma publié par « The Diplomat » montre la puissance des moyens de contrôle du parti (en rouge), du gouvernement (en vert) et des organismes de surveillances spécifiques (en jaune) sur le système financier chinois. La densité de ces moyens d’action directe permet d’évacuer la possibilité d’un effondrement brutal avec des effets de panique. En revanche une crise pourrait être attisée par la chute de l’immobilier, directement connectée à la croissance par le truchement des industries afférentes.

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Dans un article publié le 17 novembre 2015 dans « The Diplomat », Patrick Hess, expert financier à la banque centrale européenne explorait les risques d’une crise financière en Chine et ses conséquences possibles sur l’économie global.

Situation générale

La chine est aujourd’hui confrontée à trois risques majeurs, tous enracinés dans la relance massive mise en œuvre par Pékin en 2008 : la dimension de la finance grise que certains analystes estiment à 70% du PNB ; la bulle immobilière et les dettes des gouvernements locaux. Intimement connectés entre eux, ces risques sont aussi liés aux banques publiques par les facilités que celles-ci se sont autorisées (prêts non garantis aux sociétés fiduciaires et créances toxiques non remboursables) et portent le risque d’une contagion aux finances publiques.

Le ralentissement économique qui raréfie les ressources en capital elles-mêmes sous la pression des obligations sociales de l’État non financées, aggrave le potentiel de secousse. Par le truchement de « produits financiers » parfois douteux, les « banques grises » destinent les capitaux ainsi levés aux budgets des collectivités locales et au secteur immobilier aggravant la dette et attisant le phénomène de « bulle » qui, en dépit des mesures correctives mise en œuvre par le pouvoir persiste et produit un excès de l’offre, dont les « cités fantômes » sont l’expression la plus emblématique.

Cumulés ces dysfonctionnement ont produit une forte inflation de la dette (lire Risques financiers et pilotage macro-économique. Entre relance et rigueur). Le risque posé par cette inflation est aggravé par les décalages entre les dettes à court terme et la durée des investissements dont le retour, pas toujours garanti, n’est envisageable qu’à moyen terme, augmentant la charge de la dette, tandis que les mauvaises garanties aggravent les risques de défaut.

Conscient de ces défis le pouvoir a pris des mesures pour en limiter les effets. En janvier 2015, une loi budgétaire adoptée par le groupe dirigeant pour l’approfondissement des réformes dirigé par Xi Jinping lui-même a autorisé les pouvoirs locaux à émettre des obligations pour financer leur budget, tout en augmentant le contrôle exercé par le Centre sur leurs finances.

Trois mois plus tard, lors de la réunion annuelle de l’ANP, le ministre des finances Lou Jiwei annonçait le projet de « défaisance » de 13% des dettes locales à hauteur de 500 Mds de $ (sur une valeur totale estimée à 3700 Mds de $ à la fin 2014). Même partielle la mesure allait dans la bonne direction, de même que la mise en place au printemps 2015 d’une assurance des dépôts dégageait les pouvoirs publics de la responsabilité de venir au secours d’un banque mal gérée. Le dispositif d’assainissement et d’ouverture au marché était complété par la suppression du plafond des dépôts et la libéralisation des taux d’intérêt autorisant une salutaire compétition entre les banques et réduisant – il est vrai à la marge – l’attractivité de la finance grise.

Mais, dans le même temps, les entreprises publiques, autres piliers de la finance grise générateurs de dettes, ne connurent que peu de réformes, tandis que la baisse de leur compétitivité augmentait les risques de l’accumulation des créances toxiques non remboursables.

Dans ce contexte, les schémas de crise possibles sont suspendus à l’efficacité des réformes et aux délais de leur mise en œuvre contre les vents adverses des intérêts corporatistes. Ils sont également liés aux risques politiques eux-mêmes connectés aux réformes et aux potentiels de crises sociales dont la probabilité pousse les pouvoirs publics à inverser le cours de l’élan réformiste. D’autant qu’en juin 2015 et en janvier 2016, les secousses de la bourse ont affaibli la crédibilité du pouvoir, désormais moins enclin à prendre des mesures impopulaires d’assainissement.

Risques de crise.

Il est vrai qu’une crise en Chine ne prendrait pas l’allure d’une panique dont l’ampleur serait réduite par l’extraordinaire niveau de contrôle que le régime exerce sur le système financier et les flux de capitaux. Mais elle pourrait être initiée par la chute des prix immobiliers créant de graves difficultés aux institutions de la finance grise qui utilisent l’immobilier pour garantir leurs prêts. Parallèlement, les administrations locales qui se financent en partie sur le marché foncier seraient fragilisées. Le tout aggravant la chute de la croissance du fait que celle-ci est en partie nourrie par l’immobilier et les activités des industries afférentes (ciment, constructions, acier, métaux non ferreux).

Le freinage pourrait s’étendre par contagion à l’économie globale par le truchement de 3 facteurs : d’abord les liens commerciaux de la Chine avec le reste du monde et l’affaiblissement de la confiance. Les deux impactant d’abord les voisins proches (Japon, Corée, Taïwan et les pays de l’ASEAN). Ensuite, 3e facteur, la baisse des prix des matières premières, conséquence du freinage de la demande chinoise aurait des conséquences directes sur les pays fournisseurs.

Quant à l’Europe et les États-Unis, ils ressentiraient également les effets d’une crise chinoise, mais avec moins d’acuité. La banque centrale européenne a par exemple calculé qu’un ralentissement de 1% de la croissance chinoise n’aurait qu’un effet de 0,1 à 0,15 % sur l’économie de l’EU.

A ces effets directs et indirects s’ajoutent les conséquences sur les marchés financiers que la secousse chinoise de janvier 2016 à directement impactés. En arrière plan surgit le défi d’une baisse de la confiance globale ayant un effet direct sur les émergents dont certains sont déjà affaiblis pas la chute du prix des matières premières.

La conclusion de Patrick Hess est qu’une crise financière chinoise est possible et qu’elle aura probablement un impact global. La complexité des réformes tirées à hue et à dia par une longue séries de facteurs et d’intérêts politiques et économiques contraires augmente la probabilité d’une crise, dont les prémisses sont aggravées par les inerties bureaucratiques, effets pervers de la campagne anti-corruption.

Note(s) :

[1Le rapport cite le cas de ICBC dont l’accès au marché européen a été facile et rapide (moins d’un mois pour ouvrir les agences de Milan, Bruxelles, Madrid, Paris et Amsterdam).

[2Effort pour augmenter le niveau des assurances sociales et médicales ainsi que pour réformer le système des pensions par le lancement d’expériences pilotes. Mise en place d’un système d’assurance des dépôts bancaires et suppression du plafond des dépôts, clés pour la libéralisation du marché bancaire. Création d’instances judiciaires à Pékin et Shanghai dédiées à la protection des droits de propriété. Réduction du nombre de secteurs interdits aux investissements étrangers. Développement déterminé de la campagne anti-corruption.

 

 

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